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Le traitement médiatique de l'anorexie mentale, entre presse d'information générale et presse magazine de santé

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par Audrey Arnoult
 - Institut d'Etudes Politiques de Lyon 2006
  

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B. La phase de la sanction dans les discours de presse

L'anorexie est une maladie polyfactorielle qui rend impossible un traitement unique. A partir des éléments que nous venons de mettre au jour dans la partie précédente, il est intéressant d'observer comment la presse présente la prise en charge de l'anorexie, une démarche qui implique trois questions :

- Qui est pris en charge ? Si à première vue la réponse peut sembler évidente, nous venons de montrer que les parents sont aujourd'hui considérés comme des « victimes » de la maladie et sont appelés en conséquent à bénéficier d'une prise en charge.

- Qu'est-ce qui est pris en charge ? Le corps médical insiste sur la nécessité d'une thérapie à la fois nutritionnelle et psychologique, nous allons donc observer si les quotidiens nous décrivent une « thérapie `bifocale' » ou s'ils se contentent d'évoquer l'aspect nutritionnel.

- Quel type de traitement thérapeutique est privilégié par les médias ?

- En quels termes sont décrits les rapports entre soignant et patiente ?

- Quels sont les pronostics concernant la guérison ?

- Les discours des journaux ont-ils une visée préventive ?

En répondant à ces questions, nous essaierons également de voir si les évolutions qui ont affecté la prise en charge de l'anorexique au XXème siècle, se retrouvent dans les discours médiatiques.

1. La Croix refuse l'isolement thérapeutique et accorde une place privilégiée aux parents

a) L'isolement, une pratique refusée

La Croix reconnaît la nécessité d'allier un traitement psychologique avec une prise en charge nutritionnelle642(*). Cinq articles dans le dossier sont consacrés à la question de la séparation familiale, un mode de prise en charge que rejette le quotidien. Le fait de publier autant d'articles sur la question du traitement thérapeutique de l'anorexie reflète l'importance que cette étape revêt pour le quotidien, nous allons rapidement en comprendre les raisons. Il est partagé entre laisser l'anorexique dans sa famille et l'exigence médicale de séparation, d'autant plus justifiée si les parents sont responsables de la maladie. En effet, La Croix accorde une place importante à la famille, et retirer une anorexique de sa famille c'est en quelque sorte considérer que les parents ne sont pas capables d'aider et de soigner leur fille, c'est briser la communauté familiale et les dessaisir de leur rôle. Malgré la modération terminologique du quotidien quand il évoque la séparation, différents indices révèlent qu'il est favorable à des hospitalisations sans séparation.

Avant de consacrer un dossier entier à cette question, le journal avait déjà soulevé le problème dans un article précédent. Ainsi, il écrivait qu' « il y a des divergences quant au traitement et à la prise en charge », que « la question de l'hospitalisation fait l'objet d'une âpre discussion ». Le terme « âpre » indique que la question ne concerne pas uniquement le corps médical mais que le quotidien est également impliqué. Au premier abord le discours semble relativement neutre, le quotidien présente successivement les arguments respectifs des partisans et des opposants de l'isolement : « pour certains [...], pour d'autres... ». Cependant, le quotidien conclut en disant que pour certains « au contraire, les relations familiales difficiles ne sont que la traduction des troubles internes du malade : il ne faut donc pas aggraver les choses en l'extrayant de son milieu familial »643(*). Présenter en dernier l'argument des opposants à l'isolement est une façon de montrer c'est dans ce camp que se range La Croix, ce que confirment les articles du corpus.

La Croix écrit que l'anorexie « pose, entre autres multiples questions [...] celle de la place des parents dans les soins à donner à leurs enfants, presque adultes » ce qui indique d'emblée que la phase de prise en charge constitue l'étape la plus importante pour le quotidien. En effet, nous avions souligné dans les analyses précédentes que le quotidien s'intéressait peu aux pratiques anorexiques par exemple. Cette citation rappelle la spécificité du traitement thérapeutique de l'anorexie. Pour d'autres maladies, le patient est pris en charge par un médecin, il s'agit donc d'une relation bilatérale. Dans le cas de l'anorexie, les parents ne peuvent être exclus de la démarche thérapeutique car ils sont eux aussi victimes de la maladie.

C'est essentiellement par le recours aux témoignages que le quotidien laisse entendre qu'il rejette l'isolement comme mode de prise en charge thérapeutique. Lorsque le journal écrit que « des parents célèbres ont exprimé leur désaccord à l'égard d'une pratique médicale qu'ont vécue leurs filles » c'est-à-dire « des périodes d'isolement d'avec leur famille », c'est en fait son propre désaccord qu'il formule. Le journal ne critique pas l'isolement d'un point de vue médical comme le fait D. Rigaud mais d'un point de vue affectif. La séparation est jugée « cruelle » et assimilée à une « forme de chantage ». En précisant que « certains soignants, même, la refusent », La Croix met en évidence que si des professionnels rejettent ce mode de soins, il peut légitimement s'y opposer. En dernier lieu, il consent qu'« elle n'a d'efficacité que si les parents et le jeune en comprennent et en acceptent le sens », ce qui est peu probable.

Un second article644(*) est entièrement consacré à l'hospitalisation avec « séparation familiale », « une pratique qui fait débat », ce qui mérite que nous nous y intéressions de manière plus approfondie afin de comprendre pourquoi et par quels procédés le journal rejette-t-il ce mode de traitement, qui est pourtant parfois indispensable. L'article s'ouvre avec les témoignages de B. Chirac et P. Poivre d'Arvor qui qualifient le séjour dans un hôpital de « prison », une pratique « barbare » car l'adolescente « est enfermée dans sa chambre ». La connotation péjorative de ces termes est révélatrice. La référence à la prison comme aux Barbares renvoient à l'exclusion, à une sorte de déshumanisation que La Croix ne peut tolérer. Comment légitimer l'isolement d'une malade qui n'est en rien responsable de sa maladie et doit au contraire être soutenue ? Afin d'accentuer la cruauté de ce mode d'hospitalisation, le quotidien donne la parole à P. Poivre d'Arvor qui décrit l'isolement qu'a subi sa fille et qui était imposé aux anorexiques graves à une certaine époque : « [elles] étaient empêchés de voir leurs parents, de leur téléphoner, de leur écrire parfois pendant plusieurs semaines ou plusieurs mois ». Le recours à l'énumération, les indications temporelles mettent en valeur l'absence de communication qu'impose ce mode de traitement. Le quotidien ne se contente pas de pointer du doigt ce mode d'hospitalisation, il souligne également la souffrance des parents. C'est « la douleur d'un père » dont la « blessure [est] toujours à vif, dix ans après » que le reportage nous montre. Le journal ajoute que cette douleur est même « impossible à cicatriser ». Plus loin, nous trouvons le terme « souffrance », et l'expression « douleur chevillée au coeur » qui décrivent les sentiments de B. Chirac et P. Poivre d'Arvor. En utilisant ces termes, le quotidien fait appelle à la sensibilité du lecteur qui ne peut légitimer une telle pratique face à la souffrance des parents. Notons que La Croix utilisait aussi le terme de « souffrance » pour parler de l'anorexique. En employant le même mot pour désigner les sentiments des parents, il nous rappelle que si la malade est la première victime de l'anorexie, les parents le sont aussi.

Nous avons relevé plusieurs questions dans l'article qui traduisent l'incompréhension de La Croix : « Pourquoi les hôpitaux séparent-ils ainsi les anorexiques de leurs proches ? Ces établissements seraient-ils des lieux totalement déshumanisés où l'on pratiquerait une sorte de chantage affectif à la reprise de poids ? [...] Mais pourquoi aller jusqu'à cette séparation totale avec la famille ? ». A ces interrogations qui sont aussi celles des parents, des médecins répondent et relativisent le recours à l'isolement aujourd'hui qui « ne concerne qu'une minorité de patients anorexiques », la majorité de la prise en charge s'effectuant en ambulatoire. Le quotidien délègue la parole à un expert qui retrace un rapide historique de l'isolement et qui confirme que dans les années 70, ce mode de prise en charge existait encore en France. Pratiqué dans des situations « très exceptionnelles », « l'isolement a aujourd'hui disparu des hôpitaux ». Toutefois, le quotidien apporte une nuance : « Mais pas celle de la séparation familiale » qui, précise-t-il, « reste encore utilisée par une majorité des équipes spécialisées », une façon de sous-entendre que c'est encore trop. Ces deux pratiques ont en commun l'absence de communication totale d'avec la famille. C'est pourquoi, même si dans le cadre d'une séparation familiale la patiente est « libre de ses mouvements dans le service », La Croix ne peut pas non plus tolérer ce mode d'hospitalisation qui rompt le lien familial. A la question du journal « Mais pourquoi aller jusqu'à la séparation totale avec la famille ? » répondent plusieurs experts, partisans de ce mode de prise en charge. Ils « argumente[nt] », « explique[nt] », « renchérisse[nt] » mais leurs propos ne peuvent convaincre un quotidien pour qui la famille est une valeur fondamentale. Ainsi, « sans nier la nécessité d'aménager un `temps thérapeutique' en dehors de la présence des parents », le journal souligne que « certains services se refusent à pratiquer ces séparations totales ». Un autre expert nous fait part de son expérience et estime que « ce n'est pas très humain », que la psychiatrie « par le passé, a beaucoup fait souffrir les parents d'anorexiques ». Ces propos constituent en quelque sorte la « preuve » médicale que la séparation familiale n'est pas utilisée par tous les médecins et qu'elle n'est pas un obstacle à la guérison de l'anorexie. Un dernier exemple vient compléter l'argumentation : « la Maison des Adolescents [...] ne pratiquera pas, elle non plus, la séparation ». Qu'une nouvelle structure ne recourt pas à la séparation familiale signifie en quelque sorte qu'après l'abandon de l'isolement, c'est la séparation familiale qui doit être délaissée. Une phrase a retenu notre attention : « couper tout contact, c'est quand même une manière de stigmatiser les parents d'une certaine façon, de les rendre responsables de la pathologie de leur enfant ». En laissant un expert tenir de tels propos, le quotidien souligne que le corps médical partage sa position. De plus, cette phrase révèle le basculement que nous avions mentionné dans l'analyse de la figure du destinateur : les parents ne sont plus considérés comme responsables de l'anorexie de leur enfant, la séparation n'a plus lieu d'être. Le quotidien insiste sur cette idée puisqu'il laisse un autre expert souligner que « non seulement les parents ne sont pas responsables de ce qui arrive à leur enfant, mais ce sont des alliés thérapeutiques précieux ». Les propos de ces deux experts viennent légitimer, renforcer la position du quotidien. Cependant, malgré le rejet la séparation, nous avons noté que le dernier expert que convoque La Croix est favorable à cette séparation familiale. Toutefois, il insiste sur la collaboration entre le corps médical et les parents qui s'effectue par le biais « d'entretiens très réguliers », « les parents ne sont pas seuls dans la nature », alors qu'avant « on faisait des séparations en ignorant les parents ». Nous pouvons penser que malgré l'opposition du journal à ce mode de prise en charge, il ne peut nier que dans certains cas la séparation est inévitable. Ainsi, il ne peut contredire cet expert qui toutefois accorde une place importante aux parents dans la démarche thérapeutique, un objectif qui est aussi celui du journal. Enfin, notons que la structure de l'article est relativement équilibré : le quotidien laisse successivement la parole aux partisans de la séparation puis à ces opposants, ce qui témoigne d'un souci de rigueur et d'une certaine neutralité, neutralité qui se révèle illusoire.

* 642 La Croix, 27 septembre 1997, p. 28.

* 643 La Croix, 30 septembre 2003, p. 6.

* 644 La Croix, 18 janvier 2005, p. 13.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote