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Le traitement médiatique de l'anorexie mentale, entre presse d'information générale et presse magazine de santé

( Télécharger le fichier original )
par Audrey Arnoult
 - Institut d'Etudes Politiques de Lyon 2006
  

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3. Le Figaro : entre le facteur socioculturel et le facteur psychologique

Aucun article du corpus ne traite spécifiquement des causes de l'anorexie, autrement dit du destinateur, car l'origine de la maladie est difficile à comprendre. C'est du moins ce que suggèrent les phrases suivantes : l'anorexie est un « un mal-être psychologique si complexe à analyser »414(*), « un trouble du comportement alimentaire aux causes méconnues » et des spécialistes « tentent [...] de cerner ce mal »415(*) dans une émission télévisée. Si le « si » accentue la difficulté à expliquer l'origine de la maladie, la fait de spécifier que même des spécialistes ne parviennent pas à comprendre les causes de l'anorexie, sert de justification au quotidien. En effet, comment pourrait-il aborder la question des facteurs déclencheurs de la maladie, construire une figure du destinateur si même le corps médical est impuissant à décrypter l'origine de la maladie ? Malgré cette apparente impossibilité à désigner un destinateur, les discours de presse nous permettent de dégager quelques indices quant à la position du quotidien. Nous pouvons noter que comme La Croix, Le Figaro commence par souligner la complexité de l'origine de la maladie, avant de donner quelques indications au fil des discours.

a) Les facteurs génétique et organique : deux destinateurs écartés

Le premier article du corpus aborde la question du facteur organique de la maladie. Le quotidien titre « les batailles de l'anorexie », un terme révélateur de la « lutte » dont fait l'objet l'assignation d'une origine à la maladie. L'article nous présente les conclusions d'un colloque londonien : « une anomalie au niveau du cerveau expliquerait l'anorexie mentale », une hypothèse rejetée par les experts français qui défendent eux la thèse d'une origine psychologique. Il est intéressant de noter que l'hypothèse organique est défendue par un psychiatre anglais alors que l'hypothèse d'une origine psychologique est mise en avant par les psychiatres français. Cette opposition entre deux conceptions étiologiques de l'anorexie n'est pas sans rappeler la divergence entre C. Lasègue et W. Gull. Nous avions effectivement mentionné le fait que leur description de l'anorexie avait ouvert le champ à deux courants de pensée différents : l'un privilégiant une cause organique de l'anorexie, l'autre une origine psychologique. Cet article permet non seulement de comprendre pourquoi C. Lasègue et W. Gull sont considérés comme les pères fondateurs de l'anorexie mais aussi de voir que des hypothèses émises il y a maintenant plus d'un siècle continuent d'orienter les recherches sur l'anorexie. Ainsi, la façon dont est perçue la maladie aujourd'hui dépend en grande partie des hypothèses des siècles précédents. La construction de la représentation de la maladie est bien un processus de long terme et les théories avancées aujourd'hui ne font que reprendre des idées déjà en germe il y a un siècle. Plusieurs indices nous révèlent que le quotidien penche en faveur de l'hypothèse d'un facteur psychologique, défendue par P. Jeammet. En effet, l'équipe londonienne « a estimé » qu'« `une anomalie au niveau du cerveau expliquerait l'anorexie mentale' ». L'emploi du conditionnel souligne l'incertitude qui entoure cette hypothèse, laquelle est renforcée par le verbe introducteur. L'équipe londonienne estime mais ne prétend pas, n'affirme pas. Le quotidien écarte d'autant plus cette hypothèse qu'il souligne que « cette annonce en appelant à l'organicité de l'anorexie mentale fait plutôt sourire (jaune) les spécialistes du trouble du comportement alimentaire ». Le qualificatif de « jaune » rappelle l'expression « rire jaune » qui signifie « rire avec contrainte, pour dissimuler son dépit ou sa gêne »416(*), une façon d'indiquer la stupéfaction et le désappointement des médecins français. Le quotidien discrédite cette hypothèse qui prétend qu'une lésion au cerveau serait « `la' cause de l'anorexie ». L'usage des guillemets traduit la distance du Figaro. Enfin, P. Jeammet « s'exclame » qu' « on se croirait revenu en 1914, quand on a découvert l'hypophyse ». Par le verbe introducteur le journal traduit l'indignation du médecin français qui est aussi la sienne. L'allusion à Simmonds tend également à décrédibiliser l'éventuelle cause organique de l'anorexie puisque nous savons que l'hypothèse émise par Simmonds s'est avérée fausse deux décennies plus tard (cf. supra partie 2, II. A. 1)).

Le Figaro rejette l'hypothèse d'un facteur génétique de l'anorexie dans un autre article417(*). Le récit présente la thèse des partisans de la psychiatrie biologique en ces termes « pour les tenants de la psychiatrie biologique, la `sérotonine connection' serait au coeur du problème même si cette petite molécule [...] n'est pas le seul médiateur en jeu ». L'emploi du conditionnel suggère l'incertitude de cette hypothèse, et la façon dont le quotidien l'introduit : « pour les tenants... » contribue à la mettre à distance. Plus loin, le Figaro parle d'une « éventuelle composante génétique » que cherchent à mettre à jour des études scientifiques. Si le quotidien recourt à un expert pour présenter cette hypothèse, ce n'est pas pour conférer une plus grande crédibilité. L'expert convoqué « estime » et le journal ajoute que « sans aller jusqu'à dire qu'il existerait un gène de l'anorexie [...], ce spécialiste penche pour une vulnérabilité génétique liée à une personnalité particulière ». Le qualificatif « éventuelle », le verbe introducteur « estime » et l'expression « vulnérabilité génétique » sont autant d'indices qui viennent relativiser l'hypothèse d'un facteur génétique de l'anorexie. La dernière phrase de l'article le confirme, Le Figaro nous informe que des centres récoltent les échantillons sanguins des anorexiques et de leurs familles « afin de tenter de mettre au jour d'hypothétiques caractéristiques génétiques... ». le verbe « tenter », l'adjectif « hypothétiques » et la ponctuation utilisée sont également des indices qui révèlent que le quotidien ne partage pas cette idée.

* 414 Le Figaro, 27 mai 2000.

* 415 Le Figaro, 1er juin 2002.

* 416 Le Petit Larousse Compact, [1993], p. 572.

* 417 Le Figaro, 25 juin 1997.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille