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Le traitement médiatique de l'anorexie mentale, entre presse d'information générale et presse magazine de santé

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par Audrey Arnoult
 - Institut d'Etudes Politiques de Lyon 2006
  

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d) Le mécanisme de déni : l'actant-sujet n'est pas conscient de sa maladie

Dans la plupart des discours, Santé Magazine s'attache à expliquer le mécanisme du déni à l'oeuvre dans le comportement anorexique. C'est « un mécanisme qui existe depuis le début de la trajectoire anorexique, à divers degrés »591(*) et qui se renforce progressivement. Le terme de déni ne revêt pas une connotation péjorative mais décrit l'état psychique dans lequel se trouve l'anorexique. Le magazine souligne à plusieurs reprises que la jeune fille est « dans l'impossibilité de reconnaître sa maladie », elle « ne se voit pas comme malade », elle « est dans l'incapacité de `voir', au sens premier du terme, sa différence »592(*), c'est-à-dire son apparence physique. Le « déni n'est pas dirigé contre l'entourage », une phrase qui révèle à nouveau que l'anorexique ne s'oppose pas à sa famille.

Quand l'anorexique est dans ce processus, cela signifie qu'elle ne contrôle plus la maladie mais qu'elle a basculé dans un « engrenage », dans le « cercle vicieux et très grave de la maladie ». Santé magazine explique que « l'engrenage se met en route, plus elle maigrit, plus elle veut maigrir. L'anorexique ne se voit pas comme elle est et se trouve toujours trop grosse », une altération de la perception corporelle que confirme une anorexique : « à 30 kilos je me trouvais encore énorme »593(*). Ces citations soulignent bien le passage de la phase où l'anorexique contrôle sa maladie, à celle où elle est contrôlée par la maladie. Ainsi, ce qui était à l'origine un refus de manger volontaire devient une incapacité à manger : « l'anorexique n'est pas quelqu'un qui ne veut pas manger mais c'est quelqu'un qui ne peut pas manger »594(*). Par la typographie, le magazine insiste sur cette vérité que beaucoup de personnes tendent à oublier. Aujourd'hui, le corps médical est conscient de l'incapacité des anorexiques à manger mais les personnes peu informées sur la maladie pensent souvent que la restriction alimentaire est un refus pur et simple. Afin d'insister encore sur ce détail, le magazine répète dans le même article, dans un encart : « L'anorexie n'est pas ue volonté de ne pas manger, mais un interdit qui s'impose à la volonté de l'adolescente ».

e) L'anorexie, une maladie qui entraîne « un cortège de pathologies associées »595(*)

Santé Magazine s'attache à énumérer les différentes complications qu'engendre l'anorexie. L'anorexique est désignée comme une « victime [qui] ne souhaite pas se laisser mourir de faim »596(*) mais dont « la perte de poids est sans limite, jusqu'à la mort parfois »597(*). Un paradoxe qui s'explique par l'inconscience de la malade, une notion qui revient à plusieurs reprises. Ainsi, le magazine écrit que l'anorexie est une maladie qui « hélas » s'accompagne d'une multitude de pathologies dont l'anorexique « n'a pas conscience »598(*) ; ou encore les anorexiques « n'ont plus conscience » de leur corps et « mettent très longtemps à concevoir que les maladies parallèles à leur anorexie [...] viennent de leur anorexie »599(*).

Les discours de presse nous fournissent des indications très détaillées sur les conséquences à la fois physiologiques et psychiques de la maladie. Sans toutes les énumérer, nous pouvons d'emblée souligner que Santé Magazine utilise une terminologie médicale et décrit de façon très précise ces complications, une rigueur qui nous permet de rapprocher ses discours des discours médicaux. Les conséquences de la maladie sont d'abord physiologiques : l'anorexique a des carences, les cheveux et la peau deviennent plus fragiles, des oedèmes sont causés par l'insuffisance d'apports en protéines, son corps est envahi par le froid... Santé Magazine précise aussi que l'anorexique perd la masse musculaire et peut être sujette à des pertes de concentration600(*). Ce quelques détails nous permettent de constater la très forte similitude entre les discours du magazine et la littérature scientifique, ce qui n'est pas très étonnant. En effet, de par sa position Santé Magazine se doit d'informer de tout ce qui à trait au domaine médical, il ne peut donc occulter des aspects aussi important que les conséquences de l'anorexie. Enfin, il précise que malgré « le mécanisme de résistance », le corps ne peut pas tenir indéfiniment et la maladie peut conduire à la mort causée par des troubles cardiaques ou une déficience du système immunitaire601(*).

Pour ce qui est de l'aspect psychique, le magazine revient sur des notions que nous avons déjà abordées telles que l'absence de plaisir, la hantise de grossir qui s'accentue au fur et à mesure que la maladie avance... qui au final conduisent l'anorexique à se couper de ses amis pour éviter de manger.

Santé Magazine est le seul à s'attacher à toutes les phases de la performance de l'anorexique. Le régime est la modalité de commencement de l'anorexie la plus fréquente cependant, le magazine nuance cette idée. Faire un régime ne signifie pas devenir anorexique. Tous les détails que les discours nous fournissent concernant la phase du maintien de l'engagement contribuent à insister sur le contrôle dont fait preuve l'anorexique, la restriction alimentaire et l'hyperactivité, c'est-à-dire aux différents fronts de la prise en main. Le magazine insiste sur la dimension inconsciente de la maladie ce qui explique que les pratiques de l'anorexique ne soient pas stigmatisées et que les anti-sujets disparaissent. L'actant sujet est victime de sa maladie et ne s'oppose pas à son entourage. Cette position est relativement cohérente avec l'idée qui sous-tend tous les articles du magazine : l'anorexie est une maladie.

Ce troisième volet de notre analyse ne nous permet pas vraiment de répondre à notre question de départ, à savoir la stigmatisation de la performance de l'actant sujet. En effet, nous avons montré qu'excepté Santé Magazine, les quotidiens s'intéressent très peu aux pratiques anorexiques voire occultent complètement les phases qui la composent. En conséquent, aucun anti-sujet n'apparaît sauf dans les discours de Le Monde où il est juste mentionné. L'anorexique est bien considérée comme une victime même si le terme n'est pas toujours employé cependant, en général peu d'éléments nous sont fournis quant aux conséquences physiologiques et psychiques engendrées par la maladie. L'accent est souvent mis sur la maigreur et le risque de mort comme dans les discours de Libération et du Figaro, mais l'aspect psychique est occulté. Aucune donnée clinique ne nous est fournie. La figure des parents apparaît de façon très brève dans les propos de Le Monde, du Figaro et de Libération qui se contentent de souligner la difficulté dans laquelle ils se trouvent, voire parfois leur sentiment de culpabilité. Seul La Croix accorde une large place aux parents en insistant sur leur souffrance, une différence qui peut s'expliquer par l'importance que le quotidien attache à la famille. Il y a donc un clivage très net entre la façon dont Santé Magazine aborde la performance de l'anorexique (son discours est en adéquation avec les discours médicaux et il ne sanctionne pas la performance de l'anorexique) et le traitement qu'en font les quotidiens, un écart qui s'explique par la position du magazine. En outre, nous pouvons interpréter les silences ou les manques de précision des quotidiens comme le reflet d'une difficulté à parler d'une maladie qu'ils connaissent mal comme le suggèrent explicitement Le Figaro ou encore Libération. Après la performance de l'anorexique, c'est maintenant à la phase de la sanction que nous allons consacrer ce dernier volet de notre analyse.

* 591 Santé Magazine, n°311, novembre 2001, p. 100-105.

* 592 Santé Magazine, n°311, novembre 2001, p. 100-105.

* 593 Idem.

* 594 Santé Magazine, n°311, novembre 2001, p. 100-105.

* 595 Santé Magazine, n°311, novembre 2001, p. 100-105.

* 596 Santé Magazine, n°244, avril 1996, p. 70-71.

* 597 Santé Magazine, n°311, novembre 2001, p. 100-105.

* 598 Santé Magazine, n°311, novembre 2001, p. 100-105.

* 599 Santé Magazine, n°311, novembre 2001, p. 100-105.

* 600 Santé Magazine, n°244, avril 1996, p. 70-71.

* 601 Santé Magazine, n°244, avril 1996, p. 70-71.

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