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enjeux et limites de la microfinance dans un contexte de lutte contre la pauvreté: Etude à partir du CPS Diourbel

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par Serigne Cheikh FALL
Ecole Nationale des Travailleurs Sociaux Spécialisés- Dakar - Diplôme d'Etat en Travail Social 2006
  

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Première Partie

PROBLEMATIQUE ET CONSTRUCTION DE L'OBJET DE RECHERCHE

1-1 Position du problème

L'atténuation de la pauvreté continue d'être une préoccupation à l'échelle planétaire. Cette préoccupation mondiale est étroitement liée à une inquiétude croissante devant l'accroissement des inégalités et l'exclusion.

Déjà, le rapport de la Banque mondiale de 1990 sur le dévelopement dans le monde révélait les statistiques suivantes, un habitant sur trois, soit 1 milliard de personnes vivait dans un état de pauvreté absolue, c'est-à-dire qu'il disposait d'un revenu de moins de 370 dollars par an, un sur cinq disposant même de moins de 200 dollars.

Aujourd'hui, seize ans après, le phénomène de pauvreté semble plus que jamais préoccupant si l'on en juge le rapport du PROGRAMME DES NATIONS UNIES POUR LE DEVELOPPEMENT (2003).

Cette proportion varie en fonction des aires géographiques, les pauvres au sens1(*) de la Banque mondiale représentant 10 p. 100 des habitants de l'Asie de l'est, 52 p. 100 de l'Asie du Sud, 25 p. 100 de l'Amérique Latine et 48 p. 100 de l'Afrique subsaharienne.

Malgré les efforts consentis par la communauté internationale, le phénomène de pauvreté devient de plus en plus insoutenable du fait que sur les 6 milliards d'habitants de la planète, 2.5 à 3 milliards ont moins de 2 dollars par jour pour vivre, et 1.2 milliard moins d'un dollar par jour 2(*).

L'ampleur de la pauvreté, sa profondeur, son hétérogénéité posent de nouveaux problèmes dans les pays sous-développés soumis à un processus d'urbanisation et de monétarisation accélérées comme le souligne le Rapport N°234 de la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l'Homme (janvier 2003).

Par ailleurs, les événements tragiques du 11 septembre 2001 constituent un exemple éloquent de la généralisation des effets pervers de l'exclusion en dehors des limites frontalières des seuls pays sous-développés. Comme l'écrit Paul Collier, « un pays dont les institutions ne peuvent ou ne veulent pas fournir des services sociaux aux populations les plus pauvres constitue un terreau fertile pour le terrorisme qui menace la sécurité mondiale. » (In jeune afrique/l'intelligent n°2322, juillet 2005).

La mondialisation tend en fait à être un processus d'exclusion produisant par ci des zones d'intégration (Union Européenne, Union africaine, ALENA, MERCOSUR...) et par là des zones de désintégration (conflits ethniques au Darfour, au Rwanda, en Cote d'Ivoire, en Irak...)

Le Rapport mondial sur le développement, déjà en 1990, avait identifié le combat contre la pauvreté comme une stratégie clé dans tout processus de développement.

Les années passant, le concept de pauvreté a suscité de la part des organisations internationales de développement, des approches diverses liées à la nécessaire prise en compte de nouvelles réalités et dimensions prises par ce phénomène « envahissant, intraitable et inexcusable ».

Ainsi, que ce soit le PNUD, la Banque Mondiale ou le CNUCED, la nécessité s'impose d'opérer à un élargissement dans la vision consécutif au glissement conceptuel, aux aspects et à la répartition de la pauvreté. Elle est perçue aussi bien en milieu urbain qu'en milieu rural comme nous le montre le Rapport 2001 du Fonds International pour le Développement de l'Agriculture (FIDA). Pour le FIDA en effet, les progrès pour réduire la pauvreté en milieu rural ont « stagné ». Et selon toujours cet organisme, les trois quarts d'une population d'environ 1.2 milliards qui se trouvent dans une situation d'extrême pauvreté vit en milieu rural, l'aide à l'agriculture - leur principale source de revenu- a baissé de deux tiers.

Malgré les efforts importants déployés par la communauté internationale pour inverser la tendance défavorable au bien-être de l'Homme, les statistiques les plus récentes n'offrent guère plus d'espoir quant à la persistance du phénomène.

Cette tendance s'est en effet confirmée avec le rapport sur le développement dans le monde publié par la Banque Mondiale pour l'année 1999-2000.

En effet, le nombre absolu de personnes ayant un dollar par jour ou moins pour vivre, était de 1.2 milliard en 1987 et passera à 1.9 milliards en 2015, si rien n'est fait.

Par ailleurs, le Fonds des Nations Unies pour l'Equipement (FENU), à travers une note technique préparatoire au forum de Maputo en mai 2002 du Bureau pour l'Afrique du PNUD et portant sur « la gouvernance locale pour la réduction de la pauvreté », estime que les projections démographiques des vingt cinq prochaines années, laissent apparaître une hausse de la population mondiale de l'ordre de deux milliards d'habitants dont les 97% seraient dans les pays en voie de développement3(*).

Etant donné que les chiffres de population augmentent, cela signifie que le nombre de personnes ayant un dollar pour vivre suivra la même courbe de croissance.

Dès lors, si la tendance démographique n'est pas inversée, les espoirs de voir la pauvreté reculer seront déçus.

Pour ce qui concerne la région est-asiatique qui manifestait des signes d'espoir visibles notés dans le recul de la pauvreté, il faut noter avec la Banque Mondiale qu'avec la crise qui l'a affectée vers les années 2000, les projections indiquent pour des pays comme la Thaïlande, une progression de l'ordre de 19.7% en trois ans. Les conséquences budgétaires de la crise qui a frappé l'Asie de l'Est en 1997 ne sont que peu de chose par rapport à la perte de croissance et à l'aggravation de la pauvreté et des inégalités dans ces pays. Là également, les indicateurs ne sont pas satisfaisants comme l'atteste le PNB par habitant d'un pays comme le Pakistan qui se chiffre à 490 dollars, un peu plus que celui de l'Asie du Sud qui se chiffre à 390 dollars (source : Banque Mondiale, World Development Indicators, 1999)4(*) . Cette partie du monde trouve son sort étroitement lié aux évolutions économiques en Chine pour l'Asie de l'Est et en Inde pour l'Asie du Sud. Ce sont ; en effet, l'ampleur et la durabilité de la croissance dans ces deux pays qui détermineront l'évolution de la pauvreté dans la région selon Thierry Paccord 3.

En Amérique latine, l'augmentation de la pauvreté est moins rapide qu'ailleurs mais toujours selon l'étude faite par M.Thierry Paccord, elle reste tenace et est particulièrement visible dans l'accroissement rapide des inégalités de revenus entre les diverses couches de la population.

Pour ce qui concerne l'Europe centrale et orientale, la nature de la pauvreté évolue rapidement et la Banque mondiale comme le PNUD estiment qu'avec les énormes ajustements qui sont en cours, il est difficile d'évaluer complètement les conséquences sur le plan social.

Néanmoins, des tendances à une aggravation de la pauvreté sont toujours perceptibles et inquiètent la communauté mondiale.

Enfin, pour la région africaine, les statistiques laissent apparaître une partie du monde en proie à une aggravation du dénuement. En effet, on peut dire avec la Banque Mondiale que la région qui a le plus besoin de croissance pour faire face à la pauvreté, en a eu le moins.

Entre 1965 et 1985, le PIB a augmenté de moins de 1% par an en moyenne. Les performances économiques ont même commencé à se détériorer dès le milieu des années 70, combiné à une nouvelle détérioration des termes de l'échange et de la forte réduction de l'accès aux capitaux internationaux pendant la première moitié des années 805(*).

En outre, de nombreux problèmes de développement sont devenus le lot exclusif de l'Afrique. Ils comprennent le faible niveau des taux de scolarisation à l'école primaire, la forte mortalité infantile et les maladies endémiques notamment le paludisme et le VIH/sida. Cette dernière maladie constitue un fléau dont le risque d'abaissement de l'espérance de vie de vingt ans est réel ; en plus de nuire à l'épargne, à la croissance et au tissu social dans de nombreux pays. De plus, un africain sur cinq vit dans un pays en proie à de graves conflits6(*).

Les problèmes de santé sont d'autant plus préoccupants qu'ils influent profondément sur les résultats économiques et sur la qualité de la vie.

Malgré les avancées significatives de la médecine, les statistiques épidémiologiques en ce qui concerne le continent africain présentent un bilan en demi teinte si on en croit le rapport sur le développement dans le monde 1999-2000.

Pendant qu'en Amérique latine et dans les Caraïbes, les dépenses publiques de santé atteignent 6.3% du PIB, et en Asie du Sud-Est 5% ; en Afrique subsaharienne elles ne représentent que 2.7%. Les estimations faites pour l'Afrique dans les prochaines années fixent à 32% le nombre de personnes qui vont mourir avant l'âge de quarante ans. Le ratio médecin/personnes est de 1 sur 18000 (contre 1 sur 350 dans les pays industrialisés), une personne sur deux n'ayant pas accès aux services de santé.

De plus, le taux de mortalité infantile est proche de 10 % et ; en moyenne, pour chaque tranche de 1000 enfants, 157 meurent avant d'atteindre l'âge de 5 ans. A titre de comparaison, ce taux est de 5.3 % en Asie de l'Est et 0.2% dans les pays à revenu élevé7(*).

Les indicateurs pour l'éducation n'en sont pas plus reluisants nonobstant la forte expression de la volonté d'éducation universelle. De nombreux pays africains se trouvent jusqu'à présent impuissants devant un système éducatif insuffisant (surtout en ce qui concerne les femmes, moins de 5 % des fillettes pauvres des zones rurales sont scolarisées au niveau primaire).

De plus, la perte par le continent africain de ses parts du commerce mondial depuis la fin des années 60 est estimée à environ 70 milliards de dollars par an, ce qui porte naturellement un sacré coup à l'économie encore balbutiante de la plupart des pays africains en général et ouest-africaine en particulier, y compris le Sénégal.

Situé dans la partie côtière et occidentale de l'Afrique, le Sénégal n'en demeure pas pour autant un îlot de bien-être économique et social. En effet, il a été victime comme tous les pays africains des politiques d'ajustement structurel, de l'endettement chronique, de la détérioration des termes de l'échange ainsi que des rapports inéquitables Nord-Sud.

Si l'appréhension des dimensions de la pauvreté a occupé une bonne place dans la stratégie nationale de lutte contre le phénomène, c'est certainement lié à la nécessaire congruence qui doit s'établir entre la perception et la réalité de la pauvreté. En effet, les données recueillies à partir du QUID8(*) (2001) situent l'incidence de la pauvreté des ménages à 53.9 % alors que l'enquête de perception de la même année relève la barre à 64 %. Cette apparente contradiction est liée à des critères différents d'appréciation d'un même phénomène. Mais ceci n'enlève en rien la profondeur de la pauvreté au Sénégal qui inquiète de plus en plus les autorités pour qui, sa prévalence reste très élevée, sa localisation plus marquée en zone rurale qu'en zone urbaine (entre 72 % et 88 % contre 44 à 59 %) et sa féminisation plus manifeste.

S'agissant de l'état de la pauvreté en rapport avec le sexe, on peut dire que les questions de genre se fondent sur une forme de discrimination sociale qui se traduit à son tour, par une marginalisation de la femme qui se trouve être exclue des opportunités sociales (accès à l'éducation, à la formation et à l'emploi hors du foyer). Il est en effet fréquent de voir la femme confinée dans des tâches domestiques et exclues des processus de prise de décision ; ce qui aggrave encore plus sa dépendance.

La question de l'inégalité basée sur le sexe a d'ailleurs fait l'objet d'attention particulière de la part de la communauté internationale qui, à travers beaucoup de rencontres (Mexico en 1975, Nairobi en 1985 et Beijing en 1995) mettait au coeur des débats la lutte contre les inégalités entre les sexes, la marginalisation des femmes ou leur accès au pouvoir politique et économique9(*).

L'étude menée sous la direction de la sociologue Fatou Sarr révèle que le taux de fécondité reste élevé au Sénégal, le nombre d'enfants par femme étant estimé à 5,7. Ce qui n'est pas sans effet négatif sur la santé des femmes et de leurs enfants.

Par ailleurs, l'espérance de vie des femmes sénégalaises compte parmi les plus faibles d'Afrique.

Les statistiques sur la scolarisation fait apparaître un profond déséquilibre entre les sexes, au détriment des filles ; l'espace scolaire restant de l'avis des chercheurs un bon cadre pour la reproduction de la domination masculine et l'exclusion fondée sur le sexe.

En outre, les pouvoirs économiques de la femme sénégalaise sont encore faibles du fait de leur confinement dans les seuls secteurs que sont l'agriculture et le commerce. Or, dans le premier secteur cité, malgré leur présence massive dans ce dernier, elles sont encore confrontées au problème de l'accès à la terre qui relève de conditions sociales et culturelles d'organisation de la production agricole. A ces difficultés, viennent s'ajouter celles relatives à l'accès aux technologies, aux équipements et surtout au crédit.

Plusieurs facteurs, les uns aussi pertinents que les autres, sont mis en avant dans cette tentative d'expliquer les causes de la dégradation des conditions de vie de ces femmes en particulier et de toute la population du Sénégal en général.

C'est l'endettement qui en constitue un catalyseur selon l'économiste sénégalais basé à Londres Sanou Mbaye. Il estimait que l'encours de la dette qui s'élevait à 3678 millions de dollars en 1994, représentant 272.7 % des exportations et 99.1 % du PNB, est un véritable handicap et un « cauchemar » pour un pays membre de la zone franc ouest africaine qui, de surcroît subira la dévaluation du franc CFA la même année. De cette dévaluation du Franc CFA, le chargé d'enseignement à l'Université de Paris-I Amadou Tom Seck dira qu'avec elle, s'est accru le chômage (La Banque Mondiale et l'Afrique de l'ouest, l'exemple du Sénégal, Publisud, paris, 1997).

En réalité ces pays africains n'ont fait que subir sans défense les effets subtils d'une économie mondiale marquée par un contexte particulièrement favorable car durant la décennie 70, la déréglementation du système monétaire international et les excédents de pétrodollars ont davantage favorisé l'endettement des pays pauvres. Ainsi, pendant longtemps ces pays ont négligé la mobilisation de leurs ressources financières intérieures.

La pauvreté au Sénégal et notamment ses causes ont focalisé l'attention de nombreux chercheurs dont Moustapha Mbodji10(*) pour qui, l'élargissement des cercles de pauvreté serait en substance lié aux modifications structurelles consécutives à la restructuration en cours de l'économie mondiale depuis 1971, révélant du coup l'incapacité des centres de pouvoir étatique et des modèles de représentations traditionnelles à satisfaire les attentes multiformes des populations.

Quant à ses conséquences, Emmanuel S. Ndione estime pour sa part que la pauvreté s'est accompagnée d'une urbanisation dont le taux avoisine les 40 %, ce qui se traduit par un élargissement des banlieues et d'un accroissement de l'économie informelle, véritable soupape de sécurité et de survie en période de crise.

Ce phénomène d'urbanisation forcée est générateur de déséquilibres à la fois sociaux, économiques et culturels dont les effets sur la sécurité et la stabilité du pays restent préoccupants. Et si l'on en croit les données officielles de la Direction de la Prévision et de la Statistique (D.P.S.), cette tendance n'est pas prête de s'inverser, vu que l'importance quantitative de la population rurale au Sénégal est en train de suivre une courbe décroissante contrairement à l'urbanisation.

En outre, la pauvreté accentue la dégradation de l'agriculture qui, elle, est tributaire des aléas climatiques et les coups reçus par la filière arachidière en 2001 se répercutant sur tous les secteurs de l'économie du pays. Ceci du fait que plus de 70 % de la population active au Sénégal sont des agriculteurs. Et l'agriculture participe à hauteur de 25 % du PIB.

Le secteur de la santé est aussi affecté par la pauvreté car marqué par la recrudescence de maladies endémiques telles que le paludisme dont l'étude menée par Momar Coumba Diop et al. « La lutte contre la pauvreté à Dakar, programme de gestion urbaine, Dakar, 1995 »  révèle que le nombre de cas de paludisme recensés chaque année est de 450 000, représentant à eux seuls 40 à 50 % des consultations médicales et une dépense de 3.6 milliards de francs CFA (soit environ 1 % du PIB).

Ainsi donc, malgré un taux de croissance réelle prévisionnel du PIB de l'ordre de 6% en 200511(*) ainsi que la gestion des grands indicateurs macroéconomiques, les équilibres demeurent fragiles. Autant dire que les problèmes sociaux cheminent encore avec les quelques avancées économiques.

Les nombreux programmes initiés par l'Etat du Sénégal en accord avec les institutions de Bretton Woods ne sont pas venus à bout de la pauvreté encore moins n'ont jeté les bases de la croissance et du développement durable, ce qui explique qu'en 2001, le Sénégal adopte une stratégie nouvelle de lutte contre la pauvreté à travers le Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté (DSRP).

La persistance de la pauvreté dans le monde, en Afrique et au Sénégal explique la mobilisation de la communauté des bailleurs de fonds pour la réduire de moitié à l'horizon 2015(Ambition déclarée par le programme des Nations Unies pour le Développement).

C'est dans cette optique que le GROUPE CONSULTATIF D'ASSISTANCE AUX PAUVRES, dans une étude récente projette la microfinance au coeur des outils les plus adaptés pour atteindre les objectifs du millénaire (O.M.D.).

Le secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, à propos de la microfinance dira : « L'accès durable à la microfinance aide à réduire la pauvreté en permettant la génération de revenus et la création d'emplois, en donnant la possibilité aux enfants d'aller à l'école et aux familles d'avoir accès à des soins médicaux et en permettant aux gens de faire les choix qui répondent au mieux à leurs besoins. Ensemble, nous pouvons et nous devons construire des secteurs financiers accessibles à tous qui aident les gens à améliorer leurs conditions de vie. »

C'est à peu près le même discours que tient Mark Malloch Brown

Administrateur du Programme des Nations Unies pour le Développement, pour qui la microfinance n'est pas seulement un simple outil pour la génération de revenus, mais un des mécanismes clés pour l'atteinte des Objectifs du Millénaire pour le Développement.

La place privilégiée de la microfinance dans la lutte contre la pauvreté est aussi affirmée avec force par le président français Jacques Chirac à l'occasion de la célébration à Paris en 2005 de l'année internationale du microcrédit.

Mais qu'est ce que la microfinance ?

Devant les problèmes rencontrés par les pays en voie de développement pour la mobilisation de l'épargne nationale, des organisations informelles, urbaines et rurales, se sont développées pour collecter l'épargne locale et financer des actions de développement à la base. Ce sont des organisations qui se posent comme de véritables palliatifs aux insuffisances notées jusque là dans le système de financement bancaire classique.

La microfinance est un ensemble de services financiers généralement décentralisés distincts de ceux du système bancaire, offerts aux populations défavorisées dans le but de satisfaire leurs besoins économiques et sociaux12(*).

C'est un secteur qui renferme un package de services financiers parmi lesquels on peut citer l'épargne, l'assurance, le transfert d'argent, le microcrédit, le renforcement des capacités (techniques et organisationnelles).

De tous les services financiers composant la microfinance, c'est certainement le microcrédit qui mobilise le mieux compte tenu de la cible pauvre vers laquelle le secteur s'oriente.

Le microcrédit a pris véritablement son envol dans les années 80, bien que les premières expérimentations remontent au début des années 70 au Bangladesh.

Cependant, s'il faut accepter que la microfinance dans son acception la plus large soit une donnée récente, il est important de souligner que des pratiques communautaires basées sur le même principe de solidarité et d'entraide ont existé dans presque toutes les sociétés et ceci depuis très longtemps. Les travaux de Mathieu Gasse Hellio, de l'université de Versailles Saint Quentin en Yvelines 13(*) montrent que « les tontines existent dans tous les continents du monde, mais elles sont plus répandues en Afrique et en Asie ».

Les expériences de Njiby menées par le ministère du développement social dans le Saloum au Sénégal en sont une parfaite illustration.

Michel Lelart, spécialiste des questions tontinières, montre que la pratique a même existé avant l'introduction de la monnaie dans l'économie ; c'est pourquoi ces formes de tontine prenaient en Afrique les noms de tontine de travail, de tontine de tombe etc.

Autant dire que le mot est venu se greffer à une réalité africaine, qui fonctionnait sous d'autres terminologies et variations.

Cependant, si la communauté des chercheurs est unanime sur l'origine du mot « tontine », elle l'est moins sur sa date d'apparition dans l'histoire. En effet, la paternité du mot serait attribuée à un financier italien dénommé LORENZO TONTI qui aurait suggéré au roi de France l'idée de se servir d'une nouvelle formule pour renflouer les caisses de l'Etat.

Le cas précis de la France nous fait découvrir donc une forme d'épargne plutôt institutionnelle ; mais elle a inspiré des pratiques communautaires d'épargne et de crédit comme on peut le voir avec les caisses du bourgmestre F.W. RAIFFEISEN en Allemagne dès 1844.

En 1850, un autre allemand dénommé HERMANN SCHULZE créa la banque populaire de Selitzsh avec un système légèrement différent de celui de Raiffeisen.

En 1865, la Banque Populaire de Milan est créée par Luigi Luzzatti.

Au Canada, un jeune journaliste puis rapporteur à l'assemblée législative du Québec, du nom de DESJARDINS fut l'auteur des premières caisses populaires Desjardins à Lévy, dans la commune résidence du Québec. L'oeuvre du canadien a même fait école dans le monde et particulièrement dans les pays en développement dont le Sénégal, avec PAMECAS qui bénéficie des programmes de microfinancement de « Développement International Desjardins ».

On peut donc dire que la microfinance connue sous sa forme moderne, puise ses racines dans des pratiques séculaires qui ont traversé les époques et les communautés humaines. Madame Elisabeth Kamdem Bukam nous rappelle dans « Tontines ou Schwa, Banques des pauvres » que les tontines, caisses d'épargne et de crédit « traditionnelles » en Afrique sont un élèment essentiel de l'organisation populaire africaine qui permettait à une communauté démunie de s'autofinancer. Les caisses populaires inspirées du modèle de Raiffensen ou de Desjardins ou alors de Schulze-Delitzsh transplantées en Afrique, notamment en 1945 à Kampala, 1948 en Ouganda et 1950 en Tanzanie, constituent de l'avis de Elisabeth Kamdem une greffe occidentale qui s'est ajoutée à une organisation communautaire déjà existante en milieu africain.

Au Sénégal, des travaux menés par Michel Lelart sur la Casamance dans « Pratiques financières en Casamance : A propos des boutiquiers garde-monnaie et des tontines de marché » montrent que des boutiquiers assumaient des fonctions de réception de dépôts, d'octroi de petits prêts d'argent sans intérêt et l'offre de crédits à la consommation sous forme de « bons ».

De plus, sur les places du marché, étaient organisées également des tontines constituées essentiellement de femmes. On pourrait même généraliser pour toutes les parties du Sénégal ; tant, la culture sénégalaise révèle de nombreuses pratiques communautaires de ce genre dénommées « structures traditionnelles de solidarité ». (Moustapha Mbodji, cours de politique sociale, E.N.T.S.S, Dakar, 2006).

Néanmoins, reconnaissons que la forme institutionnalisée de la finance informelle a trouvé son attrait actuel avec les travaux de l'inspirateur Muhammad Yunus14(*) qui a mis sur pied la Grammen Bank au Bangladesh en 1983, laquelle banque est spécialisée dans les micro prêts aux pauvres en milieu rural.

Pour ce professeur d'économie à l'université de Chittagong, prêter 27 dollars à des paysans pauvres, les soustrairait des mains des usuriers qui développaient à l'époque leur activité sur le dos de ces pauvres paysans.

Ce qui jadis se limitait simplement à de l'épargne et au crédit, trouve avec les perturbations du système bancaire en général, une nouvelle ambition marquée par l'extension des services financiers offerts dans une optique de faire émerger un secteur microfinancier dont le dualisme avec le secteur financier classique pourrait bénéficier à l'économie de manière générale. En plus de l'épargne et crédit, se développent d'autres services comme l'assurance ou encore le transfert d'argent et le renforcement des capacités.

Le développement de la microfinance notamment dans la zone UEMOA est attestée par les résultats tirés des relevés statistiques de la BCEAO pour qui, le nombre d'institutions a été multiplié par 6 entre 1993 et 2003 atteignant 620 au 31 décembre 2003.

Le nombre de points de services (caisses de base, agences et bureaux...) est passé de 1136 à 2597.

Les dépôts collectés passent de 12.8 milliards CFA à fin décembre 1993 à 204.7 milliards à fin 2003.

Les organisations qui opèrent dans le secteur sont regroupées en trois catégories :

- les institutions d'épargne et de crédit ;

- les expériences de crédit direct ;

- les projets à volet crédit et les ONG qui ne font pas du crédit leur activité principale.

Le développement de la microfinance a même été accéléré par la déstructuration du système bancaire classique.

Au Sénégal,les insuffisances du système bancaire ont été particulièrement néfastes et Abdallah Fall, dans le Soleil du 11 juillet 2000, nous décrit la situation en ces termes : « en se restructurant en profondeur pour sortir de la crise dans laquelle les orientations erronées et de lourdes fautes de gestion l'avaient entraîné, le système bancaire sénégalais s'était dépouillé de tout ce qui pouvait le gêner : l'excès de personnel, les mauvaises créances (...) les banques élaguèrent également de leur portefeuille une bonne partie de la petite clientèle, marginalisèrent encore plus les PME/PMI, pour ne parler que des petits épargnants. »15(*)

C'est donc dans un contexte particulièrement hostile à l'investissement de la petite et moyenne entreprise et de la petite et moyenne industrie que la microfinance a fait son émergence au Sénégal vers les années 80 et subit depuis cette date, une pleine croissance.

Les structures ont vu leur nombre croître de 1993 à 2003 même si leur répartition géographique est peu satisfaisante, donnant une bonne place aux régions de Dakar et Thiès (40% des SFD), à côté de zones peu touchées comme Diourbel, Tambacounda, Fatick, matam...

En outre, le dynamisme du secteur apparaît dans les résultats prélevés des statistiques de la Direction des Systèmes Financiers Décentralisés de la BCEAO. Pour la période 1993-2003, les prêts octroyés ont été multipliés par 10 passant de 19.4 milliards à 200 milliards, les crédits en souffrance atteignant 8 % de l'encours au 31 décembre 2003.

En 2004, 657 IMFs sont officiellement reconnues et plus de 40 milliards de crédits octroyés en vue de résoudre les problèmes liés au secteur.

La structure du marché microfinancier au Sénégal donne au Crédit Mutuel Sénégalais (C.M.S) la première place avec 35 % de la clientèle, suivi de PAMECAS (18 %).16(*)

Le secteur microfinancier se pose donc comme un véritable levier pour lutter contre la pauvreté et ceci est manifesté par le gouvernement du Sénégal à travers la création d'un ministère en charge du secteur mais aussi par le développement d'une stratégie sectorielle prospective qui s'étale sur cinq ans (2005-2010).

Des étapes significatives ont marqué la croissance de la microfinance au Sénégal compte tenu de l'espoir qu'elle suscite. C'est ainsi que sous l'égide de la cellule d'assistance technique aux caisses populaires d'épargne et de crédit AT/CPEC du Ministère de l'Economie et des Finances (chargée de la tutelle technique du secteur) ont été organisées les 22 et 23 octobre 2002 des journées de concertation sur la microfinance.

En juillet 2003, un comité technique a planché sur le processus de mise sur pied de la lettre de politique sectorielle qui allait voir le jour en novembre de la même année.

Sous la conduite de la BCEAO et de la Cellule AT/CPEC du Ministère de l'Economie et des Finances s'est tenue le 05 juin 2005 une rencontre pour mieux vulgariser le secteur et faire face aux problèmes inhérents à sa croissance17(*).

Les 17 et 18 novembre 2005, dans une rencontre organisée à Dakar par le Réseau International de Recherche Création de Richesse en contexte de précarité (Crcp), l'économiste Humberto Ortiz du groupe d'économie solidaire du Pérou mettait l'accent sur « la nécessité de tendre vers la décentralisation et les activités de microfinance qui est un atout majeur dans le développement local ».

Ainsi, face à ce qu'on pourrait appeler « l'engouement microfinancier » aussi bien par les praticiens que par les chercheurs, on est en droit de beaucoup attendre de cette nouvelle trouvaille adaptée aux pays démunis. Seulement, quels que soient par ailleurs les espoirs immenses qu'il suscite, le secteur passe nécessairement par des phases qui caractérisent son essor. En effet, une connaissance des phases de développement du secteur dans le monde nous permet de voir que partout où la microfinace a atteint une phase de maturité, elle a cheminé suivant les quatre étapes que sont la phase de démarrage marquée par une démarche test et de création de marché, une phase d'expansion au cours de laquelle les IMF leaders se préoccupent d'élargir leurs opérations et leurs clientèles, une troisième phase de consolidation marquée par une exigence de viabilité et de pérennité de leurs opérations. Durant cette phase, les subventions du secteur s'amenuisent et les IMF mettent plutôt l'accent sur la formalisation de leur organisation interne. Enfin la dernière phase est celle de l'intégration, les IMF sont devenues matures et font partie intégrante du secteur financier formel réglementé par la Banque Centrale. Elles diversifient leur clientèle qui n'est plus constituée seulement de la clientèle traditionnelle mais émerge une nouvelle clientèle haut de gamme (MPE, PME).

L'intérêt que la communauté mondiale accorde à la microfinance est proportionnel à la grande masse d'exclus du système bancaire de financement de l'activité économique. C'est pourquoi la connaissance de la cible notamment dans ses préoccupations et besoins reste une nécessité avant toute intervention.

En réalité, l'accentuation de la pauvreté a fait revoir les critères de sa définition comme nous y invite David Satterthwaite pour qui, la seule prise en compte du facteur revenu revient à faire l'impasse sur les nombreuses formes de dénuement qui caractérisent un phénomène délicat tant en villes que dans les campagnes.

C'est ce qui explique que de plus en plus, nombre de chercheurs évitent de tomber dans le piége réducteur d'une réalité complexe et dont la simplification risquerait d'en sous-estimer à la fois l'ampleur et les préoccupations des victimes.

C'est pourquoi, pour éviter de concevoir des programmes de réduction de la pauvreté qui pêchent par manque de précision et d'efficacité, des institutions multilatérales comme la Banque Mondiale par exemple inscrivent leur diagnostic sur de nombreux aspects tels que le manque d'accès aux services essentiels de santé, d'éducation, aux infrastructures publiques ou au crédit.

A ce propos, Joseph Stiglitz, économiste en chef à l'institution de Bretton Woods dira « Il ne suffit plus de penser revenu, dépenses, éducation et santé : notre conception de la pauvreté doit aussi englober le droit à la parole et le pouvoir. Tel est le défit que nous lance les pauvres » .

Cette conception de la pauvreté est aussi celle de Mgr George Carey, archevêque de Cantorbéry et coprésident de World Faiths Developpement Dialogue notamment lorsqu'il déclare : « Les pauvres de la Terre nous lancent la gageure de former avec eux de nouveaux partenariats, des partenariats placés sur le signe de l'amour, du respect, de l'attention, de la compassion, de la franchise, de la justice et de l'entraide. Avec des mots simples, les pauvres nous montrent ce qu'est un développement enraciné dans les valeurs morales. »18(*).

Autant dire donc que la pauvreté est un phénomène pluridimensionnel dont les préoccupations des victimes varient selon le sexe, l'âge, la culture (avec la notion de capital culturel cher au sociologue français Bourdieu) mais aussi d'autres circonstances sociales et économiques. Les besoins des pauvres sont donc étroitement liés à l'identification du phénomène.

A titre d'illustration, à Guatemala, un indien cackchiquel travaillant comme ouvrier dit : « Depuis huit ans, nous sommes encore plus pauvres, car nous ne pouvons pas acheter beaucoup à manger, quand il pleut, nous souffrons...ici, nous n'avons pas beaucoup d'espoir de pouvoir vivre mieux avec ce que nous gagnons. Nos besoins sont nombreux, mais le principal est la nourriture, qui manque, et nous n'avons pas de logement, ni les moyens de payer un loyer »19(*).

Dans un pays comme le Ghana , en Afrique, les besoins des pauvres diffèrent suivant une classification qu'ils font des pauvres eux-mêmes et ici, le degré de dépendance semble constituer un critère de classement important. Ils ne distinguent pas seulement les riches et les pauvres, mais également les différentes catégories de pauvres, en fonction des actifs dont ils disposent et de leur degré de dépendance.

La pauvreté est certes une condition matérielle, mais elle a des effets psychologiques dans la mesure où le parent qui est incapable de nourrir son enfant vit une détresse, de même qu'une insécurité due au fait qu'il ignore d'où viendra le prochain repas à présenter aux enfants.

La philosophie de la stratégie sociale des revenus est adossée à une sécurité du lendemain. Pour un auteur comme Lionel Stoleru20(*), le meilleur filet social est à l'instar du filet des acrobates, celui qui rassure suffisamment pour qu'il n'ait pas besoin de servir.

Pour le cas précis du Sénégal, l'enquête de perception de la pauvreté (EPPS) réalisée en 2001 laisse apparaître une différence entre pauvreté subjective (perception) et pauvreté objective (capacité à satisfaire les besoins de base). Les résultats ont montré qu'à la question « Quelle est la principale conséquence de la pauvreté ? » ; plus de la moitié des ménages ont répondu par l'incapacité à nourrir leur famille. Dans ce cas il est facile d'identifier le besoin du pauvre relativement à la prise en charge alimentaire de la famille.

D'autres besoins ont trait également à l'incapacité à travailler et à payer les dépenses médicales, ou encore au fait de ne pas avoir une habitation décente pour vivre. L'enquête permet de sérier les différents domaines où les populations ont des difficultés : la nourriture, l'habillement, la santé. Pour les services publics tels que l'éducation et la santé, de nombreux ménages estiment également manquer de ressources pour la satisfaction de leurs besoins.

La logique qui consiste à partir des pauvres et de leurs besoins s'est pendant longtemps heurtée à une réponse purement sociale et quelque peu paternaliste : pouvoir se nourrir, avoir accès à un logement décent et aux soins de santé. Mais peu à peu certains chercheurs ont pu améliorer leur analyse et introduire des critères tels que le besoin d'information et d'éducation. D'autres sont allés plus loin encore en procédant à l'analyse de la dimension politique de ces besoins dits essentiels : L'accès aux moyens de production (la terre, l'eau, les matières premières, etc.), le respect de la dignité humaine et des droits de l'homme, l'accès à la décision.21(*)

Le secteur de la microfinance a donc pour priorité de répondre aux besoins de ses cibles pourvu que ces besoins soient bien connus des acteurs du secteur, la couverture de ces besoins passe donc par la création d'activités économiques et d'entreprises qui vont permettre de produire et de transformer la nourriture et les biens nécessaires à la vie des populations désavantagées par le marché financier formel.

Sur le même registre, trois ménages sur quatre pensent que l'intervention de l'Etat constitue la principale voie pour conduire à la réduction de la pauvreté, et une proportion similaire pense que la voie du salut se trouve dans les institutions sociales telles que les systèmes d'entraide et de solidarité sociale.

L'enquête menée par la Direction de la Statistique au Sénégal pour le compte de la Banque Mondiale relative aux priorités pour réduire la pauvreté, laisse apparaître une différence entre les priorités des ménages eux-mêmes et les priorités de leur communauté.

Les priorités des ménages sont respectivement les activités génératrices de revenu, la stabilisation des prix des denrées de première nécessité, l'aide financière et les services de base. Alors que l'approvisionnement en eau potable et l'emploi des jeunes, suivis par les activités productrices et la construction de centres de santé sont perçus comme des priorités importantes pour la communauté22(*).

Ce tour d'horizon qui nous a permis de découvrir les dimensions de la pauvreté à travers sa perception par les pauvres eux-mêmes, ainsi que des problèmes et besoins réels de la cible, était nécessaire si l'on veut comprendre pourquoi des programmes de lutte ont connu des résultats peu satisfaisants mais surtout sur quels leviers agir de façon à garantir une meilleure efficacité des stratégies de réduction de la pauvreté.

La question liée à la recherche du bien être de l'homme a constitué au fil des crises affectant les économies mondiales, une préoccupation des Etats, des ONGs et des organismes internationaux. Cette recherche de conditions meilleures de développement a donc été beaucoup plus perceptible dans les pays défavorisés d'Amérique, d'Asie et d'Afrique subsaharienne. Cette dernière partie du monde a connu certainement plus que toute autre, les contrecoups d'un système mondial assujettissant comme l'esclavage, la traite négrière, la colonisation, la détérioration des termes de l'échange, l'endettement chronique pour ne citer que ceux là. C'est ce qui explique également les nombreuses tentatives de réponses observées au fil des ans en direction de l'Afrique pour juguler le dénuement et ses effets pervers.

Au sortir des indépendances dans les années 60, la plupart des pays africains étaient subitement laissés à leurs propres destins par un pouvoir colonial qui y a régné pendant plus de trois siècles, occasionnant alors des sérieux déséquilibres économiques, politiques et sociaux en Afrique. Il fallait donc penser à mettre en place progressivement des programmes de sortie de crise pour un continent qui en avait grandement besoin. L'Afrique a subi plusieurs « essais » de développement essayant tant bien que mal de barrer la route à un malaise particulièrement préoccupant et principalement dans le financement d'activités génératrices de revenus (AGR), identifiées comme levier approprié sur l'activité économique des populations pauvres. Mais très vite, les espoirs sont déçus par une orientation prise par ces nombreux programmes conçus à la place des bénéficiaires eux-mêmes. A titre d'illustration on peut citer l'animation rurale, le développement communautaire, le développement rural intégré, le crédit agricole, la coopérative, l'ajustement structurel, la micro-entreprise, etc.23(*).

Cette façon de concevoir le développement de l'Afrique fondée sur le seul référentiel occidental a eu cours dans tous les pays africains y compris au Sénégal et de plus, était largement financé par des ressources extérieures, créant du coup un endettement sévère.

C'est ce qui fait dire à Diéry Seck24(*) que « dans un contexte d'endettement plus ou moins facile (Banque Mondiale, FMI) et avec l'entrée des capitaux étrangers, le problème de la dette va devenir une préoccupation centrale ». Malgré les nombreux plans conçus pour atténuer les effets néfastes de la dette (plan Baker, plan Brady, Fonds spécial d'aide à l'Afrique subsaharienne), le problème demeure toujours préoccupant car confrontant le Sénégal comme les autres pays africains au douloureux problème de l'éviction de l'épargne nationale au profit de l'emprunt extérieur. Or, il est établi par plusieurs auteurs économistes comme G.Leduc que « le premier devoir du pays préoccupé par son développement, est de tirer parti maximum des ressources nationales et humaines dont il dispose sur son territoire et, par conséquent, d'assurer le financement de leur utilisation par des moyens purement internes »25(*)

Cette thèse est d'autant plus acceptable qu'elle s'inscrit au Sénégal dans un contexte de restructuration du secteur bancaire, compte tenu des difficultés que connaissent le système bancaire classique confronté à un stock de dettes avoisinant 4.7milliards en 1989.

La place des banques classiques dans l'effort de financement du dévelopement a commencé dès lors à susciter des interrogations quant à son efficacité ; ce qui fait prendre au Sénégal un train de mesures à travers un plan d'ajustement du secteur bancaire. Ces mesures sont entre autres :

i. liquidation des banques en sérieuses difficultés

ii. désengagement de l'Etat du secteur bancaire par la réduction de ses prises de participation

iii. abandon de nombreuses formes d'intervention de l'Etat dans l'allocation du crédit intérieur

iv. développement des coopératives et mutuelles financières

On le voit donc, cette transformation du paysage bancaire, a davantage approfondi le fossé existant entre ces structures de financement et les clients demandeurs.

Avec un marché bancaire qui a mobilisé 874 milliards de FCfa de crédits à l'économie en 2004, selon la présidente de l'Association des banques et établissements financiers du Sénégal, (ABEFS), Evelyne Tall, dans un entretien accordé au numéro zéro de l'hebdomadaire Zénith (juin 2002), le Sénégal est considéré par l'Eci comme disposant « d'un système financier et bancaire parmi les plus développés de la sous-région». Dans la zone Uemoa, le Sénégal est celui qui possède le système bancaire le plus rentable -un tiers des bénéfices réalisés par l'ensemble des banques et établissements financiers des huit pays membres-. Toutefois, l'accès aux financements y est considéré par l'enquête de la Banque mondiale comme « un des problèmes majeurs des firmes » qui souligne aussi la forte concentration des crédits entre les mains des grandes entreprises et des niveaux de garanties très élevés.

C'est donc pour pallier ce déficit de financement que le VIII POES (1990-1995) avait nettement inscrit dans ses priorités la promotion des caisses d'épargne et de crédit en vue d'une augmentation de l'épargne qui devrait passer de 8% à 11%.

C'est dans ce contexte que sont nées plusieurs structures mutualistes telles que ACEP, CMS, PAMECAS, FDEA, WORLD VISION, AFVP, CRS...

C'est que le système financier institutionnel exclut la majeure partie de la population et des petits opérateurs économiques du fait de l'insuffisance ou même du manque de garanties souvent exigées par ce dernier.

Si les banques commerciales privilégient les crédits à court terme (crédits commerciaux, import-export, crédit de campagne) et que les banques d'investissement ont disparu dans le tourbillon de la crise et l'engrenage corruption-impunité, les associations qui pratiquent la tontine fonctionnent comme des micro banques, donc comme des établissements financiers d'épargne et de crédit de compétence locale.26(*)

Les pays africains en général et le Sénégal en particulier sont donc dans l'obligation, en partenariat avec les bailleurs de fonds internationaux, d'inventer de nouvelles orientations relativement à la mobilisation de l'épargne nationale et au financement du développement à la base, compte tenu des limites manifestées dans la couverture populaire par un secteur bancaire alors évanescent.

Sur ce plan, les organisations non gouvernementales , en tant que relais d'opinion et d'expression des besoins des populations, se sont aussi lancées dans la microfinance en qualité de système financier décentralisé, privilégiant pour la plupart des instruments financiers comme le crédit.

L'option est donc prise de sécuriser le secteur bouillant de la microfinance, et l'Etat du Sénégal a adopté un cadre juridique sur instruction de la BCEAO qui se sert de deux instruments pour mieux réglementer le secteur : la loi PARMEC et le PASMEC (programme d'appui aux structures mutualistes d'épargne et de crédit).

Face donc au vide laissé par un secteur bancaire sélectif, le Sénégal en adoptant la stratégie de réduction de moitié de la pauvreté à l'horizon 2015, mise sur la promotion de l'initiative privée et le développement participatif.

A ce titre, la PME est identifiée comme un des leviers essentiels de la stratégie de croissance accélérée ( SCA ), en ce sens que les effets d'entraînement en termes de création d'emplois sont réels. La « charte des PME » approuvée en 2003 par les partenaires au développement place les petites et moyennes entreprises comme la clé de voûte de la croissance et un facteur de positionnement du Sénégal en Afrique ; les PME représentant environ 80 à 90 % du tissu économique des entreprises au Sénégal, concentrent 30 % des emplois et 20 % de la valeur ajoutée. Le financement d'un tel secteur a donc nécessité la création en 2003 du Ministère en charge de la microfinance et l'adoption d'une vision du développement perceptible dans sa lettre de politique sectorielle 2005-2010 et déclinée en ces termes : « disposer d'un secteur de la microfinance professionnel, viable et pérenne, diversifié et innovant, intégré au secteur financier, assurant une couverture satisfaisante de la demande du territoire et opérant dans un cadre légal, réglementaire, fiscal et institutionnel adapté »27(*)

Cette même volonté de donner une large place au secteur microfinancier a été réaffirmée à travers le Rapport annuel 2004 du Ministère de l'Economie et des Finances pour qui, les résultats encourageants notés et le développement en spirale des IMF imposent un traitement préférentiel pour ce secteur.

Cette approche orientée vers une plus grande mobilisation du secteur microfinancier est très largement encouragée par les performances et le rang du Sénégal dans le secteur. En effet, le Sénégal présente au sein de l'Union en 2002, les résultats suivants :

- 1 ère place dans le décompte des institutions ;

- 4 ère place au nombre des bénéficiaires, derrière le Bénin, le Burkina Faso et le Mali

- 2 ème place pour les crédits accordés après le Bénin qui compte deux fois plus de bénéficiaires

- 2 ème place pour le montant moyen des dépôts derrière la Côte d'Ivoire

- 1 ère place avec le Bénin pour le ratio (=2%) : créances en souffrance/ crédits accordés dans l'année.

- 2 ème place avec le Bénin pour les résultats nets

- 3 ème place concernant les subventions reçues après le Bénin et le Mali.

Comme on le voit donc, le rôle du secteur de la microfinance dans le développement du Sénégal ne peut être ignoré.

Mais en dépit des résultats encourageants enregistrés, force est de reconnaître que des contraintes et des faiblesses ne manquent pas de limiter son impact sur la lutte contre l'exclusion de l'accès au crédit des populations pauvres dans leur globalité et leur spécificité. Parmi ces contraintes identifiées nous pouvons citer :

- l'insuffisance de formation des membres des organes de gestion et de contrôle ;

- l'insuffisance de structures d'appui à la microfinace (surtout en ce qui concerne le refinancement)

- l'insuffisance de moyens humains et techniques ;

- difficultés à assurer l'autonomie financière (couverture des charges par les produits) ;

- le récurrent problème de la bonne gouvernance.

En ce qui concerne les faiblesses décelées dans l'efficacité des SMEC, nous pouvons retenir entre autres, l'insuffisance du taux de couverture, l'étroitesse des services financiers couverts (la spécialisation à l'épargne et au crédit uniquement), le niveau très élevé des taux d'intérêt, le manque de suivi des projets financés, l'absence de formation des bénéficiaires, l'éloignement des structures de financement de leurs cibles handicapant la constitution d'un portefeuille de clients de taille suffisante pour assurer la pérennisation de ces structures de microfinance...

Il faut donc dire que du chemin reste encore à faire dans l'ancrage de ce que l'ensemble des partenaires au développement considère comme un puissant instrument de lutte contre la pauvreté.

Il y a des raisons de s'interroger quand nous comparons le volume de crédits octroyés en 2003 (57.8 milliards CFA) et les besoins potentiels recensés (186 milliards en 2005).

Ainsi donc les spécialistes du secteur sont unanimes pour reconnaître que la microfinance ne peut à elle seule parvenir aux objectifs de réduction de la pauvreté malgré les bonnes intentions déclarées par ci et par là. Elle doit être complétée par des actions en faveur de l'accès aux services sociaux de base comme la santé et l'éducation.

Elle ne peut permettre de réduire la pauvreté des populations des zones reculées que s'il existe un minimum d'infrastructures économiques et sociales. Aussi, en parvenant à concilier les objectifs sociaux et économiques et à bénéficier d'un cadre législatif approprié, la microfinance pourrait réellement constituer un moyen efficace de réduction de la pauvreté, pourvu cependant qu'elle s'adapte aux conditions économiques et sociales spécifiques rencontrées dans le monde rural, dans les zones urbaines et par les femmes notamment.

Pour cette cible qui est de loin la plus touchée par la pauvreté, la microfinance doit viser à renforcer sa position sociale et économique au sein de la société en prenant en compte les obstacles spécifiques auxquelles elle est confrontée, à savoir les barrières culturelles, les responsabilités cumulées de mère et d'entrepreneur et les opportunités économiques réduites qui lui sont offertes.28(*)

Et c'est parce que l'engouement est réel et même mondial, avec la consécration de l'année 2005 comme année internationale du microcrédit, qu'il nous importe de nous poser la question de recherche suivante :

« Les services financiers offerts par les IMF sont-ils suffisamment adaptés aux besoins réels des populations bénéficiaires ? »

* 1 Avant 2002, pour la Banque Mondiale était considéré comme pauvre toute personne ayant moins de un dollar par jour pour vivre. Mais depuis un certain temps l'institution de bretton woods a opéré un élargissement thématique pour inclure dans la définition de la pauvreté les notions d'accès aux services sociaux de base, au logement, à un cadre de vie décent...

* 2 Source, Rapport sur le développement dans le monde, 2003, PNUD

* 3 bonfiglioli, angelo « le pouvoir des pauvres, la gouvernance locale pour la réduction de la pauvreté » FENU, Novembre 2003

* 4 M.Paccord Thierry, « La pauvreté dans les pays en voie de développement : sa mesure statistique », Eurostat, 1998

* 5 Banque Mondiale, Adjustements in Africa, Reforms, results and the road ahead, 1994

* 6 Le développement au seuil du XXIe siècle, Rapport sur le développement dans le monde, 2000

* 7 Le PIB par habitant de la France est de 21000 dollars ; celui des Etats-Unis de 35000 dollars.

* 8 QUID : Questionnaire Unifié des Indicateurs de Développement de l'ESAM II.

* 9 « Les sénégalaises en chiffres », PNUD, juin 1990

* 10 Mbodj, Moustapha, cours de politique sociale, E.N.T.S.S, Dakar

* 11 Source : Rapport annuel du Ministère de l'Economie et des Finances, 2004

* 12 Ablaye Thiam, cours d'économie sociale, ENTSS, 2006

* 13 Gasse Hellio, Mathieu, « Les tontines dans les pays en voie de développement »www.gdrc.org/icm/french/matthieu/contents

* 14 jacques Chirac, à l'occasion de la conférence internationale sur la microfinace, Paris, 20 juin 2005

* 15 Fall,A, « floraison de mutuelles pour les exclus des banques » in journal Le Soleil du 11 juillet 2000

* 16 BCEAO , 2003

* 17 Fall, Maïna, « Diagnostic organisationnel et financier de la Mutuelle d'Epargne et de Crédit de la Fédération Nationale des Professsionnels de l'Habillement (MEC/FENAPH ), mémoire de fin d'étude, ENEA,2004

* 18 Deepa Narayan et al. « La parole est aux pauvres, écoutons-les »,2001

* 19 Deepa Narayan, op.cit.

* 20 Lionel Stoleru,  « Vaincre la pauvreté dans les pays développés », Flammarion, Evreux, 1977

* 21 Fernand Vincent, « Financer Autrement les associations et ONG de développement du Tiers Monde »vol.1, 1994,464pages

* 22 La pauvreté au Sénégal : de la dévaluation de 1994 à 2001-2002, DPS-Banque Mondiale

* 23 Elisabeth Kamdem Bukam, ibidem.

* 24 Diéry Seck, « étude du marché du crédit au Sénégal et la capacité du secteur privé, CREA, Dakar

* 25 G.Leduc, « Le sous--développement et ses problèmes »,rapport introductif au congrès des économistes de langue française, in Revue d'économie politique.

* 26Emil Tchawé HATCHEU, « De l'impératif du droit dans les pratiques tontinières en Afrique »,Nancy, 2005

* 27 Ministère des petites et moyennes entreprises, de l'entreprenariat féminin et de la microfinance, lettre de politique sectorielle, Sénégal, décembre 2004

* 28 Microfinance : viabilité et lutte contre la pauvreté, Rapport final, MPMEEFM , Août 2004

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