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Production cotonnière et développement rural au Burkina Faso: controverses et réalité. Cas du département de Diabo dans la province du Gourma

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par Paul Marie MOYENGA
Université de Ouagadougou - Memoire de MaàŪtrise de Sociologie 0000
  

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VI.1.1.2. Les impayés

Aux antipodes de cette catégorie qui parvient à tirer son épingle du jeu en fin de campagne (MARI réelle positive), nombreux sont ceux qui produisent le coton à perte. Certains producteurs se retrouvent en fin de campagne avec une production dont la valeur monétaire ne couvre même pas le coût des intrants pris à crédit pour les besoins de la production. La situation serait moins criarde si elle était marginale et ne touchait que quelques cas isolés. Mais en réalité, ces impayés internes parviennent parfois à compromettre la capacité de tout un GPC à s'acquitter de ses dettes vis-à-vis de la SOCOMA. Les agents techniques utilisent l'expression " tomber en impayé" pour caractériser la situation de ces gens ou de ces GPC dont la production totale ne parvient pas à couvrir le coüt des intrants. A l'échelle du producteur, cet impayé est difficilement perceptible par l'observateur extérieur du fait que le surplus des uns comble le vide laissé par la production déficitaire d'un membre. C'est la caution solidaire fondée sur le principe selon lequel tous les membres sont solidairement responsables de la dette du GPC. Selon ce principe, le GPC fournit à la SOCOMA pour une nouvelle campagne une liste de ses besoins en intrants bâtie sur les besoins spécifiques de chaque producteur proportionnellement à sa superficie d'exploitation en coton. Ainsi, feignant les détails, la société considère cette dette calculée sur la valeur des intrants comme la dette du GPC. Après la commercialisation, la société retient à la source le montant de la dette du GPC sur la valeur totale de la production du groupement. Le surplus qui correspond au bénéfice réalisé par la production totale du GPC est remis aux responsables du groupement qui, en fonction de la valeur des intrants consommés par chaque producteur et de la valeur de sa production, remettent à chacun son bénéfice ou réclament le paiement de son déficit.

Le constat qui s'impose c'est qu'une situation d'impayé se répercute sur l'avoir de tous les membres du GPC. Ceux-ci doivent donc recourir à tous les moyens pour obliger les producteurs tombés en impayé à rembourser le solde négatif de leur production pour que chacun puisse être rémunéré à juste titre. « La situation serait moins dramatique si en produisant à perte on n'y laissait seulement que sa force de travail et son dur labeur », déplore un producteur tombé en impayé. Car, tous les producteurs déficitaires sont obligés de retourner dans leurs concessions respectives chercher de quoi s'acquitter de leur crédit. C'est ainsi que dans le département de

Diabo, à la fin de chaque campagne, comme l'avait remarqué le spécialiste de la question du coton A. SCHWARTZ, « des paysans sommés par le GPC de s'acquitter coUte que coUte de leur dette vont jusqu'à décapitaliser, en vendant au plus offrant (le plus souvent à vil prix comme cela se produit dans ces genres de situation), qui une charrette, qui un boeuf de trait - voire les deux de l'attelage - qui une mobylette » (SCHWARTZ, 1993). Ainsi, la situation des 200 000 cotonculteurs burkinabè de 2005 dépeinte par S. DIALLO pour illustrer la rentabilité du coton travestit la réalité. Soutenir que « les recettes nettes peuvent être estimées à 45 milliards de FCFA, soit en moyenne 225 000 FCFA par exploitant (revenu trois fois supérieur au seuil de pauvreté16) » ( www.abcburkina.net, article : pauvreté rurale et commerce international : le cas du coton, p.2) occulte des inégalités abyssales entre les producteurs déficitaires et ceux qui réalisent des bénéfices et l'extrême précarité occasionnée par le coton dans plusieurs ménages tombés en impayés. Ces impayés sont lourds de conséquences pour tout le ménage producteur qui y laisse toute sa force de travail et l'essentiel de ce qu'il avait de valeureux dans la concession. Cette double perte, comme le qualifie un producteur, doublée des vives pressions souvent exercées par des voisins ou des parents sont causes de nombreuses tensions sociales.

La situation d'impayé maintient le GPC et ses membres enfermés dans un cercle vicieux. Du fait de la compensation mutuelle des crédits, certains producteurs ayant une production excédentaire n'arrivent pas à récupérer l'intégralité de leur avoir en dépit des pressions exercées sur les uns et les autres. Car, comme il fallait s'y attendre, « il y a des producteurs tombés en impayé qui n'ont rien à vendre pour rembourser. Vous-mémes vous voyez qu'il aura de la peine à surmonter l'année parce que son champ de mil n'a pas donné grand-chose, explique un président de GPC. Alors on lui donne une chance de se rattraper ». Cela consiste à lui fournir des intrants afin qu'il produise dans l'optique de pouvoir rembourser, en plus du coüt des intrants de la nouvelle production, son ancien crédit. Cette solution fait parfois son effet, surtout si l'impayé était dü à une cause conjoncturelle. Aussi, ceux qui devraient avoir de l'argent et qui n'ont eu qu'une partie parce qu'ayant comblé le déficit des autres ont-il initié une nouvelle stratégie d'auto-remboursement. « Ils

16 Passage souligné par l'auteur lui-même.

prennent beaucoup d'intrants, ce qui alourdit le crédit du GPC, produisent peu et vendent le reste des intrants sur le marché noir pour recouvrer un peu ce que les autres leur doivent », explique le CC. Ainsi, le groupement évolue d'impayés en impayés et ces impayés, d'abord internes (au niveau individuel), finissent par devenir externes (à l'échelle du GPC), compliquant davantage la situation et les rapports sociaux deviennent tendus. L'illustration nous vient du GPC Saatenga II de Saatenga où, la crise battant son comble cette année, presqu'aucun membre du groupement n'a reçu un sou. Pour améliorer le recouvrement de ces crédits, il est interdit à ces genres de producteurs - ayant un impayé - de changer de GPC ; le groupement qui le reçoit est contraint au remboursement de l'impayé que le producteur doit à son ancien groupement. Il faut noter qu'au moment de notre passage au sein de ce GPC (dernier passage le 03/08/2007), des procédures judiciaires se dessinaient pour obtenir le remboursement du plus gros débitaire qui se trouve être le président dudit groupement.

VI.1.2. Les effets des subventions du coton : le contexte diabolais

Les subventions accordées par certains pays développés à leurs producteurs de coton font peser des menaces sur les filières coton africaines du fait des distorsions créées sur le marché mondial du coton. Ces subventions entraînent un lot de conséquences sur les pays qui ne peuvent pas se payer le luxe de subventionner leur agriculture. Il y a d'abord la volatilité du cours du coton : les subventions poussent les pays à produire davantage. La demande mondiale n'augmentant pas proportionnellement à l'offre ne peut qu'entraîner une chute du cours de la fibre. Ensuite, on peut noter la baisse des recettes à l'exportation et des revenus des producteurs. Des sociétés cotonnières ont vendu à perte leur fibre, le cours mondial étant inférieur au prix de revient. Il y a enfin la baisse de la croissance économique des pays producteurs. C'est se fondant sur ces conséquences désastreuses que les pays producteurs du Tiers Monde se sont alliés dans le cadre de l'OMC lors des deux conférences à Hong Kong et ä Cancun dans le but de mettre fin à ces subventions. . Pour le cas du Burkina Faso, cela a mis à mal la filière qui a du recourir cette année à une recapitalisation de son budget pour pouvoir faire face à ses besoins de production. Sa répercussion sur l'avoir paysan est notable.

Avant l'année 2006, le prix du coton au Burkina Faso était fixé à partir de 3 éléments essentiels : le prix plancher d'achat du coton graine, le fonds de soutien au prix plancher et la ristourne. Le prix plancher est le prix le plus bas auquel les sociétés cotonnières achetaient le coton. Il était fixé à 175F le kilogramme. Le fonds de soutien au prix plancher est un fonds de lissage, une sorte de compte bancaire qui devait permettre d'assurer la stabilité du prix d'achat aux producteurs lorsque le prix sur le marché mondial est inférieur au prix de revient du kilogramme de coton fibre (685 FCFA). Ainsi, un niveau de prix mondial inférieur à 685 FCFA commandait que le fonds de soutien, qui recevait l'argent des bénéfices de la SOFITEX, intervienne. Dans le contexte de ces dernières années marquées par les subventions du coton européen et américain qui ont provoqué la chute des cours mondiaux, ce mécanisme s'est révélé non viable pour les sociétés cotonnières. Ainsi, un nouveau mécanisme de fixation des prix a été adopté par l'AICB (Association Interprofessionnelle du Coton du Burkina)17 en assemblée générale les 28 et 29 mars 2006. Il a mis fin à ce prix plancher de 175F et supprimé le fonds de soutien (le Producteur n°013, novembre 2006, pp17-18). Cela a permis le paiement du coton graine par les sociétés cotonnières à 165 FCFA le kg au producteur immédiatement la campagne suivante (2006/2007). Ce qui représente un manque à gagner minimal de 9000 F/ha au compte du producteur diabolais selon l'ancien mécanisme des prix qui venait d'être supprimé quelque mois plus tôt. Ce manque à gagner est plus important qu'il n'en a l'air quand on sait qu'il représente environ 44% du bénéfice escomptable du producteur diabolais à l'hectare et qu'à l'échelle du département, il correspond à une perte de 22,5 millions de FCFA au moins pour le compte de cette campagne 2006/2007 !

Dans ce nouveau contexte, l'or blanc est en train de perdre ses attributs en milieu rural. A ce facteur de réduction du revenu du producteur s'ajoute la hausse des coüts des facteurs de production. A l'entame de la campagne agricole 2007/2008 (campagne en cours), le prix du sac d'engrais NPK est passé de 12 950 FCFA à 13 200 FCFA. Concomitamment, le kilogramme de coton graine est passé de 165 FCFA à 145 FCFA. Dans ce nouveau contexte, chaque hectare de coton engage un crédit de 129 044 FCFA (ou 99 602 FCFA sans frais d'appareil). Alors

17 Composée de l'UNPCB et de l'APROCOB

qu'avec les conditions pluviométriques capricieuses (répartition très irrégulière et insuffisance) qu'a enregistrées le département à l'image de l'ensemble du territoire national, le rendement moyen prévisionnel tourne autour de 800 kg/ha. Dans ce contexte conjoncturel, le revenu net moyen se situe entre -13 044 et 16 398 FCFA. Si l'on ne perd pas de vue que le rendement effectif varie entre 1100kg/ha (des cas isolés) et 400kg/ha (où se concentre la majorité), il est évident que le coton fera beaucoup plus de malheureux à l'issue de cette campagne 2007/2008.

C'est conscient de cette perte de rentabilité du coton que les producteurs de Diabo ont commencé à abandonner la culture cotonnière. Sur 62 GPC à la fin de la campagne 2006/2007, seulement 38 GPC ont effectivement produit en 2007/2008. En terme de superficie, ce sont 924 ha cultivés contre 2500 ha la campagne précédente soit une baisse d'environ 63% des superficies de coton. C'est dire donc que 24 GPC, pourtant inscrits pour la campagne, n'ont pas semé un seul millimètre carré de coton. Beaucoup ont reçu la livraison en intrants mais ont jugé la situation inopportune aux lendemains de l'annonce de la baisse du prix du kg de coton et de la hausse du coût des intrants. Même au sein des GPC en liste dans la production, beaucoup de producteurs ont désisté, ce qui explique que sur une prévision de 1400 ha de production, seulement 924 ha ont été investis, soit un taux de réalisation de 66%. L'autre facteur explicatif de ces 34% de non réalisation est la logique de précaution qui consiste à limiter la production pour réduire au minimum les effets d'une éventuelle non couverture des crédits. C'est ainsi que le nombre de producteurs est passé de 2400 en 2006/2007 à 1150 à l'entame de cette campagne 2007/2008 soit un taux d'abandon de 52% environ et la moyenne de superficie par producteur est passée de 1,08 ha à 0,81ha/producteur.

Conscient de la réduction inéluctable des revenus des producteurs que commande cette nouvelle donne, la société (SOCOMA) a « volontairement suspendu certains groupements (GPC) petits producteurs d'ordinaire, ceux qui, même en conditions plus fastes, tombent en impayés ou réalisent de petits bénéfices, de

l'ordre de moins de 300 000FCFA, convaincu que ces GPC seront dans l'incapacitéde couvrir les coûts des facteurs de production maintenant», nous renseigne le C.C

du département. Les groupements ainsi suspendus sont sommés de rembourser les
coüts des intrants dont ils disposent par devers eux, les cas d'impayés des

campagnes précédentes sont aussi exigés auprès de ceux qui s'en sont rendus coupables. Face à la lenteur des producteurs (du fait d'un manque de volonté ou d'une incapacité à réunir au plus tôt les fonds nécessaires à ce remboursement), la voie retenue pour le recouvrement de ces fonds est la police qui parvient à contraindre le déditaire à la vente de certains biens domestiques selon une échéance sous peine d'emprisonnement, ce qui fait généralement recette.

Les ristournes18 sont difficilement comptabilisables en milieu rural diabolais. Sa valeur (montant attendue) n'étant pas directement perceptible au niveau paysan, elles font l'objet de fréquentes malversations de la part des responsables des GPC qui sont en général les seuls lettrés dans un milieu rural où le taux d'analphabétisme est très élevé au niveau adulte (chef de ménage). A l'échelle de nombreux producteurs enquêtés, ces ristournes constituent des sommes insignifiantes quand elles parviennent entre leurs mains même si les responsables enquêtés proclament une transparence irréprochable dans leur gestion. Ce qui ne souffre d'aucun débat, c'est qu'aucune réalisation (édifice ou matériel de quelque usage collectif que ce soit) n'existe sur le territoire départemental au nom des producteurs de coton. Sous d'autres cieux, ces ristournes dont une partie est retenue par l'administration locale, ont permis la réalisation de quelques infrastructures pour soutenir la décentralisation. Jusque-là, les bénéfices du coton s'apprécient au niveau strictement individuel dans le département de Diabo.

C'est l'ampleur de ces effets occasionnés par le nouveau contexte de subvention du coton du Nord qui a mobilisé les dirigeants et producteurs des pays se sentant lésés lors des deux derniers sommets de l'OMC (Hong Kong et Cancun). Mais les résultats obtenus lors de ces sommets restent mitigés et les quelques acquis connaissent des problèmes d'application. Le caractère controversé de la question des subventions à l'agriculture n'a suscité qu'un vain débat au sommet de Hong Kong en 2006, tellement vain que le 24 juillet 2006, Pascal LAMY, directeur général de l'OMC déclarait la suspension pure et simple des négociations sur l'agriculture. Mais selon le Ministre brésilien des affaires étrangères, les discutions se sont poursuivies dans d'autres espaces et les signes d'une reprise des pourparlers

18 Prix d'achat complémentaire lié à l'évolution favorable des prix de la fibre sur le marché

se multiplient. « Nous avons retiré le malade de l'unité de soin intensif et il est à l'infirmerie », ironisait-il aux colonnes du journal Le monde.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand