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Exclu-e-s du livret de famille : les parents sans statut, se raconter au sein d'une pluriparentalité

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par Elodie Regnoult
Université de Bretagne Occidentale - Master 2 2011
  

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Pour introduire...

L'objet de la recherche

La deuxième moitié du XXème siècle a été marquée par de nombreux débats politiques relatifs aux nouvelles formes de famille (recomposition, homoparentalité etc.). Dans les années soixante-dix, c'est la place des femmes et des enfants au sein de la famille qui est redéfinie avec une autorité parentale partagée mais uniquement dans le mariage1, la fin de la puissance paternelle2, la contraception chimique, le droit à l'avortement et le divorce par consentement mutuel3. Dans les années quatre-vingt, les pères réclament le partage de l'autorité parentale hors mariage car celle-ci est alors unilatérale en cas de divorce ou de concubinage et elle est généralement attribuée aux mères. Ils obtiennent la loi de 19874 qui répond positivement à la demande tout en imposant de définir une résidence habituelle pour l'enfant en cas de séparation des parents. Le plus souvent, cette résidence habituelle sera celle de la mère. En 2002, passe une loi sur la résidence alternée5 dans l'objectif de créer plus d'égalité entre père et mère et qui renforce dans le même temps les liens parentaux statutaires6. Ceux-ci deviennent indissolubles et détachés du lien conjugal.

Parallèlement, les discussions sur le PaCS adopté en 19997 engendrent des débats sur l'homoparentalité. Ce contrat ne concerne pas la filiation mais les opposant-e-s craignent que le PaCS soit un mariage homosexuel impliquant une filiation commune. La question de l'homoparentalité est également discutée lorsque le gouvernement envisage un statut pour les beaux-parents (demandé par Nicolas Sarkozy le 13 février 20098 mais déjà présent dans les questionnements politiques depuis quelques années). Ce statut serait valable pour les homoparents et pour plus deux individu-e-s responsables de l'enfant. Ce projet de loi devait être prêt pour mai puis septembre 2009. En juin 2011, il n'est toujours pas abouti.

Les familles se diversifient, les débats se multiplient mais cette diversification fait peur à certain-e-s qui considèrent la famille en perte de sens. C'est le cas de Louis Souvet, un

1 Auparavant, le père avait tout pouvoir.

2 Loi n°70-459 du 4 juin 1970 relative à l'autorité parentale.

3 Loi n°75-617 du 11 juillet 1975 portant sur la réforme du divorce.

4 Loi n°87-570 du 22 juillet 1987 sur l'exercice de l'autorité parentale.

5 Loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale.

6 Pour ma part, j'emploierai régulièrement les termes de Virginie Descoutures, à savoir « parents statutaires » et « parents non statutaires ». Les parents statutaires sont celles et ceux reconnu-e-s par l'Etat, qui ont des droits et devoirs vis-à-vis de l'enfant tel que qu'ils sont définis par le Code Civil. En France, un enfant ne peut avoir d'une mère et qu'un père statutaires. Les parents non statutaires sont toutes les personnes qui se considèrent comme parents sans en avoir le statut, sans avoir de droit ni de devoirs définis par l'Etat. DESCOUTURES Virginie (2010), Les mères lesbiennes, Paris, Presse Universitaire de France.

7 Titre XIII du livre 1er du Code Civil.

8 Discours de Nicolas Sarkozy sur la politique familiale au Palais de l'Elysée, Vendredi 13 février 2009, [en ligne], URL : http://www.elysee.fr/documents/index.php?mode=cview&press_id2332&cat_id=7&lang=fr, Consulté le 3 avril 2009.

sénateur membre de l'Union pour un Mouvement Populaire (UMP), lors du débat au sénat concernant l'attribution d'un statut aux beaux-parents9 :

« Au regard de la fréquence des divorces, qui se sont banalisés, et de l'homoparentalité, qui bouleverse tout l'édifice construit jusqu'à présent, l'évolution actuelle nous conduit tout droit vers des problèmes de société et de santé. [...] On crée ici ou là des désirs et des volontés ; les familles se composent, se décomposent et se recomposent parfois plusieurs fois ; les gènes humains sont mélangés, avec les mêmes risques que pour les mariages entre cousins et cousines, qui engendraient des enfants pas toujours normaux. Je me demande si nous ne nous dirigeons pas vers un modèle de société difficile à gérer. »

Intervention de Louis Souvet lors de la session ordinaire du Sénat en 2005-2006.

Les idéologies dominantes de la parentalité

Ces représentations révèlent une tension entre les intérêts individuels et la tentation politique à un retour vers un ordre familial et politique établi, comme le souligne Jacques Commaille et Claude Martin10. Les familles sont supposées tendre vers une idée de « stabilité », c'est-à-dire être biparentales (deux parents), hétérosexuées, cohabitantes. Ces idéologies sont perçues comme naturelles. Avoir un enfant serait un projet commun, porté par les deux conjoint-e-s en couple hétérosexuel. Leurs rôles parentaux seraient définis en fonction d'un sexe supposé biologique, ce qui induirait une complémentarité père/mère. Celle-ci permettrait à l'enfant de se construire tout en préservant l'épanouissement de chacune. Ces différents points révèlent une trajectoire de parentalité idéologique, ayant un sens cohérent et dominant.

Par la biparentalité et l'hétéronormalité11, on voit émerger la recherche du primat des gènes et de la biologie pour définir les liens de la famille, parfois sous couvert de l'intérêt de l'enfant et de la pérennisation de l'ordre construit par la société. Jusque dans la fin des années soixante et un peu après, être en couple est confondu avec le mariage, et permet d'avoir une

9 HYEST Jean-Jacques, Rapport d'information du Sénat, session ordinaire de 2005-2006, n°392, p.23, [en ligne], URL : http://www.senat.fr/rap/r05-392/r05-3920.html, Consulté le 3 avril 2009.

10 COMMAILLE Jacques, MARTIN Claude (1999), « Les conditions d'une démocratisation de la vie privée », in Borrillo Daniel, Fassin Eric, Iacub Marcela, Au-delà du PaCS : L'expertise familiale à l'épreuve de l'homosexualité, Paris, Presse Universitaire de France, p.61-78

11 Norme de l'hétérosexualité

sexualité « légitime » dans le but de fonder une famille « légitime ». Même si couple et mariage sont de moins en moins confondu-e-s12 dans les faits (ainsi que couple et sexualité), et que la sexualité est peu à peu dissociée de l'engendrement, est restée l'idée que l'on doit cohabiter et fonder une famille, dès que la situation professionnelle le permet. La différence est qu'aujourd'hui, dans les représentations communes, on fait du couple et de la famille pour soi, pour l'enfant et non plus pour l'organisation, la relation. Les relations conjugales sont supposées être choisies et supposées pouvoir se dissoudre dans l'intérêt des individu-e-s. De même, avoir un enfant est supposé relever d'un projet, d'une volonté et non plus d'une logique d'obligation perçue comme naturelle13. Ceci se traduit par la contraception, l'avortement, l'accouchement sous X d'une part, mais aussi par le rallongement de la durée des études, le droit de se construire professionnellement avant d'entrer dans un projet de parentalité, qui reste néanmoins inéluctable.

Selon l'enquête de Juliette Halifax et Catherine Villeneuve-Gokalp sur l'adoption en France14, 89,9% des candidat-e-s à l'adoption sont en couple et vivent ensemble, 10,6% sont des femmes ne vivant pas en couple et 0,3% sont des hommes qui ne vivent pas en couple. Parmi les adoptant-e-s, 93,2% sont en couple et vivent ensemble, 6,8% sont des femmes ne vivant pas en couple et 0% sont des hommes qui ne vivent pas en couple. Dans les démarches d'adoption, seul-e-s peuvent adopter les couples mariés ou les personnes célibataires (étant déclarée célibataire toute personne n'étant pas mariée), ce qui signifie qu'un couple non marié ne peut pas adopter conjointement15. Le formulaire de candidature à l'agrément du Conseil Général du Finistère est lui-même révélateur. L'adoption ne peut se faire que par une personne célibataire ou un couple marié cohabitant (il ne peut y avoir qu'une adresse postale inscrite et l'hétérosexualité du couple est clairement explicitée)16.

Dans cette étude, ont été également comptabilisées en couple, les personnes ayant fait le projet de se marier pour pouvoir adopter conjointement. Cette étude met donc en évidence, non pas la réelle situation conjugale à l'adoption (les personnes dites célibataires pouvant, de fait, être en couple), mais les représentations de la situation conjugale « légitime » à la

12 Dans leur enquête sur les « nouveaux couples », Catherine Villeneuve-Gokalp et Henri Leridon notent que de 1975 à 1985, le nombre de mariage a baissé de 30% et le nombre de naissance hors-mariage a été multiplié par 2,5. (VILLENEUVE-GOKALP Catherine, LERIDON Henri (1988), « Les nouveaux couples : nombre, caractéristiques et attitudes », Population, vol 43, n°2, p.331-374)

13 BOLTANSKI Luc (2004), La condition foetale : Une sociologie de l'engendrement et de l'avortement, Paris, Gallimard

14 HALIFAX Juliette, VILLENEUVE-GOKALP Catherine (2005), « L'adoption en France : qui sont les adoptés, qui sont les adoptants ? », Population et Société n°417

15 Articles 343, 343-1 et 346 du Code Civil

16 Conseil Général du Finistère, Questionnaire à l'attention du ou des candidats à l'adoption, [en ligne], URL : http://www.cg29.fr/Le-Conseil-general-et-vous/Enfance-Jeunesse/Adoption, Consulté le 18 avril 2009.

parentalité (93,2% des adoptant-e-s sont déclaré-e-s en couple) ainsi que les inégalités entre les hommes et les femmes face à la parentalité (0% des adoptants sont des hommes déclarés seuls et 6,8% sont des femmes déclarées seules). De même, dans son étude sur les familles monoparentales, Elisabeth Algava17 montre que dans 85% des cas, en France, en 1999, la dissolution d'un couple (marié ou non, par séparation, divorce ou veuvage) était à l'origine d'une famille monoparentale alors que dans 15% des cas, il s'agissait de célibat.

Actuellement, dans le cas d'un couple non marié où seulement l'une des deux personnes est parent statutaire, le conjoint ou la conjointe de celui/celle-ci ne peut partager l'autorité parentale de l'enfant que dans des cas exceptionnels18. Ce partage se fait alors à la demande des parents statutaires, au cas par cas, afin de pouvoir « accomplir tel ou tel acte concernant l'éducation, la santé et la vie quotidienne de l'enfant. »19

Afin d'être reconnu comme parent de l'enfant, le beau-parent peut recourir à l'adoption simple mais cette procédure entraîne un déplacement de l'autorité parentale du parent statutaire au beau-parent adoptant et l'autorité parentale reste exclusive - dans le cas d'un couple non marié20. Cette voie n'est donc que rarement empruntée et ne permet pas le partage de l'autorité parentale. De plus, selon Mirelle Brioude et Mathieu Peycéré « l'agrément est dans la pratique refusé en cas d'homosexualité avérée de l'adoptant et les tribunaux refusent systématiquement l'adoption simple par le compagnon homoparental. »21 L'adoption simple par un compagnon du même sexe, a néanmoins déjà eu lieu mais reste rare et dépend du tribunal qui va ou non l'accorder.

L'hétérosexualité - et l'hétéroparentalité - sont argumentées par les individu-e-s par des idées reçues mobilisant la nature : « la nature nous a fait physiquement pour ça » et « la nature ne permet pas à deux hommes ou deux femmes d'avoir un enfant » et que si, « naturellement c'est comme ça, c'est que c'est ce qu'il y a de mieux ». Les représentations basées abusivement sur la biologie servent souvent d'argumentaires (l'enfant ne peut avoir qu'un seul géniteur et qu'une seule génitrice).

Cette confusion sociale des liens est également nourrie par des normes éducatives issues d'une psychologie banalisée (l'enfant doit avoir un référent et une référente pour sa propre construction sexuée, il doit pouvoir identifier clairement sa mère et son père). Elle est également nourrie par l'idée qu'il faut conserver l'ordre établi dans la société (ça a toujours

17 ALGAVA Elisabeth (2002), « Les familles monoparentales en France : progression et diversité », Population n°4/5, p.733-758

18 Article 377 du Code Civil

19 GAUTIER Gisèle, op.cit. p.150

20 Article 365 du Code Civil

21 GAUTIER Gisèle, op.cit.

été comme ça, la société n'est pas prête au changement, où va la famille ? Où va la société ?)22.

Ces représentations ont été construites selon des idées basées sur la différence des sexes. Dans une étude sur les personnes intersexuées, Harold Garfinkel met en évidence le renvoi à la nature par la société des identités d'homme et de femme. Il met également en évidence la dichotomie construite socialement qui reconnaît deux et seulement deux sexes. Ces deux sexes sont apparentés à des identités sexuées et des pratiques attribuées de manière binaire et naturalisée aux hommes et aux femmes23.

En cas de séparation ou de décès de l'un des parents de l'enfant, il revient aux juges des affaires familiales de fixer « les modalités des relations entre l'enfant et un tiers, parent ou non »24 , modalités qui se traduisent par un droit de visite. Si le parent statutaire a désigné son conjoint ou sa conjointe comme tuteur ou tutrice par voie testamentaire ou déclaration spéciale devant notaire, le conjoint ou la conjointe peut alors obtenir l'autorité parentale de l'enfant en cas de décès du parent statutaire. A défaut, l'enfant est confié à l'ascendant du degré le plus proche (grands-parents généralement).

Le débat au Sénat de 2005-2006, rendu compte dans le rapport n°388, visait à généraliser cette possibilité de partage d'autorité parentale dans la vie quotidienne et à offrir la possibilité au juge, en cas de décès du parent statutaire, de « désigner le beau-parent comme tuteur si celui-ci le demande » sans testament ou déclaration spéciale25.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard