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Christiania : micro-société subversive ou "hippieland" ?

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par Félix Rainaud
Université de Poitiers - Master 1 Sociologie 2012
  

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3.3 « Une utopie comme les autres »

« Du fait même qu'il se veut constructif, l'anarchisme rejette, tout d'abord, l'accusation d'utopie »

Daniel Guérin, L'Anarchisme, Ed. Gallimard, 1965 (augmentée : 1973)

Dans de nombreux travaux et ouvrages (un chapitre du livre « Les sentiers de l'utopie » de Frémeaux et Jordan est consacré à Christiania, idem dans celui de Malcolm Miles « Urban Utopias: The Built and Social Architectures of Alternative Settlements »), dans des articles de presse (par exemple l'article du Monde du 23 mars 2011 intitulé « A Copenhague, la fin de l'utopie Christiania »), mais surtout dans les discussions avec les habitants de Copenhague, Christiania est souvent décrit comme une utopie. Il me parait donc important de revenir quelques instants sur cette notion d'utopie, appliquée à Christiania.

Le statut d'utopie attribué à Christiania semble logiquement en assurer sa popularité. En effet, l'utopie est par essence un lieu où l'on vit libre, heureux et paisible. Si l'on se réfère aux premières références bibliques, l'utopie est le royaume de Dieu sur terre, un lieu où le monde serait rétabli, les gens vivant en paix et en harmonie avec eux-mêmes et avec la nature. Pour celui à qui l'on attribue souvent la pérennité de l'utopie en tant que concept de philosophie politique, Thomas More (suite au roman faisant le récit de la découverte de l'Etat du même nom), l'utopie exprime la vision d'une société égalitaire où la liberté individuelle et la responsabilité sociale sont les deux éléments clés. Utopia de Thomas More était influencée par les exigences de liberté qui régnait parmi la bourgeoisie de son temps, un rêve qui, comme tous rêves, est nourri par la réalité.

La pensée utopique est une critique du statu quo existant, par exemple en tentant de surmonter les inégalités sociales, l'exploitation économique, la répression sexuelle et les autres formes possibles de la domination. Elle est donc toujours une recherche de changement social. Néanmoins, la notion d'utopie porte en elle une contradiction latente, puisqu'elle vise à construire un contre-système, en rompant avec les perspectives, les normes contemporaines, tout en en faisant partie. Pour illustrer cela, Christiania, par exemple, « a loyalement tenté de bâtir une économie non capitaliste : mais à mille personnes perdues dans une métropole capitaliste d'un demi-million d'habitants... » (TRAIMOND 2000). Les points de suspension qui ponctuent cette phrase laissent entrevoir les difficultés et les paradoxes inhérents au freetown.

Michel Foucault définit les utopies comme « des emplacements sans lieu réel. Ce sont les emplacements qui entretiennent avec l'espace réel de la société un rapport général d'analogie directe ou inversée. C'est la société elle-même perfectionnée ou c'est l'envers de a société, mais, de toute façon, ces utopies sont des espaces qui sont fondamentalement essentiellement irréels. » Foucault poursuit sa réflexion sur les utopies, ces espaces non existants, en développant le concept d'hétérotopie : « Il y a également, et ceci probablement dans toute culture, dans toute civilisation, des lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui ont dessinés dans l'institution même de la société, et qui sont des sortes de contre-emplacements, sortes d'utopies effectivement réalisées dans lesquelles les emplacements réels, tous les autres emplacements réels que l'on peut trouver à l'intérieur de la culture sont à la fois représentés, contestés et inversés, des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient effectivement localisables. Ces lieux, parce qu'ils sont absolument autres que tous les emplacements qu'ils reflètent et dont ils parlent, je les appellerai, par opposition aux utopies, les hétérotopies » (FOUCAULT 1984). Il serait donc plus approprié, en accord avec la définition de Michel Foucault, de qualifier Christiania d'hétérotopie plutôt que d'utopie. L'une des propriétés de l'utopie/hétérotopie est qu'elle peut agir comme un facteur de motivation et d'organisation. En effet, la croyance dans l'utopie peut être la dynamique qui relie les personnes autour de l'opposition contre la société existante.

On ressent à Christiania une certaine ambivalence, le double sentiment d'être à la fois dans une sorte de monde parallèle utopique et dans le même temps un quartier de Copenhague comme un autre. Ce sentiment se construit par des images, des représentations de scènes vécues dans la vie quotidienne. Il n'est pas rare de voir par exemple des personnes en costume avec leur attaché-case venir à Christiania à la sortie de leur travail pour fumer un joint comme si cela leur semblait naturel. L'ordinaire, la routine du quotidien côtoie en quelque sorte l'extraordinaire de ce qui fait de Christiania un espace unique en son genre par la liberté quasi-totale qu'il procure.

De la sorte, Christiania est à la fois une alternative mais aussi un miroir de la société danoise. Les habitants de Copenhague voient certes en Christiania un mode d'organisation alternatif, mais le considère dans le même temps comme un quartier de Copenhague à part entière et comme les autres.

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