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Christiania : micro-société subversive ou "hippieland" ?

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par Félix Rainaud
Université de Poitiers - Master 1 Sociologie 2012
  

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3.4 Mobilisation, promotion et défense du freetown

«In many ways, there are a lot of Danes who like Christiania...but they don't like it, and there is a word in Danish that doesn't exist in English to express this idea... It's kind of `ambiguous', but it is not exactly the same: it means that you like Christiania but you don't like it... It's a place they love to hate.»

Entretien avec Richard Lee Stevens

Figure 7 L'opinion des danois sur Christiania de 1975-2003 (pourcentage)

Source: Gallup surveys Apr. 1975, Feb. 1976, Jan. 1977, Jan. 1978, Aug. 1984, 1988, Sep. 1996, Mar. 2003.

3.4.1 Répertoire d'action collective de la mobilisation pour la défense de Christiania

A travers les lectures d'articles ou les livres déjà publiés sur Christiania, l'on peut observer la façon concrète dont les individus se mobilisent et qu'il existe ainsi une « grammaire des pratiques » guidant les actions de défense de Christiania. Ainsi, les stratégies de défense des Chrsitianites ont été (et demeurent aujourd'hui) diverses : pétitions, débats, négociations, élections, procès... Ces différentes stratégies ont alors ouvert plusieurs fronts de luttes pour Christiania, qu'il s'agisse de batailles politiques, juridiques ou des batailles de rue.

L'ouvrage de CATPOH offre en la matière un exposé très détaillé des actions qui ont pu être menées pour défendre Christiania (en particulier celles des premières années, de toute évidence les plus importantes).

Les Christianites ont ainsi présenté une liste aux élections municipales de mars 1974, ainsi qu'en 1978 comme le raconte Jean-Manuel Traimond (TRAIMOND 1994 : 93). La participation aux élections semble davantage répondre à une stratégie de défense publique et médiatique du freetown engagée par les Christianites, plutôt qu'à la mise en pratique d'une stratégie « municipaliste libertaire » visant à encourager, favoriser ou participer au développement d'un mouvement territorial autogestionnaire dans la ville. Les Christianites étaient porteurs de revendications réalisables au niveau municipal, justifiant ainsi leur implication lors de ces élections. On peut douter que l'objectif initial fut pour eux de « généraliser l'autogestion à tous les aspects de la société faisant ainsi disparaître le capitalisme »16(*), ce qui est l'idée porteuse du « municipalisme libertaire »17(*). Se présenter aux élections semble à cette époque davantage être une provocation à l'égard des institutions. En faisant figurer sur la liste des homosexuels, des écologistes, des « amis des animaux », les Christianites cherchent à faire éclore de nouvelles réclamations sociétales portées par des « nouveaux mouvements sociaux ».

Les Christianites vont aussi intégrer dans leur répertoire d'action, l'action en justice. Très souvent les squats ont recours ou sont contraints à l'action judiciaire. Si elles n'ont pas pour objectif de donner raison aux squatteurs, les actions en justice permettent néanmoins de gagner du temps précieux afin de construire une mobilisation autour du squat. Même l'avocat Christianite Carl Madsen (ancien militant exclu du Parti Communiste18(*)) ne croyait pas à la « justice », mais « il savait se servir de la cour pour la mettre devant ses propres contradictions » (CATPOH 23).

En décembre 1975 que les Christianites vont décider « en assemblée générale de poursuivre le gouvernement pour rupture des promesses tenues en mai 1972 sur le statut provisoire « d'expérimentation sociale » de Christiania. Cette aventure judiciaire se poursuit le 10 février 1977 lorsqu'à la suite du procès intenté par Christiania, les juges finissent par donner raison au gouvernement mais en reconnaissant toutefois à Christiania un rôle culturel et social. De plus, « la cour conclut également « qu'au point de vue social, on peut douter de la nécessité de fermer Christiania puisque cet espace resterait encore inoccupé pendant longtemps, mais la Cour n'est pas responsable pour trancher cette question politique. Le judiciaire renvoie donc la balle dans le camps du législatif, gouvernement et parlement qui se voient tenus de choisir entre des critères sociaux ou légaux. La décision juridique `oblige les habitants de la commune libre à évacuer les lieux sans délai'... alors qu'il est accédé à la demande du ministère de la Défense qu'un avis d'expulsion soit notifié aux habitants. Christiania décide de faire appel de ce jugement. La décision de la cour suprême montre clairement que la « Justice » n'est pas du côté de la commune libre, mais qu'on lui reconnait une existence sur laquelle on peut bâtir quelque chose » (CATPOH 22). En effet, le 2 février 1978, la cour suprême confirme le jugement de février 1977 qui rendait illégale toute occupation des lieux depuis le 1er Avril 1976. Cette première bataille juridique s'achève donc par l'occasion donnée par la justice aux autorités d'en finir avec Christiania. Toutefois, l'équation pour les autorités n'est pas aussi simple que cela puisque ces verdicts mettent en lumière des problèmes humains et sociaux que le parlement et le gouvernement devront ensuite prendre en charge.

Pour se prémunir d'une intervention d'évacuation physique de la police, les Christianites avaient mis en place un système de chaîne faite avec des barils de pétrole vide. « Si l'on voyait arriver la police on devait frapper sur ces barils. Si l'on entendait frapper sur ces barils, on devait téléphoner à Fabrikken qui déclenchait une chaîne téléphonique vers l'extérieur, dont on espérait qu'elle toucherait plus de 30 000 personnes » (TRAIMOND 116). CATPOH nous apprend aussi, qu'en plus de cette chaîne téléphonique, le plan de résistance prévoyait également des happenings, un blocus des ponts, des aéroports et de tout le trafic de Copenhague et du reste du Danemark afin de dissuader le gouvernement d'employer la manière forte.

Après ce premier épisode juridique, les Christianites retourneront devant les tribunaux à plusieurs reprises. Le dernier épisode judicaire de Christiania a eu lieu en 2011. Une série de procès visaient là encore à gagner du temps face au plan de normalisation.

Figure 8 Christiania Bike servant de stand pour acquérir une 'Folkeaktie'

Suite aux dernières lois de normalisation et les derniers procès perdus, les Christianites devaient récolter la somme de 76 millions de couronnes pour devenir propriétaire de Christiania avant le 1er juillet 2012. Pour y parvenir, un système d'actionnariat privé a été mis en place. Il permet à n'importe qui de devenir le propriétaire symbolique d'une portion de Christiania. En échange d'une somme allant de 100 couronnes (environ 15 €, le montant minimum) jusqu'à 10 000 couronnes, l'acheteur solidaire reçoit une « action populaire » (`Folkeaktie'), signifiant son soutien au freetown.

«So now we are trying to sell shares, `people's shares' in order to buy Christiania by ourselves instead of loaning money and these shares will help. For the moment we have 7 million kroners and we need 72 million» (Entretien avec Richard Lee Stevens).

Des habitants de Christiania sont même allé à New-York faire la promotion de ces actions populaires auprès du mouvement `Occupy Wall Street' en novembre 201119(*). Finalement, ce système d'action populaire ne permit pas aux Christianites de récolter suffisamment d'argent (9 203 128 couronnes furent tout de même récoltées) et ils durent se résigner à emprunter.

De grandes manifestations aux portées très symboliques ont aussi souvent été organisées. Alors qu'un ordre d'expulsion frappait Christiania pour le 1er Avril 1976, une série d'actions vont ponctuer la « fête du printemps », lors de la semaine précédent le 1er Avril. Une grande marche sur le parlement et la mairie est organisée. En rassemblant 30 000 personnes, « elle est la plus grande manifestation pacifique jamais organisée » d'après CATPOH (20). Lors de cette semaine une « armée arc-en-ciel » est mise en place, consistant à porter un brassard d'une certaine couleur, chaque couleur faisant référence à certaines fonctions auxquels les défenseurs de Christiania peuvent s'identifier et ainsi exprimer leur soutien. L'appel à la création de cette armée arc-en-ciel fut publié dans le journal de Christiania, Ugespejlet :

« En créant une armée arc-en-ciel, les personnes travaillant dur et qui collaborent entre elles, chaque individu à sa manière, nous pouvons être unis, un pour tous et tous pour un, et surmonter la situation menaçante à laquelle nous sommes confrontés. Parce que nous nous aimons les uns les autres, nous pouvons nous organiser en pratique, en dépit de nos différences. »

Sur le même modèle, les Christianites avaient déjà imaginé une « armée de femmes » et une « armée de paysans ». Cette campagne imaginative de l'armée arc-en-ciel joua un rôle assurément décisif en réunissant autant de personnes. Pendant le débat budgétaire du 30 mars, l'éviction planifiée fut dans un premier temps retardée puis finalement annulée. Durant cette semaine les plus grands groupes ou chanteurs du Danemark avaient produit un disque en l'honneur de Christiania. Le 30 mars au soir, le groupe « Action Théâtre » joua à l'Opéra de Christiania une pièce intitulée « Poisson d'Avril », comme pour célébrer la victoire sur les autorités.

Les Christianites ont également à plusieurs reprises procédé à des fermetures de Christiania en bloquant ses entrées. Ces actions pouvaient avoir des buts et des destinataires parfois différents. En 1979, lors de la `Junk Blokade', les cibles étaient les junkies, qui une fois évacués de Christiania furent interdit de rentrer par un blocus des habitants. Dix ans plus tard, le même mode d'action fut opéré afin de chasser les pushers. Un mur fut alors construit devant l'entrée principale de Pusher Street. Il s'agissait alors d'une étape supplémentaire dans la lutte contre la drogue deux ans après le départ du gang Bullshit de Christiania. Enfin, le gouvernement a aussi été le destinataire de ces blocus de Christiania. Par exemple, un des derniers exemples en date remonte à avril 201120(*). Les Christianites avaient tout fermé à l'intérieur de Christiania ainsi que les entrées afin de protester et de gagner du temps pour reconsidérer une offre du gouvernement pour acquérir et louer les bâtiments. Après trois jours et trois assemblées communes, Christiania décida de prendre part à des négociations concernant cette offre de l'Etat.

Cette action de blocus peut sembler surprenante. En agissant ainsi, les Christianites renversent en quelque sorte les réclamations des autorités. En effet, alors que le souhait des autorités a parfois été de voir fermer Christiania, il s'agit pour les habitants du freetown de montrer à travers le blocus à quel point la « ville-libre » est utile.

La dimension symbolique des actions a surement été l'instrument le plus utilisé par les Christianites pour se défendre au moyen d'actions spectaculaires relayées et visibles médiatiquement. Si ces actions ont surement atteint leur but étant donné le fait que Christiania subsiste encore aujourd'hui et qu'une majorité de la population y est désormais favorable, le message politique en se diluant dans le spectacle en a sûrement pâti, contribuant en partie à l'affadissement notable de la combativité des Christianites. On peut sur ce dernier point se reporter à l'histoire de la destruction de la Cigar Box en 2004, et qui fut la première maison détruite par les autorités danoises à Christiania depuis plusieurs années. Celle-ci fut reconstruite immédiatement non pas par des habitants de Christiania, mais par des défenseurs extérieurs du freetown, pendant que d'autres érigeaient des barricades dans Princessgade pour détourner l'attention de la police.

* 16 L'expression est ici empruntée à un document de l'Organisation Communiste Libertaire intitulé : « L'illusion d'un municipalisme libertaire », consultable en ligne : http://oclibertaire.free.fr/upl/OCL_municipalisme.pdf

* 17 Le «municipalisme libertaire» a été théorisé par Murray Bookchin. Celui-ci encourage les libertaires à se présenter aux élections municipales, en s'appuyant sur une redéfinition de la notion de citoyenneté. Cette proposition avait rencontré beaucoup d'hostilité au sein du mouvement libertaire, étant, parmi d'autres critiques, considérée comme une dérive réformiste.

* 18 « Oui, j'ai été membre du Parti Communiste pendant de longues années. J'y suis rentré parce que je pensais que c'était un parti révolutionnaire. Aider à détruire le respect de la loi a été une de mes plus grandes préoccupations, ainsi que la destruction de la confiance et du respect que les gens portent envers la cours de justice, qui n'est jamais qu'un appareil au service de la classe dirigeante. » Carl Madsen, cité par CATPOH

* 19 CREMER, Justin, «Christiania goes Wall Street», The Copenhagen Post , 4 novembre 2011, http://cphpost.dk/news/international/christiania-goes-wall-street [consulté le 26/04/2012]

* 20 FYFE, Jimmy, «Accepting `normalisation' bid, Christiania reopens», The Copenhagen Post, 30 avril 2011, http://cphpost.dk/news/local/accepting-`normalisation'-bid-christiania-reopens [consulté le 26/04/2012]

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery