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La mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit: le cas du Rwanda

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par Claudette Chancelle Marie-Paule BILAMPASSI MOUTSATSI
Université protestante d'Afrique Centrale - Master II en paix et développement 2012
  

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B. L'ethnicité, définition de l'existence au Rwanda

Dans son ouvrage intitulé La mort ne veut pas de moi, Yolande Mukagasana souligne : « Les Belges, ils nous ont appris à nous haïr les uns les autres, appuyés en cela par l'église. Les Tutsi sont la race dominante, disaient les colonisateurs. Les Hutu, qui représentent quatre vingt dix pour cent de la population sont des paysans bantous, à l'âme lourde et passive,

forgea, était que toute la culture et la civilisation de l'Afrique centrale avaient été introduites par le peuple élancé aux traits plus fins, au beau visage ovale, aux grands yeux et le nez haut qui dénotent le meilleur sang de l'Abyssinie. Speke voyait en cette race une tribu caucasoïde d'origine éthiopienne, descendant du roi David- race par conséquent supérieure aux négroïdes indigènes. Pour Speke, cette classe ordinaire des indigènes conservait une forte emprunte asiatique, dont une caractéristique marqué est un nez busqué et non épaté. En effet selon Gourevitch, Speke concluait ses élucubrations pseudo-scientifiques en invoquant l'autorité historique des Ecritures : cette race des seigneurs `à demi-sémitique-hamitique' descendait d'une tribu chrétienne perdue et, avec un peu d'éducation britannique, pourrait se révéler presque aussi `supérieure à tous égards' qu'un Anglais comme moi. Voir Gourevitch, Op. cit., p. 72.

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ignorant tout souci du lendemain »73. En effet, les explorateurs, les administrateurs coloniaux et même les missionnaires ont trouvés dans l'ensemble de la population rwandaise, une race supérieure, de « vrais » Nègres dit les Tutsi soit disant apparentés aux peuls, Galas, Somalis et Bahima. Ces Tutsi ont été longtemps considérés comme auteurs de tout ce qui est de la civilisation avancée du Rwanda. Mukagasana note :

A l'école, les Blancs m'ont appris que le Hutu était un homme champêtre, sédentaire... le Tutsi en revanche était venu d'Abyssinie, l'ancienne Ethiopie, et peut être même de plus loin. Du Tibet, disaient certains. Le Tutsi, il suffisait de le regarder, ressemblait, par sa noblesse, comme deux gouttes d'eau à l'Ethiopien. Il avait colonisé le Hutu en lui offrant le lait de ses troupeaux. C'est ce qu'on appelait la thèse hamitique. C'est faux, hurlait mon père, lorsque je lui racontais ce qu'on m'avait dit à l'école. Le Tutsi est rwandais. Sa langue est le kinyarwanda, la même que celle du Hutu74.

En réalité, la thèse hamitique est un mythe qui préconise que la formation du Rwanda s'est réalisée grâce aux qualités guerrières supérieures de la dynastie tutsie, des Banyiginya, ayant conquis les états primitifs des Hutu75. Ce mythe, présente tout ce qui est en état avancé de civilisation comme ayant été introduit par les Tutsi. « Tout ce qui est de l'intelligence ne pouvait être que d'eux »76. Les détenteurs du pouvoir tutsi s'adaptèrent ainsi facilement à cette division, non seulement car il fallait s'aligner sur la puissance coloniale pour rester au pouvoir, mais parce qu'elle renforçait fortement leur pouvoir, leur contrôle de la population (hutue) et, par conséquent, leur richesse. L'identité raciale (l'ethnicité) s'est institutionnalisée avec la mise en place, par exemple, de la carte d'identité ethnique.

Cependant, la thèse hamitique, utilisée jadis par les Belges pour protéger les Tutsi, serait ensuite exploitée, par les même Belges, pour promouvoir et appuyer la révolution hutue. Ce mythe entrera ainsi en concurrence avec le mythe bantou. En effet, le tribalisme engendre le tribalisme. La Belgique était elle-même une nation ethniquement divisée, où la minorité wallonne francophone dominait depuis des siècles sur la majorité flamande. Au terme d'une longue révolution sociale la Belgique entrait dans une époque de plus grande égalité

73 Yolande Mukagasana, La mort ne veut pas de moi, Paris, Fixot, 1997, p. 33

74 Ibid., p. 114-115.

75 Des Européens auraient fait venir des Tutsis de l'Asie pour s'approprier du Rwanda afin d'assujettir des populations trouvées sur place. C'est dans cette optique d'ailleurs que les Tutsis ont acquis le nom de Hamites et les premiers écrits sur le Rwanda comportèrent ce terme dans plusieurs pages, si bien que même la première synthèse sur le Rwanda d'Albert Pagès, publié à Bruxelles en 1933, porte le titre d'Un royaume hamite au centre de l'Afrique.

76 Kayihura, « Composantes et relations sociales au Rwanda pré-colonial, colonial et post- colonial », p. 163, in Byanafashe, Les défis de l'historiographie rwandaise. TI : les faits controversés, Butare, Editions de l'Université Nationale du Rwanda.

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démographique. Les prêtres flamands qui commencèrent à arriver au Rwanda après la Seconde Guerre mondiale s'identifièrent aux Hutu et encouragèrent leurs aspirations au changement politique. Entre temps, l'administration coloniale belge avait été placée sous la tutelle des Nations Unies et se devait donc de préparer l'indépendance du Rwanda. Les activistes politiques hutu en profitèrent pour réclamer le gouvernement de la majorité et une révolution sociale en leur faveur. Au début de 1960, le colonel belge, Guy Logiest procéda à un véritable coup d'Etat en décrétant le remplacement des chefs tutsi par des dirigeants hutu, si bien qu'aux élections locales organisées l'été suivant les Hutu, qui contrôlaient la plupart des bureaux de vote, conquièrent au moins quatre vingt dix pour cent des principaux postes à pourvoir. Plus de vingt mille Tutsi avaient alors été chassés de chez eux, nombre qui s'accrut rapidement à mesure que les nouveaux Hutu organisaient les violences contre les Tutsi, ou simplement les arrêtaient arbitrairement pour affirmer leur autorité ou s'emparer de leurs biens. Parmi le flot de réfugiés tutsi qui prirent le chemin de l'exil figurait le mwami. « La révolution est terminée »77 annonça le colonel Logiest en proclamant en octobre un gouvernement provisoire dirigé par Grégoire Kayibanda.

Depuis des années 1960 jusqu'au génocide en 1994, l'idéologie politique s'est en effet servie du mythe bantou pour arriver au pouvoir au Rwanda et s'y maintenir. Selon cette idéologie, les Tutsi sont des étrangers du fait qu'ils sont venus plus tard au Rwanda. Ainsi le mythe bantou préconise que le Rwanda appartient aux Hutu qui ont défriché les forêts mettant le Rwanda en valeur. En conséquence, ce sont eux les véritables citoyens du pays. Les partisans de cette idéologie au pouvoir au Rwanda à cette époque affirmaient que par le fait que les Hutus sont plus nombreux, ils doivent bénéficier de tous les avantages politiques, sociaux et économiques. Le mythe qui avait fait des Tutsi les grands introducteurs de la civilisation fit place au mythe bantou. Ainsi, l'année 1959 fut marquée par une révolution sociale, inimaginable, la « révolution hutue ». Entre 1959 et 1962, une vague d'événements vit les dirigeants locaux tutsis expulsés de leur communauté (sur les collines) et remplacés par des « bourgmestres » élus, d'origine majoritairement hutue. Grégoire Kayibanda, un Muhutu, devint le premier président du Rwanda. Ces événements s'accompagnèrent d'actes de violence contre les dirigeants tutsis et leurs familles, et une première vague de Batutsi chercha refuge dans les pays voisins. Une deuxième vague, plus importante, suivit en 1963-1964, lorsque les Batutsi de la première vague se regroupèrent pour attaquer le Rwanda depuis le Burundi et la Tanzanie. Un grand nombre de Batutsi furent tués dans les attaques de

77 Philip Gourevitch, Op. cit., p. 84.

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représailles, et ils furent plus nombreux encore à quitter le pays en tant que réfugiés. Ces agressions et la violente réaction du régime rwandais préfiguraient ce qui allait se produire trente ans plus tard. Les descendants de ces réfugiés allaient former la base du Front patriotique rwandais (FPR) et de son bras militaire, l'Armée patriotique rwandaise (APR), qui ont attaqué le Rwanda en octobre 199078 dans le but de revenir au pays par les armes. C'est ainsi qu'il eut une guerre civile79 en 1990. Si l'insécurité causée par les partis politiques toucha tous les citoyens ordinaires pendant ces années agitées, la cible la plus fréquente était les Batutsi. On les traitait d'ibiyitso (complices des forces rebelles) à cause de leur lien supposé avec la conspiration du FPR, pour une seule raison : ils étaient de l'identité ethnique majoritaire dans le groupe rebelle. Aussitôt après le début de la guerre, en octobre 1990, un grand nombre de Batutsi furent arrêtés dans tout le pays et emprisonnés pendant quelque temps. À intervalles réguliers, et souvent en représailles aux attaques ou aux avancées du FPR, on perpétra des massacres de civils tutsis. Nous soulignons qu'en vue de régler cette guerre civile, les accords de paix d'Arusha furent signés le 4 août 1993, après un an de négociations. Les réformes intérieures étaient complétées par un accord négocié sur le partage du pouvoir entre les différents courants politiques et sur l'intégration des forces rebelles dans l'armée nationale. Cependant, les accords d'Arusha ne furent jamais appliqués80. En dépit des

78 Plusieurs facteurs amorcèrent une transition politique au Rwanda : une vague de démocratisation accompagna la fin de la guerre froide ; le président français François Mitterrand obligea l'Afrique francophone à se démocratiser pour s'assurer le maintien de l'assistance économique ; la chute du prix du café sur le marché mondial et l'introduction d'un programme d'ajustement structurel entraînèrent une crise socio-économique ; et en 1990, le Rwanda fut attaqué par les forces rebelles du FPR, basées en Ouganda et dominées par les Batutsi, qui exigeaient de pouvoir rentrer au pays et de recevoir une part du pouvoir. Ces circonstances poussèrent le régime d'Habyarimana à lancer des réformes libérales.

79 Bien qu'une révision de la Constitution de 1978 ait annoncé l'arrivée d'un changement radical : le multipartisme politique étant approuvé. Les partis politiques se multiplièrent. Mais, en même temps, un mouvement politico-militaire extérieur, le FPR, s'introduisait par la force au Rwanda, réclamant le partage du pouvoir et obligeant les autorités à entamer des négociations. Se convertir au multipartisme politique après des décennies de règne d'un parti unique et entreprendre des réformes institutionnelles tout en faisant la guerre dans un pays surpeuplé s'est vite révélé décourageant. Trois acteurs ou courants politiques menaient la partie pendant cette période de transition : le mouvement du président, qui était l'élite au pouvoir ; l'opposition « démocratique » intérieure, composée des partis politiques récemment créés ; et le FPR et ses partisans, formant l'opposition armée. La violence était devenue une méthode d'action politique, non seulement sur les champs de bataille, mais également dans les rues de Kigali et dans les collines de la campagne. Avec l'ouverture de l'arène politique, les partis politiques nouvellement institués commencèrent à recruter des membres. Des rassemblements furent organisés dans la campagne, où les discours inspirés et les boissons gratuites avaient pour but de convaincre les paysans d'adhérer à telle ou telle « famille » politique. Dans cette atmosphère, l'appareil de l'État autrefois bien huilé mais totalitaire ne tarda pas à s'effondrer.

80 Le Rwanda devait mettre en place un gouvernement de transition menant à un gouvernement démocratiquement élu. Une force neutre devait être déployée. Les troupes françaises devaient laisser la place à la MINUAR. Le FPR et l'armée rwandaise devaient être intégrés, démobilisés et désarmés. Les réfugiés devaient rentrer et un bataillon de FPR devait être à Kigali. Le président Habyarimana et ses alliés politiques ne souhaitent en tout cas pas que ces Accords se réalisent. Le gouvernement de transition n'avait pas eu lieu. Habyarimana et ses alliés extrémistes le considéraient comme une soumission au FPR. Pendant ce temps, le

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pourparlers de paix et de l'accord, le Rwanda s'était « installé dans une culture de guerre »81. Selon certaines sources, même si l'accord de paix était signé, le président Habyarimana, par exemple, qui subissait de fortes pressions de sa ligne dure, n'avait aucune intention de l'appliquer. Dans un discours, il parla de l'accord comme d'un vulgaire « bout de papier »82. On se préparait également à la reprise de la guerre du côté du FPR. Les deux parties pratiquaient des actes de déstabilisation et recouraient aux assassinats politiques. Début 1994, l'ennemi avait été identifié. Grâce à une propagande intensive des médias et du gouvernement, l'ennemi qui menaçait le pouvoir de la rubanda nyamwinshi (la grande majorité) devint une menace pour le pouvoir de la majorité ethnique hutue. Le danger (perçu) ne venait donc pas seulement de l'extérieur, par le biais d'invasions, mais aussi de l'intérieur, de chaque citoyen tutsi vivant au Rwanda, et par extension de chaque Muhutu défavorable au statu quo de la rubanda nyamwinshi au pouvoir. Dans un article apparu en janvier 1994 dans le journal Kangura- « Réveillez-le », se proclamant « la voix qui cherche à réveiller et à guider le peuple majoritaire », Hassan Ngeze, éditeur de ce journal mentionne par exemple: « Nous... disons aux Inyenzi (cafards) que s'ils lèvent leurs têtes encore, il ne sera plus nécessaire d'aller combattre l'ennemi dans la brousse. Nous... commencerons par éliminer à l'intérieur... ils disparaitront i3. De plus, les récits et les rapports du FPR massacrant les Bahutu sur leur route vers le Rwanda frappaient l'imagination et renforçaient la peur. On en venait ainsi à percevoir qu'il fallait supprimer cette menace. Le slogan « Hutu Power » (Hutu pawa, le pouvoir aux Bahutu)84 se propagea dans les collines ; stigmatisés, les Batutsi devinrent des inyenzi (cafards). C'est dans cette atmosphère hautement explosive que l'avion d'Habyarimana fut abattu alors qu'il s'apprêtait à atterrir à l'aéroport de Kigali, à son retour d'un sommet régional en Tanzanie et c'est ainsi que débuta une campagne d'extermination massive. Les événements évoluèrent rapidement dans la capitale. Certaines régions rurales réagirent spontanément à l'appel à l'action ; d'autres résistèrent longtemps. Mais en réalité, tuer les Tutsi était une tradition politique dans le Rwanda postcolonial, un moyen d'unir la population.

régime en place concluait l'affaire la plus importante en matière d'armement avec une société française pour 12 millions US $ avec un prêt garanti par le gouvernement français.

81 Gérard Prunier, Rwanda 1959-1995 : Histoire d'un génocide, Paris, Dagorno, 1997, p. 199 ; 234.

82 Nous tirons ce fragment de la fresque du mémorial de Gigozi, site du génocide que nous avions visité à deux reprises en février 2012 à Kigali. Les autres références extraites de ce mémorial se feront dans le texte avec le titre Fresque Gigozi, 2012.

83 Fresque Gigozi, 2012.

84 Gérard Prunier, Ibid., p. 227.

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