WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit: le cas du Rwanda

( Télécharger le fichier original )
par Claudette Chancelle Marie-Paule BILAMPASSI MOUTSATSI
Université protestante d'Afrique Centrale - Master II en paix et développement 2012
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

II. Limitation du sujet ou champ d'analyse

La présente étude analyse les institutions de la justice transitionnelle au Rwanda. En relation avec la consolidation de la paix, elle ressort leurs effets et leur portée sur les plans théoriques et pratiques. Elle fournit à la fois une étude des objectifs et des mécanismes principaux de la justice transitionnelle et une évaluation de certaines contraintes et certains dilemmes entravant l'accomplissement de ces objectifs. Notre délimitation est spatiale et temporelle.

S'agissant de la dimension spatiale, nous avons porté notre choix sur le Rwanda. Ce choix est motivé par le fait que ce pays a eu recours aux mécanismes de justice transitionnelle, inspirés d'une part du droit pénal international et de l'autre, de la tradition africaine, dans le but de redresser des situations exceptionnelles où des crimes d'une gravité inouïe ont été commis.

15 Les tribunaux militaires de Tokyo et de Nuremberg, les tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et l'ex-Yougoslavie et la Cour Pénale Internationale.

16 La Cour spéciale pour la Sierra Leone, les chambres spéciales des cours serbes et kosovar ainsi que les chambres extraordinaires des cours cambodgiennes.

17 Les poursuites devant les juridictions nationales au Rwanda, au Chili et en Argentine, le procès Papon et Touvier en France.

18 Les plus remarquées ont été créées en Afrique du sud, en Sierra Leone, au Liberia, au Chili et au Maroc

19 Les réformes du secteur de la sécurité, les programmes DDR etc.

La mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit : le cas du Rwanda.

Pour ce qui est de la dimension temporelle, au Rwanda, la justice transitionnelle est axée presque exclusivement sur les poursuites pénales du génocide de 1994. Nous nous situons donc dans la période allant d'après le génocide où les mécanismes de justice transitionnelle ont été mis en place jusqu'à l'année 2012. Mais, nous restons attentives à l'ère du génocide au cours de laquelle les violations massives des droits de l'homme ont été commises. L'analyse présentera la structuration de la justice transitionnelle dans ce pays, son évolution et son dynamisme.

III. Revue de la littérature (Etat de la question)

Cette étude s'inscrit dans la filiation d'autres travaux qui ont déjà été faits par le passé sur la justice transitionnelle. Elle soulève certains problèmes qui ont déjà été documentés par d'autres, mais s'efforce d'analyser spécifiquement la mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle dans sa globalité dans le contexte post-génocide rwandais. La présente étude met en relief les réalisations, les succès enregistrés et les sujets de préoccupations et formule des recommandations spécifiques visant à renforcer les institutions de la justice transitionnelle au Rwanda. En effet, quelques études ont été faites sur la justice transitionnelle en Afrique20 mais nous prenons appui aux actes de la première et la deuxième conférence sur la justice transitionnelle organisées par Le Centre des Nations Unies pour les Droits de l'Homme et la Démocratie en Afrique centrale, respectivement en 2007 et en 2009 ainsi qu'aux textes précis de quelques auteurs.

La première conférence internationale a porté sur l'état des lieux de la justice transitionnelle dans le monde francophone21. La spécificité des actes de cette conférence réside dans le fait qu'ils font l'état des lieux des initiatives de justice transitionnelle dans les sociétés du monde francophone notamment africain. Il s'agissait au cours de ce séminaire international entre autres de réfléchir aux modalités pratiques d'application de la justice

20 Citons notamment David Hazan, Juger la guerre, juger l'histoire. Du bon usage des commissions Vérité et de la justice internationale, Paris, PUF, 2007 ; Claire Auzias, Odile Belinga et al., Crimes de masse au XXe siècle : Génocides, Crimes contre l'humanité, Lyon, Aléas, 2008 ; Pierre Hazan, « Measuring the impact of punishment and forgiveness : a framework for evaluating transitional justice » dans le volume 88, N° 861, mars 2006, pp. 343-365, de la International Review of the Red Cross; Christian Nadeau, « Responsabilité collective, justice réparatrice et droit pénal international » in Revue française de science politique, juin 2008, Volume 58, p. 915- 931 ; Eric Brahm, « Getting to the Bottom of Truth : Evaluating the Contribution of Truth Commissions to Post-Conflict Societies », paper presented at the International Studies Association Annual Meeting, Honolulu, Hawaï, March 1-5, 2005; International for Transitional Justice, « Etude de cas de tribunaux hybrides : le tribunal spéciale pour la Sierra Leone sur la sellette », ICTJ, 5 mars 2006. Nous ajouterons de même les Conventions de Genève, les principes du droit international, le Statut de Rome et la création de la Cour pénal internationale qui ont permis de faire un pas en avant sur la justice transitionnelle.

21 Ce séminaire a eu lieu du 4 au 6 décembre 2006 au Mont Fébé à Yaoundé au Cameroun.

La mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit : le cas du Rwanda.

transitionnelle dans les régimes de tradition française et dans les différents contextes juridiques, culturels et politiques africains. Les actes de ce colloque identifient ainsi les concepts, les leçons apprises et les bonnes pratiques en matière de justice transitionnelle ; identifient les principaux défis qui se sont posés aux initiatives prises en matière de justice transitionnelle dans les sociétés du monde francophone, comme les mécanismes de recherche de la vérité dans plusieurs pays africains, les efforts engagés dans la lutte contre l'impunité et les tensions entre la paix et la justice qu'elle engendre dans certains pays en transition. Ils identifient également un certain nombre de stratégies à mettre en oeuvre à court et à moyen terme, qui permettent de développer de meilleures pratiques sur le terrain, des échanges d'expériences, le renforcement des capacités et des connaissances des acteurs, des praticiens et des décideurs politiques, ainsi que la recherche dans le domaine de la justice transitionnelle. Après lecture de ces actes, il ressort que les experts et praticiens de la justice transitionnelle ont approfondi la réflexion sur les exigences de la paix, de la réconciliation et de la justice, qui sont de grande actualité dans de nombreux pays du continent africain et dans le monde francophone en général.

La deuxième conférence régionale quant à elle a porté sur La justice transitionnelle : une voie vers la réconciliation et la construction d'une paix durable22. Les actes de cette conférence présentent de manière diversifiée et cohérente, les expériences faites dans l'application des mécanismes de justice transitionnelle dans l'espace francophone, en référence aux quatre volets principaux de la justice transitionnelle. Subdivisé en deux parties, la première partie des actes du colloque fait office d'introduction et elle est consacrée à des clarifications conceptuelles tandis que la deuxième partie, s'intéresse aux expériences de la mise en oeuvre des `piliers' de la justice transitionnelle en Afrique francophone. Yaoundé II23 a abordé des questions telles que : comment traiter du passé ? Comment réconcilier les acteurs de conflits ? Comment développer des mécanismes efficaces de promotion et de consolidation de la paix ? Sur ce, les acteurs impliqués ont dégagé une stratégie adapté à l'analyse et aux réalités de terrain en vue de renforcer l'engagement des processus de paix et leur impact. De façon générale, les actes de la deuxième conférence se focalisent sur comment les pays tentant d'avancer vers la démocratie et l'état de droit après un régime autoritaire ou un conflit violent règlent concrètement l'héritage des anciennes violations des droits de l'homme. Les travaux

22 Cette conférence a été organisée du 17 au 19 novembre 2009 au Mont Fébé à Yaoundé au Cameroun par le Centre des Nations Unies pour les Droits de l'Homme et la Démocratie en Afrique Centrale.

23 Yaoundé II en références à la première conférence sur la justice transitionnelle qui a eu lieu du 4 au 6 décembre 2006 à Yaoundé au Cameroun.

La mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit : le cas du Rwanda.

de Yaoundé II ont été abordés dans le cadre de l'examen des enjeux de la justice et de la paix dans les situations de conflit et post-conflit. Les travaux de Jean-Emmanuel Pondi24, d'Alain Didier Olinga25 et de Carol Mottet26 pour ne citer que ceux-ci ont été d'une grande richesse. En effet, dans son article intitulé « Traitement du passé : quels défis et quelles opportunités pour une paix durable ? »27, Carol Mottet a légitimé la prise en compte des leçons apprises de la justice transitionnelle notamment dans trois directions. Il s'est agi d'abord de s'interroger, du point de vue de la participation, des consultations et de l'appropriation, sur les raisons qui fondent le succès de certains processus. Ensuite, de faire le point sur la justice transitionnelle dans sa relation avec les droits économiques, sociaux et culturels. Enfin, l'urgence de la détermination et de l'intégration des critères de la justice transitionnelle dans tous les processus de désarmement, démobilisation et réintégration. Jean-Emmanuel Pondi dans « Contexte moderne de la justice transitionnelle », quant à lui dégage tour à tour le poids du contexte, des acteurs et des enjeux dans le processus de recherche d'une paix durable dans le cadre d'une justice transitionnelle. Pour Pondi, la justice transitionnelle peut être définie de façon succincte et sommaire comme un mécanisme qui accompagne le passage d'une société donnée, vivant dans un espace temps quelconque, d'un ordre chaotique vers un ordre apaisé. Elle est donc l'outil et la modalité par lesquels la phase du consensus doit succéder à la phase de l'affrontement. Et, comme telle, elle appelle une étude extrêmement serrée du contexte, des acteurs au conflit et des enjeux. Jean-Emmanuel Pondi parle ainsi d'une justice particularisée et préconise qu'il ne s'agit guère d'appliquer à l'aveuglette des concepts globaux et classiques du droit, mais au contraire, de tenir compte, de façon systématique, des enseignements que procure la culture, la sociologie et le droit coutumier du lieu où elle s'applique. Alain Didier Olinga dans « Justice et paix : comment se combinent-elles et s'enrichissent-elles mutuellement dans les processus de paix ? » a proposé l'image tirée de la Sainte Bible, de la justice et de la paix qui s'embrassent pour aiguiller l'analyse, inviter à une attention particulière et à la prudence, suggère fortement qu'il n'y a « ni schéma, ni mode d'emboîtement, ni prêt-à-penser passe partout et généralisable de la justice et de la paix »28. Alain Didier Olinga a recommandé que la paix soit abordée comme étant la permanence de la

24 Voir la contribution de Jean-Emmanuel Pondi, « Contexte moderne de la justice transitionnelle » in La justice transitionnelle : une voie vers la réconciliation et la construction d'une paix durable, Saint-Paul, Yaoundé 2011, pp. 27 à 29.

25 Voir la contribution d'Alain Didier Olinga, « Justice et paix : comment se combinent-elles et s'enrichissentelles mutuellement dans les processus de paix ?, Ibid., pp. 31 à 35.

26 Voir la contribution de Carol Mottet, « Traitement du passé : quels défis et quelles opportunités pour une paix durable ? », Ibid., pp. 43 à 55.

27 Idem.

28 Alain Didier Olinga, Op. cit., p. 35.

La mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit : le cas du Rwanda.

justice dans une société réconciliée. Selon Alain Didier Olinga, il convient d'appréhender la justice transitionnelle comme « une boîte à outils dans laquelle il faut puiser lucidement pour constituer un cocktail opérationnel, en vue d'affronter chaque contexte de transition vers la paix en fonction de sa configuration, de ses réalités et de la pertinence opératoire de tel ou tel outil »29.

Pour baliser notre étude, nous avons fait recours aux travaux de Louis Joinet notamment dans son rapport Question de l'impunité des auteurs des violations des droits de l'homme (civils et politiques)30. En effet, à sa quarante-troisième session (août 1991), la SousCommission31 a demandé à l'auteur du présent rapport d'entreprendre une étude sur la question de l'impunité des auteurs de violations des droits de l'homme. Au fil des ans, l'étude a permis de constater que l'on peut ramener à quatre les étapes qui ont jalonné l'évolution de la prise de conscience, par la communauté internationale, des impératifs de la lutte contre l'impunité. L'ensemble de principes pour la protection et la promotion des droits de l'homme par la lutte contre l'impunité de Louis Joinet se résume ainsi en quatre éléments : le droit de savoir de la victime ; le droit de la victime à la justice ; le droit à la réparation de la victime et une série de mesures destinées à garantir le non- renouvellement des violations. Pour ce qui est du droit de savoir de la victime, il ne s'agit pas seulement du droit individuel qu'a toute victime, ou ses proches, de savoir ce qui s'est passé en tant que droit à la vérité. Le droit de savoir est aussi un droit collectif qui trouve son origine dans l'histoire pour éviter qu'à l'avenir les violations ne se reproduisent. Il a pour contrepartie, à la charge de l'Etat, le "devoir de mémoire" afin de se prémunir contre ces détournements de l'histoire qui ont pour nom révisionnisme et négationnisme; en effet, la connaissance, par un peuple, de l'histoire de son oppression appartient à son patrimoine et comme telle doit être préservée. Telles sont les finalités principales du droit de savoir en tant que droit collectif. Deux séries de mesures sont proposées à cet effet. La première concerne la mise en place, en principe à bref délai, de commissions non judiciaires d'enquête car - sauf à rendre une justice sommaire, et ce fut trop souvent le cas dans l'histoire - les tribunaux ne peuvent sanctionner rapidement les bourreaux et leurs commanditaires. La deuxième série de mesures vise à préserver les archives liées aux

29 Idem.

30 Louis Joinet, Question de l'impunité des auteurs des violations des droits de l'homme (civils et politiques), Rapport final révisé établi par Louis Joinet, en application de la décision 1996/119 de la Sous Commission, Nations Unies, E/CN.4/Sub.2/1997/20 et E/CN.4/Sub.2/1997.20/Rev.1.

31 Il s'agit de la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités de la Commission des droits de l'homme de l'ONU.

La mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit : le cas du Rwanda.

violations des droits de l'homme. Le droit de la victime à la justice pour sa part implique que toute victime ait la possibilité de faire valoir ses droits en bénéficiant d'un recours équitable et efficace, notamment pour obtenir que soit jugé son oppresseur et obtenir réparation. Ainsi que le souligne le préambule de « l'ensemble de principes », il n'est pas de réconciliation juste et durable sans que soit apportée une réponse effective au besoin de justice; le pardon, acte privé, suppose en tant que facteur de réconciliation que soit connu de la victime l'auteur des violations et que ce dernier ait été en mesure de manifester son repentir : en effet, pour que le pardon puisse être accordé, il faut qu'il ait été demandé. S'agissant du droit à réparation pour la victime, il comporte tant des mesures individuelles que des mesures de portée générale et collective notamment, des mesures de restitution (tendant à ce que la victime se retrouve dans la situation qui prévalait auparavant); des mesures d'indemnisation (préjudice physique et moral, ainsi que perte d'une chance, dommages matériels, atteintes à la réputation et frais d'assistance juridique); et des mesures de réadaptation (suivis médicaux y compris psychologiques et psychiatriques). Au plan collectif, des mesures de portée symbolique, à titre de réparation morale, telles que la reconnaissance publique et solennelle par l'Etat de sa responsabilité, les déclarations officielles rétablissant les victimes dans leur dignité, les cérémonies commémoratives, les dénominations de voies publiques, les érections de monuments, permettent de mieux assumer le devoir de mémoire. Louis Joinet est ainsi l'un des piliers de la justice transitionnelle dans l'univers francophone. Son rapport s'inscrit donc dans la mise en oeuvre du Programme d'action de Vienne et recommande, dans ce but, l'adoption par l'Assemblée générale des Nations Unies d'un ensemble de principes pour la protection et la promotion des droits de l'homme par la lutte contre l'impunité.

Le rapport de Human Rights Watch intitulé Justice compromise : l'héritage des tribunaux communautaires gacaca du Rwanda32 nous a été d'une utilité en ce sens que sous un angle, ce rapport aborde la question de la justice transitionnelle au Rwanda. Le rapport est basé sur l'observation par Human Rights Watch de plus de 2000 jours de procès devant les Juridictions Gacaca, sur l'examen de plus de 350 affaires, et sur des entretiens avec des centaines de participants de toutes les parties prenantes du processus Gacaca, notamment des accusés, des rescapés du génocide, des témoins, d'autres membres de la communauté, des juges, ainsi que des autorités locales et nationales. Le rapport souligne que de 2005 jusqu'en 2009, un peu plus de 12 000 tribunaux Gacaca communautaires ont jugé environ 1,2 million

32 Human Rights Watch, Justice compromise : l'héritage des tribunaux communautaires gacaca au Rwanda, New York, ISBN 1-56432-758-2, mai 2011.

La mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit : le cas du Rwanda.

d'affaires liées au génocide de 1994. Les violences ont fait plus d'un demi-million de morts, appartenant principalement à la population minoritaire tutsi du pays. Les Juridictions Gacaca ont été créées en 2001 pour répondre à la surcharge d'affaires dans le système judiciaire classique et à une crise carcérale. Le gouvernement rwandais a été confronté à des défis énormes dans la création d'un système qui pourrait traiter rapidement des dizaines de milliers d'affaires d'une manière qui serait largement acceptée par la population. En effet, le rapport évalue les réussites des tribunaux et souligne un certain nombre de graves lacunes dans leur travail, notamment la corruption et des irrégularités de procédure. Il s'agit surtout des erreurs judiciaires dues à l'utilisation de juges n'ayant en grande partie pas bénéficié de la formation nécessaire ; de fausses accusations, dont certaines basées sur la volonté du gouvernement rwandais de faire taire les critiques ; du détournement du système Gacaca pour régler des comptes personnels ; d'intimidation de témoins à décharge par des juges ou par des autorités ; et de corruption par des juges et des parties aux affaires. Le rapport examine la décision du gouvernement de transférer les affaires de viols liées au génocide devant les tribunaux Gacaca et d'exclure de leur compétence les crimes commis par des militaires du Front patriotique rwandais (FPR). Dans le rapport, Human Rights Watch souligne que des militaires du FPR qui ont mis fin au génocide en juillet 1994 et ont formé ensuite le gouvernement actuel, ont tué des dizaines de milliers de personnes entre avril et décembre 1994. En 2004, la loi Gacaca a été modifiée afin d'exclure de tels crimes, et le gouvernement a veillé à ce que ces crimes ne soient pas abordés devant les Gacaca. Ce rapport aborde ainsi la problématique de la justice transitionnelle au Rwanda. Cependant, il se limite juste aux Juridictions Gacaca.

Christian Nadeau dans « Quelle justice après la guerre ? Eléments pour une théorie de la justice transitionnelle »33 se penche sur les enjeux normatifs de la justice transitionnelle, sur la justice pénale internationale, la justice réparatrice et la délibération et la formation des institutions. Dans ce texte, Nadeau se demande tout d'abord s'il est possible après un conflit ou un génocide, de rendre justice et de construire un nouvel ordre politique acceptable par ceux qui viennent de se déchirer ou de s'entretuer. Prenant appui sur l'exemple de conflits du Rwanda et de l'ex-Yougoslavie, Nadeau pose les fondements d'une théorie de la justice transitionnelle : la réparation et la délibération démocratique lui paraissent essentielles à la réussite des processus de démocratisation. Pour Nadeau, la justice transitionnelle est

33 Christian Nadeau, « Quelle justice après la guerre ? Eléments pour une théorie de la justice transitionnelle », in La vie des idées, édition électronique, bibliothèque numérique les classiques des sciences sociales, 23 mars 2009, voir : http://classiques.uqac.ca/ (consulté le 25 septembre 2011).

La mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit : le cas du Rwanda.

généralement entendue comme la réponse légitime aux violations systématiques des droits humains. Sans représenter en elle-même une forme particulière des droits et libertés de base, elle correspond aux efforts de justice- sur le plan pénal ou sur le plan de la redistribution équitable des ressources- et de démocratisation à la suite de crises politiques majeures. La thèse de Nadeau repose sur trois principaux arguments. En premier lieu, les crimes commis au cours des guerres relèvent à la fois de la responsabilité du groupe, en tant que groupe, et des individus. Il s'agit de comprendre l'interrelation des individus au sein d'un groupe donné, ou de groupes entre eux. En second lieu, la notion complexe de responsabilité apparaît plus clairement si l'on se réfère aux théories de la justice réparatrice. Enfin, la délibération démocratique est l'articulation essentielle entre les processus de démocratisation et de justice. Un dialogue critique entre les parties touchées par le conflit est la pierre de touche de la justice transitionnelle. Si ce dialogue est bien encadré, il assure une coordination adéquate entre les objectifs politiques et les obligations juridiques de la justice transitionnelle. Par conséquent, il faudra faire appel à la délibération au moment de la justice réparatrice et au moment des processus de démocratisation à proprement parler. Il faut toutefois prendre garde au fait qu'il n'y a pas antériorité chronologique, ni primauté, de la réparation sur la démocratisation : chacune se prolonge dans l'autre. En somme, le but de l'article de Nadeau est de présenter un ensemble cohérent d'arguments moraux propres à s'inscrire dans une théorie de la justice transitionnelle en tant qu'elle s'applique aux contextes d'après-guerre.

L'article « La Chambre d'Appel du TPIR acquitte un planificateur de premier rang du génocide Tutsi »34 de Bideri Diogène a quant à lui un rapport avec la justice du TPIR. Bideri, remet en cause la justice de l'après génocide telle que faite par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda. Il soulève le problème sérieux du dysfonctionnement de la justice d'Arusha. En effet, l'auteur repasse en revue les arguments de la Chambre d'Appel du TPIR et notamment dans le procès de Protais Zigiranyirazo. La Chambre d'Appel, en cassant le jugement de la Chambre de Première Instance commet, selon Bideri, une erreur judiciaire d'appréciation en donnant plus d'importance à l'alibi de Zigiranyirazo et en négligeant les témoignages de l'accusation. Il est donc d'avis que la Chambre d'Appel a commis des erreurs d'appréciation de droit et de fait en ce qui concerne ce génocidaire, par conséquent, on voit la lutte contre l'impunité s'éloigner. Il affirme que la décision de la Chambre est arbitraire et

34 Diogène Bideri, « La Chambre d'Appel du TPIR acquitte un planificateur de premier rang du génocide des Tutsi », in Dialogue : 16ème Commémoration du génocide contre les Tutsi, mars 2010, N°190, Kigali, Minespoc, PP. 86-93.

La mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit : le cas du Rwanda.

qu'elle a pris fait et cause pour Zigiranyirazo qu'elle a épargné. L'auteur est d'avis que la décision de la Chambre a été prise à la légère et que la Chambre avait dans ce cas bien précis un comportement inhabituel. Et pour toutes ces raisons, l'auteur pense que « l'arrêt de la Chambre d'Appel constitue un déni de justice ce d'autant plus qu'il s'agit d'une juridiction de dernier recours »35. Il est même catégorique : « la Chambre d'Appel joue le jeu des génocidaires »36.

Nous avons également fait recours aux travaux de recherche d'Arnaud Meffre menés dans le cadre d'une note de recherche au Centre d'études sur le droit international et la mondialisation. En effet, dans son article intitulé « La Justice Transitionnelle à l'épreuve de la Sierra Leone : analyse critique »37, Meffre s'évertue à tester le concept de justice transitionnelle à la lumière de l'un de ces systèmes de justice post-conflit. Il y fait un bilan sur la pratique de la justice transitionnelle en Sierra Leone et se contente de voir si les deux institutions de la justice transitionnelle mis en place dans ce pays ont connues une coordination ou une coopération.

La présente étude trouve son originalité dans le fait que nous essayons de déterminer si toutes les institutions de la justice transitionnelle mises en place dans le processus de justice transitionnelle au Rwanda ont contribué à consolider et à assurer une paix durable au pays des mille collines où il y a eu par le passé, la perpétration des crimes odieux, les violations à grande échelle ou systématique des droits de l'homme.

Après la revue de littérature, il est utile de présenter nos questions de recherche ainsi que les hypothèses.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand