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Les soignants et leur téléphone portable à  l'hôpital

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par Frédéric GRIPON
Université de Caen Basse- Normandie - Master 1 des sciences de l'éducation option éducation, mutations, formation 2012
  

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3.3 - La nécessaire concentration sur la tâche

Dès 2003, Serge Tisseron analysait ainsi les effets du téléphone portable sur la concentration : « L'absence physique de l'interlocuteur, présent uniquement par la voix, modifie l'attention que nous portons à notre environnement. Notre attention est accaparée par la conversation et l'image que nous tentons de nous faire de notre correspondant, nous rendant très vite aveugles et sourds aux sollicitations extérieures118. »

L'usage du portable à l'hôpital amène à nous interroger sur la concentration nécessaire à l'activité médicale, chirurgicale et paramédicale. Dans l'univers du soin, la matière première est l'humain pour lequel les erreurs d'inattention peuvent entrainer des conséquences dramatiques. La presse s'en fait suffisamment l'écho dès qu'un décès survient à la suite d'une défaillance dans le processus de soin.119 Défaillance qui amène dans tous les cas à la recherche des responsabilités de l'incident : erreur de produit médicamenteux, de calcul de dose, de prescription, de réglage de débit de perfusion...

En 2009, Philippe Juvin, chef des urgences de l'hôpital Beaujon et secrétaire national de l'UMP chargé de la Santé, déclarait que « 10.000 personnes mourraient chaque année à l'hôpital à cause d'erreurs médicales », bien qu'aucune étude ne l'atteste120. A la même époque, Alain-Michel Ceretti, conseiller santé auprès du médiateur de la République, chiffre lui à 13.000, le nombre de décès évitables chaque année121. Selon une enquête nationale sur les événements indésirables liés aux soins (ENEIS), réalisée en 2004 puis en 2009 pour le compte du ministère de la Santé, le nombre d'évènements indésirables graves (EIG) survenus pendant une hospitalisation se situe dans une fourchette allant de 275 000 à 395 000 par an, dont 95 000 à 180 000 EIG peuvent être considérés comme évitables122. Les événements indésirables graves associés aux soins sont définis comme des événements défavorables pour le patient,

118 Op. Cit. Tisseron S. , 2001, P59-62.

119 « 10.000 morts par an à cause d'erreurs médicales ? », 20 minutes, 11/01/2009.

120 Ibid.

121 Aubert A-L. , «Erreurs médicales: Un professeur accuse », Le Journal Du Dimanche (JDD), 31/10/2009.

122 « Enquête nationale sur les événements indésirables associés aux soins (ENEIS) dans les établissements de santé », Solidarité santé, n°17, 2010.

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ayant un caractère certain de gravité (à l'origine d'un séjour hospitalier ou de sa prolongation, d'une incapacité ou d'un risque vital) et associés à des soins réalisés lors d'investigations, de traitements ou d'actions de prévention. Le rapport d'enquête pointe dans un tableau123 la répartition des facteurs contributifs des EIG évitables en 2009. Ainsi nous constatons que les facteurs ayant favorisé l'EIG évitable sont :


·

Une défaillance humaine d'un professionnel

27.6%


·

Une supervision insuffisante des collaborateurs

26.4 %


·

Une mauvaise définition de l'organisation et de la réalisation des tâches

12.6%


·

Une communication insuffisante entre professionnels

24.1%


·

Une composition inadéquate des équipes

16,1%


·

Une infrastructure inappropriée

17,2%


·

Un défaut de culture qualité

8%

Hormis les deux derniers items, pour lesquels il nécessiterait plus de précision pour étudier ce qu'ils recouvrent exactement, nous pouvons considérer que dans les autres cas, le facteur humain a une grande responsabilité dans la majorité des EIG analysés par l'ENEIS.

Ces données sont à prendre en considération dans l'objectif d'une meilleure gestion des risques, et parmi ceux-ci, l'incidence de l'usage du téléphone mobile pendant la prise en charge des patients commence à émouvoir la presse professionnelle. Ainsi, un article paru en septembre 2011 dans la revue « Perfusion124 » rapporte une enquête réalisée par Smith, Darling et Searles dans l'Etat de New-York aux USA. Celle-ci a été conduite auprès de 439 professionnels de la circulation extracorporelle (CEC), un acte hautement technique. L'enquête date de 2010 et montre que 55.6% de ces « perfusionnistes » avouent avoir déjà utilisé leur téléphone portable pendant les procédures de CEC et 49.2% avoir envoyé des SMS. Concernant les utilisateurs de Smartphone : 21 % disent avoir vérifié leurs courriels, 15.1 % avoir navigué sur internet et 3.1% avoir regardé ou posté des messages sur leurs réseaux sociaux. Pourtant 78.3% d'entre eux sont conscients des risques significatifs qu'ils font prendre à leurs patients. Bien que seulement 7.3% avouent avoir déjà été perturbés par la réception d'un appel,

123 Ibid. tableau 5, p. 9.

124 Darling E . , Searles B. , Smith T. , « 2010 Survey on cell phone use while performing cardiopulmonary bypass », Perfusion, vol. 26, n°5 2011, pp. 381-382.

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33.7% d'entre eux déclarent avoir observé leurs collègues distraits par un appel téléphonique ou un SMS.

L'article fait également état de nettes différences générationnelles (sans les préciser) dans les opinions sur le rôle et la pertinence des téléphones cellulaires au cours de la CEC mais conclut simplement à la nécessité d'étudier davantage cette question pour établir un consensus sur l'utilisation des différents modes de communication au sein de la communauté des perfusionnistes.

Toujours aux Etats-Unis, en novembre 2011, le Docteur Peter Papadakos signe un éditorial dans la revue Anesthésiology News125 intitulé « Electronic Distraction: An Unmeasured Variable in Modern Medicine » dans lequel il encourage à évaluer davantage les usages des dispositifs mobiles (Smartphone, téléphones, tablettes...) durant l'activité médicale. Enfin le New-York Times126 a consacré également un article sur ce sujet et relate qu'un patient paralysé a porté plainte contre le neurochirurgien qui l'avait opéré. Celui-ci aurait répondu à de nombreux appels personnels en kit main libre durant l'intervention. Un autre cas grave est relaté dans ce même article : un homme de 56 ans aurait été victime d'un surdosage d'anticoagulants parce que le médecin aurait oublié de donner l'ordre de les arrêter, alors qu'il était distrait par la réception d'un SMS.

L'enquête américaine montre la fréquence d'utilisation du portable à l'hôpital sur des postes à forte nécessité de concentration, puisqu'un incident de procédure de CEC peut entrainer le décès rapide du patient. La presse généraliste commence à relayer les inquiétudes que les professionnels de santé publient dans leurs revues spécialisées. L'antériorité de l'usage du portable aux Etats-Unis explique peut-être la prégnance du phénomène mais c'est une tendance que nous pouvons constater également en Europe. Durant mon stage d'encadrement dans un grand hôpital universitaire Suisse, j'ai ainsi observé un chirurgien, qui opérait un patient via un robot,127 stopper l'intervention à trois reprises le temps de répondre à des appels téléphoniques. Même si cela peut paraitre marginal, puisqu'il faut que le chirurgien ne soit pas habillé de manière stérile pour pouvoir accepter la communication téléphonique, cela permet de mettre en

125 www.anesthesiologynews.com, 2012.

126 « As Doctors Use More Devices, Potential for Distraction Grow », The New York Times, 15/12/2011, P A1.

127 Da Vinci : Console avec des manettes et une vision en 3 dimensions, permettant au chirurgien de commander un robot médical à distance en chirurgie coelioscopique abdominale, notamment.

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évidence que la présence du téléphone a un impact sur le déroulement de l'acte de soin. Le reste de l'équipe attendait sagement la fin des conversations pour reprendre le déroulement de l'intervention et l'anesthésie avait dû être allégée durant cette attente pour éviter des répercussions hémodynamiques. Dans un article de Sandrine Cabut128 du 31 décembre 2011, une partie des cas que nous venons d'évoquer a été relaté ainsi que l'observation que j'ai pu faire en Suisse. Le Professeur Rischmann, urologue au CHU de Toulouse, interviewé par la journaliste sur ces faits, concède qu'il faudrait un « code de bonne conduite » alors qu'un autre minimise les répercussions en rappelant « qu'auparavant les anesthésistes lisaient pendant les interventions et qu'aujourd'hui ils surfent, n'y voyant rien de choquant. » Nous ne pouvons pour l'instant que constater les faits recueillis puisqu'il n'existe aucune donnée chiffrée sur la réalité française de l'usage du portable par les soignants et de ses répercussions. Toutefois, à titre de comparaison nous pouvons mettre en perspective les conclusions des experts sur l'usage du mobile durant la conduite automobile. Cette dernière est considérée comme une activité complexe et une étude américaine de 2006, menée par des universitaires de Salt Lake City (Utah)129, a montré que l'usage du téléphone portable a des effets sur la conduite comparables à ceux de l'alcool. Nous pouvons ainsi mieux évaluer les risques que comporte l'usage du téléphone pendant l'activité de soin.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus