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La transgression des lois du mariage dans " le fils d'Agatha Moudio " de Francis Bebey

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par Arnaud Tcheutou
Université de Douala - Cameroun - Maitrise 2007
  

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IV.2- L'hostilité contre les unions interraciales.

Les Occidentaux, bien qu'ils soient les Maîtres parce que ce sont des colons, et malgré leur richesse, n'ont pas les faveurs des Bonakwan. Ainsi, le matérialisme de ce peuple a des limites quand il s'agit de préserver la pureté du sang. Tout lien affectif avec les Blancs suscite des passions. Maa Médi accuse Agatha d'avoir des randonnées avec des Occidentaux : elle va tous les jours « au quartier européen se faire inviter par le premier blanc » (FAM, 21).

L'étonnement de Dooh lorsqu'il aperçoit cette dernière dans la voiture d'un Blanc est aussi fort illustratif. En effet, une belle voiture bleue appartenant à un Européen s'est amenée

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dans le village d'Agatha pour l'embarquer. À son retour, elle s'est embourbée au niveau de Bonakwan : « C'est alors que les gens, qui s'affairent autour d'elle, [pour la faire sortir de la boue] remarquèrent à l'intérieur...Agatha » (FAM, 149). Et Dooh de s'écrier : « Tiens, Agatha, [...]. C'est donc toi, notre soeur, qui part, ainsi dans la voiture d'un blanc ? Connais-tu donc le propriétaire de cette auto ? » (FAM, 150). Que d'interrogations qui désapprouvent l'exogamie !

Rien d'étonnant dans cette attitude quand on sait que Le Fils d'Agatha Moudio a un fort enracinement dans la culture Sawa et notamment duala. Et de ce fait, fort du principe selon lequel « toute oeuvre littéraire, dans sa construction et ses effets, entretient d'étroites relations avec les dimensions sociales, historiques et mythiques de l'existence »50, l'auteur a dû puiser dans sa culture d'origine. Car il est connu que les Duala nourrissent une certaine antipathie pour l'étranger. Ebélé Wei, de son vrai nom Valère Epée, un grand dignitaire de cette communauté a voulu contester cette identité, pourtant il la confirme et la justifie plutôt lorsqu'il dit : « Accusé à tort d'une [exogamie] largement justifiée, [les Duala] ont quand même mieux que d'autres contribué à renverser au Cameroun le règne colonial blanc... »51

Un élément permet de comprendre cette haine : les excès de la colonisation. Malgré le fait que Le Fils d'Agatha Moudio est une oeuvre qui a été publiée en 1967, c'est-à-dire après l'indépendance du Cameroun, les séquelles du mouvement colonial et notamment ses vices, y sont très présents. Outre le phénomène de transgression qui traduit les velléités d'abandon des traditions locales, on peut citer les pillages52. On peut aussi penser à l'assassinat des chefs Duala à l'instar de Rudolph Douala Manga Bell, pendu le 08 août 1914. Ebélé Wei rappelle à cet effet que : « Les Duala, [...] sont depuis le grand sacrilège de1914, foncièrement méfiants envers les Blancs...Lesquels, à en croire la vieille rumeur générale, ?vous soutirent tout sans rien vous livrer d'eux? »53.

Ainsi, on comprend pourquoi la société du texte est anti-occidentale en particulier et contre les étrangers en général. Ce comportement tire son fondement de la fierté que ce peuple éprouve pour sa tribu.

50 - Glaudes, Pierre et Reuter, Yves, Le Personnage, Paris, P.U.F., 1998, P.32.

51 - Ebélé, Wei, Le Paradis Tabou : autopsie d'une culture assassinée, Op.Cit,, P.29.

52- Les chasseurs blancs pillent la forêt de Bonakwan (FAM, 5-16).

53- Ebélé, Wei, Op.Cit., P.23.

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Les Bonakwan éprouvent un grand engouement lorsqu'il s'agit de préserver leur identité. Ceci explique les châtiments dont ils accablent ceux d'entre eux qui transgressent les lois. Leurs ancêtres sont des conquérants qui ont pu imposer leur hégémonie dans les localités riveraines. Ils ont glané beaucoup de richesses au cours de leurs conquêtes. Les Bonakwan se sentent le devoir de pérenniser ce dynamisme. Pour ce faire, ils préservent le lien de sang en évitant d'embrasser « n'importe qui ». Le narrateur l'approuve en ces termes :

« Nous étions, dans la proche banlieue de Douala, les descendants de Bilé, fils de Bessengué, cet homme qui avait autrefois étonné toutes les tribus doualas par son incomparable richesse, et qui régna sur la tribu des Akwas `'pendant des siècles», même après sa mort. Nous ne pouvions donc pas `'épouser n'importe qui»» (FAM,13).

Le narcissisme que ce peuple éprouve le porte vers le courage et l'entrain à défendre leurs intérêts. Deux éléments le démontrent : la pression que Moudiki exerce sur le chef Mbaka pour qu'il revendique un dédommagement des singes que les colons pillent et le challenge que Mbenda oppose aux Blancs afin qu'ils cèdent à la doléance.

La forêt de Bonakwan est pillée sans contrepartie par les chasseurs blancs qui y pratiquent leur activité tous les dimanches. Cette situation irrite les autochtones qui se sentent dépossédés indûment de leurs biens et ridiculisés dans leur fierté. Moudiki est le premier à manifester son ras-le-bol en exigeant au chef Mbaka de réclamer un dédommagement. Après une vive dispute motivée par l'hésitation du chef qui évalue les risques d'une telle action puisqu'il s'agit quand même de s'opposer aux Blancs, donc aux Maîtres, Moudiki finit par convaincre son vis-à-vis en affirmant :

« Chef Mbaka, j'ai toujours eu l'impression que ton sens pratique n'était pas placé au bon endroit, mais cette fois-ci, je crois que je ne me trompe pas. Je vais t'expliquer ce que je veux dire : ces gens-là ce ne sont pas des gens de chez nous ; ce sont des étrangers. S'ils viennent chasser ici, nous ne pouvons pas leur permettre de le faire gratuitement. Ils devraient payer quelque chose... » (FAM, 7).

La seconde action revendicatrice est posée par Mbenda. Dans un affront ouvert, il défie les chasseurs qui s'entêtent à ne pas plier l'échine. La pression de Moudiki décide le chef qui formule finalement la doléance de la communauté aux colons. Mais ceux-ci refusent de céder :

« Tu ne l'auras pas, ton sel54 pour la tribu. Nous ne vous devons rien. Nous venons ici chasser des singes qui n'appartiennent à personne. D'ailleurs sans nous et nos fusils,

54- Le locuteur parle de sel parce que dans sa requête, le Chef Mbaka a réclamé de l'argent pour acheter du sel pour la communauté (FAM, 11).

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la colonie des singes de votre forêt vous causerait bien du tort jusque dans votre village. Nous sommes des bienfaiteurs, et c'est vous, au contraire, qui devriez penser à nous payer quelque chose, au lieu de nous faire perdre notre temps alors que nous avons faim... » (FAM, 13).

Cette réaction irrite profondément Mbenda qui sort de sa réserve. Il le confirme en déclarant :

« Vous faire perdre votre temps ? Parce que vous avez des fusils, vous croyez que nous aurons peur de vous demander de nous dédommager si vous venez chasser dans notre forêt ? Eh bien, je vous déclare que vous ne partirez pas d'ici avec ces singes, si vous ne faites pas comme vous le demande le chef Mbaka... » (FAM, 14).

La dureté du ton de ce propos traduit le souci de défendre l'orgueil et l'identité transmis par les ancêtres. L'intérêt porté à la défense du patrimoine communautaire est si grand que tout le village se désole de l'attitude d'Agatha qui a eu l'impudence d'aller avec « n'importe qui ». Le narrateur l'approuve :

« Personne chez nous ne lui pardonnait. [...] Elle avait été une affaire dégoûtante. Je me souviens, en entendant Maa Médi me [...] rappeler [l'histoire], de la honte que nous avions tous eues à l'idée qu'une descendance de Bilé, fils de Bessengué, s'était abaissée à ce point, entraînant dans l'ignominie le souvenir de l'ancêtre irremplaçable. [...] c'est vrai, Maa, dis-je, c'est vrai, j'avais oublié tout cela » (FAM, 22).

Il est donc clair que les Bonakwan éprouvent une grande fierté d'eux-mêmes. Ceci se matérialise par le narcissisme et l'entrain à défendre le patrimoine ancestral qui les caractérisent. Ces attitudes particularisent l'endogamie car cette institution préserve l'identité. On comprend alors pourquoi les méfaits d'Agatha lui valent une punition.

Force est de constater que les relations intimes avec un étranger sont proscrites dans l'univers de notre corpus. C'est pour cette raison que la « justiciable »55 est vivement raillée. Maa Médi est la première qui manifeste son mépris lorsque, évoquant l'aventure avec Headman, elle avance : « Dis moi qu'elle n'est pas [une fille perdue] » (FAM, 21).

Tout le village, à travers les rires de moquerie de Dooh et ses amis, se joint à elle pour accabler Agatha. Cette désapprobation se manifeste au lieu où l'automobile bleue s'est

55- Bremond, Claude, Op.Cit., PP. 66-82 (Les justiciables, selon la terminologie de Bremond, sont les mis en cause dans la violation d'un interdit).

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embourbée, à la suite de l'outrage de la coupable. Cette réaction suscite la dérision que le narrateur décrit ainsi : « Et la foule moqueuse se mit à rire, rire jusqu'au point de décontenancer Agatha... » (FAM, 150). Dans un autre contexte, on aurait vu les villageois affichant un regard envieux à l'égard de leur congénère et ceci à cause du confort dans lequel elle se retrouve. Que non ! Ils la vilipendent au contraire.

Agatha, de même que sa lignée, est aussi mise en quarantaine. Le fait qu'elle soit allée avec Headman est si honteux et humiliant que les descendants de Bilé se désolidarisent de l'arbre généalogique qui unit leur lignée à celle de la traître :

« Dans notre village, nous étions consolés en nous disant qu'après tout, les gens de chez Agatha appartenaient à une branche de l'arbre généalogique tout à fait différente de celle dont nous étions descendus. Nous avions tenu bon dans cette façon d'expliquer les `' [bêtises] des filles de Bonakamé» et face à cette philosophie... de fuite, nous en étions peu à peu arrivés à considérer que le scandale ne nous regardait que de loin » (FAM, 22).

En somme, les contacts intimes avec un étranger sont des liaisons dangereuses dans le roman de Bebey. L'endogamie que l'intrigue promeut vise à sélectionner les conjoints à épouser.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus