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La transgression des lois du mariage dans " le fils d'Agatha Moudio " de Francis Bebey

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par Arnaud Tcheutou
Université de Douala - Cameroun - Maitrise 2007
  

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V.3- Les secondes noces en guise d'expédient.

Dans le but de détourner l'attention des siens, Mbenda prend Agatha en secondes noces. Il adopte cette stratégie parce qu'elle lui permettrait de se passer de Fanny sans que ses détracteurs ne s'en aperçoivent. On se rappelle que la tante de cette dernière l'a emmenée un soir, chacune d'elle chargée d'une grande valise, chez son concubin sans que celui-ci s'y attende. Mais on ne pouvait parler en ce moment de mariage puisque l'union ne s'était pas passée selon les canons traditionnels. Le narrateur s'en souvient :

« En effet vous vous rappelez dans quelles circonstances j'ai fini par épouser Agatha Moudio. Vous savez comment elle-même était venue s'installer chez moi, à un moment où je ne l'attendais plus, d'ailleurs [...] vous vous en souvenez. Et lorsqu'elle vint chez moi un [...] soir, avec ses deux lourdes valises et accompagnée par sa tante, elle se maria à la manière d'une fille tout à fait libre de ses mouvements et de ses actes. » (FAM, 197).

Mais la relation est normalisée peu après la sortie de prison du père de la concubine. Ayant constaté, après sa détention, que sa fille est « mariée », ce dernier réclame des présents qui tiennent lieu de dot :

« Dès le retour de Moudio, aussitôt qu'il apprit que sa fille était mariée, il s'empressa de venir me voir ; pour me souhaiter `' un bon mariage avec sa fille», et me demander ce que je comptais faire à l'avenir. Cela voulait dire tout simplement que je devais envisager l'avenir avec beaucoup de bouteilles et de cadeaux destinés à mon beau-père : - Comment ? Tu me prends ma fille, et je n'ai même pas bu une gorgée `' d'eau `' ? Me demanda Moudio. » (FAM, 197-198).

Les cérémonies de pourparlers en vue de donner ou de prendre une fille en mariage ne nécessitent pas toujours, dans le contexte africain, la présence de tous les parents des deux parties. Un seul individu, surtout du côté du prétendant, suffit pour représenter les autres. On

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peut considérer que le roi Salomon, qui accompagne Mbenda pour aller remettre les cadeaux au père d'Agatha, est le représentant des autres anciens de leur village. Le plus important, lors de ce type de négociations, c'est la dot. Mbenda explique la démarche qui les a conduits à normaliser sa relation avec la fille de Moudio:

« C'est ainsi que le jour même, j'achetai un pagne long et large, ainsi que deux bouteilles d'eau d'écosse, de la célèbre marque Johnny Walker. Le soir, j'appelai le roi Salomon, et ensemble, nous allâmes voir Moudio [...] » (FAM, 198).

Celui qui respecte cette démarche se sent soulagé, fier d'avoir suivi les voies de la légitimation. Il n'est plus considéré comme un « voleur de femme » ou celui qui a pris « une fille perdu ». C'est ce qui arrive au narrateur.

« Je venais de gagner la partie. Je savais que désormais, personne dans ce village ne me refuserait d'être le mari d'Agatha. [...] aussi, lorsqu'à son retour Moudio vint me voir pour me demander `' une gorgée d'eau», considérai-je sa démarche comme un véritable soulagement pour moi, plutôt qu'un devoir à accomplir. La preuve était faite à présent que je n'épousais pas `' une fille n'appartenant à personne», comme des gens l'avaient dit volontiers chez nous. J'étais heureux d'aller lui offrir les cadeaux que le roi Salomon et moi avions apportés. » (FAM, 200-201).

La consécration de ce mariage se confirme lorsque la famille de la fille exige qu'il verse une somme d'argent, devant servir de montant de la dot, comme participation aux festivités célébrant le retour de Moudio :

« Mon beau-père alla plus loin que je ne l'avais prévu, car lui et ses gens m'obligèrent, en outre, à contribuer en argent à la préparation des festivités qui allaient avoir lieu pour saluer son retour au pays natal. Lorsqu'il surent que j'allais le faire, ces braves gens de Bonakamé se croisèrent les bras, en se disant que [...] ma contribution pouvait équivaloir à la dot que j'aurais dù normalement payer pour prendre Agatha... » (FAM, 201).

Il n'est pas donc erroné de parler de polygamie en ce qui concerne la situation matrimoniale de la Loi. Puisque, si son mariage avec Agatha est caractérisé de factice au début, il se normalise par la suite comme nous venons de le démontrer. Seulement, cette bigamie est un acte de désobéissance qui vise à léser l'épouse choisie par le père. Il épouse Agatha parce qu'il ne considère pas Fanny comme sa femme. Les déboires qu'il rencontre dans son ménage à trois justifient son mal-être.

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De bout en bout, La Loi se distingue dans le récit comme le personnage le plus récalcitrant. Son refus d'épouser la fille que son père a choisie avant de mourir lui est grandement préjudiciable. La stérilité dont il est victime est la matérialisation de la malédiction dont il est victime. Dans un milieu où la procréation constitue la raison d'être de tout individu et même de tout mariage, Mbenda n'a pas fait d'enfant bien qu'il ait épousé deux femmes fécondes. Ses deux mariages s'avèrent donc inutiles. Son rêve de procréation, comme le souligne Ndachi Tagne56, ne se réalise pas quand on sait combien compte l'enfantement dans son environnement. L'enfant assure l'intégrité, la pérennité de l'espèce humaine et même l'immortalité. Les recherches de l'anthropologue américain Bohannan, menées sur les cultures africaines, valident cette affirmation :

« Ce n'est qu'en mettant au monde un enfant qu'une femme devient authentiquement membre du groupe de parenté de son mari, et ce n'est qu'à la naissance de l'enfant qu'un homme est assuré de "l'immortalité" d'une position dans la généalogie de sa lignée, ou même de sécurité et d'estime auprès des membres les plus importants de sa communauté »57.

Eboumbou, un des amis de Mbenda, soutient cette idée. En réaction à Ekéké58 qui condamne la polygamie parce que, dit-il, elle nécessite beaucoup de dépenses ; car entretenir plusieurs femmes n'est pas facile, il déclare : « Il ne s'agit pas de les entretenir, [...], il s'agit simplement de leur donner la chance de mener une vie de femme : être dans un foyer, y faire des enfants pour la continuation nécessaire de l'espèce humaine... » (FAM, 185). Ce propos encourage et célèbre la polygamie parce qu'elle permet d'avoir un maximum d'enfants. Ce qui n'est pas le cas pour La Loi. Son infertilité est un signe de colère de ses ancêtres, représentés par son défunt père.

L'importance de l'enfant dans le texte peut également être considéré comme un élément justificatif de la stérilité de Mbenda. Puisque dans un contexte où la progéniture assure l'intégrité et une valeur sociale, la stérilité s'apparente à la mort. David Ndachi Tagne s'inscrit dans cette vision lorsqu'il pense que :

« Le caractère sacré de l'enfant en tant que signe de vie dans une famille apparaît clairement dans le roman camerounais, que le site soit exclusivement le village ou la ville

56- Confer introduction.

57- Bohannan, Paul, L'Afrique et les Africains, Paris, Editions Inter-Nationales, 1969, P.240.

58- Ekéké est lui aussi un ami et même un cousin de Mbenda (FAM, 184).

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ou à cheval entre les deux univers. Un [homme] n'a-t-il pas d'enfant que cela apparaît comme une malédiction qu'il faut conjurer par tous les moyens. »59.

Ebélé Wei partage ce point de vue lorsqu'il atteste que, chez les Duala, la naissance fait partie des cinq missions ou fonctions du corps, et par conséquent d'un homme60. Pour être plus précis, Ndachi Tagne s'inscrit dans cette logique et affine sa pensée quand il déclare:

« Si l'on s'oppose au mariage de Mbenda avec Agatha, c'est qu'elle a jusque-là mené une vie désinvolte qui risquerait de l'empêcher d'avoir des enfants. [...]. Le drame de Mbenda dans Le Fils d'Agatha Moudio, c'est que Fanny - qu'il considérait comme étant trop jeune - et Agatha qu'il épouse en secondes noces lui produiront toutes des enfants adultérins. »61.

Le dépaysement du fils de Maa Médi à la fin du récit est donc compréhensible : malgré son statut de polygame, il n'a pas procréé. Il a été prouvé qu'il n'est pas le géniteur des deux enfants qui ont vu le jour dans son foyer. Le premier, à savoir la fille de Fanny, a pour père Toko. Le second qui est un mulâtre est celui d'un Blanc. L'amertume dans laquelle la dernière naissance le plonge, justifie son désenchantement. Après la naissance du fils d'Agatha, il est invité à attendre un mois pour voir si cet enfant prendrait la « couleur définitive » (FAM, 206). Cette invitation l'excite vivement : « Encore une fois, les événements me forçaient ainsi à tourner mes yeux vers l'avenir. `' Mais quand donc vivrai-je le présent complet ?» [Pensa-t-il] avec amertume » (FAM, 205). Il dit « encore une fois » parce qu'après la naissance de Adèle, le roi Salomon l'avait consolé en lui faisant croire que : « mon fils, un enfant est un enfant, [...]. Un enfant, c'est avant tout ce qu'il sera demain. Je te répète, les yeux n'ont pas besoin de regarder derrière... » (FAM, 146).

Pourtant, cette fois-ci, la situation est plus douloureuse à supporter. C'est avec beaucoup d'angoisse et d'anxiété qu'il s'en va rechercher du réconfort auprès de Salomon. Après la confirmation de la mère Mauvais-Regard du fait qu'il n'est pas le père de l'enfant d'Agatha, il raconte : « Je m'en allai, la tête lourde, répéter au roi Salomon ce que je venais d'apprendre. Que faire ? Lui demandai-je » (FAM, 206). Les conseils et le réconfort que Salomon lui apporte à la fin du récit montre qu'il est abattu :

59- Ndachi Tagne, David, Roman et réalités camerounaises, Op.Cit., P.126.

60- Ebélé, Wei, Op.Cit., P.58.

61- Ndachi Tagne, David, Op.Cit., P.126.

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« Allons, fils, remets-toi, [...] ; et puis regarde donc les choses en face. Tu n'as pas le droit de te laisser abattre ainsi, toi. La Loi, le plus fort des jeunes gens de chez nous. Et puis, tu sais, qu'il vienne du ciel ou de l'enfer, un enfant c'est toujours un enfant. » (FAM, 207).

Deux raisons peuvent justifier le dépaysement de l'insoumis : d'abord l'adultère de ses épouses certes, ensuite et surtout la stérilité dont-il est victime à la fin de son aventure. Il s'en tire d'ailleurs comme le grand perdant. Il se souvient amèrement des propos maléfiques tenus à son encontre par sa mère après qu'il engage une vie de concubinage avec Agatha : « Mon fils, me répétait-elle, c'est moi qui te le dis, cette femme-là...elle t'en fera voir de toutes les couleurs » (FAM, 208). Sa malédiction n'est pas seulement le fait de Maa Médi ; la providence s'acharne aussi contre lui. Il pense qu'il a été « trompé par le sort » (FAM, 208). La Loi est donc victime d'une ironie du sort. Les regrets qui clôturent l'intrigue sont une leçon qui invite les uns et les autres à l'obéissance et surtout au respect du choix d'un conjoint fait par un parent.

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera