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La transgression des lois du mariage dans " le fils d'Agatha Moudio " de Francis Bebey

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par Arnaud Tcheutou
Université de Douala - Cameroun - Maitrise 2007
  

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CONCLUSION GENERALE.

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En conclusion générale, on constate que Francis Bebey laisse transparaître son traditionalisme dans Le Fils d'Agatha Moudio à travers les sanctions auxquelles il soumet les personnages qui enfreignent les lois coutumières. Dans un style hautement humoristique, il peint les ambiguïtés qui se sont installées dans sa société au lendemain de l'indépendance de son pays, le Cameroun. Il s'inscrit dans le sillage des auteurs, à l'instar de Josette Ackad et David Ndachi Tagne, qui estiment que le contact entre le Blanc et le Noir est la cause de l'immixtion de la thématique de la transgression dans les oeuvres africaines. La colonisation impose aux Africains, notamment les Sawa, les valeurs occidentales. Les cultures d'accueil se trouvent dans une impasse où elles sont menacées d'annihilation. L'écrivain se fait donc l'écho de ces traditions si séculaires, en vouant à la déchéance les personnages qui ne s'y conforment pas.

L'analyse de la question de la transgression des lois du mariage à travers la trilogie « Interdiction - Violation - Conséquence » a été bénéfique à double titre : d'abord elle a permis de mettre ce travail en marge de la mêlée des critiques qui perçoivent ce thème comme une séquelle de la colonisation ; ensuite elle a permis d'analyser le fonctionnement de ce phénomène à travers l'oeuvre qui a servi de corpus. Car l'hypothèse, à savoir la transgression des lois du mariage est le motif de la dégradation des personnages, exige non seulement de démontrer l'enracinement de l'oeuvre dans la culture de l'auteur, notamment la culture sawa, mais aussi, de décrire les rapports entre les personnages, d'évaluer ceux-ci et d'étudier l'enchaînement de leurs actions. D'où la convocation des grilles telles que la sémiotique et la sémiologie d'une part et le structuralisme génétique d'autre part.

L'intérêt scientifique d'une telle recherche est double. Le sujet traitant d'une préoccupation d'emblée anthropologique, livre aux chercheurs dans ce domaine des rudiments culturels devant leur permettre de fonder leur recherche. Surtout pour ceux qui travaillent sur la culture Sawa. Les littéraires qui s'intéressent eux aussi à la thématique de la transgression, pourront trouver dans ce mémoire les orientations méthodologiques utiles à leur recherche.

L'organisation de ce travail en deux parties a permis de sérier les valeurs transgressées en deux catégories. La première invite à la discipline des comportements sexuels individuels. Elle traite des lois qui sont plus souples et moins contraignantes, c'est-à-dire des lois dont le respect dépend du libre-arbitre. Dans cette logique, l'analyse s'est premièrement intéressée à la stabilité des conjoints dans le flirt. Le chapitre qui traite de cette valeur permet d'établir le distinguo entre l'instabilité d'un marié (l'infidélité) et celle d'un célibataire (la frivolité). Il a été question ici de

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montrer que la frivolité est condamnée même quand les personnages ne sont pas mariés. Le deuxième chapitre s'est attelé à démontrer que la virginité de la jeune fille avant le mariage est recommandée. Le troisième argumente l'éloge de la fidélité auquel l'oeuvre se livre. Le souci de ce chapitre est donc de récuser l'infidélité. En clair, l'oeuvre condamne les personnages frivoles, ceux qui forniquent et ceux qui sont infidèles. La deuxième partie, quant à elle, interroge les lois plus coercitives en raison du fait qu'elles ne dépendent pas du self-control. Il s'agit de prouver l'implication absolue de la communauté dans la dynamique des noces. Les valeurs examinées ici démontrent qu'aucun mariage ne peut être fait sans l'implication de la société et surtout des ascendants. Car en Afrique, ce sont les familles qui se marient et non les individus. Ces lois exaltent l'endogamie et le respect du choix d'un parent. Leur étude, respectivement faite aux chapitres quatre et cinq, donne à constater que le texte condamne l'exogamie et la contestation du conjoint choisi par un parent. Il urge de signaler que la démarche discursive utilisée est le raisonnement par l'absurde.

Les principaux coupables sont Agatha et Mbenda. Mais c'est le cas de ce dernier qui est le plus marquant. Car en plus du fait qu'il soit le personnage principal et le narrateur, les paradoxes que dégagent son être et son faire, donnent à l'oeuvre tout son sens. Le premier dérive de l'inadéquation entre ses actions et la signification de son nom. « Mbenda » signifie « La Loi ». Ainsi on se serait attendu que ce personnage incarne l'honnêteté, la justice et le respect de la norme, fort du principe de corrélation qui doit exister entre le nom et la destinée. Balzac commente ainsi ce principe :

« Il [existe] une certaine harmonie entre la personne et le nom. [...] Je ne voudrais pas prendre sur moi d'affirmer que les noms n'exercent aucune influence sur la destinée. Entre le fait de la vie et les noms des hommes, il est de secrètes et d'inexplicables concordances [...] visibles qui surprennent... »62.

Or Mbenda se distingue plutôt par son hypocrisie, sa désobéissance, son anticonformisme et son anti-loyalisme.

Le deuxième contraste se dégage du noeud et du dénouement de l'intrigue. La lecture de l'oeuvre à travers les approches susdites, donne à constater que malgré le caractère homo- et intra-diégétique du narrateur, la subjectivité de ses opinions ne domine pas, ni n'épouse celle de l'auteur. La preuve, en tant que créateur de son intrigue, ce dernier a voulu que le parcours de

62- Glaudes, Pierre et Reuter, Yves, Op.Cit., PP. 62-63.

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son personnage principal, le narrateur, soit progressivement dégradant au point de donner lieu à une déchéance totale. Contrairement à ce qui transparaît très souvent lorsque le narrateur est intra- et homo-diégétique, les points de vue de Mbenda, puisqu'il s'agit de lui, contrastent avec ceux de l'auteur et par conséquent, ne constituent pas des enseignements. La désacralisation de La Loi à la fin du récit le postule comme un « personnage négatif »63. Le résumé de son anti-héroïsme peut être appréhendé à travers le contraste entre le début et la fin de l'intrigue.

Le culte que la tribu lui voue à l'incipit, est une marque de sympathie et de gratitude qui témoigne du grand amour et de la parfaite harmonie qui les unit. La loyauté et la justice qui lui sont reconnues le consacrent comme un être intègre. Si du fait qu'il n'est pas chef, il ne règne pas sur plusieurs villages comme ses antres, il n'est pas à exclure l'hégémonie dont jouit son village sur les autres grâce à sa force musculaire. Les parties de lutte remportées - quand on sait combien compte cette épreuve dans les villages d'Afrique - justifient fort opportunément sa mythification. Ses exploits et son sacre sont ainsi peints par lui :

« Tous les habitants de notre village étaient fiers de moi. Pensez donc : pour eux, je représentais des temps disparus depuis longtemps dans la nuit sombre des ans et de l'injustice. J'étais un vrai fils de Bilé fils de Bessengué, j'étais le fils de ce village qui comptait un certain nombre de faits glorieux dans son passé. Du reste, depuis trois ou quatre ans, les yeux de tout le monde étaient braqués sur moi : les parties de luttes engagées avec les villages des alentours m'avaient donné l'occasion de prouver ma force musculaire, et j'étais en train d'entrer peu à peu dans la légende, tout comme les grands lutteurs de chez nous qui m'avaient précédés » (FAM, 14).

Comme le démontre cette illustration, les rapports entre Mbenda et les siens sont excellents au début de l'intrigue. Rien ne projette un signe de dysharmonie et de distorsion entre les relations. Pourtant l'héroïsme du personnage, du fait d'une conduite anti-conformiste, va glisser pour le laisser échoir à la décadence et la disgrâce. Les raisons de cette dégradation sont à chercher dans la violation de l'ordre établi. La malédiction dont il est victime en est la conséquence la plus saisissante. Elle réprime la transgression de la dernière volonté de son défunt père. Celui-ci, en mourant, a pris la peine de marier son unique fils. Malheureusement ce dernier a contesté son choix malgré les conseils de sa mère. Ce qui lui a valu un mariage angoissant et surtout sa stérilité, alors qu'il a épousé deux femmes fécondes. Et que lui-même n'est pas déclaré infertile. La première, Fanny ; celle choisie par son père, et qu'il « épouse » à regret et malgré lui, a fait un enfant adultérin avec son ami intime Toko. La seconde, Agatha

63- Ibid, PP. 35-36.

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Moudio, celle qu'il aime vraiment alors qu'elle est détestée par tout le monde, fait un enfant mulâtre.

L'attitude de sa mère de même que celle des autres à son égard, au dénouement, n'est pas des plus réconfortants. Devant le sort qui éclabousse son fils tout en lui extirpant la fierté d'être finalement grand-mère, Maa Médi reste silencieuse et pantoise. La naissance, une fois de plus, dans le foyer de son fils, d'un enfant adultérin, et de surcroît d'un métisse, l'assomme littéralement. Elle est, peut-on le dire, dépassée par les évènements et le silence en est la meilleure forme d'expression. Elle n'est pas seule à s'émouvoir, tout le village se sent aussi accablé :

« Il était là, tout blanc, avec de longs cheveux défrisés. Agatha me regarda et baissa les yeux. Elle ne savait que dire, Maa Médi non plus, Fanny non plus. Aucune d'entre elles n'avait attendu un enfant aussi tout blanc. Dans le village on se perdait en conjecture à propos de l'enfant d'Agatha... » (FAM, 204).

Pourtant au début de l'intrigue, la fierté de la mère pour son brillant et vaillant garçon n'est pas à démontrer. Les conseils qu'elle lui prodigue sans cesse témoignent de la solide harmonie qui les unit. Il l'approuve lui-même :

« J'étais un homme courageux et l'orgueil de ma mère à qui l'on rapportait que j'étais le plus fort des pécheurs de mon âge. Et depuis qu'elle me considérait comme un homme un homme véritable, Maa Médi se faisait de moi une image qu'elle voulait immuable :»que je demeure brave et honnête» » (FAM, 24).

Le contraste relevé entre l'incipit et le dénouement du récit fait penser à une ironie du sort dont est victime le personnage principal de Francis Bebey. Ces deux contrastes s'apparentent à la différence de sens qui est créatrice de sens selon les sémioticiens. Car c'est dans cette ambiguïté que se dégage la vision réelle de l'oeuvre et, qui dans le cas d'espèce, est une vision traditionaliste. A cet effet, notre étude valide les thèses de Glaudes et Reuter selon lesquelles :

« Aucun récit n'est absolument `'neutre», car il propose une certaine représentation de la réalité, parmi d'autres possibles ,
· à ce titre, il porte les marques d'une vision du monde, qu'elles soient manifestes ou latentes ,
· ces marques textuelles peuvent être analysées avec les instruments de la linguistique et de la sémiotique ,
· elles se concentrent pour une bonne part sur ces objets sémiologiques. Complexes que sont les personnages, dans la mesure où ils figurent - directement ou indirectement - des sujets, leurs conduites, leurs rapports aux autres et au monde. »
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64 Glaudes, Pierre et Reuter, Yves, Le Personnage, Ibid, PP. 63-64.

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Tout compte fait, Le Fils d'Agatha Moudio est un hymne à l'obéissance. C'est le culte du respect inconditionnel des lois et normes qui régissent la société traditionnelle.

BIBLIOGRAPHIE.

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I- CORPUS

1- Bebey, Francis, Le Fils d'Agatha Moudio, Yaoundé, Editions Clé, 2001, Réedition.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote