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Les enjeux socio-politiques autour de la gestion de la radio communautaire de Kandi dans le contexte de la décentralisation

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par Adioh Daouda TIDJANI
Université d'Abomey-Calavi - Diplôme d'Etudes Approfondies (DEA) 2016
  

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ABSTRACT

The issues surrounding the management of community radio in Kandi FM focus on the sociopolitical instrumentalisation of Kandi FM. The various aspects of this phenomenon are analyzed in the various interactions around the management of this radio and their implications for local development. Thus, it is specifically a matter of identifying the political factors, describing and analyzing both the concrete and daily management of radio and the conditions for its real contribution to local development. To this effect, in an interactionist approach combined with the systemic approach, the logics of the actors in their roles, games and strategies are apprehended. In addition, documentary research, interviewing and observation revealed that the conflict, which undermines this radio, is essentially linked to paternity and leadership. Then the question of ethnicity appears as a criterion of management and ignores competence. The absence of the latter favors clientelist and paternalistic relations, sponsorship and the influence of political networks. These situations prevent this radio from effectively contributing to local development.

Key words: political issues- community radios- ethnicity-conflicts-Kandi.

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INTRODUCTION

A l'ère de la globalisation, des entreprises médiatiques colossales se sont constituées, s'appropriant les moyens de communication et de production de l'information. L'appropriation et le contrôle des médias sont désormais un enjeu majeur, car ils sont devenus une arme. Ce faisant ils affirment leur « quatrième pouvoir » pour le pire et le meilleur (TEDESCO, 2008).

Dans ce contexte de globalisation, de développement et de réduction des coûts des technologies pour la communication, plusieurs médias alternatifs ont vu le jour afin de permettre à la population de se réapproprier les moyens de communication autrefois confisqués. C'est ainsi que, sous l'impulsion des grands mouvements de démocratisation, la radio communautaire a connu un essor mondial dans les années 1990.

Au Bénin, la radio représente le média classique de premier plan. Elle sert de source d'information et de divertissement. Dans ce pays à population majoritairement analphabète (plus 60%)1, les stations de radio ont connu un grand succès, depuis la libéralisation de l'espace audiovisuel intervenue au cours de l'année 1997. Dès lors, le paysage audiovisuel s'est enrichi de plusieurs nouvelles stations radios communautaires, religieuses et commerciales (GRÄTZ, 2011 ; 2014) .

La radio a connu dès sa naissance, la mondialisation. C'est aussi le média qui s'est le mieux `'africanisé» et qui atteint le mieux les populations des zones rurales. La radio reste le premier média en Afrique (TUDESQ, 2002 ; LIGAGA et al, 2012).

La plupart des stations de radio implantées au Bénin offrent une grande variété d'émissions, comprenant des bulletins d'information, des revues de presse. Mais, il y a également des plages musicales et des émissions en langues

1 La territoriale n°0027-Octobre 2 014, P18.

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nationales. Dorénavant, ce sont surtout les émissions interactives, traitant des sujets d'actualité ou des faits de société et des jeux radiophoniques qui suscitent de plus en plus l'intérêt des populations. La plupart des stations offrent une grille de programmes assez diversifiés.

Mais, depuis quelques années, on assiste à une spécialisation de certaines stations de radios. Il s'agit de : la radio Banigansé de Banikoara, avec son slogan « libérer la parole paysanne » ; la radio communautaire de Kandi avec pour slogan « Kandi FM, au coeur du développement communautaire ».

A ce propos, les seules chaînes de radio nationales souvent contraintes à fournir des messages « tout public », et les radios privées commerciales, qui cherchent de façon impérative à couvrir leurs charges de production et à dégager de bénéfices, grâce aux nombreux espaces publicitaires et autres, ne suffisent pas.

Les radios communautaires semblent, se révéler comme celles avec lesquelles les populations peuvent compter. Elles bénéficient a priori d'un bon crédit en ce sens qu'elles offrent un cadre idéal pour la satisfaction des besoins des populations en matière d'information et disposent de mécanisme de gestion qui prévoit leur implication. C'est la raison pour laquelle, ces radios communautaires font sans cesse partie des préoccupations des partenaires au développement2. Elles s'inscrivent aujourd'hui plus que jamais dans la problématique du développement durable des pays. Cette préoccupation est d'autant plus cruciale pour le Bénin que les populations y sont de plus en plus amenées à assumer à l'échelle locale, une responsabilité croissante pour leur mieux-être face à un environnement mondial en évolution très rapide (EDAH, 2002).

À la faveur de la décentralisation et du vote de la loi 97-010 du 20 août 1997, portant libéralisation de l'espace audiovisuel, des radios et télévisions privées

2 L' Assertion `' partenaires au développement» doit être ici prise dans son sens le plus large et concerne les pouvoirs publics, les institutions et organismes de développement multilatéraux et bilatéraux, les communautés à la base etc (Clément EDAH, 2002).

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ont été initiées dans nombre de localités béninoises. Ainsi, le besoin de s'informer garanti par le droit à l'information, a conduit les acteurs de développement de la commune de Kandi, notamment l'association de développement, IRI - BONSE, l'ensemble des organisations paysannes de la commune et l'administration communale naissante, à travailler en synergie pour la création en 2004 d'une radio communautaire dénommée KANDI FM. Ceci s'est matérialisé à travers l'attribution de la fréquence (102.9MHZ) par la Haute Autorité de l'Audiovisuelle et de la Communication (HAAC). A cet effet, une convention a été signée entre la HAAC et l'association de développement IRI - BONSE. Dès lors, la Commune de Kandi dispose d'un outil de communication, d'une radio communautaire (GUININ ASSO, 2008-2009). Comment les considérations socio-politiques influencent-elles la gestion de la radio communautaire de Kandi FM ?

C'est à ces différentes questions que la présente étude tente d'apporter des réponses. Elle se structure en deux (02) parties. La première partie est consacrée aux perspectives théoriques et cadre de l'étude. Elle comporte deux (02) chapitres. La seconde partie composée de deux (02) chapitres traite des enjeux politiques et d'interactions autour de la gestion de la radio communautaire de Kandi.

NIGER

BURKINA FASO

Kandi

NIGERIA

TOGO

LEGENDE

Radios communautaires et assimilées

Radios rurales locales Radios commerciales Radios religieuses ORTB

2 Radios ORTB,

6 Radios commerciales

3 Radios Religieuses

OCEAN ATLANTIQUE

Réalisation : Sahadou ZATO ALI. Décembre 2007

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Figure 1 : Répartition des radios rurales et communautaires au Bénin

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Cette figure décrit le paysage médiatique, spécifiquement les radios installées à travers le pays jusqu'en 2007.

On y dénombre 31 Radios Communautaires et Assimilées (RCA), 13 Radios Commerciales (RC) et 07 Radios Religieuses (RR). Quant aux Radios Rurales Locales (RRL), elles sont au nombre de 05 au cours de la même période. Ces radios sont implantées dans les communes de : Banikoara, Tanguiéta, Ouaké, Ouèssè et Lalo.

THEORIQUES ET CADRE DE L'ETUDE

PREMIERE PARTIE : PERSPECTIVES

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1ère PARTIE : PERSPECTIVES THEORIQUES ET CADRE DE

L'ETUDE

La première partie de notre travail aborde en un premier temps les considérations théoriques. Elle met en exergue les perspectives socio-anthropologiques. En un second temps, elle décrit la méthodologie de recherche adoptée.

CHAPITRE 1 : CONSIDERATIONS THEORIQUES DE L'ETUDE DES
ENJEUX POLITIQUES

Dans ce chapitre, j'aborde les questions théoriques préliminaires à l'étude des enjeux politiques autour de la gestion de la radio communautaire de Kandi FM. Un accent particulier est mis sur les dynamiques qu'elle engendre à l'échelle locale.

I- Problématique

Depuis 1944, Paul LAZARSFELD était le premier à mettre en évidence l'articulation qui pouvait exister entre les médias et les réseaux sociaux d'influence.

Par contre c'est autour des années 60 qu'en France, la sociologie investit le

domaine de l'information entraînant ainsi l'émergence de la sociologie des médias (ETIENNE et al, 2004 :266). Cette branche disciplinaire a longtemps tâtonné en raison de l'évolution rapide du monde médiatique dont le développement, la diversité, les relations avec le public et le monde politique transforment l'univers. Mais, l'objet de la sociologie des médias demeure la communication (ibid.) qui s'effectue par de nombreux canaux que sont : la presse, la radio, la télévision dont l'ensemble constitue les médias. Elle ne s'est pas orientée vers la dimension politique de ces médias. Pourtant, à l'instar des autres médias, les radios locales comportent une dimension politique importante.

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En vue du rayonnement et de l'ancrage local de ces médias, leur gestion a été confiée aux populations qui produisent ou coproduisent des émissions intégrant les spécificités culturelles et linguistiques dans les programmes. Implantées pour la plupart dans les zones rurales, ces radios permettent l'expression populaire, la proximité avec les animateurs, l'acquisition d'une culture de l'information et du débat, autant de facteurs d'émancipation et de prise de conscience qui sont le fondement de l'identité culturelle (DIAGNE, 2005).

Dans cet immense champ de recherche, la radiodiffusion constitue un lieu privilégié d'observation en Afrique, en raison d'abord du retard qu'accusent les autres médias sur ce terrain et du fait aussi de son adaptation au contexte culturel.

1-1- Problème

Plusieurs pays africains ont accompli des progrès remarquables dans la construction de systèmes de gouvernance démocratiques fondés sur l'égalité des citoyens et leur participation au processus de prise de décisions. L'accès à l'information par un plus grand nombre de citoyens est vital pour le fonctionnement de la démocratie et le développement d'un pays. Le rôle des médias publics comme moyens de diffusion d'informations `'objectives» et de perspectives diverses au profit du public n'est plus à démontrer (WILFRID et FRANCOIS 2013). Ainsi, dans un espace social donné, la radio forge les opinions, guide des comportements et, de ce fait, peut être au coeur de nombreuses stratégies dans des contextes variés.

Compte tenu de sa prépondérance, les mutations que ce média est en train de connaître, méritent bien que l'on y prête une attention particulière. En effet, il recèle de multiples enjeux : enjeux théoriques pour les chercheurs, enjeux socioéconomiques pour les hommes d'action et enjeux politiques pour les pouvoirs publics. Ces derniers enjeux constituent le point central de la présente recherche.

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Les radios communautaires font partie de ce paysage nouveau de la radio. Leur genèse dans le contexte occidental posait déjà le problème du rapport des mass média à la société. Leur adoption en Afrique suscite en plus des précédentes questions des réflexions sur leur rôle, leur survie à long terme ainsi que leurs usages.

Au Bénin, jusqu'à la fin des années quatre-vingt, le paysage audiovisuel était réservé aux seules structures de l'Etat à part les deux quotidiens `'la Gazette du Golf» et `'Tamtam Express». Ces derniers ont couru le risque de paraitre au moment où le régime révolutionnaire était en pleine mutation.

La conférence Nationale des forces vives de la nation de février 1990 a ouvert la voie à la démocratie, et a donné le signal à la pluralité de la presse au Bénin. On note alors la parution de plusieurs titres de la presse écrite. Mais c'est le vote de la loi 97-010 du 20 août 1997, portant libéralisation de l'espace audiovisuel, qui a permis la création des radios et télévisions privées.

Toutefois, l'attribution de la fréquence et la règlementation de la presse au Bénin sont assurées par la Haute Autorité de l'Audiovisuelle et de la Communication (HAAC). Par ailleurs il existe des associations professionnelles telles que le Conseil National du Patronat de la Presse et de l'Audiovisuel (CNPA), l'Union des Professionnels des Médias du Bénin (UPMB) et l'Observatoire de la Déontologie et de l'Ethique des Médias (ODEM).

Les Associations de développement aux lendemains de la Conférence des Forces Vives servaient d'intermédiaire entre l'Etat central et la population dans la perspective de promouvoir le développement local. Mais à partir de 1999, avec le vote de la n°97-028 du 15 janvier1999 portant organisation des Communes en République du Bénin, les Maires ont désormais une légitimité dans la gestion de la cité à travers les élections libres et transparentes. Ainsi, avec le processus de décentralisation déclenché au Bénin depuis 2003, on assiste à une

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reconfiguration de l'arène locale autour de la radio Kandi FM. D'où la complexité des enjeux autour de cet outil de communication.

« Cependant, l'installation et la gestion de la radio représentent bien un enjeu en soi, déterminé par les possibilités de promouvoir des cultures nationales au niveau local, des emplois et positions formelles qui ne sont pas sans importance, surtout s'il s'agit de positions permettant de mieux intervenir à travers une implication dans les affaires publiques, suscitant l'accumulation de savoir et des liens sociaux utiles » (GRÄTZ, 2006 :67).

Les acteurs sociaux s'organisent et s'affrontent pour accéder aux ressources productives et aux fruits de la croissance, ou pour défendre leurs positions

(WINTER, 2001 : 21). Ils le font dans des configurations variables, plus ou moins formelles, plus ou moins légitimes, en fonction des enjeux concernés.

Le terme même de radio communautaire constitue un enjeu autour duquel les radios se livrent une concurrence.

Quels que soient les divers mobiles politiques, religieux, écologiques, socio-économiques ou culturels qui motivent les aides, les objectifs assignés par exemple à l'implantation d'une radio communautaire sont souvent multiples. L'attrait de la radio consiste justement en ce qu'elle permet l'installation d'un système de communication à la confluence des multiples besoins d'une zone géographique déterminée ou d'une communauté donnée. Les enjeux sont à ces points nombreux et interdépendants qu'il est parfois difficile de les identifier clairement.

En ce sens, la radio communautaire devient un enjeu autour duquel s'observe un ensemble de jeux, de logiques conflictuelles, de stratégies de contrôle et de positionnement des acteurs. Car, elle est porteuse d'une dynamique de développement des localités dans laquelle les acteurs sont impliqués. Comme l'affirment CROZIER et FRIEDBERG (1977), l'individu est conduit à développer

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des stratégies, soit dans une optique offensive, en saisissant des opportunités lui permettant d'améliorer sa situation, soit de façon défensive, en maintenant ou en élargissant sa marge de liberté, et par conséquent sa capacité à agir. C'est justement cela qui crée le déphasage observé dans le champ de ce processus.

Dans la perspective de la psychologie sociale expérimentale, pour étudier les médias elle fait appel à deux conceptions du « social », différentes de celles des anthropologues ou des sociologues des médias (Claude et al, 2004 : 11-12). Le social, tel que les individus se le représentent et tel qu'ils l'ont assimilé cognitivement : valeurs, normes, savoirs sur les producteurs, savoir-faire dans les traitements des messages et des inférences des intentions du producteur. Dès lors, on considère que les acteurs sociaux « transportent avec eux le social », qu'ils réagissent et traitent des discours médiatiques en fonction de leurs appartenances et positions sociales. Pour le psychologue, il est donc légitime d'étudier la manière dont un sujet réagit à des discours médiatiques, d'étudier des interactions « virtuelles » où le contenu médiatique est porteur de traces de l'intentionnalité des producteurs, dans un espace d'observation où le sujet est seul et où toutes les variables sont contrôlées.

Dans tous les cas, la radio communautaire pourrait être assimilée à `'un champ de coopération et d'interdépendance entre acteurs avec des intérêts même contradictoires, c'est-à-dire un ensemble de "jeux structurés"(CROZIER et FRIEDBERG, 1977 : 20).

En tant qu'objet de convoitise et instrument de pouvoir, la radio est une entité éminemment politique, a fortiori quand elle prétend être un émulateur communautaire (STEPHANE, 2003 : 131). Elle ne saurait se soustraire aux paradoxes, aux compromis et aux capricieuses incertitudes que cela implique. Contrairement à des projets plus conventionnels, plus exclusivement `'technicistes», un projet de radio communautaire recherche le débat public. C'est de lui qu'elle tire sa reconnaissance, son indépendance et son dynamisme.

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De plus, à l'instar d'autres médias, la radio exige une manipulation délicate. Car elle est un instrument de pouvoir. Lorsque les communautés sollicitent son implantation, si elles ne sont pas entièrement conscientes de ce que peut recouvrir ce pouvoir, elles savent au moins qu'elles détiendront quelque chose que les autres n'auront pas. Un village saura qu'il deviendra un pôle d'attraction pour ses voisins. Une organisation locale promouvant une radio pourra vite être suspectée par les autres de vouloir étendre son influence sur la population. Si son implantation peut se faire en toute innocence, les communautés ne tarderont pas à faire l'expérience des nombreux enjeux d'influence qu'elle concentre. Il est courant que des autorités locales s'étant au départ désintéressées du projet, veuillent ensuite tout mettre en oeuvre pour le contrôler. Cela peut parfois dégénérer au point où les acteurs sociaux en viennent aux mains ou qu'on assiste à la fermeture de la station comme c'est le cas à Kandi FM en 2007.

De nos jours, au niveau local, nombre de Maires aspirent à disposer de radios communautaires dans leurs communes ou prennent eux-mêmes l'initiative d'en créer. C'est le cas des communes de Malanville et de Gogounou qui n'attendent que l'octroi de la fréquence par la HAAC. Les radios permettent de diffuser les communiqués communaux, de rendre compte des rapports d'activités des conseils communaux, de prévenir ou d'atténuer les conflits, d'amener les administrés à débattre des questions de développement sur la gestion des affaires politiques ou d'initier des actions de solidarité, etc. Elles sont une aide précieuse dans l'accomplissement des nouvelles tâches qui leur sont confiées. Toutefois, dans certains cas, elles peuvent être des instruments politiques sur lesquels des acteurs fondent leurs campagnes électorales pour mieux exposer les projets de société en vue de convaincre l'électorat. Pour ces multiples services, des mairies ou des préfectures allouent des subventions aux radios. Certaines se contentent au moins de payer les supports et autres matériels consommables, mais nécessaires aux services qu'elles requièrent. D'autres mettent à disposition des locaux. Cependant, certains refusent de participer sous quelque forme que ce

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soit, sous prétexte que les services dont ils bénéficient sont à destination communautaire. L'argument est également répandu au sein de la population et des ONGs. Faute de donner des subsides aux radios, certaines autorités font tout de même l'effort de les doter occasionnellement de petits matériels de reportage, des dictaphones, des micros, des cassettes, etc. (STEPHANE, 2003 :93).

Dans ce contexte, la question fondamentale qui se pose est la suivante : Comment s'opère le jeu des acteurs autour de la gestion de la radio communautaire et quelles en sont les implications politiques sur le développement de la Commune ?

Pour élucider toutes ces préoccupations et obtenir des réponses aux questions posées, j'ai formulé les objectifs et hypothèses de recherche ci-après.

1-2- Les objectifs de l'étude

Dans le cadre du présent travail de recherche, mes réflexions sont orientées sur la gestion d'une radio de proximité dans le contexte de la décentralisation. Je considère cette gestion comme un enjeu politique.

Dès lors, l'objectif général poursuivi à travers la présente recherche est d'analyser les différentes interactions autour de la gestion de la radio communautaire de Kandi et leurs implications sur le développement local.

Plus spécifiquement, il s'agit de :

- Montrer la contribution de la radio communautaire au développement local ;

- Décrire les relations entre les règles de fonctionnement de la radio et sa gestion ;

- Identifier les facteurs politiques qui entravent la contribution de la radio communautaire au développement local.

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1-3- Les hypothèses de travail

- L'installation de la radio influence la promotion des initiatives locales dans la commune ;

- Le respect des règles de fonctionnement de la radio dépend des interactions autour de sa gestion ;

- Les enjeux politiques s'observent autour de la gestion de la radio communautaire.

1-4- Le cadre conceptuel

Lorsqu'on s'engage à faire un travail sociologique, il est fondamental d'utiliser des « concepts ». Ainsi, selon Becker (2002 : 180) « nous travaillons tous avec des concepts » auxquels il est important d'apporter des essais de clarification. Il s'agit de : interaction-acteurs-groupes stratégiques-conflit et les notions telles que la radio communautaire et la radio locale sont parfois utilisés dans des contextes très variés au point où le sens commun s'interroge sur leur vraie signification.

- Acteur

Crozier & al. (1977) fondent son analyse méthodologique sur l'acteur, qui offre l'occasion de comprendre le rapport entre l'individu et l'organisation. C'est d'ailleurs pour faire remarquer la dépendance de ce dernier par rapport à l'organisation qu'il affirmait que «les acteurs ne sont jamais libres au sein d'une organisation, ils sont récupérés par le système officiel, qui est à son tour corrompu et influencé par les acteurs »

Les acteurs d'un système peuvent être organisés, informels, mais cela ne les empêche pas de jouer entre eux avec le système. Entre autres aspects méthodologiques retenus, y figurent les acteurs impliqués dans une arène. Ils sont en général organisés en réseau selon des configurations qui changent en fonction

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des situations et sans frontière précise (Biershenk & Olivier de Sardan, 1998). A partir du point de vue de ces auteurs et des réalités, cette étude considère l'acteur comme appartenant à plusieurs cercles concentriques d'un milieu social. Les groupes informels ou organisés agissent pour se positionner afin de mieux défendre leurs intérêts. C'est dans cette logique que l'acteur est défini comme étant une personne agissant dans un système (organisé ou informel) et qui de façon directe et indirecte l'influence en même temps qu'il reçoit ses influences. Ainsi, un acteur au cours de cette étude sera toute personne proche ou éloignée qui a une certaine emprise (directe ou indirecte) dans la gestion de la radio.

- Interaction

D'après Madeleine Grawitz (2004) in lexique des sciences sociales, l'interaction est un processus interpersonnel, amenant chez les sujets en contact, des actions et réactions étudiées en particulier entre les membres d'un groupe.

Dans cette perspective, l'interaction consiste en une approche de l'action réciproque, c'est-à-dire d'actions qui se déterminent les unes vis-à-vis des autres dans la séquence de leur occurrence située et dans des relations intersubjectives. Erving Goffman s'intéresse aux situations sociales (avec la définition qu'il en donne dès 1964), aux (occasions de) rencontres, au corps à corps. Et pour Goffman ce qui importe en premier lieu dans l'interaction face-à-face c'est un problème de contact, de gestion de la coprésence, avant d'être un problème d'intercompréhension. Il traite l'interaction comme un ordre de faits descriptibles, sans vouloir nécessairement lui conférer directement une valeur fondamentale dans la production des structures sociales. Dans ce sens et contrairement à Durkheim, Weber (1922) conçoit les faits sociaux comme des interactions entre des comportements individuels obéissant à des motivations et des intérêts qu'il faut reconstituer. Il considère donc chaque individu comme différent, ne réagissant pas de la même manière, même placé dans les mêmes conditions, ainsi il tient compte de la subjectivité des acteurs pour comprendre leurs actions.

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L'interaction m'apparaît alors comme une notion qui offre assez de légitimité et de lisibilité pour aborder la problématique des enjeux socio-politiques autour de la gestion de la radio communautaire.

- Groupe stratégique

Le mot groupe a un sens très vague en sociologie. Il peut être utilisé pour désigner des ensembles en fonction de leur taille, de leur durée d'existence ou de la nature des relations qui existent entre leurs membres. C'est justement dans une démarche pouvant conduire à son dépassement que certains sociologues allemands EVERS et SCHIEL (EVERS et SCHIEL, in OLIVIER de SARDAN, 1995) ont proposé l'alternative que constitue le « groupe stratégique » qui répondait à la logique selon laquelle les groupes socioculturels ne sont pas définitivement constitués.

Les groupes sociaux varient selon les problèmes considérés par un jeu continu d'alliances ou de conflits. Pour reprendre BIERSCHENK et OLIVIER de SARDAN (1998) je dirai que le concept de groupe stratégique suppose que dans toutes les collectivités, les acteurs n'ont ni les mêmes intérêts ni les mêmes représentations et que, suivant les problèmes, les intérêts et les préoccupations s'agrègent difficilement. Suivant le problème qui se pose donc à la collectivité locale, les groupes stratégiques changent de considérations. Il peut y avoir affiliation ou désaffiliation. Tout repose sur la question de savoir « où se trouve mon intérêt ? » le groupe stratégique n'est donc pas un ensemble figé dont on pouvait cerner tous les contours. C'est plutôt : « ...des agrégats sociaux plus empiriques à géométrie variable qui défendent des intérêts communs en particulier par le biais de l'action sociale et politique » (cf BIERSCHENK et OLIVIER de SARDAN, 1998). Et la principale situation qui offre aux groupes stratégiques l'opportunité de se faire remarquer est celle du conflit.

- Conflit

Le conflit peut être entendu comme la rencontre d'éléments, de sentiments ou d'intérêts divergents. Les conflits sont définis comme les manifestations

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d'antagonisme ouvert entre deux acteurs (individuels ou collectifs) aux intérêts momentanément incompatibles quant à la possession ou la gestion de biens rares matériels ou symboliques (BOUDON et al. 1993). D'un point de vue théorique, trois (03) niveaux d'analyse sont à remarquer ; à partir des travaux anthropologiques qui ont été menés sur le concept :

? le niveau empirique qui renvoie à l'idée que toute société est traversée par des conflits ;

? le point de vue structuraliste qui postule l'idée que les conflits renvoient à une différence de position en fonction des catégories sociales en présence ;

? et enfin la piste fonctionnaliste pour laquelle les conflits qui semble vouer les sociétés à l'émiettement ou à l'anarchie, concourent au contraire à la reproduction sociale.

Mais, dans mon travail, la lecture que je fais du conflit est essentiellement d'ordre méthodologique. On part du conflit pour apprécier « l'ailleurs », « l'arrière-cour » des sociétés qui présentent une apparente stabilité, une apparente cohésion, un manque de contradictions internes. Certes, le conflit dont il est question ici ; est souvent une confrontation ouverte, à courte durée et concerne la gestion de la radio communautaire dans un contexte de décentralisation avec des acteurs sociaux.

- Définition de la radio communautaire

Sur le plan juridique la nouvelle loi n° 2015-07 portant code de l'information et de la communication en République du Bénin, votée en sa séance du 22 janvier 2015 par l'Assemblée Nationale règle la question de la typologie des radios sonores privées non commerciales au Bénin. En effet, elles sont par vocation des radiodiffusions sonores de proximité. Toutefois, les principaux acteurs des organes concernés (notamment les professionnels des radios), les caractéristiques et les définitions données aux concepts dans la littérature de la

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communication institutionnelle, organisationnelle et politique vont être analysées avant que ne soit suggéré le sens que le présent document voudrait leur attribuer.

Ainsi, l'Association des Radiodiffuseurs Communautaires du Québec, AMARC3 définit la radio communautaire comme « un organisme de communication indépendant, à but non lucratif, à propriété collective, géré et soutenu par des gens d'une communauté donnée. Elle est un outil de communication et d'animation qui a pour but d'offrir des émissions de qualité répondant aux besoins d'information, de culture, d'éducation, de développement et de divertissement de la communauté dont elle est issue ». AMARC Afrique et Panos Afrique Australe (1998), nous en indiquent quelques caractéristiques (déclaration du Niger du 17 août au 18 septembre 2001) :

+ La radio rurale communautaire trouve sa légitimité dans l'expression d'une volonté locale et se doit d'y répondre en tant que radio de proximité ;

+ La radio rurale communautaire se doit de respecter et de refléter l'équité dans les communautés avec la prise en compte du genre ;

+ La radio rurale communautaire se doit de fonctionner dans l'optique d'une pratique exemplaire de gouvernance dans un contexte de reddition des comptes ;

+ La radio rurale communautaire a une mission d'information, de formation, d'éducation et de divertissement ;

+ La radio rurale communautaire est un vecteur de développement, sa programmation se doit d'illustrer cette utilité sociale ;

+ L'émanation de la société civile, la radio rurale communautaire n'est l'appendice d'aucun pouvoir financier, institutionnel ou autres ; elle se doit de veiller à son indépendance ;

+ La radio rurale communautaire est laïque.

3 Site web www.amarc.rg

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I...]. Pour Virgil (1997), la radio communautaire doit susciter la participation citoyenne et la défense des intérêts des citoyens ; résorber les problèmes quotidiens ; accepter toutes les opinions en présence ; encourager la diversité culturelle ; inclure les femmes en tant qu'actrices et non comme fait valoir ; refuser les pensées uniques et accepter la parole plurielle sans exclusive.

Il ressort des deux définitions citées supra que la radio communautaire renvoie à certains préalables à savoir : respect de la participation citoyenne aux débats en cours dans le champ social pour la défense des intérêts en termes de bonnes pratiques de gouvernance ; respect de la libre expression des citoyens ; promotion de la diversité culturelle et enfin expression plurielle sans censure.

Le présent travail de recherche désigne les radios communautaires comme celles qui sont créées par les communautés et pour les communautés. Alors, il conviendrait de désigner par le terme radio communautaire, toute radio privée non commerciale et pour laquelle les communautés ont pris une part très active dans la création et qui est effectivement gérée par des organes collectifs mis en place par ces mêmes communautés. Elle est une radio de proximité qui est essentiellement tournée vers les besoins des populations qu'elle dessert. Cela suppose aussi que leurs attentes soient prises en compte dans la grille des programmes. Une radio communautaire peut être implantée aussi bien en milieu rural qu'en milieu urbain, pourvu qu'elle respecte les conditions sus-spécifiées.

- La radio rurale locale : une radio de proximité orientée vers le monde

paysan.

L'Agence Intergouvernementale de la Francophonie et le Centre Interafricain d'Etudes en Radio Rurale de Ouagadougou (2000) désignent par radio rurale locale, une radio de proximité, participative qui libère la parole paysanne, fait réfléchir les auditeurs, les incite à l'action. En somme la radio rurale locale est une radio de proximité écoutée par les populations rurales/paysannes.

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Au Bénin, il existe de nos jours cinq (05) radios rurales locales (RRL). On les retrouve à Lalo, Tanguiéta, Ouèssè, Banikoara et Ouaké. La spécificité de ces radios rurales locales par rapport aux radios communautaires réside en partie dans le fait que leur création a été initiée « de l'extérieur » ; puisqu'elle émanait d'une décision des gouvernements des pays ayant en partage le français, réunis aux sommets du Québec en 1987 et du Sénégal en 1989. Un autre point de cette distinction vient du fait que les responsables de ces stations radios sont désignés par l'Office de Radiodiffusion et de Télévision du Bénin (ORTB) qui assure leurs charges salariales. D'ailleurs, la coordination de ces stations radios se fait par cet office.

Il est à noter que ces radios évoluent présentement vers un mode de gestion participative dans lequel les communautés prennent de plus en plus part au processus de prise de décision. Toutefois, elles continuent, pour le moment, d'être démarquées des radios communautaires.

II- Etat de la question

Parlant de la recherche et autres investigations en Sociologie, Henri MENDRAS stipule que :

« Le sociologue (...) n'a pas la prétention de repenser la totalité d'un problème. Il veut regarder les faits et en tirer des schémas d'analyse et d'interprétation. Pour ce faire, il commence par examiner les conclusions de ses devanciers qui ont étudié les mêmes faits ou des faits analogues, et à partir de leurs conclusions, il cherche à aller plus loin avec des instruments plus performants » (MENDRAS, 1996 :9).

1- Revue critique de la littérature

J'ai exploré la littérature existante ayant abordé les différents aspects des dynamiques média et société dans le processus du développement communautaire.

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? La radio comme support de valorisation de la culture et de nationalisme

Les sociologues ont commencé à s'intéresser aux médias et les étudier à partir des années 1970 (BREST, 2004). Les recherches universitaires sur les médias sont récentes et encore peu nombreuses au regard d'autres secteurs de la recherche universitaire. Comme le souligne Livingstone (1999) « nous ne savons peut-être pas grand-chose sur Internet, nous en connaissons un rayon sur la télévision ». Rieffel (2010) nous informe que les premières recherches ont porté sur l'effet des médias puis d'autres pistes comme « le statut culturel de la télévision ». Selon Livingstone (op. cit. 1999), l'idéal d'une chambre d'adolescent de l'an 2000 est saturée de médias (télévision, livres, magazines, ordinateur avec accès Internet, téléphones portables, lecteur MP3, poste radio etc.).

Bei et Gérard (2001) stipulent que : « plus on vient d'un milieu favorisé, plus on a de chances de maîtriser les outils informatiques, plus on vient d'une famille défavorisée, plus on doit se contenter de jouer sur une console ».

La lecture par les journaux et les livres a baissé au profit des médias électroniques. Cela ne veut pas dire que les gens liront moins. Rieffel (op.cit. 2010) affirme même que nous lirons peut-être à l'avenir davantage à l'aide d'écrans. Avec l'évolution des différents médias, chacun a accès à la culture sauf que selon Rieffel (ibid) « cette culture est réduite au divertissement et à la culture éphémère, elle est synonyme de manipulation des individus ». Selon Jean Baudrillard : la culture diffusée par les journaux, la radio, la télévision est non seulement synonyme de déperdition de contenu mais aussi de perte de repères (ibid). La culture des « cultivés » s'oppose à la culture de « masse » (op.cit. Rieffel, 2010). Les cultivés considèrent la culture proposée par les médias comme un nouvel opium du peuple ou une mystification délibérée. La culture de masse privilégie la quantité à la qualité, elle est véhiculée par les

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« mass média » qui sont une culture sans racine, sans rite, sans folklore. Les lecteurs s'identifient à cette culture.

Les auteurs africains des indépendances ont soutenu l'avènement de la radio sur le continent noir. Francis BEBEY (1963) constate que « grâce à la radio, le visage de l'Afrique a beaucoup changé ces dernières années. Il est appelé à changer encore davantage au cours des années à venir [...]. On écoute les chants enregistrés la veille par les hommes de radio venus de la ville et qui ont emporté les voix des meilleurs chanteurs de ce village-ci ou d'un autre village beaucoup plus éloigné. On écoute le conte de la tortue malade, tel que les gens de tel pays le disent chez eux ; on écoute les conseils d'hygiène et l'on se promet de les mettre en pratique dès le lendemain, parce qu'ils viennent de la radio et que cela a son importance ; on écoute les informations... on veut savoir ce qui s'est passé dans la journée ici et ailleurs, et l'on a une confiance illimitée vis-à-vis de cet homme ou de cette femme qui informe des milliers de gens à la fois, mieux que ne le ferait le meilleur tam-tam d'Afrique ».

L'importance de l'implantation de la radio sur le continent africain résulte de la comparaison faite par l'auteur. Autrefois, dans les villages, les seules distractions, une fois la nuit venue, étaient les danses, les chants, les contes et toutes sortes de jeux. Au clair de la lune que l'on ne sait pas apprécier à sa juste valeur dans un pays qui, depuis longtemps bénéficie de l'électricité. La radio joue ainsi le rôle de distraction, d'instruction et de pédagogie d'échanges en Afrique. Même si elle prend aux habitants le temps qu'ils auraient voulu consacrer à leurs jeux, à leurs danses nocturnes. Cela signifie que la vie sociale de l'Africain, de nos jours, connaît une dimension dynamique très appréciable. La radio qualifiée de boîte magique de la parole, fait découvrir aux populations africaines toutes les formes de leurs connaissances c'est-à-dire leur culture, leur civilisation, leurs arts et les richesses que comporte leur langue. Poussant plus

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loin la réflexion, l'auteur rapporte que la radio remplace en Afrique le message tambouriné et le crieur public.

Ainsi, elle amplifie la possibilité de transmettre au loin ; et garde l'avantage de parler à tout le monde à la fois. Par ailleurs, depuis l'installation de la radio dans les pays d'Afrique Noire, ses possibilités en tant que moyen d'information, de promotion nationale et sociale ont fait leur preuve. De nombreux spécialistes des affaires africaines reconnaissent que la boîte magique de la parole a joué un très grand rôle dans la prise de conscience du nationalisme, tant dans les pays d'expression française que dans la zone anglo-saxone. Elle a également contribué à la mise en place des institutions politiques actuelles des jeunes Etats africains. Avec l'avènement de la radio en Afrique, ce sont des habitudes qui changent, des réunions silencieuses de gens attentifs autour d'un récepteur remplaçant les danses au clair de lune, pourtant chères à tous. Ces réunions autour d'un poste peuvent être le point de départ d'une campagne de grande envergure destinée par exemple à supprimer l'analphabétisme sur le continent.

Deux conceptions, tout à fait différentes l'une de l'autre, selon Francis BEBEY, sont à la base des installations radiophoniques africaines actuelles. Dans le système anglophone la radio est perçue comme un service national dont le but est de couvrir l'étendue du territoire national tandis que dans celui francophone on a plutôt à faire à la constitution de réseau de média à étendue plus ou moins réduit.

? Les radios communautaires comme instrument de démocratisation

Ainsi, avec la tentative de promouvoir la démocratie en Afrique au début des années 90, directement induite par la fin de la guerre froide, les radios communautaires sont considérées comme un instrument privilégié de la constitution d'un espace public d'expression plurielle et de débat (Tudesq, 2002). Ces espaces de débat, contribuent à la construction d'un processus démocratique dans les échelons locaux. Ils favorisent du même coup le

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développement économique par la promotion d'une gouvernance participative des affaires publiques locales.

Les travaux de Wasserman (2010), examinent le rôle que pourraient jouer les médias populaires pour encourager le débat politique, fournir des informations pour le développement, ou critiquer les définitions mêmes de la «démocratie» et du «développement». Dans cette même perspective, l'ouvrage de Liz Gunner et al. (2011), démontre à partir de données empiriques qualitatives que la Radio en Afrique est une compilation d'essais qui se préoccupe du vécu quotidien et des affaires sociopolitiques de plusieurs pays africains.

En ce qui concerne Jallov (2012), il examine ce qui ne marche pas et les défis auxquels sont confrontés les stations de radios communautaires en Afrique. En effet, Empowerment Radio sert comme un complément de guide pratique de la Radio en Afrique, lequel évalue sévèrement les fonctions sociopolitiques et culturelles de la Radio en Afrique. En réalité, l'ouvrage de Jallov est perçu comme une compilation de bonnes pratiques au rayonnement de la radio communautaire pour le changement social en Afrique.

En somme, Jallov (2012) et Gunner (2013) expliquent pourquoi la radio reste encore la tribune significative de communication en Afrique suivant le milieu socio-culturel et le paysage politique.

Tilo Grätz (2014), quant à lui s'est intéressé à la prévalence croissante des émissions radio participatives en République du Bénin. Il s'agit des émissions traitant de sujets tabous tels que la sexualité et l'intimité. La popularité de ce format émergeant illustre les processus actuels d'appropriation des médias électroniques en Afrique de l'Ouest, y compris leur impact sur la communication publique contemporaine.

Il existe aujourd'hui plusieurs types de radios locales qui partagent beaucoup de traits communs avec les radios communautaires dans le champ médiatique

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africain. Dans cet ensemble, il n'est pas aisé de caractériser précisément la radio communautaire d'autant qu'elle bénéficie d'une grande popularité. La dénomination, elle-même est chargée de pouvoir symbolique car elle est considérée comme valorisante par certaines radios.

? La radio communautaire comme instrument de bonne gouvernance et de développement

Les radios communautaires jouent un rôle essentiel pour les populations éloignées des centres urbains. Elles permettent une couverture du territoire et un maintien des missions de service public que, ni l'Office de Radiodiffusion et Télévision du Bénin (ORTB), pour des questions de délabrement et de topographe, ni les radios commerciales, fautes de marchés porteurs, ne peuvent assumer dans toutes les langues et sur tout l'ensemble du territoire.

Un des paramètres qui expliquent les différences de dynamique d'une station à une autre est leur ancienneté. Les radios communautaires, à l'instar des autres catégories de radios, ont du mal à trouver leur second souffle, après les années d'enthousiasme dû à la nouveauté à la fraîcheur des équipes et des équipements et à l'appui des partenaires techniques et financiers. Rares sont celles qui maintiennent une dynamique de croissance. Même bien gérées, les ressources locales sont insuffisantes pour faire face au renouvellement ou au simple entretien des équipements, rapidement dégradés par une alimentation électrique instable et des conditions climatiques très éprouvantes.

En outre, la législation et les règlements ne favorisent pas la promotion des médias communautaires : traitement fiscal non spécifique, redevances, taxes, droits d'auteurs, charges téléphoniques élevées, factures d'électricité exorbitantes, aggravées par l'alimentation au moyen de générateurs à essence ou au gasoil. En plus de ces problèmes généraux, la radio Kandi FM, fait face au

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problème d'électricité, des coupures régulières et les baisses de tensions qui endommagent les appareils.

Une grande partie des stations donne l'impression d'un épuisement de l'énergie et des moyens de la dynamique de départ. Les problèmes de rémunération apparaissent, les équipements sont en fin de vie et leur non renouvellement dévoile les faiblesses de la gestion, l'absence d'anticipation ou même de la précarité de la situation financière des radios communautaires. Les stations ont découvert la faiblesse du potentiel économique de leur zone et la difficulté à maintenir l'enthousiasme et la participation des communautés.

Les demandes en formation dans le secteur de la radio communautaire sont croissantes et vont rester très élevées les années à venir, sur des aspects spécifiques et sur les innovations. Les évaluations des formations effectuées dans la plupart des pays et par divers formateurs individuels indiquent clairement la nécessité de créer une ingénierie de formation spécifique, mieux adaptée et à coût réduit. Plusieurs structures d'appui aux radios communautaires sont inscrites dans une démarche de recherche-action et de capitalisation d'expériences et offrent aujourd'hui une expertise pour concevoir et développer des formations de qualité.

Une lecture croisée de ces thématiques permet de retenir d'une part que, les radios de proximité constituent un outil de communication pour le renforcement de la démocratie à la base. D'autre part, elles constituent un instrument de communication pour la promotion du développement au niveau local. Quelle que soit la sphère considérée, les radios communautaires remplissent des fonctions spécifiques.

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Au-delà de ce tour d'horizon de la littérature portant sur l'objet de recherche, il est utile de préciser l'originalité de cette recherche car : « la science n'évolue pas par accumulation de connaissances, mais par erreur rectifiée ».

2- Qu'apporte de nouveau cette recherche ?

A travers cette recherche, j'envisage saisir, à l'échelle locale, la reconfiguration de l'arène locale autour de la radio Kandi FM dans le contexte de la décentralisation. Les usages faits d'une innovation peuvent porter l'empreinte de la culture technologique des acteurs sociaux qui se l'approprient. Ainsi, pour une société tournée vers la culture endogène où les réseaux sociaux physiques restent encore forts, ce que peuvent apporter de nouveau les réseaux sociaux numériques peut dépendre des usages que les acteurs sociaux, en font. Pour y parvenir, je l'ai inscrit dans un schéma théorique précis intégrant l'interactionnisme symbolique et l'approche compréhensive de Weber.

3- Modèle théorique

Deux modèles d'analyse sont utilisés dans cette recherche : l'interactionnisme symbolique et l'approche compréhensive de Max Weber.

3-1- L'interactionnisme symbolique

La socialisation d'un objet technique passe par son « intégration dans l'ensemble des significations sociales, culturelles et imaginaires que l'on peut saisir au niveau de la vie quotidienne ». Cette intégration n'est du domaine « ni de l'évidence ni de la fatalité » (Mallein et Toussaint, 1994 : 317). Je propose donc, une approche empirique qui privilégie la nécessité de retrouver l'acteur au quotidien dans ses motivations mais aussi et surtout dans ses relations avec les autres acteurs sociaux autour de la gestion de la radio Kandi FM. Dans cette perspective, l'interactionnisme symbolique apparaît alors comme une démarche pertinente pour aborder le conflit autour de la gestion de la radio communautaire. En effet, il considère comme données de base pour l'analyse sociologique, les explications, les descriptions, les motivations ainsi que les

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intentions des acteurs dans leur contexte social (Blumer, 1969 : 225). Pour ce dernier, l'interactionnisme symbolique se résume en un seul principe : « les humains agissent à l'égard des choses en fonction de la signification qu'elles ont pour eux ». Ainsi, à travers ses motivations, son histoire de vie, les études de cas réalisables sur lui et les formes de communication qu'il développe pour agir, interagir et obtenir des résultats, on pourra retrouver les éléments essentiels pour la connaissance d'un phénomène qui place l'acteur social au centre de ses dynamiques, (Amouzouvi, 2004 : 22). Cette perspective théorique me permet seulement de saisir le phénomène du point de vue des interactions entre les acteurs sociaux autour de la gestion de la radio Kandi FM. Il me faudra alors trouver une autre approche théorique qui puisse également aider à saisir le phénomène du point de vue des « activités » qui s'y mènent, ou des usages en cours. Mon second choix est porté sur l'approche compréhensive développée par Max Weber.

3-2- L'approche compréhensive de Weber

Pour weber (1922), cité par Giraud (2004 : 47), la sociologie se définit comme « ...une science qui se propose de comprendre par interprétation l'activité sociale et par-là, d'expliquer causalement son déroulement et ses effets ». Il inaugure l'approche compréhensive de la sociologie dont le but est d'analyser le social en partant du sens que donne un acteur social (individu, groupe social ou communauté ...) à ses actions/activités. Weber appréhende donc la sociologie comme une science dont la spécificité de l'objet est l'activité sociale et dont l'étude nécessite une démarche compréhensive. Pour situer l'objet de ma recherche dans cette approche théorique, il est important de partir de la définition qu'il a donné aux concepts « activité/action » « et activité sociale ». Il définit l'« activité » comme un « comportement humain (peu importe qu'il s'agisse d'un acte extérieur ou intime), quand et pour autant que l'agent ou les agents lui communiquent un sens subjectif ». Par activité « sociale », il entend l'activité qui, « d'après son sens visé, par l'agent ou les agents, se

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rapporte au comportement d'autrui, par rapport auquel s'oriente son déroulement ». La nécessité de compréhension découle de l'orientation rationnelle du comportement de l'acteur social. Weber distingue quatre (04) types d' « activités». Il s'agit de l'activité « rationnelle en finalité » (établissant un rapport entre des moyens et des fins) ; l'activité « rationnelle en valeur » (qui subordonne la rationalité en finalité à une valeur de référence) ; l'activité « rationnelle par affectivité » (dépendant directement des émotions) et l'activité « rationnelle par tradition » (reposant sur la tradition). L'exploitation de ce modèle d'analyse offre des matériaux permettant de catégoriser les différents types de conflit autour de la gestion de la radio communautaire de Kandi.

4- Justification du choix du sujet

Le choix d'un thème est souvent lié à l'existence d'un problème. Ainsi, le problème autour de la gestion de la radio communautaire de Kandi dans le contexte de la décentralisation demeure une préoccupation quotidienne. Au Bénin, plusieurs ONGs ou intervenants extérieurs, diverses personnalités s'intéressent en ce moment aux problèmes de la gestion des radios de proximité en l'occurrence les radios communautaires.

Dans un passé récent, j'ai collaboré avec mon co-directeur en tant qu'assistant de recherche dans la production de données empiriques sur la radio en Afrique de l'Ouest. Partant de cette expérience, j'ai décidé d'investir ce champ dans le cadre des recherches de fin de formation du DEA. Vu l'intérêt que la problématique de la gestion de la radio communautaire de Kandi présente pour les acteurs socio-politiques et la presse, il m'a paru important d'investiguer ce domaine.

Les solutions trouvées pour régler les problèmes sociaux des communautés à la base, est l'implantation des radios communautaires qui est apparue comme un outil et un vecteur de développement local.

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Ainsi, se présente la situation qui m'a conduit à cette tentative d'explication des enjeux sociopolitiques autour de la gestion de la radio communautaire de Kandi dans le contexte de la décentralisation en cours dans notre pays.

Ce faisant, cette étude n'a pas la prétention d'aborder tous les aspects de la gestion des radios de proximité. Elle se limite à quelques réflexions sur les mobiles réels qui contribuent à l'instrumentalisation de la radio sur fond de divisions politiques ou ethniques. En outre, ce travail, s'inscrit dans le cadre d'un programme de recherche avec l'Université de Hambourg qui porte sur la radio en Afrique de l'Ouest dans le domaine de la recherche en Technique HE 2998/4-1 en sciences sociales du collège de Recherche de Leibnitz dirigé par le Professeur Hengartner en Allemagne.

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CHAPITRE 2 : PRESENTATION DU CADRE DE L'ETUDE ET DE LA
METHODOLOGIE DE RECHERCHE

Ce deuxième chapitre aborde le cadre spatial, sociodémographique et ensuite la partie méthodologique de l'étude. Cette dernière comporte la théorie de base de l'analyse et les différentes étapes de la recherche.

1- Les modes de communication avant l'installation de la radio Kandi FM

Il faut souligner qu'avant l'installation de la radio Kandi FM, il existait deux canaux de communication à savoir : les canaux de communications traditionnelles et ceux modernes.

1-1- Les canaux de communications traditionnelles

Ainsi, parmi les canaux de communications on dénombre : le crieur public, le gongonneur, les assemblées d'assise, les lieux de culte (mosquées, églises etc.), la noix de colas, les amuses gueules (bon-bon). De plus, on passe parfois par les personnes ressources issues de la grande famille (information de bouche à oreille).

1-2- Les canaux de communications modernes

Il s'agit ici : de la radio nationale, la radio régionale de Parakou, la radio rurale locale de Banikoara.

2- La radio Kandi FM et sa couverture médiatique

Dans la diffusion de l'information, la radio Kandi FM couvre entièrement les dix (10) arrondissements de la Commune. En outre, d'autres zones couvertes par Kandi FM sont : la commune de Gogounou (30km) ; la commune de Malanville (arrondissement de Guéné : 80km) ; la commune de Karimama (120 km) ; la commune de Banikoara (arrondissement de Founougo : 75 km) ; la commune de Ségbana (arrondissement de Libantè : 95 km) et Gaya (Niger).

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3- Présentation du cadre de l'étude

Cette rubrique s'intéresse à la situation géographique et historique de la ville de Kandi.

3-1- Situation géographique

La Commune de Kandi est située au Nord Bénin. Elle est au centre du Département de l'Alibori entre 10°90' et 11°35' de latitude Nord et 2°38' et 3°15' de longitude Ouest. Elle est limitée au Nord par la Commune de Malanville, au Sud par la Commune de Gogounou, à l'Est par la Commune de Ségbana et à l'Ouest par la Commune de Banikoara. Elle couvre une superficie de 3421 km2, soit 12,8% de l'ensemble du département. Le chef- lieu de la commune : Kandi est située à 650 km de Cotonou.

3-2- Historique de Kandi

Les Baatombu (25,66%), groupe majoritaire dans la commune de Kandi, sont originaires de Bussa (Nord-ouest du Nigéria) et furent installés à Nikki au 15ème siècle. A la suite des querelles et pillages, certains princes quittèrent Nikki pour créer les autres royaumes bariba au Nord-Bénin dont Kandi. Ainsi, les Baatombu s'étaient établis d'abord à Kassakou puis à Kandi au 18ème siècle. En effet, il s'agissait au départ d'un chasseur nommé OROU SOUROU qui au cours d'une randonnée de chasse était arrivé à la latitude de Kandi où il vit beaucoup d'éléphants et s'exclama « sin-nou ba kan-ne » ce qui signifie littéralement « les éléphants sont côte à côte » en Baatonou. D'où le nom KAN-NE déformé en KANDI avec l'avènement de la colonisation.

Les autres groupes sont les Mokollé (9,73%) originaires d'Ilé Ifè et d'Oyo (Nigéria). Ils se sont établis dans les localités s'étendant de Kandi jusqu'à Goun-goun. Ensuite les Peulh (23,89%) originaires venus des zones sahéliennes (Niger et Burkina-faso) ; sont arrivés dans la région en quête de pâturages. Ces Peulh

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éleveurs se retrouvent sur l'ensemble du territoire de la commune dans les campements appelés « ga » autour des villages. Enfin les Dendi (30,97%) originaires du Nord, après avoir traversé le Niger se sont d'abord installés à Karimama et à Guéné puis à Kandi.

Aujourd'hui, la commune abrite plusieurs autres groupes ethniques minoritaires que sont : les Djerma (2,65%), les Gando (3,53), et des autres ethnies (3,57%), etc. (cf. le messager de la commune de Kandi, 2005 et Institut Kilimandjaro, 2012).

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius