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La neknomination : défi d'expression de soi et culture du « share ».

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par Clémence CORDEAU
Institut Français de Presse (Paris 2) - Master 1, Sciences politiques et sociales, mention médias, information et communication 2015
  

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B/ Le partage : don ou démonstration de soi ?

Existe-t-il un « communisme de l'Internet » ?

Le réseau sociotechnique que l'on connaît aujourd'hui est situé dans le temps et dans l'espace. Créé aux Etats-Unis dans les années soixante-dix, décennie à laquelle est traditionnellement associée le paroxysme du mouvement hippie, Internet est pensé et construit comme un territoire vierge, signe d'un nouveau départ dans lequel la volonté principale est de créer un espace horizontal habité par différentes communautés qui pourront facilement communiquer.

Richard Barbrook, activiste politique et fondateur du département hypermédia de l'université de Westminster, interrogé par Antonio A. Casilli, parle d'un « communisme de l'Internet ». Pour lui, le don est le mode de circulation des biens et des services propre aux structures sociales en réseaux59. Cette surenchère de partages,

58 Dominique Cardon, « Le design de la visibilité », Réseaux, n° 152, 2008, p. 98

59 Jacques Godbout, Le Don, la Dette et l'Identité : Homo donator versus Homo oeconomicus, Paris, La Découverte, 2000

 

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fermement ancrée dans les technologies et dans les pratiques sociales des réseaux, marque un éloignement de l'esprit mercantile. Selon Antonio Casilli, on ne peut pas nier qu'une envie de partage s'est emparé de nos sociétés face aux millions d'utilisateurs qui, chaque jour, publient d'innombrable photos, vidéos, textes et renseignements sur les réseaux sociaux. Pour Richard Barbrook, « cela trahit une envie d'avoir des contacts, de créer un lien social ». Le don qui se pratique sur ces sites montre une façon de « faire société » tous ensemble. Dans le fait d'échanger un contenu sans intention, d'en récupérer un gain et traduit une volonté de créer des espaces de partage et de communauté.

Ce « communisme de l'Internet » est néanmoins une vision trop utopiste des réseaux sociotechniques, parce que des inégalités existent dans les espaces physiques et se reproduisent sur la toile mais aussi parce que ces dons ne sont pas totalement désintéressés. Effectivement, les internautes, quand ils partagent un contenu, ont un gain à récupérer, il n'est pas matériel mais symbolique, il se mesure par la reconnaissance des pairs et donc par la réputation sur le ou les réseaux sociaux.

Partager pour augmenter son « capital social »

La vraie valeur ajoutée d'une bonne liste d'amis sur Facebook se situe dans le fait que l'utilisateur choisi à qui il donne accès à toutes ses informations, Antonio Casilli explique le modèle du réseau comme une forme de capital social, dont Bourdieu, qu'il cite, donne la définition suivante : « (É) ensemble des relations humaines qui permettent à un individu d'améliorer sa position à l'intérieur d'un contexte social ». Il réalise une expérience sur Facebook durant cinquante jour, du 27 avril au 15 juin 2009, par laquelle le chercheur tente de répondre à la question suivante : « Est-ce qu'en améliorant la présentation de soi et de son corps dans son profil, un utilisateur arrive à maximiser son capital social ? ». Pour tenter de répondre à cette interrogation, le chercheur créé deux profils pour pouvoir ensuite les comparer. Le premier sous le nom de Tony Cas, le second, Ant Cas. Il commence donc à « faire vivre » ses deux profils, tout en essayant de « créer collectivement une identité faite

 

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d'échanges et de capacité à écouter les autres »60. Le sociologue va davantage partager des contenus, des photos, des vidéos, des informations sur lui, ses goûts, ses activités, etc, sur son profil N°1 qui devient bien plus riche que le second en terme d'informations personnelles mais aussi de nombre d'amis. Il se rend compte que « Dans les médias sociaux, les utilisateurs qui réussissent le mieux sont ceux qui révèlent le plus d'informations à propos d'eux-mêmes. Le maître mot ici est « dévoilement », la démarche de s'ouvrir aux autres »61. La retenue du profil N°2 est interprétée, dit le chercheur, comme un désinvestissement, « son réseau d'amis est alors un reflet emblématique de son identité en ligne », « s'il n'y a pas réciprocité dans l'échange d'informations, de suggestions, de narration de soi, les amis ne cautionnent pas l'identité cachée par l'utilisateur »62. Le partage sur les réseaux sociaux est alors davantage un échange, on ne parle plus de don mais de « donnant donnant » par cette réciprocité dont parle Antonio Casilli.

Dominique Cardon parle d'une logique de démonstration de soi.

« Les signes culturels (les goûts, les pratiques, les productions, etc.) deviennent des marqueurs beaucoup plus puissants pour identifier des proximités potentielles avec des inconnus. Ils supplantent la proximitéì locale et conduisent les utilisateurs à se définir de plus en plus fortement par leurs activités culturelles et de loisir. Sous l'effet de l'individualisation et des nouveaux modes de consommation, l'expression de ses goûts (musicaux, cinématographiques, télévisuels, etc.) devient une performance identitaire, permettant de s'affirmer et de se différencier des autres » : « signaler que l'on est « dans le vent » et marquer sa « petite différence ». »63

Quant à Judith Donath cet activisme de la démonstration de soi est « une parade indispensable pour marquer sa « petite différence ». Les personnes se sentent obligées de constamment signaler (i. e. se distinguer) aux autres qu'elles sont en mouvement, en se référant à des goûts, des attitudes, des produits, à l'actualité médiatique ou

60 Antonio A. Casilli, Les liaisons numériques - Vers une nouvelle sociabilité ?, Éditions du Seuil, coll. « La couleur des idées », 2010, p. 213

61 Ibid.

62 Ibid., p. 218

63 Dominique Cardon, « le design de la visibilité », Réseaux, n°152, 2008, p. 117

 

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musicale ou encore aux dernières informations virales sur la toile, afin de montrer qu'elles sont à la pointe des tendances »64, et même, qu'ils les créent. « Loin d'être une contrainte, l'exposition de soi apparaît alors comme une ressource permettant de signaler une certaine forme d'aisance sociale, une attitude « cool », transparente et ouverte et une capacité à jouer avec les codes. »65.

Lorsque Maxime partage tout ce qu'il écoute sur Deezer, Soundcloud ou autre Spotify, il confie que c'est surtout pour des raisons pratiques qu'il relie son compte Facebook avec ces sites, logiciels ou applications d'écoute musicale. C'est un partage d'une activité individuel, Maxime est fier de ce qu'il écoute. En vrai mélomane, il est éclectique, arrive à dénicher les sons de demain et le montre. Cette pratique individuelle devient alors collective car « le sentiment d'appartenance éprouvé par chaque membre tient davantage à l'échange avec les autres qu'à son activité solitaire »66. Par là même, il montre ce qu'il est, son identité, mais dans le même temps, il se valorise et anime son profil Facebook régulièrement sans n'avoir rien d'autre à faire que d'écouter de la musique.

Depuis sa création, le web nous incite au partage, sur Facebook, l'analyse à montrer que le « Share » est le maître mot du trombinoscope venu d'outre-Atlantique. Aujourd'hui, et grâce à l'avènement de techniques sophistiquées, l'internaute ne se rend même plus compte qu'il partage un contenu sur Facebook, autorisant une application à utiliser son compte à la première connexion, il lui permet de publier pour lui et en son nom.

Les internautes se sont familiarisés, puis appropriés ces codes et ces conduites 2.0 pour nourrir leur auto-présentation et marquer leur « petite différence ».

Ce culte imposé et voué au partage favorise assez naturellement et logiquement la création de buzz, c'est-à-dire, la circulation importante et rapide d'un contenu sur le web.

64 Dominique Cardon, « L'identité comme stratégie relationnelle », Hermès, n° 53, 01/ 2009, p. 63

65 Dominique Cardon, « le design de la visibilité », Réseaux, n°152, 2008, p. 118

66 Antonio A. Casilli, Les liaisons numériques - Vers une nouvelle sociabilité ?, Éditions du Seuil, coll. « La couleur des idées », 2010, pp. 55-56

 

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La Neknomination est l'un des nombreux buzz de la toile auxquels nous, internautes, avons pu assisté. Cette pratique s'inscrit dans le phénomène de viralité que la toile a intensifié, voire créé.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille