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La neknomination : défi d'expression de soi et culture du « share ».

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par Clémence CORDEAU
Institut Français de Presse (Paris 2) - Master 1, Sciences politiques et sociales, mention médias, information et communication 2015
  

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B/ L'appartenance à une communauté

Dans l'expérience d'Antonio Casilli effectuée sur Facebook décrite dans un précédent chapitre, pour laquelle il avait créé deux profils de lui-même, un premier davantage fourni en informations personnelles et un second plus anonyme. Le chercheur avait remarqué, qu'en ajoutant des informations personnelles sur son profil n°1 il attirait beaucoup plus de personnes, ce profil était alors plus attractif. Voici un extrait du carnet de bord qu'il tenait lors de cette expérience :

73 Thomas Beauvisage et al., « Le succès sur Internet repose-t-il sur la contagion ? Une analyse des recherches sur la viralité », Tracés, n° 21, 02/ 2011, p. 163

 

CORDEAU Clémence| Mémoire de master 1 | juin 2015

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« Je propose une mise en scène très précise de son style personnel. Inconsciemment on imagine une apparence physique, des vêtements... C'est encore Pierre Bourdieu qui nous a appris que l'expression des goûts dans la vie de tous les jours participe d'un processus social qu'il appelle « distinction ». Processus complexe, qui consiste à trouver le juste équilibre entre l'envie de se démarquer des autres en affirmant son individualité, et le besoin de se conformer aux goûts dominants de son milieu social. »74

Il en tire ainsi la conclusion que « C'est un besoin de cohésion qui anime les internautes, une envie de resserrement de leurs rapports sociaux »75. Ces rapports online s'entremêlent avec le monde hors ligne. « Les deux univers sociaux sont alors dans un continuum »76. D'autant plus que sur Facebook, le lien d'amitié est bidirectionnel. En effet, alors que sur certains réseaux sociaux ce lien peut être unidirectionnel dans la mesure où une personne peut suivre et avoir accès aux contenus publiés par un utilisateur sans que le second n'ait besoin de le suivre à son tour, comme sur Twitter ; sur Facebook, l'autorisation donnée à accéder aux informations stockées sur le profil est réciproque. L'appartenance à une communauté est d'autant plus vraie que dans l'espace socionumérique, l'acte d'« amitié », désignée par le terme de friending en anglais, est un acte déclaratif fort, selon Antonio Casilli. C'est une requête officielle d'amitié envoyée à quelqu'un d'autre qui doit l'accepter ou la refuser. La réciprocité de départ est ainsi toujours observable dans l'échange des deux amis, elle donne lieu à cette relation « donnant donnant » qui caractérise le partage dans l'espace socionumérique.

Le sentiment de communauté est aussi largement renforcé dans les groupes privés que Facebook permet de créer. Lucas et Maxime en ont d'ailleurs un où tous leurs amis d'enfance de leur ville d'origine sont réunis. Lucas confie d'ailleurs davantage partager de contenus sur ce groupe car il s'adresse à un public bien plus ciblé et qu'il connaît mieux.

74 Antonio A. Casilli, Les liaisons numériques - Vers une nouvelle sociabilité ?, Éditions du Seuil, coll. « La couleur des idées », 2010, pp. 215 à 216

75 Ibid., p. 229

76 Barry Wellman, « Connectig Community : On- and Off-line », Contexts, vol. 3, n° 4, 2004, p. 22-28

 

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Plus qu'un projet de soi, un projet de nous

Les internautes façonnent leur identité en fonction de ce qui est attendu, comme le rappelle Fabien Granjon et Julie Denouël, « La production de soi en ligne est (É) indissociable d'une exigence communicationnelle, d'échanges et de dialogues avec des tiers car ce sont eux qui vont agréer positivement ou non la demande de reconnaissance ainsi formulée. »77. Et d'ajouter que « (É) c'est cette mise en relation par la monstration de soi et la production d'énoncés valorisants qui conditionne l'accès à la reconnaissance. »78. Par leurs posts ou « textualisation des subjectivités », les internautes fondent une demande de reconnaissance qui doit être approuvée par leurs pairs, c'est-à-dire, susciter une réaction positives à des qualités identitaires. Les commentaires valorisants et/ou les likes participent également de cette approbation, ils sont d'autant plus efficaces qu'ils sont explicitement exprimés sur la plateforme. Ainsi ils constituent des marqueurs importants de reconnaissance publique, et plus ils sont en nombre, plus ils sont la preuve qu'il y a reconnaissance des pairs. Le sociologue Olivier Voirol fait remarquer que « (É) la possibilité que des acteurs parviennent à se constituer un soi, une conception d'eux-mêmes dans un rapport intersubjectif et entrer dans des rapports de reconnaissance avec autrui dépend de leurs capacités à se rendre visibles, à exister et à être vus et entendus »79.

Ainsi, la Neknomination participe bien de ce besoin de reconnaissance, ces vidéos entendent moins mobiliser la réaction d'un grand nombre plutôt que la reconnaissance de leurs pairs, amis Facebook et proches offline. Ils répondent tous d'une même communauté de fêtards, reconnus pour leur capacité à s'abreuver en grande quantité, à faire les plus grandes folies en soirée, ces héros de la fête montrent, dans leur réalisation, cette folie de deux manières, par l'originalité de la mise en scène, mais aussi par la quantité d'alcool bue.

77 Fabien Granjon, Julie Denouël, « Exposition de soi et reconnaissance de singularités subjectives sur les sites de réseaux sociaux », Sociologie, 01/2010, p. 27

78 Ibid., p. 70

79 Olivier Voirol, « Les luttes pour la visibilité. Esquisse d'une problématique », Réseaux, vol. 23, n° 129-130, 2005, pp. 89121

 

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Ce besoin d'appartenir à une communauté est lié à l'auto-présentation et à la valorisation de soi, selon Antonio Casilli, « le sentiment d'épanouissement éprouvé par chaque membre tient davantage à l'échange avec les autres qu'à son activité solitaire »80, tout notre « chez soi » virtuel est donc pensé et calculé en fonction de cette volonté de plaire aux autres et donc d'appartenir à une communauté. Le chercheur rappelle « l'existence de forces sociales qui façonnent notre manière de vivre la corporéité : dans les habitats en ligne, la présence corporelle cesse d'être simplement un projet de soi pour devenir un « projet de nous » »81. La Neknomination, on l'a vu, est bien un des résultats symptomatiques de ce grand « projet » que les internautes entendent réaliser.

80 Antonio A. Casilli, Les liaisons numériques - Vers une nouvelle sociabilité ?, Éditions du Seuil, coll. « La couleur des idées », 2010, p.56

81 Ibid., p.224

 

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault