WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Foncier et stratégies d'accès et de contrôle dans les anciennes plantations coloniales au Cameroun. L'exemple de la compagnie ouest Cameroun.

( Télécharger le fichier original )
par Jonas Aubert Nchoundoungam
Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne - Master 2016
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

INTRODUCTION : LA PROBLÉMATIQUE FONCIÈRE DANS LES ANCIENNES PLANTATIONS COLONIALES ET LE CAS DE LA C.O.C

Les richesses du pays Bamoun actuel département du Noun, en contrebas du pays bamiléké (Ouest-Cameroun) et de ses vastes espaces inoccupés ont attiré l'attention des Européens à la recherche de surfaces exploitables. Les terres noires de Foumbot et de ses environs offraient alors aux entrepreneurs agricoles un potentiel qui n'a d'égal que les abords des Monts Cameroun et Manengoumba. Il est constitué d'une série de collines polyconvexes surbaissées que dominent 59 appareils volcaniques (composés de dôme, de cône, de cratères, et de coulées pyroclastiques de type hawaïen ou plus visqueux). Ces terres comprises entre le Noun, le Mbetpit et le pied du Nkogham sont constituées d'un matériel volcanique divers (S. Morin, 1989). Des concessions foncières y furent accordées aux entrepreneurs agricoles, qui pour la plupart étaient d'origine géographique et sociale diverse : un ouvrier parisien, un dentiste de Strasbourg, un ancien administrateur colonial, un fils de grande famille, un paysan...a l'exception de quelques helvétiques et ibériques, tous sont français (Moupou, 1991 : p.72). Ces terres données en concessions avec le concours de l'administration coloniale du Cameroun de cette époque et celui de l'autorité traditionnelle en la personne du Nfon Pamom, ne stipulait pas une quelconque vente, encore moins une donation définitive car la terre en pays Bamoun n'est pas à vendre, c'est un bien collectif qui appartient au peuple Bamoun et le roi en qualité de chef suprême en est le garant de la gestion et de la distribution auprès des paysans et des populations. À la suite de ces octrois concessionnaires, d'importantes sociétés et des coopératives ont vu le jour. Celles-ci faisant l'objet d'une compétition effrénée entre les candidats, c'est au plus offrant que revenait la parcelle. C'est dans cette atmosphère de concurrence que la C.O.C a obtenu une concession de 2400 ha pour 59340 francs, acquérant ainsi la plus grande de toutes les plantations coloniales effectivement créées sur ce territoire, qui en compte treize.

Noms et prénoms des demandeurs

Superficie des

exploitations

Localité

Date

d'attribution

du titre
provisoire

Date

d'obtention des titres définitifs

Wilhelm Adolphe

250ha

Fossette

27 / 9 /1929

14 / 11 /1931

2

Banque Fourcade et Provot

 

965ha

Monoun

25 / 10 / 1929

05 / 5 / 1932

Dammann

60ha

Foumban

28 / 10 / 1929

12 /12 / 1932

Dammann M.A

52ha 74a

Foumbot

20 / 10 / 1928

12 /12 / 1932

Hanne Charles

61ha50a

Foumbot

18 / 10 / 1931

26 / 8 / 1936

Compagnie Ouest

Cameroun

997ha77a64ca

Foumbot

14 / 8 / 1932

15 / 9 / 1938

Mallet Horace

479ha5a

Foumbot

14 / 9 / 1933

15 / 9 / 1938

CIAC

367ha20a

Foumbot

28 / 9 / 1933

23 / 2 / 1939

CIAC

519ha21a

Foumbot

18 / 10 / 1934

01 / 5 / 1939

Hanne Charles

42ha17a52ca

Foumbot

13 / 12 / 1934

01 / 5 / 1939

Dammann M.A

271ha84a

Momo

13 / 12 / 1934

16 / 11 / 1941

Dammann M.A

119ha40a

Fochivé

08 / 2 / 1937

13 / 11 / 1942

Crozier Jean

- -

Fossette

07 / 2 /1936

18 / 11 / 1942

Giojuzza Jacques

201ha

Njidoum

28 / 12 / 1935

05 / 5 / 1943

Chalot Jacques

106ha

--

09 / 7 / 1937

15 / 10 / 1943

Coubeaux M.G

34ha35a

Baïgom

18 / 6 / 1935

30 / 05 / 1945

Tableau 1 : Les anciennes plantations coloniales en pays Bamoun entre 1931 et 1945

Ainsi, à la fin des années 1940, on dénombrait 49 concessions domaniales octroyées aux volontaires ; seules 23 plantations avaient effectivement été créées.

C'est dans ce contexte, que fut créée la Compagnie Ouest-Cameroun, la plus grande de toutes les plantations coloniales de la rive gauche du Noun, dont la quasi-totalité était destinée à la culture du café. Ce choix a été largement favorisé par la fertilité des sols de cette région puisqu'il s'agit des terres noires volcaniques, mais surtout par le fait que durant la décennie 1930, le territoire Bamoun se caractérise dans l'ensemble, par des faibles densités de populations et très éparses, inférieures à un habitant au kilomètre carré.

Pour ce qui concerne le foncier et les stratégies de contrôle de cette ressource autour et dans les anciennes plantations coloniales, il convient de préciser que l'administration coloniale française du Cameroun à travers l'Office Régional du Travail (ORT), avait drainée bon

3

nombre de personnes vers la rive gauche du Noun1afin qu'elles puissent travaillées comme ouvriers dans les plantations qu'elle avait créée. Dongmo J.L (1987) dira que le développement de la culture du café a drainé sur la rive gauche du Noun, une colonisation diffuse; en moins d'un siècle, les densités de populations sont passées de 0,2 habitants / km2 en 1940 à 220 habitants au km2. Moupou M. (1991) signala également que le territoire Bamoun, en contrebas de la dorsale camerounaise fort de ses faibles densités (26 habitants au km2) se trouve en proie et à la merci des hautes terres surchargées d'hommes (300-800 habitants au km2) et suscite la convoitise de celles-ci. Cette densité en nette progression ne peut s'expliquer que par un transfert ; les fortes densités des hauts plateaux se déversant par osmose sur les régions voisines, dont le pays Bamoun. Ainsi, les populations Bamiléké et Nso qui étaient employées dans ces plantations ne sont plus jamais retournées sur leurs terres d'origines'' après la crise de la caféiculture2. Victimes de leur forte démographie, les Bamiléké de l'Ouest Cameroun souffrent également de la rigidité de leurs droits fonciers coutumiers qui font de la terre ancestrale la propriété du fon ou chef ; les migrations vers les régions voisines s'imposent alors comme l'unique opportunité pour ce peuple de vaillant agriculteurs (Dong Mougnol, 2010). L'on y observe également des M'bororo, branche peule d'éleveurs venues de la partie septentrionale du Cameroun (Adamaoua, Garoua, Maroua) afin d'y paitre leurs troupeaux. Ces derniers ayant trouvé sur ce No Man's Land un terrain refuge grâce non seulement à l'abondance du couvert végétal et de la clémence du climat, mais aussi pour éviter les razzias qui prévalaient déjà dans leurs zones de départ, ils s'y sont installés. La diffusion des techniques, la création des centres de santés villageois mais aussi l'amélioration de l'hygiène et du cadre de vie des populations ont également favorisé cet état de croissance, car il faut le signaler, la localité de Foumbot qui abrite la grande majorité des plantations coloniales a été créée en 1925 par l'administration coloniale et bénéficie tout autant que les autres villes de taille relative, des infrastructures socio collectifs de base qui font de cette localité un pôle attractif.

De ce qui précède, la question foncière devient un enjeu très significatif. L'on se pose la question de savoir : à qui appartient la terre dans un tel contexte de cohabitation des

1 Terme utilisé par l'administration coloniale française pour parler de la région de Foumbot qui devrait recevoir la colonisation organisée de la zone dans les années 1940.

2L. Dé, « Crise de l'arabiculture et mutations rurales sur le plateau Bamum, une contribution à l'étude géographique des mutations rurales consécutive à la crise actuelle des cultures d'exportation », Thèse de Doctorat de 3è cycle en Géographie, université de Yaoundé 1, 1997.

4

peuples ? Il convient de préciser que, le territoire Bamoun est sous l'autorité d'un pouvoir traditionnel fort et structuré que représente le roi (Nfon Pamom). Désigné de façon héréditaire et irrévocable parmi les descendants de Nchare Yèn3. À la mort de son prédécesseur qui n'est autre que son père, le nouveau roi est choisi. Il est considéré par sa population comme étant le garant de la gestion et de la distribution des terres auprès des paysans et des agriculteurs. Celui-ci affecte des terres à des familles selon la taille du ménage, la capacité et la force de défrichement des espaces. L'introduction d'un titre foncier par l'administration coloniale afin de sécuriser ses droits et qui après, avait été repris par des nationaux suite au départ de ceux-ci, de leurs domaines du fait de la crise de la caféiculture des années 1980, est de plus en plus remis en cause aujourd'hui par les paysans. Pourquoi ? peut-être parce que d'une part elle tend à restreindre le pouvoir du sultan dans la gestion et l'affectation des terres, d'autres part parce que, suite aux différents mouvements migratoires , la localité toute entière connait une croissance démographique de plus en plus expansive ce qui fait que les ménages ont de plus en plus besoin d'espaces pour cultiver et se nourrir, or à Foumbot tout comme dans les espaces autour de la Compagnie Ouest Cameroun, « la terre est devenue rare ». « La COC est l'exemple type d'une grande exploitation qui cherche à se maintenir. L'immensité de celle-ci entraine une occupation illégale des bordures par les populations des villages voisins qui manquent des terres cultivables » (Moupou 1991, p.74).

Outre le fait que, préoccuper par la dynamisation de l'économie et la rentabilisation de la terre, cette plantation qui avait été créée par les colons et reprises d'antan par les nationaux et qui de surcroit possèdent des titres de propriété, fait dorénavant l'objet de contestations et de convoitises non seulement des populations et des paysans qui travaillaient dans ces vastes domaines coloniaux comme ouvriers mais aussi de la part d'autres acteurs locaux et ceux venus des villes voisines de Foumbot et de Kouoptamo avec un seul but, l'appropriation foncière pour des raisons diverses et variées, quitte à s'entretuer ne serait que pour un lopin de terre.

Le contexte rural, social, économique et politique camerounais des arrondissements de Foumbot et Kouoptamo en pays Bamoun auxquels est rattaché administrativement la C.O.C, et plus précisément celui des villages sur lesquels s'étendent cette plantation dont il est question tout au long de ce mémoire est très éloigné de ce que nous connaissons du reste de l'Afrique au sud du Sahara, car il s'agit ici d'un No Man's Land c'est-à-dire des terres

3Fondateur du royaume et premier roi de la dynastie Bamoun (fin du XIV siècle)

5

n'appartenant à personne, ce qui signifie en quelque sorte qu'il s'agit des terres vacantes'', sans maitres'' et vides d'hommes' où, des communautés se sont installés ; des terres très fertiles n'appartenant à personne dans un contexte où, « la brousse est finie » (B. Tallet, 1998), il n'y a plus de friche car durant la temporalité 1930 à nos jours, il y a eu un passage systématique d'une situation d'un territoire vide à une saturation de l'espace et où, la démographie et les activités pratiquées sont les seuls facteurs explicatifs de ce changement. L'on reste néanmoins perplexe quand à la notion de No Man's Land dont les Etats coloniaux ont savamment employé. Existe-t-il vraiment des terres vides et sans maitres ? Dans un article sur « le régime foncier en Afrique noire », Catherine Coquery Vidrovitch (1982 : 65-83) analyse l'impact des systèmes coloniaux sur le foncier. Celles-ci ont été par définition, une « politique de spoliation » des droits fonciers des populations indigènes africaines. En prenant le cas de l'Afrique Occidentale Française (A.O.F), elle écrit principalement que : « le problème juridique fut posé dès l'origine de savoir qui devait être considéré comme le propriétaire des terres conquises ». Elle précise en outre que la terre ne manquait pas ; il suffisait pour vivre de brûler et débroussailler un lambeau de forêt ; les colons arguèrent de la mobilité de certaines tribus pour étayer leur thèse...ignorant le rôle du chef de la terre dont l'existence était pourtant attestée par de nombreux explorateurs car la législation à ses débuts fut caractérisée par le refus de reconnaitre l'existence d'un droit indigène, or dans l'Afrique traditionnelle précoloniale, la propriété privée n'existait pas.

Les anciennes plantations coloniales de la Compagnie Ouest-Cameroun: La question foncière en débat

Dans un contexte, où nous passons des faibles densités aux fortes densités (Moisel, 1908 ; Ankerman, 1910 ;), la question de la sécurisation des droits sur la terre se pose de plus en plus avec acuité car la population déjà très nombreuse, est appelée à le devenir davantage, or l'espace est finie et ne croit plus, vu que les phénomènes de titrisation et de territorialisation réalisés par l'État ont contribué à la fragmentation et au confinement des terroirs villageois à un moment donné de l'histoire où, la production de la nourriture pour se nourrir et pour commercer est devenue la condition sine quoi non d'existence des paysanneries au Cameroun. Que faire? Vu que seul les champs de brousse ont persisté et se sont agrandis jusqu'aux confins des terroirs (TERSIGUEL, 1995), « Tous unis pour faire reculer la brousse » (Tallet B., 2007, p. 64), autochtones et migrants, paysans et non-paysans, tous ont frénétiquement étendu les superficies cultivées, quitte à empiéter sur le domaine privé de la C.O.C.

6

De plus les terres alentours sont moins riches4 et moins productives que les terres noires sur lesquelles s'est implantée la C.O.C. Dès lors, les luttes pour l'accès au foncier sont devenues inévitables dans cet espace qui offre encore des possibilités.

Du vide au plein : la Compagnie Ouest-Cameroun entre déprise caféière et reconversion culturale

Outre les fondements socio-économiques et politiques de construction territoriale, la concurrence spatiale s'est amplifiée suite, d'une part, à la plus-value des cultures maraîchères, et d'autres part, par les perspectives effrénées des gains monétaires et les appétits fonciers fortement aiguisés, rendant difficile la cohabitation entre les différents acteurs que sont principalement, les paysans, les nouveaux gestionnaires, l'État et les communautés villageoises. Ces enjeux multiformes font des anciennes exploitations coloniales, une arène d'affrontements perpétuels dont les marques sont visibles : la destruction des plants de café, l'introduction du maraîcher, les déguerpissements et très souvent des pertes en vies humaines comme ce fut le cas en 1996.Le contexte de reconversion vers le maraicher a suscité l'envie d'avoir davantage d'espaces pour le déploiement de ce nouveau système de production. Rompant avec les exigences foncières qu'imposaient les cultures pérennes, l'adoption du maraicher comme nouvel culture a conduit les paysans à accroitre davantage leurs parcelles emboitant de ce fait sur les espaces de la C.O.C.

Or, pour légitimer leur occupation en territoire Bamoun, l'introduction par l'administration coloniale d'un titre de propriété s'était définit comme un impératif. En effet, cette forme de sécurisation bafoue les normes locales traditionnelles de gestion foncière, dites coutumières. Outrepassant l'autorité du gardien des terres» que représente le sultan roi des Bamoun ou ses sujets délégués qui portent le titre de Nui Ngwèn». De telle pratique ne peuvent que susciter le mécontentement des populations de plus en plus nombreuses qui voient leurs terres, accaparées par une minorité de nationaux issue de la bureaucratie administrative. MOUPOU M. (1991) s'explique à cet effet qu'il y a en pays Bamoun trois types de régimes fonciers placés sous l'influence des principes de survivances traditionnelles, le prêt, la location et le don où la condition de mise en valeur est relative à la classe sociale, il n'a jamais été question d'une vente de la terre ; il découle donc de cette analyse que, les terres vacantes appartiennent toutes au Sultan Roi des Bamoun qui en est le garant, le gardien. En cas de conflit, il est le référent pour la résolution de ce dernier. Le peuple Bamoun est

4Lire Morin S., 1980

7

usufruitier et doit transmettre cette terre aux générations futures. La terre n'est pas à vendre. Elle peut tout au plus être prêtée ou louée ; l'on se pose alors la question de savoir : « Qu'allons-nous transmettre à nos enfants, vu que nous n'avons plus de terre, étant donné que les autres nous en ont privé? » (Ousmane, 74 ans, paysans à C.O.C)

Dans un contexte où, suite à la déprise caféière, la reconversion culturale vers le maraichage afin de garantir et de promouvoir la souveraineté alimentaire, nécessite davantage d'espaces pour cultiver, la présence d'un titre foncier fait problème. Cette propriété appartenant désormais à Jean Fochivé5, ne peut que traduire cette situation d'insécurité foncière qui règne dans cette plantation.

Du plein au vide : une démographie expansive comme élément explicatif des conflits fonciers à la C.O.C.

La situation de vide et de pleins» a favorisé en quelques sortes le drainage sur la rive gauche du Noun en général et à la C.O.C en particulier, de forts mouvements de populations Bamiléké non seulement pour décongestionner les hauts plateaux de l'Ouest-Cameroun, des Nso6 et des Akou venant des plateaux Joss (Nigéria) en 19567, du Nord-Ouest pour travailler dans les plantations coloniales et des Mbororo8pour faire paitre leur bétail, ceux-ci se localisent dans la plaine de Mfesset9. La réalisation des infrastructures à caractères socio-collectifs (voies de communications, écoles, centres de santé, etc...) mais surtout la mise en chantier du projet de construction du stade de football de Bafoussam annoncé par l'État camerounais en 2008 et dont les travaux devenus effectifs en 2012 ont donné lieu à une infrastructure sportive sur une superficie de plus de 6 hectares, ce qui a laissé des populations bamiléké autrefois propriétaires terriens, sans terres de nos jours. A cet effet, le plateau Bamiléké s'est au fil du temps, déchargé de son trop plein de population, pour coloniser les territoires voisins, encore très peu peuplés. Ces populations, tous paysans sinon quelques exceptions, se sont déversées sur la rive gauche du Noun et plus particulièrement dans les zones d'anciennes plantations, qui offrent encore des opportunités, contribuant ainsi au morcellement des parcelles autochtones dans des zones où la clarification des droits fonciers

5 Bureaucrate, ancien Directeur Général du Service National de Renseignement du Cameroun (CENER)

6 Peuple anglophone venu du Nigéria voisin et de la région du Nord-Ouest Cameroun

7 BOUTRAIS, 1986, p.16

8 Les groupes peuls transhumants venus de la partie septentrionale du Cameroun

9 ANC-APA 11919/B

8

demeurent encore très floue afin de satisfaire leur propre demande foncière, dans la plupart des cas souvent avec la complicité des autorités traditionnelles.

Notre objectif dans cette aventure scientifique est celui de comprendre les raisons qui poussent les paysans à accéder aux terres dans les plantations de la C.O.C., alors que celle-ci est un domaine privé.

L'objectif spécifique étant de :

? Analyser et comprendre les logiques paysannes au travers l'étude de la situation

foncière actuelle à la C.O.C. et de la clarification des titres de propriété de ce domaine ? Identifier les acteurs et décliner leurs jeux dans l'acquisition des terres tout autour et

dans les plantations de la C.O.C.

? Eclairer sur les conflits de gouvernance foncière locale dans le cadre de la décentralisation par le biais des acteurs en présence

Afin d'appréhender la situation foncière autour de cette plantation, la question suivante a été établie :

Quelles sont enjeux fonciers actuels tout autour et dans les anciennes plantations coloniale de la C.O.C.?

Car il faut le préciser, cette plantation bénéficie d'un titre de propriété, mais au vue de la situation actuelle, les paysans se comportent en véritable prédateurs fonciers sur cet espace. La notion d'appropriation ici en contexte rural Camerounais et plus précisément sur ce No Man's Land n'a pas la même conception qu'en France par exemple ou dans certains pays Européens et Nord-Américain d'exercice du droit moderne romain ou droit positif, où la question ne se poserait même pas. Il y a ici une pluralité des droits et de normes régulant l'appropriation et la gestion foncière, fussent-ils modernes que représentent les titres fonciers ou coutumiers traditionnels ; Ce dernier mode d'appropriation foncière dit coutumier se matérialisant très souvent par une reconnaissance des droits d'accès, d'usage et de gestion d'un espace par les autorités locales coutumières et l'ensemble de la population villageoise, à un individu ou un groupe d'individu de façon verbale en présence d'un ou de plusieurs

9

témoins issus le plus souvent de la communauté villageoise, pour un service rendu à la communauté ou au nom d'une quelconque amitié développée. Dans ces cas précis, l'on n'a pas besoin d'un titre foncier ; et c'est dans ce contexte que le sultan NJOYA10concéda des terres aux colons blancs dans les années 1930. Ceux-ci ayant pour devoir la rétrocession de ces terres à leur départ (enquête de terrain, mars 2015).

En plaçant le foncier au coeur de la réflexion et aux vues des idées sus-développées, l'on s'interroge de savoir :

? Que deviennent les titres fonciers hérités de la colonisation?

? Qui sont les acteurs fonciers à la C.O.C (quand et comment sont-ils arrivés et quels droits avaient-ils sur la terre)?

? Quelles peuvent être les conflits de gouvernance afférente à de telles situations dans

un contexte de décentralisation, de domination et de monétarisation de la terre?

Au regard de cette situation et de prime à bord, l'hypothèse suivante a été formulé :

Le contexte d'implantation des paysans et les modalités de reprises de cette plantation par les nationaux traduisent la «précarité foncière» observée.

Néanmoins l'on pense que :

? Les multiples conflits à caractères sanglants enregistrés sur ce domaine ont entrainé le dépérissement de cette plantation industrielle et explique l'envahissement illicite de ce domaine.

? L'absence de clarification claire, des droits d'accès et d'usage au moment de l'implantation des paysans explique en partie les conflits observés. En effet, les instances traditionnelles et coutumières du pays Bamoun ont quelque part, favorisé la précarité foncière et les assauts villageois observés dans cette plantation. En effet, l'établissement des titres fonciers non seulement de la C.O.C mais des anciennes domaines coloniaux semblent remettre en cause les normes traditionnelles de gestion de la terre du pays Bamoun. La terre n'est pas à vendre, elle est un bien collectif, le roi est le garant de la distribution et de la gestion auprès des paysans et le peuple Bamoun en est usufruitier. L'établissement d'un titre foncier restreint le pouvoir du roi dans la gestion foncière. Pour ce peuple donc, ce territoire leur revient de droit, bien qu'il soit

10Annexe 1: chronologie des rois de la dynastie Bamoun

10

titré, cela a été contre leur gré, car il faut le préciser c'est à la suite de la déposition du roi Njoya en 1933 à Yaoundé pour trahison et complot contre l'autorité coloniale, où il mourut, que l'administration coloniale, profitant de la psychose qui régnait au sein de la population s'était empresser d'octroyer des concessions aux planteurs blancs dans cette partie du No man's Land11.

? Les principes de gouvernance dans le cadre de la Décentralisation avec l'apparition des nouveaux acteurs institutionnels de gestion du foncier expliquent les différents rapports de force observé non pas seulement dans les plantations de la C.O.C, mais aussi bien dans les arrondissements de Foumbot et Kouoptamo.

L'analyse présentée dans ce mémoire reposera sur une étude de terrain, combinant à la fois enquête, observation et investigation. Celle-ci sera menée durant six mois aux côté des habitants des villages sur lesquels s'étendent les plantations de la Compagnie Ouest-Cameroun entre Février et Juillet 2016. La temporalité allant de 1970 à aujourd'hui s'est avérée significative ; l'année 1970 caractérise le début de la crise des produits de rente au Cameroun et symbolise le départ des européens de leurs exploitations agricoles, quant à nos jours l'on observe encore des conflits fonciers à caractère sanglant opposant les populations aux nouveaux gestionnaires de ces domaines, ce qui serait une résultante des situations post-crises caféicoles.

Clarification conceptuelle et cadre théorique

? Foncier

Selon Alain ROCHEGUDE (2002), le « foncier » peut encore s'entendre comme un concept juridique multidimensionnel ; le terme « foncier » renvoie aux multiples enveloppes juridiques, correspondant à autant des statuts, sinon des procédures dites domaniales ou foncières, qui généralement aujourd'hui sont toutes conçues pour être situées au regard du droit foncier. La présentation de cette diversité est la condition nécessaire d'une mise en perspective utile et juridiquement fondée sur la question foncière dans la décentralisation. Dans la même logique, Mathieu P. (1996), dit que le foncier est par définition une question politique qui ne peut fonctionner que s'il est garanti par un système d'autorité (étatique, coutumière ou mixte) qui définit les règles d'une part et veille à leur application d'autre part.

11 ANY, APA 11820/A, Arrêté portant création des chefferies supérieures dans la région Bamoun in Rapport de tournée dans la subdivision du Noun 1935-1936.

11

Les règles foncières définissent-elles légalement l'accès à la ressource ? Dans quelles conditions ? Et quelle est la distribution de ces ressources entre les acteurs hétérogènes qui expriment le choix des sociétés explicites et implicites sur les rapports entre Etat, pouvoirs locaux et populations et sur le partage des richesses entre les différents acteurs ? Dans le même ordre d'idées, il poursuit en disant que pour les Etats et les administrations modernes, la terre est définie en priorité comme un bien ; un bien économique à mettre en valeur pour produire plus et réaliser le développement. Dans la même logique, Lavigne-Delville (1998) nous fait savoir que ce terme dérive du latin fundus qui signifie fonds de terre. Il se définit suivant le contexte dans lequel il est employé. En géographie, il désigne « l'ensemble des rapports entre les hommes impliqués par l'organisation de l'espace » Il renvoie aussi à « l'ensemble des règles définissant les droits d'accès à la terre d'exploitation et de contrôle concernant la terre et des ressources naturelles renouvelables ». De tout ce qui précède, nous devons retenir que le foncier englobe une dimension spatiale à savoir l'espace et sa gestion qui implique des rapports sociaux donnant un sens aux droits d'usage sur la terre et son exploitation. D'après E. LE ROY, « le foncier' est resté un adjectif tant qu'il désignait le fond de terre (fundus) et le type de pouvoir, de statut ou de revenu qui pouvait en être tiré. On parlait de « seigneurie », de « tenure », de « rente foncière... » En mettant l'accent sur le support matériel, le sol et sur l'origine de la maîtrise exercée12». Pour E. C. GIANOLA, l'élaboration d'une définition qui serait culturellement commune à tous ne serait pas la meilleure solution en raison de la difficulté à rester neutre. En définissant le foncier, on risque à la fois de : Emile LE BRIS, Etienne LE ROY, Paul MATHIEU, « L'appropriation de la terre en Afrique noire. Manuel d'analyse, de décision et de gestion foncières », Ed. KARTHALA, Paris 1998, p. 13-22

Mettre l'accent excessivement sur un certain aspect du foncier en délaissant d'autres aspects également significatifs de celui-ci ; Traduire une certaine vision du foncier dans un cadre purement intellectuel et suivant la perspective culturelle de la société dans laquelle nous nous situons. Cet auteur propose alors une alternative consistant à appréhender le « foncier » comme « une construction socioculturelle composée de certains éléments essentiels qui, tout en étant communs à chaque espèce ou à chaque genre foncier, ne sont pas associés particulièrement à l'un d'entre eux. Ainsi, les écarts entre les différents systèmes fonciers ne seront pas liés à la différence entre les types d'éléments qui les constituent mais à la

12 7Emile LE BRIS, Etienne LE ROY, Paul MATHIEU, « L'appropriation de la terre en Afrique noire. Manueld'analyse, de décision et de gestion foncières », Ed. KARTHALA, Paris 1998, p. 13

12

différence entre les relations existantes entre les divers éléments déterminés par les valeurs socioculturelles qui sont attachées à chaque élément. C'est l'arrangement de ces relations qui détermine une structure foncière donnée13». CHAUVEAU et P. LAVIGNE DELVILLE (1998) soulignent à la fois « la double dimension politique et sociale du foncier, arguant que celui-ci est une question politique révélatrice des dynamiques sociales et des inégalités structurelles, et qu'un système foncier ne peut fonctionner que garanti par un système d'autorité (coutumière, étatique ou mixte) qui définit les règles et veille à leur application14». En terme d'objet d'analyse, E. LE ROY (2000) note que : « l'espace et les ressources doivent donc s'analyser de façon différente en termes fonciers. L'espace donnera lieu à un droit d'accès exclusif et la ressource à un droit de prélèvement, d'exploitation ou de disposition. On parle même de foncier environnemental' dans la gestion de l'espace et des ressources.»

? Enjeu foncier

Pierre Yves-Le Meur15, définit le terme d'enjeu foncier comme un raccourci. Il renvoie tout d'abord à une relation foncière, c'est-à-dire à un rapport social noué entre acteurs individuels ou collectifs autour d'une chose ou d'un bien (terre, plantation, mare, etc.), et non au rapport direct d'un individu ou d'un groupe à cette chose ou à ce bien. Le plus souvent la relation foncière est sous-tendue par un complexe d'enjeux très hétérogènes et dépendants des acteurs impliqués. Il peut s'agir d'enjeux productifs, commerciaux ou de subsistance, rentiers, inscrits dans le court terme ou dans la longue durée et liés à des questions de sécurisation ou de gestion du risque, ou encore d'enjeux politiques, religieux ou symboliques. En bref, une relation foncière n'est que rarement purement foncière. C'est du moins ce que laisse apparaitre la formulation des hypothèses susmentionnées et dont la vérification fera l'objet dans ce travail scientifique. Lavigne-Delville et Durand-Lasserve (2OO8) pensent que les enjeux fonciers auxquels sont confrontées toutes les politiques de développement sont l'accroissement démographique, l'accès à la terre et aux logements pour tous, la conciliation de la croissance économique et de la réduction des inégalités, les compétitions entre acteurs autour de la terre qui sont des sources des conflits à l'échelle locale et nationale, la gestion du

13 GIANOLA (E.C.), « La sécurisation foncière, le développement socio-économique et la force de droit. Le cas des économies ouest-africaines de plantation », Edition l'Harmattan, Paris, 2000, p. 12

14 Cité par Moustapha OMRANE, In : « Transmission de la terre, logique socio-démographique et ancestralité au sein d'une population rurale des Hautes Terres de Madagascar », Paris, 2007, p. 48 »

15Approche qualitative de la question foncière, issue d'une présentation orale effectuée dans le cadre de l'atelier de lancement du projet de recherche INCO CLAIMS (Changes in land access, institutions and markets in West Africa) financé par l'Union Européenne, qui s'est tenu à Ouagadougou du 21 janvier au 1er février 2002.

13

peuplement et la question de la maîtrise de la croissance des villes, la nécessité pour les pays africains de réussir les politiques et réformes foncières.

Ainsi, face aux enjeux, les pays africains sont confrontés à des défis spécifiques qui se résument en quatre points.

1) Permettre l'accès au sol des populations, pour produire, se nourrir et se loger.

2) Prévenir et réguler les conflits sur l'accès à la terre et aux ressources naturelles.

3) Prendre en compte la diversité des droits sur la terre et les ressources naturelles renouvelables.

4) Un besoin de politiques foncières dans un monde libéral.

Ainsi, les enjeux fonciers sont portés par des acteurs individuels et collectifs, que l'on peut schématiquement ranger dans deux catégories : d'une part des acteurs en compétition pour l'accès aux ressources, autour de relation qui peuvent être de concurrence, d'échange, de conflit, d'alliance ; d'autre part, des instances ou institutions de contrôle de l'accès aux ressources.

Vincent et Ouédraogo (2008) vont beaucoup plus loin et pensent que les enjeux fonciers en Afrique et dans le contexte rural Ouest africain, sont plus que jamais d'importances. Ils sont perçus à travers l'évolution des contextes socioéconomiques et politiques nationaux et du contexte international qui fait apparaitre de nouveaux défis fonciers, dont l'ampleur reste encore incertaine. Alors que des rivalités foncières locales étaient, dans le passé, atténuées par un contexte de relative abondance des terres, la dynamique de saturation de l'espace va mettre en question la viabilité des exploitations coloniales et constituer une menace réelle pour la paix sociale. Selon eux, cette menace stratégique des acteurs et gestion de la propriété foncière par les collectivités locales engendre une amplification des mouvements migratoires qui soulèvent de graves tensions identitaires. Par ailleurs la gestion du pastoralisme devient de plus en plus complexe du fait de la mobilité des troupeaux. Tous ces enjeux sont renforcés par l'absence de vision explicitée de l'avenir du monde rural, qui mettrait inévitablement en jeu les types d'agriculture à promouvoir. Ils soulignent également l'importance de l'inapplicabilité de la quasi-totalité des législations pour lutter contre la spéculation foncière, ce qui laisse libre cours à l'accaparement d'importantes superficies à des fins des biocarburants, nouveaux et puissants facteurs de consommation foncière dans la région ouest africaine, et l'absence d'une bonne régulation étatique, un facteur favorisant la dynamique de

14

concentration des terres dans les mains des plus nantis. Ils précisent que ces marchés fonciers non contrôlés par l'Etat deviennent de surcroît source de conflits là où, les mécanismes de régulation foncière locale sont défaillants. Dans la même logique, l'espace périurbain est, en particulier, en restructuration permanente, sous les effets de ce marché informel très dynamique pour lequel les collectivités locales trouvent l'opportunité de générer des ressources à travers la réalisation de nouveaux lotissements, qui parfois, engendrent de nouvelles tensions sociales.

Cette approche est utile pour nous dans la mesure où elle met l'accent sur les stratégies des deux grandes catégories d'acteurs signalées dans notre problématique de recherche, mais aussi, elle nous facilitera l'appréhension de ce phénomène non seulement autour des anciennes plantations coloniales mais également, aux localités de Foumbot et Kouoptamo toutes entières.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry