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Réintroduction de l'ours dans les Pyrénées. Discours, représentations et processus d'entrée en résistance.

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par Elise LABYE
Université de Toulouse-Le-Mirail - Master 1 Anthropologie Sociale et Historique 2009
  

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III.QUELLES REPRESENTATIONS DE LA NATURE ET DU TERRITOIRE

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« Si les portraits des loups diffèrent tellement selon les enquêtés, ce n'est pas seulement une question de représentation ou d'imaginaire. A ce stade là de la crise déjà, les gens ont quelque expérience de l'animal. Ceux qui l'admirent consacrent des journées et des nuits à le chercher, l'aperçoivent parfois, fugitivement, croisent sa piste ou trouvent la carcasse d'une proie sauvage. Ou bien ils fréquentent des parcs animaliers, regardent et lisent des documentaires qui exaltent leurs qualités. De leur côté, les éleveurs et leurs partenaires constatent de visu l'état des troupeaux après le passage des prédateurs. Ce sont bien les mêmes loups dont parlent les uns et les autres, mais ne les voyant pas se livrer aux mêmes activités, ils s'en font des idées très différentes, les idéalisant ou les diabolisantccil est vrai que les diverses faces de l'animal ne sont pas si faciles à emboîter ». ( Isabelle Mauz, 2005, p.179)

On peut remarquer à travers les discours des uns et des autres, que la perception que chacun a du monde qui l'entoure, et plus précisément ici, des territoires de montagne et des ours, est liée à l'expérience que chacun a de son environnement. Une expérience du réel qui est en grande partie fonction des activités quotidiennes de chacun. Ainsi un éleveur n'a, bien souvent, pas la même vision du territoire qu'un randonneur ou qu'un agent chargé du suivi des espèces animales sauvages. Leurs visions ne sont pas les mêmes puisque chacun aborde la nature, avec un but et des pratiques spécifiques. L'usage qu'ils font de la nature, du territoire n'est pas le même. Mais ce fait n'est pas le seul qui entre en jeu puisque qu'il y a aussi des éleveurs qui pensent que la cohabitation est possible, qui soutiennent le plan de réintroduction et qui ont une conception de la nature différente.

Néanmoins, quelles sont les similitudes que l'on peut retrouver au sein d'une même catégorie de perception ? A quels grands principes se réfèrent-ils pour justifier leur positionnement ? D'après le discours des personnes interviewées, il semblerait que ce qui est à la base de leur positionnement soit la priorité donnée ou non à l'humain dans la nature. Ils ont aussi une définition différente de l'écologie et de ce qui fait que l'on est écologiste ou pas. Et de ces différences de perception découle une approbation ou un désapprobation du projet de réintroduction.

D'une manière générale, là où les opposants voient la nature comme un territoire où l'homme occupe la place centrale, les défenseurs des ours y voient le lieu où l'homme doit faire preuve d'humilité et se placer au même niveau que les animaux qui les entourent. Ils ont une perception différente du territoire, les opposants le voient comme très anthropisé et donc n'étant plus adapté à la présence de grands prédateurs, quand Martine, elle, le voit comme moins anthropisé qu'autrefois et donc désormais plus adapté à une cohabitation entre les éleveurs et les grands prédateurs que ce soit les ours ou les loups.

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A. Une nature humanisée, culturelle.

Pour les opposants au projet de réintroduction, l'homme est et doit être au centre du territoire de montagne. Il en est le pilier, et mettre en place un projet qui risque de limiter l'action des éleveurs sur le territoire peut même être perçu comme « contre nature »: « c'est un gain pour rien quoi...c'est à l'encontre quand même de la nature, je sais pas » (Mme Joly à propos du projet de réintroduction). Et ils estiment que sans l'homme, la montagne n'a pas d'avenir. Il semblerait que ce soit surtout la dimension anthropisée de la nature qui ait de la valeur, qui soit prioritaire. « Le jour que tu décourages ces quelques jeunes [éleveurs] qu'y a...et bé...la vallée elle est foutue quoi...elle est foutue non, mais elle redevient sauvage quoi..sauvage...livrée à elle-même... » (M. Joly). La nature apparaît comme devant être maîtrisée par l'homme sans quoi elle se retrouve « livrée à elle-même », comme sans repères. L'absence d'action de l'homme sur la nature semble être perçue comme un retour au chaos, à une certaine primitivité, symbolisés par la nature sauvage, broussailleuse et où prolifèrent les bêtes sauvages.

Ensuite, ces personnes considèrent que les Pyrénées ne sont plus adaptées pour abriter une population d'ours puisque les infrastructures humaines s'y sont beaucoup développées au cours du 20ème siècle. L'élargissement des routes, un trafic routier plus dense, bref une plus grande fréquentation de la montagne serait la raison majeure pour laquelle les ours ne peuvent disposer d'un territoire assez vaste sans être dérangés par les humains ou sans déranger les humains. Il y a donc là l'idée que, si autrefois les Pyrénées permettaient aux ours d'avoir leur territoire sans être dérangés, ils estiment que ce n'est plus le cas aujourd'hui.

Quand on sait la fréquentation qu'il y a dans les Pyrénées entre les stations de ski et les déboisements qu'il y a eu, les pistes forestières euh les les pistes d'accès aux estives euh le nombre de gens qui fréquentent la montagne de très tôt jusqu'à très tard dans la saison, les pêcheurs, les randonneurs, tout ça euh...voilà c'est vrai que c'est sûrement un constat malheureux que l'ours autochtone ait disparu mais bon c'est comme beaucoup de choses de l'existence du règne végétal, animal ». (Laurent)

Les Pyrénées leurs apparaissent comme un lieu très peuplé et éloigné de l'image d'un pays sauvage et peu habité. C'est pour cette raison que dans des manifestations d'opposants au projet ont

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a pu voir écrit sur des banderoles: « On est pas la frontière sauvage »; ceci en référence à un slogan publicitaire, à des fins touristiques, datant des années quatre-vingt qui présentait les Pyrénées comme « la frontière sauvage ». Ils souhaitent promouvoir cette image des Pyrénées comme lieu de vie d'une population et non comme une zone sauvage adaptée au développement d'une population d'ours. Pour justifier ce positionnement et expliquer que la cohabitation n'est possible que dans une zone où l'homme est très minoritaire, ils font référence à d'autres zones du globe comme les vastes forêts du Canada ou de Russie où il y a d'importantes populations d'ours.

«Que ce soit en Russie, que ce soit dans certains pays de l'est, que ce soit en Suède, y'a des zones suffisamment grandes sans quasiment, où l'homme est marginal effectivement [...] et où l'ours il est chez lui quoi, comme les ours dans les grandes forêts canadiennes. Tu peux avoir un petit îlot humain par-ci par-là et l'homme est marginal par rapport à l'ours. Faut que l'un des deux soit marginal par rapport à l'autre c'est tout ». (Bruno Besche-Commenge)

Le territoire pyrénéen, ils le perçoivent comme le fruit du travail réalisé par les générations précédentes. Un travail, un façonnage de la végétation, qui s'est fait à travers l'utilisation des montagnes pour l'élevage et l'agriculture. Ils ont ainsi transformé leur territoire, et lui ont donné son aspect actuel. Pour eux, la nature qui les entoure est plus culturelle que naturelle, mais ils reconnaissent également l'existence d'une nature différente, moins anthropisée, à laquelle l'ours serait plus adapté.

Une des revendications principales de ces gens à travers l'association l'Aspap est mettre en avant que le territoire de montagne pyrénéen est une nature anthropisée même si l'activité humaine agricole sur ces territoires est en diminution. Et, c'est bien pour cette raison qu'ils sont d'autant plus opposés à ce projet. Il leur semble que l'on va ainsi précipiter la disparition de l'activité pastorale des montagnes pyrénéennes comme si elle était devenue inutile ou même gênante. Au contraire, ils souhaiteraient que l'activité humaine pastorale soit maintenue, voire redéveloppée dans ces territoires de montagnes afin qu'une certaine tradition soit maintenue, qu'un certain héritage continue à être transmis aux générations suivantes.

« Y'a un stage de formation berger-vacher où j'interviens en tant que professionnel, parce que c'est important que y'ait des jeunes qui continuent et puis qui ont envie, donc faut leur amener les moyens, les outils, les connaissances quoi...parce que la vie pastorale euh le système pastoral c'est la clé de voute de toute une économie montagnarde » (Laurent).

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Et tout cela, constitue pour eux un patrimoine dont ils revendiquent la préservation. Ce qui est considéré comme un patrimoine ici, ce sont notamment des pratiques dont ils souhaitent la perpétuation. Pour eux, c'est ce patrimoine là, plutôt qu'une espèce emblématique comme l'ours qui doit être mis en valeur pour le développement du territoire. Et cela, dans une alliance entre tourisme et activité agricole. Car ils ont conscience que le tourisme est un moteur de développement incontournable pour le massif pyrénéen. En témoigne le nombre important d'éleveurs qui développent en parallèle une activité liée au tourisme44. Mais l'activité agricole est aussi pour eux la garante d'une certaine forme de paysage qui fait l'identité du territoire.

Leur conception de la nature et du territoire, elle se construit face à la conception de la nature qu'ils prêtent aux défenseurs du projet de réintroduction. Ainsi l'altérité s'est construite puis accentuée entre les deux camps. Ceux-ci chercheraient à exclure l'homme de la nature et considèreraient que son action sur la nature est néfaste. Eux au contraire estiment que c'est dans l'ordre normal des choses que l'homme exploite la nature qui l'entoure. Aussi, ils estiment que l'on cherche à faire des Pyrénées une sorte de sanctuaire ou de parc à très grande échelle pour des citadins en mal de nature et où l'homme n'aurait sa place qu'en tant que spectateur et/ou gestionnaire du lieu.

« Le plan ours participe, comme de toute la reconstruction « Natura 200045 », c'est une sorte euh une disneylandisation de la nature que l'on opère. [...] Moi je persiste à croire que l'homme a sa place sur terre et qu'il fait partie intégrante de la vie sur terre, et qu'on ne peut pas l'exclure comme ça, le mettre en opposition avec la nature. [...] Dans ce sens là, j'estime que le pastoralisme génère un environnement qui est totalement respectueux de la plupart des composantes naturelles de cet environnement bien plus que de vouloir intervenir manu militari dans cet environnement pour en faire un parc de plaisance, un parc pour touristes où les gens, ils peuvent rêver à une naturalité qui est perdue depuis bien longtemps je crois ». (Nicolas )

« Bon y'en a ils vont te le présenter autrement, les mecs qui sont pour l'ours, ils vont te dire...mais euh...moi je pense que c'est des rêves...moi je suis sur le terrain et...tous les éleveurs je pense que c'est eux les principaux acteurs ». (M. Joly)

«Ceux qui sont pour l'ours, c'est pas rationnel [...] ...[l'ours] ça représente la nature... [...]

44 Chambre d'hôtes, visite à la ferme,etc...

45 «Avec pour double objectif de préserver la diversité biologique et de valoriser les territoires, l'Europe s'est lancée, depuis 1992, dans la réalisation d'un ambitieux réseau de sites écologiques appelé Natura 2000. Le maillages des sites s'étend sur toute l'Europe de façon à rendre cohérente cette initiative de préservation des espèces et des habitats naturels. » Citation extraite du site internet: natura2000.fr

l'homme il a passé son temps à combattre la nature et il va continuer [...] on a dompté la nature disons, ou qu'on exploite la nature , naturellement.... c'est sûr que va falloir s'arrêter ou que faut le faire autrement, mais le principe je condamne pas le principe moi, que l'humain exploite la nature, c'est normal c'est son karma, s'il l'avait pas fait il serait mort....alors euh ces espèces d'idée là de nature, c'est une religion quoi maintenant ! C'est insupportable donc c'est pour ça que j'suis allée aux anti-ours, parce que les pro-ours c'est des religieux, c'est des ayathollas » (Bernadette)

Aussi, ils sont renvoyés au domaine du rêve, de l'imaginaire, de l'utopie et même du religieux. De plus, ces personnes ne connaitraient pas le terrain, et auraient une vision déconnectée de la réalité. Même si certains disent comprendre que l'on puisse avoir une telle vision de la situation quand on habite en ville. En opposition à cela, eux se réclament comme étant des gens de terrain, au plus près de la réalité, et ayant une connaissance concrète des territoires de montagne. Ce qui leur donnerait une plus grande légitimité pour juger de la façon dont le territoire doit être géré.

On chercherait donc à recréer artificiellement une zone sauvage, où les activités humaines agricoles seraient tolérées ou apparaîtraient comme élément folklorique d'un parc. « On veut pas être parqués...parqués là dans un coin et...ça c'est un éleveur et y'en a un autre à 80 ou 60 km plus loin... » (Jean). Il me semble que c'est pour cette raison qu'ils disent ne pas vouloir être « parqués », considérés comme les « indiens des Pyrénées », et qu'ils parlent de « réserve de paysans », en référence aux réserves d'indiens qui existent aux États-Unis. Ils pensent que certains cherchent, tout comme pour les ours, à les '' muséifier''. Ils pensent que si les ours sont objets de toutes les attentions et érigés en priorité écologique, c'est parce qu'ils symbolisent un ordre naturel restauré. Mais, ils contestent le caractère écologique prioritaire donné à la restauration d'une population d'ours. Cette idée irait dans le sens d'une volonté de restauration d'un équilibre naturel perdu, qu'ils considèrent comme utopique, puisque pour eux, la nature est depuis bien longtemps humanisée.

C'est toujours dans cet ordre des choses que Nicolas fait une distinction entre nature et environnement. Pour lui, la nature au sens de: « endroits sur terre où l'homme n'a jamais influencé la nature » n'existe plus. Il estime que même dans les zones considérées comme les plus sauvages sur terre, comme l'Amazonie ou les Pôles nord et sud, « l'homme a modifié de manière plus ou moins durable son environnement », notamment, selon lui, en modifiant le climat. Et la nature serait devenue l'environnement, au sens de « milieu dans lequel vit l'homme ».

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote