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Jeux, enjeux et contraintes des grandes puissances au cours du printemps arabe. Le cas des membres du CSNU.

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par Ange Joachim MENZEPO
Université de Dschang-Cameroun - Master en Sciences politiques 2015
  

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PARAGRAPHE II : LES ENJEUX STRATEGIQUES.

Alexander WENDT affirme que « les intérêts des Etats dépendent non pas de la configuration objective des rapports de force matériels, mais des identités des Etats, c'est-à-dire des représentations que les Etats se font d'eux-mêmes et d'autrui du système international, et de leur propre place ainsi que celle des autres au sein de ce système international. Les identités se réfèrent à ce que les acteurs sont [...] Les intérêts se réfèrent à ce que les acteurs veulent [...]. Les intérêts présupposent les identités parce qu'un acteur ne peut savoir ce qu'il veut avant de savoir ce qu'il est »682(*).

Sur la scène internationale, la France, la Grande-Bretagne, la Russie, la Chine et les Etats-Unis sont des grandes puissances. Entre elles, elles se respectent et sont dans un autre sens des adversaires les unes pour les autres. Elles n'hésitent pas à accroitre leurs puissances, afin d'avoir plus d'influence que les autres, quand des opportunités se présentent. Ainsi, le printemps arabe est une opportunité pour elles de se battre pour un positionnement ou encore pour déstabiliser des unités qui se présentent comme menaçant leurs puissances et se prémunir contre l'immigration. Ces enjeux sont perceptibles autour des enjeux des puissances très actives et ceux des puissances moins actives. Ceux-ci se rassemblent allègrement autour des enjeux collectifs (A) et des enjeux spécifiques (B)

A. Les enjeux collectifs.

Les enjeux collectifs sont davantage poursuivis par les puissances très actives que par les moins actives. Ils découlent du choc des puissances. En effet, l'Afrique constitue de plus en plus un champ de rivalité de la France avec d'autres puissances683(*). Les terrains des confrontations sont nombreux et l'un des plus significatifs est la Libye. Au cours du printemps arabe la France et les alliés s'activent pour l'anéantissement des efforts de construction de l'UA (1), le ralentissement de l'expansion de la Chine (2) et aussi pour conquérir le pétrole (3).

1- L'anéantissement des efforts de construction de l'UA.

L'un des enjeux majeurs visés par les puissances occidentales est celui de ruiner les efforts de consolidation de l'UA. Bertrand BADIE soutient que « sur le plan global, les puissances les plus grandes se méfient des constructions régionales qui les contraignent beaucoup plus qu'elles ne les confortent. Les Etats-Unis, poursuit-il, n'ont jamais été très favorables à cette invention [...] pour les autres »684(*). Ainsi, l'émancipation de l'UA est une menace pour certaines puissances, dès lors tout doit être mis en oeuvre pour son étouffement. L'anéantissement des efforts de construction de l'UA est mis en oeuvre par la décision d'éliminer KADHAFI qui est un précurseur de l'UA et se présente comme un « danger » pour les occidentaux685(*).

En effet, la Libye est considérée, avec les efforts de son leader KADHAFI, comme une tête de proue dans la construction de l'UA686(*). Ce dernier a beaucoup oeuvré pour la construction de cette entité politique687(*). Il entendait par exemple mettre sur pied une armée africaine, c'est ce qu'atteste ce propos : « à bas l'impérialisme! Il faut que l'Afrique ait une seule armée (...) qui se composerait d'un million de soldats (...). La Libye n'est même pas capable de protéger ses eaux territoriales toute seule »688(*).

Etant entendu que l'Afrique est un réservoir de ressources naturelles pillées par les puissances occidentales, pour elles, la laisser s'unir était s'autodétruire. Dès lors la mise à mort de KADHAFI s'imposait comme moyen pour stopper les financements nécessaires à la construction de l'Union, d'où les pleurs de certains leaders africains à la mort de ce dernier689(*). Robert MUGABE, le président zimbabwéen voit par exemple en la mort de M. KADHAFI, « le début d'une nouvelle recolonisation de l'Afrique »690(*). Au Ghana, l'ancien Président John AGYEKUM KUFOUR déclara que « la mort de KADHAFI est une journée historique et triste pour l'Afrique »691(*).

En vérité, en Afrique, les grandes puissances pillent les ressources, imposent des bas salaires, des accords commerciaux défavorables et des privatisations nuisibles. Elles exercent toutes sortes de pressions et chantages sur des Etats faibles, elles les étranglent par une dette injuste. Elles installent des dictateurs complaisants, elles provoquent des guerres civiles dans les régions convoitées692(*).

L'existence de Mouammar KADHAFI dont l'ambition était de mettre fin à la mendicité de l'Afrique ne pouvait être vue que d'un mauvais oeil. Ainsi, les puissances très actives ont rejeté ses propositions de cessez le feu pourtant conformes aux exigences de la résolution 1973 du CSNU693(*).

KADHAFI envisageait la création du « dinar or » (monnaie unique que devait utilisée l'Afrique), la mise en place du satellite RASCOM, la création du FMA (Fond Monétaire Africain) concurrençant le FMI et dans lequel les pays non-africains n'auraient pas eu d'entrée, la création d'une Banque Centrale Africaine, et d'une  Banque d'Investissement694(*). Toutes ces initiatives visaient à offrir à l'Afrique une autonomie au travers de l'UA. « Nous avions compris qu'à travers l'acharnement médiatique contre le régime de KADHAFI, c'était l'Afrique qu'ils voulaient empêcher de s'autonomiser. Mouammar KADHAFI voulait créer les Etats-Unis d'Afrique avec une monnaie, des banques, des infrastructures et communications africaines. Le projet était prêt mais dérangeait tous ceux qui voulaient continuer à piller les richesses du continent »695(*). Cette affirmation de SKANDRANI G. H. est assez illustrative de cette réalité.

Il faut reconnaitre que l'Afrique est stratégique pour les multinationales occidentales, car leur prospérité est basée sur le pillage de ses ressources696(*). Si un prix correct était payé pour l'or, le cuivre, le platine, le coltan, le phosphate, les diamants et les produits agricoles, les multinationales seraient beaucoup moins riches mais les populations locales pourraient échapper à la pauvreté697(*).

Pour les multinationales des Etats-Unis et d'Europe, il est donc vital d'empêcher l'Afrique de s'unir et de s'émanciper. Elle doit rester dépendante. Un exemple, bien exposé par Jean-Paul POUGALA698(*).

L'histoire démarre en 1992 lorsque quarante-cinq pays africains créent la société RASCOM pour disposer d'un satellite africain et faire chuter les coûts de communication sur le continent. Téléphoner vers l'Afrique est alors le tarif le plus cher au monde, parce qu'il y avait un impôt de 500 millions de dollars que l'Europe encaissait par an sur les conversations téléphoniques même à l'intérieur du même pays africain, pour le transit des voix sur les satellites européens comme Intelsat699(*).

Un satellite africain coûtait juste 400 millions de dollars payable une seule fois et ne plus payer les 500 millions de location par an. Quel banquier ne financerait pas un tel projet ? Mais l'équation la plus difficile à résoudre était : comment l'esclave peut-il s'affranchir de l'exploitation servile de son maître en sollicitant l'aide de ce dernier pour y parvenir ? Ainsi, la Banque Mondiale, le FMI, les USA, l'Union Européenne ont fait miroiter inutilement à ces pays pendant quatorze ans la possibilité d'une issue favorable à leur requête. C'est en 2006 que KADHAFI met fin au supplice de l'inutile mendicité aux prétendus bienfaiteurs occidentaux pratiquant des prêts à un taux usuraire.

Dans cet élan, KADHAFI a donné un fort soutien financier et matériel à l'Union Africaine, s'opposant à l'installation de l'« Africom » militaire étasunien sur le sol africain et finançant une vaste gamme de projets de développement dans les pays subsahariens700(*). Le guide libyen a ainsi mis sur la table 300 millions de dollars, la Banque Africaine de Développement a mis 50 millions, la Banque Ouest Africaine de Développement, 27 millions et c'est ainsi que l'Afrique a depuis le 26 décembre 2007 le tout premier satellite de communication de son histoire701(*).

Dans la foulée, la Chine et la Russie s'y sont mises, cette fois en cédant leur technologie et ont permis le lancement de nouveaux satellites, sud-africain, nigérian, angolais, algérien et même un deuxième satellite africain est lancé en juillet 2010. Et on attend pour 2020, le tout premier satellite technologiquement 100% africain et construit sur le sol africain, notamment en Algérie. Ce satellite est prévu pour concurrencer les meilleurs du monde, mais à un coût dix fois inférieur702(*). Un vrai défi lancé aux occidentaux qui devant ainsi perdre beaucoup de dividendes ne voulaient pas laisser grandir l'U.A.

Ce geste symbolique de 300 millions devait changer la vie de tout un continent. La Libye de KADHAFI a fait perdre à l'Occident, pas seulement 500 millions de dollars par an mais les milliards de dollars de dettes et d'intérêts que cette même dette permettait de générer à l'infini et de façon exponentielle, contribuant ainsi à entretenir le système occulte pour dépouiller l'Afrique. C'est la Libye de KADHAFI qui offre à toute l'Afrique sa première vraie révolution des temps modernes : assurer la couverture universelle du continent pour la téléphonie, la télévision, la radiodiffusion et de multiples autres applications telles que la télémédecine et l'enseignement à distance ; pour la première fois, une connexion à bas coût devient disponible sur tout le continent, jusque dans les zones rurales grâce au système par pont radio WMAX.703(*)

Le préalable absolu pour la « résolution » de la crise libyenne était donc l'élimination politique de KADHAFI704(*), qu'il disparaisse sous les bombes, choisisse l'exil comme Ben ALI ou rejoigne une discrète retraite comme MOUBARAK. C'est d'ailleurs le seul principe d'action qui réunisse sur une même ligne les Européens, les insurgés libyens, les Américains et la Ligue arabe. «Tout pourrait revenir dans l'ordre, si seulement le Guide jetait l'éponge!», déclarait Hillary CLINTON705(*). Par cette déclaration, l'on remarque a priori que l'ennemi est choisi, Monsieur Mouammar KADHAFI. Il doit partir, et aucun cas n'est fait d'une attitude que le CNT devrait adopter au préalable.

KADHAFI était si entreprenant en Afrique qu'il avait réussi à faire boycotter un sommet de la Francophonie au profit d'un sommet constitutif de l'U.A qu'il avait convoqué706(*). Le boycott de ce sommet par plusieurs chefs d'Etat africains pourtant des adeptes des sommets France-Afrique témoigne de l'intérêt que ceux-ci portaient à l'U.A. Cet acte était certainement resté au travers de la gorge des Français707(*) qui devaient saisir l'opportunité du printemps arabe pour régler à KADHAFI son compte et détruire le projet d'U.A, surtout que cet acte était perçu comme élément déstabilisateur de l'hégémonie française en Afrique. MAGNARD Franck et TENZER Nicolas nous rapportent que « la stabilité du continent est vitale pour la France à laquelle ses alliés africains assurent une vocation mondiale et un soutien précieux lors des votes politiques à l'ONU »708(*). Aussi, la stabilité de l'Afrique est vitale pour la France. Une déstabilisation de celle-ci en raison de l'expansionnisme libyen aurait des conséquences sur la politique de la France au Moyen-Orient et en Afrique du Nord709(*). Il fallait donc stopper cet expansionnisme libyen mis en oeuvre par le guide Mouammar KADHAFI.

Dans la même logique que celle précédente à savoir freiner la construction d'une entité politique d'envergure mondiale, les Etats-Unis et les alliés entendent se servir du printemps arabe pour le ralentissement de l'expansion de la Chine en Afrique.

2- Le ralentissement de l'expansion de la Chine en Afrique.

« La décision prise de Washington pour l'OTAN de bombarder la Libye de KADHAFI et de la soumettre à ses diktats ces derniers mois, ceci à un coût estimé d'au moins un milliard de dollars qui seront épongés par le contribuable américain, n'a pas grand chose à voir avec ce que le gouvernement d'OBAMA proclame être une « mission de protection de civils innocents ». En réalité, ceci fait partie d'un plus vaste plan stratégique de l'OTAN et du Pentagone en particulier de contrôler le talon d'Achille de la Chine, à savoir sa dépendance stratégique en de grands volumes d'importation de pétrole brut et de gaz. Aujourd'hui, la Chine est le second importateur de pétrole au monde derrière les Etats-Unis et le fossé se comble rapidement »710(*).

En effet, the Council on Foreign Affairs a publié en date du 5 avril 2011 un rapport sur les enjeux du printemps arabe et ses implications pour les Etats-Unis en termes de choix stratégiques, la sécurité de ses bases militaires largement répandues dans le Moyen-Orient. Avec au premier rang l'Iran pour cible afin de contrôler son influence dans la région. Ensuite et surtout, la Chine en arrière plan dont l'infiltration grandissante sur le continent africain nuit à l'hégémonie de l'économie américano-européenne, tant en terme de pillage des ressources que comme débouché pour ses produits manufacturés dans un contexte de crise où les Etats-Unis ont besoin de revivifier leur économie et augmenter leurs exportations compte tenu de la dette extérieure dont la Chine détient 14 mille milliards de dollars711(*).

A cet égard, la Chine représente pour les Etats-Unis une vraie menace. Sa présence diplomatique et économique se développe sur tous les continents, y compris en Afrique, où ses dirigeants multiplient les visites, les offres de financement à l'appui de projets d'investissements. La Chine veut s'affirmer comme « une puissance responsable »712(*). Aussi, par ses valeurs, la Chine entend être un contrepoint aux idéaux du « Consensus de Washington ». Elle réfute l'idée que l'histoire serait gouvernée par une convergence vers des valeurs universelles, croyance que professait initialement HEGEL et que reprit plus récemment FUKUYAMA à la suite de l'effondrement du mur de Berlin713(*).

Au sein de la société internationale, les Etats s'efforcent de maximiser (...) leur puissance714(*). Pour y arriver, tous les coups sont permis. Partant de là, la Chine est prise en chasse par les Etats-Unis en Libye. Si nous regardons attentivement une carte de l'Afrique et si nous observons l'organisation africaine du nouveau commandement africain du Pentagone AFRICOM, il émerge que la stratégie est de contrôler une des ressources stratégiques les plus importantes de la Chine en ce qui concerne le pétrole et les matières premières715(*).

La campagne de Libye de l'OTAN est au sujet du pétrole et rien que du pétrole; mais pas à propos de contrôler le brut de haute qualité libyen (demandant peu de raffinage). C'est plutôt au sujet du contrôle de l'accès de la Chine à des importations de brut de longue durée depuis l'Afrique et le Moyen-Orient716(*). En d'autres termes, tout ceci est au sujet de contrôler la Chine elle-même. D'ailleurs, Pékin perçoit l'intervention de l'OTAN comme un acte hostile à son encontre717(*).

Pas à pas depuis ces dernières années, Washington a commencé à créer la perception que la Chine était en train de devenir la plus grande menace pour la paix mondiale718(*), le tout à cause de son énorme expansion économique. Dépeindre la Chine comme le « nouvel ennemi » a été compliqué car Washington est dépendant de la Chine pour qu'elle achète la part du lion de sa dette gouvernementale sous forme d'obligations et bons du trésor719(*). Pour contourner cela et par dessus tout, contrôler la dépendance énergétique de la Chine, ses imports de pétrole ont été identifiés comme étant son « talon d'Achille ». L'affaire libyenne est un coup monté directement pour frapper ce talon d'Achille720(*). Washington veut renverser KADHAFI parce qu'il souhaite clairement bouter la Chine hors de Libye721(*).

La résolution 1973 n'autorisait pas le renversement de M. KADHAFI. La France et les autres puissances très actives sont allées au-delà des prescriptions de la résolution en faisant assassiner le guide libyen. Par cette opération, la France veut reprendre la main dans une région riche en pétrole où d'autres puissances étaient prédominantes, en particulier la Chine avec une très forte diaspora.

3- La quête du pétrole.

Un autre enjeu poursuivi par la France, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis est celui de la quête du pétrole. C'est la pratique de la « diplomatie des matières premières »722(*). Comme l'écrit sans ambages Naim AMEUR, « les Nations Unies ont autorisé les forces de l'OTAN à intervenir sous prétexte de protéger le peuple libyen ; en réalité, les enjeux dépassent en l'occurrence le cadre humanitaire, c'est de l'or noir qu'il s'agit »723(*). Quoique cette assertion soit discutable, il reste que les puissances intervenantes en Libye n'ont pas attendu la chute du régime de KADHAFI pour signer de nouveaux accords d'exploitation pétrolière avec le Conseil National de Transition. L'exportation du pétrole avait repris avant même la fin des combats724(*). Déjà au sujet de l'invasion irakienne, une critique avait été faite aux Etats-unis : M. WALZER écrit en parlant de critique, « notre gouvernement visait à (...) maintenir une présence stratégique afin d'avoir la haute main sur la production pétrolière de la région »725(*). Les puissances reproduisent le même protocole d'actions en Libye.

La même critique est adressée quant aux actions des P3. Les analyses de plusieurs actions posées en interaction avec d'autres puissances ont permis de relever la quête du pétrole comme faisant partie des fondements des actions des grandes puissances très actives. D'ailleurs, s'il avait été explicitement avancé, les grandes puissances auraient été désavouées par le reste de la communauté internationale notamment par l'Afrique. C'est pourquoi avant leur intervention la France, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis  ont recouru à la légitimation de celle-ci par le CSNU.

Avec l'aggravation de la crise générale du capitalisme, les grandes puissances économiques se livrent à une compétition de plus en plus acharnée. En son temps, Thomas HOBBES estimait déjà que les relations internationales étaient guidées par l'intérêt personnel (ou national), ouvrant ainsi la voie à toutes formes d'affrontements726(*). Les places sont chères dans ce « jeu de chaises musicales »727(*). Pour garantir une chaise à ses multinationales, chaque puissance doit se battre sur tous les fronts : conquérir des marchés, conquérir des zones de main d'oeuvre profitable, obtenir de gros contrats publics et privés, s'assurer des monopoles commerciaux, contrôler des Etats qui lui accorderont des avantages... Et surtout, s'assurer la domination sur des matières premières convoitées. Et avant tout, le pétrole728(*).

En 2000, analysant les guerres à venir Michel COLLON écrivait : « qui veut diriger le monde, doit contrôler le pétrole. Tout le pétrole. Où qu'il soit »729(*). Pour une grande puissance, il ne suffit pas d'assurer son propre approvisionnement en pétrole. Il faut plus, il faut le maximum. Non seulement pour les énormes profits, mais surtout parce qu'en assurant un monopole, elle est à même d'en priver ses rivaux trop gênants ou de les soumettre à ses conditions. Elle détiendrait ainsi l'arme absolue730(*).

Dans cette lancée, depuis 1945, les Etats-Unis ont tout fait pour s'assurer ce monopole sur le pétrole. Un pays rival comme le Japon dépendait par exemple à 95% des Etats-Unis pour son approvisionnement en énergie. De quoi garantir son obéissance. Mais les rapports de force changent, le monde devient multipolaire et les Etats-Unis font face à la montée de la Chine, à la remontée de la Russie, à l'émergence du Brésil et d'autres pays du Sud. Le monopole devient de plus en plus difficile à maintenir.

Le pétrole libyen, c'est seulement 1% ou 2% de la production mondiale mais il est de meilleure qualité, d'extraction facile et donc très rentable. Et surtout il est situé tout près de l'Italie, de la France et de l'Allemagne. Importer du pétrole du Moyen-Orient, d'Afrique noire ou d'Amérique latine se ferait à un coût bien supérieur. Il y a donc bel et bien bataille pour l'or noir libyen. D'autant plus pour un pays comme la France731(*).

Dans ce contexte, il faut rappeler deux faits. Premièrement, KADHAFI désirait porter la participation de l'Etat libyen dans le pétrole de 30% à 51%. Deuxièmement, le 2 mars 2011, KADHAFI s'était plaint que la production pétrolière de son pays était au plus bas. Il avait menacé de remplacer les firmes occidentales ayant quitté la Libye par des sociétés chinoises, russes et indiennes732(*).

Aussi, les Anglais comme les Français ont tout à gagner à l'issue du conflit libyen. Ils n'y ont, contrairement aux Chinois et Russes, aucun intérêt à préserver. Selon les propos de Hasni ABIDI, « si la France et la Grande-Bretagne ont tant pesé dans la mobilisation internationale c'est parce qu'elles n'ont rien à perdre »733(*). On se souvient que eu égard à la qualité des rapports entre la France et l'Irak, la France s'était opposée à l'intervention américaine de 2003 en Irak. Dans le cas d'espèce, la France et le Royaume-Uni, n'ont pas su ou pu conclure de contrats avantageux avec KADHAFI. Aussi, n'ont-ils pas hésité à s'engager aux côtés des rebelles afin de renverser le régime de Tripoli734(*). Tout était donc conquête pour ces deux puissances dans le pays de KADHAFI.

Il se crée dans ce contexte un choc des puissances même si elles n'ont pas la même aura internationale car la bataille française, américaine, et britannique dans cette guerre du pétrole avait pour cible principale l'Italie et l'Allemagne735(*). En effet, si la guerre contre la Libye est juste humanitaire, on ne comprend, avec Michel COLLON736(*), pas pourquoi ceux qui la mènent se disputent entre eux. Pourquoi SARKOZY s'est-il précipité pour être le premier à bombarder ? Pourquoi s'est-il fâché lorsque l'OTAN a voulu prendre le contrôle des opérations prétextant que « l'Otan est impopulaire dans les pays arabes »737(*).

Pourquoi l'Allemagne et l'Italie ont-elles été si réticentes face à cette guerre ? Pourquoi le ministre italien FRATTINI a-t-il d'abord déclaré qu'il fallait « défendre la souveraineté et l'intégrité territoriale de la Libye » et que « l'Europe ne devrait pas exporter la démocratie en Libye »738(*) ? Simples divergences sur l'efficacité humanitaire ? Non, il s'agit là aussi d'intérêts économiques que les puissances interventionnistes avaient à coeur d'ébranler pour asseoir leurs dominations.

Dans une Europe confrontée à la crise, les rivalités sont de plus en plus fortes aussi. Il y a quelques mois739(*) encore, on défilait à Tripoli pour embrasser KADHAFI et empocher les gros contrats libyens. Ceux qui les avaient obtenus, n'avaient pas intérêt à le renverser. Ceux qui ne les avaient pas obtenus, y ont tout intérêt. Les Français se sont d'ailleurs plaints, les Libyens disent-ils « parlent mais ne nous achètent rien »740(*).

L'Italie était le premier client du pétrole libyen, l'Allemagne le deuxième.  Concernant les investissements et les exportations des puissances européennes, l'Italie avait obtenu le plus de contrats en Libye, l'Allemagne venait en deuxième position. C'est la firme allemande BASF qui était devenue le principal producteur de pétrole en Libye avec un investissement de deux milliards d'euros. C'est la firme allemande DEA, filiale du géant de l'énergie RWE, qui a obtenu plus de quarante mille kilomètres carrés de gisements de pétrole et de gaz741(*). Il n'y avait donc que des résidus pour les alliés, une raison valable pour aller en guerre afin d'ébranler ses fondements. Malgré ces enjeux collectifs, les puissances ont eu à poursuivre des enjeux spécifiques.

* 682 WENDT Alexander cité par BATTISTELLA (D.), op. cit. p. 282.

* 683 POKAM Hilaire de Prince, Le multilatéralisme franco-africain à l'épreuve des puissances, Paris, L'Harmattan, 2013, p. 375.

* 684 BADIE Bertrand, « La crise des organisations régionales », disponible sur http://www.lemonde.fr/, consulté le 13 mars 2013.

* 685 A cet égard, « le 19 octobre 2011 en fin d'après-midi, un colonel du Pentagone téléphone à l'un de ses correspondants au sein du service secret français. Chargé du dossier « KADHAFI », l'une des priorités actuelles des généraux de l'équipe OBAMA, l'Américain annonce que le chef libyen, suivi à la trace par des drones Predator US, est pris au piège dans un quartier de Syrte et qu'il est désormais impossible de le « manquer ». Puis il ajoute que laisser ce type en vie le transformerait en « véritable bombe atomique ». Son interlocuteur comprend ainsi que la maison Blanche a rendu son verdict, et qu'il faut éviter de fournir à KADHAFI la tribune internationale que représenterait son éventuel procès », ANGELI Claude dans Le Canard Enchaîné  du mercredi 26 octobre 2011.

* 686 TIOGO Romaric, Les Etats et la construction de l'Union africaine : Le cas de la Libye et du Sénégal, Thèse de Master Science politique, Université de Dschang, 2009-2010.

* 687 A cet égard, la thèse de TIOGO Romaric suscitée est assez révélatrice.

* 688Discours de Mouammar KADHAFI lors du FESMAN de Dakar le 14 décembre 2010 : Voir le site Internet http://www.europe1.fr, consulté le 31 novembre 2013.

* 689 PONDI (J.E.), Vie et mort de KADHAFI... op.cit.

* 690 Ibid., p.72.

* 691 Ibid., p.71.

* 692 COLLON (M.), « comprendre la guerre en Libye », op.cit.

* 693 Article 1 de la résolution.

* 694 TANGUY, « Libye : que savons nous ? » publié sur BEEZ, consulté le 08 aout 2014.

* 695 SKANDRANI (G. H.), op.cit.

* 696 COLLON (M.), « Comprendre la guerre en Libye », Source : www.michelcollon.info, consulté le 25 avril 2013.

* 697 Ibid.

* 698 POUGALA Jean-Paul, « Les mensonges de la guerre contre la Libye », palestine-solidarite.org, 31 mars 2011, consulté le 23 avril 2013.

* 699 Ibid.

* 700 Nous lirons avec beaucoup d'intérêt, HUGH Roberts, « Qui a dit que KADHAFI devait partir ? », dans London Review of Books, vol 33 N° 22, 17 novembre 2011 pages 8-18.

* 701 POUGALA (J.P.) op.cit.

* 702 Ibid.

* 703 Ibid.

* 704 Source : http:// www.lefigaro.Fr/international/2011/03/21, consulté le 07 août 2014.

* 705 Ibid.

* 706 TIOGO (R.) op.cit., p. 30.

* 707 Selon le correspondant de Jeune Afrique, la France ne vit pas d'un bon oeil cette initiative libyenne qui amena beaucoup de présidents à manquer le sommet biennal de la Francophonie, A.R.L « Diplomatie : d'un sommet à l'autre », dans Jeune Afrique N° 2016 du 31 août au 6 septembre 1999

* 708 MAGNARD Franck et TENZER Nicolas, La crise africaine : Quelle politique de coopération pour la France ?, Paris, PUF, 1998, p. 189.

* 709 Ibid.

* 710 ENGDAHL William, « La guerre de l'OTAN contre la Libye est dirigée contre la Chine » publié le 25 septembre 2011 sur http://www.globalresearch.ca, consulté le 12 mars 2013.

* 711 Source: www.nawaat.org, consulté le 14 juillet 2014.

* 712 CHAPONNIERE Jean Raphael, PERREAU Dominique, PLANE Patrick, « L'Afrique et les grands émergents », A savoir 19, Avril 2013, p. 14.

* 713 Ibid., p.16.

* 714 SMOUTS (M.C.), et al., op.cit., p. 454.

* 715 ENGDAHL (W.) op.cit.

* 716 ENGDAHL (W.) op.cit.

* 717 Rapport CIRET-AVT, op. cit., p. 35.

* 718 ENGDAHL (W.) op.cit.

* 719 Ibid.

* 720 Ibid.

* 721 Rapport CIRET-AVT, op. cit., p. 35.

* 722 POKAM (H. P.), Le multilatéralisme franco-africain à l'épreuve des puissances, op.cit., p. 364.

* 723 AMEUR Naim, « La Libye entre les intérêts de l'Occident et la résistance de KADHAFI », Outre-Terre, vol. 3, no. 29, 2011, p. 299.

* 724 BADO (B.A.), op. cit., p. 4.

* 725 WALZER (M.), op. cit. p. 15.

* 726 Lire HOBBES Thomas, Leviathan, London, Oxford University Press, 1998.

* 727 COLLON Michel, « Comprendre la guerre en Libye », op. cit.

* 728 Ibid.

* 729COLLON Michel, Monopoly - L'Otan à la conquête du monde, Bruxelles, EPO, 2000.

* 730 COLLON (M.), « Comprendre la guerre en Libye » op.cit.

* 731 Ibid.

* 732 Ibid.

* 733 Décryptage des enjeux du printemps arabe fait par Hasni ABIDI op.cit.

* 734 Rapport CIRET-AVT, op. cit., p. 35.

* 735 COLLON (M.)  « Comprendre la guerre en Libye » op.cit.

* 736 Ibid.

* 737 Ibid.

* 738 LEPORE Marianna, The war in Libya and Italian interests, publié sur inaltreparole.net le 22 février 2011, consulté le 26 mars 2013.

* 739 Avant le début de la crise en Tunisie.

* 740 COLLON Michel, LALEU Grégoire cité par POKAM (H. de P.), Le multilatéralisme franco-africain à l'épreuve des puissances, op.cit., p.395.

* 741 COLLON (M.)  « Comprendre la guerre en Libye » op.cit.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand