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Jeux, enjeux et contraintes des grandes puissances au cours du printemps arabe. Le cas des membres du CSNU.

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par Ange Joachim MENZEPO
Université de Dschang-Cameroun - Master en Sciences politiques 2015
  

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B. La déliquescence de l'Etat libyen.

La démocratie s'exerce dans un Etat. Au sens de Max WEBER, l'Etat est vu comme « une entreprise politique de caractère institutionnel lorsque et en tant que sa direction administrative revendique avec succès, dans l'application des règlements, le monopole de la contrainte physique légitime », le tout « à l'intérieur d'un territoire géographique déterminable »1008(*). Dans Le Savant et le Politique, Max WEBER forge le concept politique de violence légitime. Il définit en effet l'Etat comme l'institution détenant le monopole de l'usage légitime de la force physique. Il écrit : « un Etat est une communauté humaine qui revendique le monopole de l'usage légitime de la force physique sur un territoire donné»1009(*).

Le terme important de cette définition est « légitime ». Car si des personnes ou des groupes peuvent faire usage de la violence, elle n'est en aucun cas légitime. Seul l'Etat est habilité à utiliser la violence sans qu'on puisse lui en dénier la légitimité. Cela fait partie de ses prérogatives légales.

L'Etat est défini suivant son acception sociologique comme « une espèce particulière de société politique résultant de la fixation sur un territoire déterminé d'une collectivité humaine relativement homogène, régie par un pouvoir institutionnalisé comportant le monopole de la contrainte organisée »1010(*).

Une analyse de la situation en Libye permet de se rendre à l'évidence qu'il n'existe pas ou tout au moins plus d'Etat. La condition indispensable à la mise en place de la vision démocratico-constitutionnelle pour la Libye est de rétablir le plus rapidement possible la sécurité publique et le respect général du pouvoir étatique central dans l'ensemble du pays1011(*). Sans embages, Patrick HAIMZADEH déclare dans un interview au sujet de la Libye : «C'est un pays sans Etat (...) »1012(*).  Il n'existe pas de pouvoir central qui coordonne les activités. Le pouvoir central ayant disparu, plusieurs clans régionaux et tribaux se livrent une guerre aussi confuse qu'impitoyable dans une Libye fracturée en trois grands ensembles eux-mêmes subdivisés1013(*) :

- Le« Grand Sud » est une zone grise où le « pouvoir » nordiste n'est obéi ni des Touareg à l'Ouest, ni des Toubou au centre et à l'Est ; d'autant plus que ces derniers subissent les raids lancés par des milices arabes. Cette situation de non-droit permet aux islamistes ayant échappé aux forces de l'Opération Serval de bénéficier d'un nouveau sanctuaire.

- La Cyrénaïque qui est en état de sécession est ensanglantée par les assassinats. Dimanche 2 mars 2014, un ingénieur français y a été abattu et 50 meurtres y ont été commis durant le seul mois de février 2014. La région est également ravagée par la guerre qui oppose les fondamentalistes musulmans dont le fief est la ville de Derna, aux « traditionalistes » rassemblés derrière les confréries soufi. Les ports pétroliers de Ras Lanouf et de Brega sont à l'arrêt en raison des exigences des milices tribales régionales.

- La Tripolitaine est coupée en trois :

D'abord la ville de Misrata est un Etat dans l'Etat dirigé par des milices gangstéro-islamistes, bras armé du mouvement des Frères musulmans.

Ensuite, l'ouest de la Tripolitaine est dominé par la milice berbère arabophone de Zentan (Zenten) et par celle, berbérophone, du Jebel Nefusa.

Enfin, Tripoli, est la « capitale » d'un Etat qui n'existe plus. Impuissant, le«pouvoir central» est condamné à y négocier avec les milices pour tenter de survivre tout en se contentant d'observer leurs affrontements. Le 15 novembre 2013, les milices de Misrata ont ainsi ouvert le feu sur une foule réclamant leur départ, faisant plusieurs dizaines de morts et des centaines de blessés, ce qui déclencha un affrontement général avec les autres milices.

Au regard de tout ce qui précède, Omar BENDERRA s'interroge : « La Libye, Irak du Maghreb ? »1014(*). Il n'y a plus d'autorité centrale en Libye, le gouvernement et le parlement élu en juin 2014 n'ayant guère d'influence au-delà des hôtels de la capitale où ils ont trouvé refuge1015(*). On assiste à la constitution de bases territoriales articulées autour d'appartenances tribales, claniques et/ou djihadistes1016(*). « Les institutions officielles de l'Etat sont inexistantes et les révolutionnaires dirigent toujours le pays »1017(*), a estimé M. BARGHATHI. Ces milices ne se battent pas pour le pouvoir national mais pour s'approprier des infrastructures dont elles assurent la « sécurité » contre rétribution sonnante et trébuchante et pour s'affirmer en tant qu'acteurs politiques. Les rebelles, les « révolutionnaires » élément de langage systématique des médias lors de l'attaque de la Libye par les armées de l'OTAN en 2011 se sont reconvertis en miliciens professionnels qui ne prêtent allégeance qu'à des leaders locaux tribaux ou religieux1018(*). Ceci atteste de ce que le pouvoir central est inexistant, le pays est divisé en micro pays. On est ni dans le fédéralisme ni dans la décentralisation qui sont des formes d'atténuation de la centralisation du pouvoir ; on est dans l'anarchie.

La Libye post-KADHAFI est constituée d'un système politique disposant de pouvoirs formels1019(*). Des ministres technocrates diplômés mais ayant passé la majeure partie de leur vie en exil et des députés découplés des réalités locales sont payés 9 000 dinars libyens par mois - près de 6 000 euros - et résident dans des suites à 250 euros la nuit louées à l'année dans les hôtels cinq étoiles de la capitale. Mais ils n'ont pas d'autorité réelle1020(*). Dans ce contexte, l'intérêt objectif des petits chefs de guerre locaux, des groupes salafistes, de certaines unités des ministères de l'intérieur et de la défense qui leur sont proches idéologiquement et des groupes mafieux ayant bénéficié de la situation pour développer des commerces florissants, est d'empêcher par tous les moyens la construction d'un Etat fort. Il existe des menaces de scission.

Par exemple, à l'issue de la violence des combats le Front Toubou pour le Salut de la Libye, parti d'opposition à KADHAFI, créé en 2007 a été réactivé, son dirigeant menaçant de proclamer l'indépendance du sud libyen si les violences ne cessaient1021(*). Dans un de ses articles, Christophe AYAD1022(*) le soulignait déjà.

L'anarchie qui prévaut en Libye se caractérise par une défiance totale des autorités. Certains des anciens rebelles sont retournés à la vie civile, mais d'autres sont restés dans leur brigade. Et ces brigades ont été incorporées comme telles dans des unités plus larges, contrôlées par le gouvernement. Mais en fait, les anciens rebelles continuent, pour la plupart, de n'obéir qu'aux dirigeants qu'ils avaient pendant la révolution et donc à ne pas respecter l'autorité du gouvernement central1023(*).

De même, plus illustratif encore, le 25 août 2014, l'Assemblée sortante, réunie à Tripoli, a chargé un responsable islamiste de former un « gouvernement de salut national », dans un geste de défi au cabinet provisoire installé à Tobrouk et qui semble incapable de reprendre la main face aux milices semant le chaos. Cette réunion a été convoquée par les islamistes, qui dominent l'assemblée sortante et contestent toute légitimité au nouveau Parlement, où ils sont minoritaires1024(*). D'ailleurs, le pays pourrait bientôt se voir doter de deux gouvernements concurrents, parallèlement à ses deux Parlements rivaux1025(*), une configuration inédite pour l' « expression de la démocratie ».

Conséquence directe de la calamiteuse et incompréhensible guerre que la France mena contre le colonel KADHAFI, l'anarchie libyenne menace gravement la sécurité régionale et c'est pourquoi il est urgent d'y mettre un terme. Les tentatives démocratiques ont échoué et une opération internationale de pacification n'est pas à l'ordre du jour. Sur cette question, la France estime qu'elle ne peut pas agir. Lors d'un entretien sur la chaîne France Inter le 5 janvier 2015, le président français a écarté l'idée d'une éventuelle intervention militaire française en Libye. « La France n'interviendra pas en Libye parce que c'est à la communauté internationale de prendre ses responsabilités et pour l'instant, elle doit faire en sorte qu'il puisse y avoir un dialogue politique et, deuxièmement que l'ordre puisse être rétabli.»1026(*), a martelé le président français. Ce discours témoigne de la démission de la communauté internationale. Dès lors, il n'existe que deux options, soit la reconstruction d'un Etat fort, soit au contraire la prise en compte des réalités confédérales. La « démocratisation » de la Libye est donc un tragique échec et la « croisade humanitaire » décidée par la France, a débouché sur un désastre1027(*).

Ce tragique échec est amplifié par les problèmes de sécurité, preuve que même l'enjeu de protection des civils au cours du printemps arabe est un échec. Cet échec s'inscrit dans le sillage des faits qui sont perçus comme des effets des facteurs pré-analysés car les facteurs pré-mentionnés produisent des effets ou conséquences qui sont tous aussi des obstacles à l'atteinte des objectifs du printemps arabe.

* 1008 WEBER Max, Economie et sociétés, Paris, Collection Pocket Agora, 2003, p. 96 à 100.

* 1009WEBER Max, Le Savant et le Politique, Paris, La Découverte, 2003.

* 1010 GUINCHARD (S.), MONTAGNIER (G.), op.cit. p. 238.

* 1011 POPP Roland et MÖCKLI Daniel, « La Libye après Kadhafi : transition politique et options occidentales », Center for Security Studies, N° 100, septembre 2011.

* 1012 Entretien de Patrick HAIMZADEH avec Jean Dominique MERCHET, publié le 20 aout 2013 pour Reuters, consulté sur internet le 24 septembre 2014.

* 1013 LUGAN Bernard, « En Libye il est temps d'en finir avec les billevesées démocratiques pour en venir enfin à la realpolitik » publié le 08 mars 2014 sur NOVOPRESS.INFO, consulté le 24 septembre 2014.

* 1014 BENDERRA Omar, « La Libye, Irak du Maghreb ? », article paru sur le site Algeria-Watch en date du 20 août 2014, http://www.algeria-watch.org/fr/article/analyse/libye_irak_maghreb.htm, consulté le 24 septembre 2014.

* 1015 Ibid.

* 1016 Ibid.

* 1017 BARGHATHI cité par MONTEFORTE Filippo, « Libye: les rebelles, hier des héros, aujourd'hui accusés de tous les maux », publié le 17 octobre 2012 sur AFP.com, consulté le 24 septembre 2014.

* 1018 BENDERRA (O.), op.cit.

* 1019 Pour l'apparence juste. En réalité il ne l'exerce pas.

* 1020 HAIMZADEH Patrick, « La Libye aux mains des milices », Le Monde Diplomatique, octobre 2012.

* 1021 BOISBOUVIER Christophe, « Libye : quand les Toubous se réveillent », Jeune Afrique, 16/05/2012.

* 1022 AYAD Christophe, « Les Toubou veulent leur place dans la Libye de l'après KADHAFI », Le Monde, 30 Septembre 2011.

* 1023 « Ali ZEIDAN, Premier ministre libyen, enlevé en plein centre de Tripoli », RFI, publié le 10 octobre 2013.

* 1024 « Libye : les islamistes annoncent la formation prochaine de leur propre gouvernement », publié par Jeune Afrique le 26 Aout 2014 sur Jeune Afrique.com consulté le 24 septembre 2014.

* 1025 Ibid.

* 1026 Interview de François HOLLANDE dur la chaîne France Inter le 05 janvier 2015.

* 1027 LUGAN (B.), « En Libye il est temps d'en finir avec les billevesées démocratiques pour en venir enfin à la realpolitik », op.cit.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery