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Le processus décisionnel dans la politique étrangère du cameroun: le cas du recours au règlement judiciaire dans le conflit de Bakassi


par Zoulica RANE MKPOUWOUPIEKO
Institut des Relations Internationales du Cameroun/Université de Yaoundé II - Master en Relations Internationales 2011
  

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B. Une option coûteuse et indésirable

Le règlement pacifique des différends est un principe fondamental de la politique étrangère du Cameroun. Il a pour corolaire l'interdiction du recours à la force dans les relations internationales161. Yaoundé qui est particulièrement attaché à ce principe et à sa politique de bon voisinage, a préféré à la guerre, un règlement judiciaire.

Toutefois, au-delà de ce fondement théorique, le choix de la C.I.J. s'explique non seulement par les pertes probables qui auraient pu découler d'un engagement militaire (1), mais aussi par la perception que le Cameroun avait du rapport de force (2).

1. Les coûts de la guerre

A l'époque, le Cameroun faisait face à une situation socio-économique et politique délicate ; entrer en guerre revenait à supporter ses conséquences ruineuses, et à détériorer davantage le contexte socio-économique et politique de la nation.

La guerre est, en effet, un phénomène incompatible avec le développement pourtant objectif premier des autorités de Yaoundé. En matière économique, l'effort de guerre162 et les dépenses militaires qui auraient accompagné une guerre camerouno-nigériane, auraient influé de manière

160 Thomas LOTHAR WEISS, « Le différend Cameroun-Nigeria : au-delà de Bakassi », Relations Internationales et Stratégiques, N°23, Automne 1996, p. 119.

161 Sur le caractère fondamental de ce principe dans la politique étrangère du Cameroun, lire Narcisse MOUELLE KOMBI, 1996, op cit, pp. 58-61.

162 L'effort de guerre renvoie à une mobilisation exceptionnelle de fonds, de matériel et d'hommes par un État impliqué dans un conflit.

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importante sur les grands indicateurs économiques que sont l'investissement, la croissance, l'emploi, l'inflation, et la balance des paiements (indices ou principes macro-économiques permettant de mesurer le degré de développement d'un pays donné).

Pour un pays en développement comme le Cameroun, l'effort de guerre se serait traduit sur le plan social, pour l'éducation et la santé par exemple, par une insuffisance galopante du personnel, un ralentissement du progrès infrastructurel, une aggravation de la sous-scolarisation, une insuffisance des soins de santé primaires, un manque d'eau potable163.

En outre, la guerre se serait accompagnée de refugiés, de déplacés, de dégâts matériels, de morts, etc. A titre illustratif, en 1990, du fait de la multiplication des conflits armés sur le continent noir, plus de 2,5% de toute la population africaine étaient des refugiés politiques, 4,7 millions d'Africains étaient en détresse dans un autre pays africain que celui de leur naissance, 8,6 millions de personnes étaient considérées par l'ONU comme déplacés164. Entre 1960 et 1992, les conflits majeurs africains avaient provoqué la mort de 6 millions de personnes, dont 69,2 % de militaires, et plus de 7 % de disparus165. En plus de ces effets ruineux, la guerre aurait compromis à long terme les relations de bon voisinage entre le Cameroun et le Nigeria, pourtant liés par l'histoire, la géographie et la culture166.

2. La perception du rapport de force

Avant un engagement militaire, Il est nécessaire de procéder à une analyse des rapports de force. Dans le cas d'espèce, une étude comparative des facteurs classiques de puissance montre qu'il existait entre le Cameroun et le Nigeria des déséquilibres d'ordre démographique, économique et militaire.

Sur le plan démographique, le Nigeria était (et reste) le pays le plus peuplé d'Afrique. Á la fin des années 1990, sa population était estimée à 123 millions d'habitants167. Durant la même période, la population camerounaise n'atteignait pas le tiers de celle nigériane, son estimation variait entre 13 et 15 millions d'habitants. Dans la mesure où la capacité d'un Etat à lever rapidement des armées et à compenser les pertes, constitue un élément déterminant de la puissance

163 Oumarou CHINMOUN, Désarmement et développement en Afrique : Réflexion sur une politique régionale, Thèse de Doctorat, Yaoundé, IRIC, 1995, pp. 161-162.

164 U.S. Commitee for refugees, World Refugee Survey : 1989 in review, Washington D.C., 1990, pp. 30-32, cité par Michel KOUNOU, «Les conflits armés post Guerre Froide en Afrique au Sud du Sahara: un essai de caractérisation», Revue Africaine d'Etudes Politiques et Stratégiques, N° 1, 2001, p. 224.

165 Ruth Leger SIVARD, World Military and Social Expenditures 1993, Washington D.C., 1993, pp. 20-21, cite par Idem.

166 Pour de plus amples informations sur les liens historico-culturels, et géographiques qui unissent le Cameroun et le Nigeria, voir ci-dessous la partie qui traite des « exigences d'une paix obligée avec le Nigeria ».

167 Voir « Nigeria, des mots et des chiffres pour comprendre », in Amand'la, mai, juin, 1999, p.12, cité par Hamadou MGBALE MGBATOU, 2001, op cit, p. 220.

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militaire et donc de la puissance tout court168, le facteur démographique donnait un avantage non négligeable au Nigeria. Face à 123 millions d'habitants, même la politique de « Défense populaire » du Cameroun ne pouvait tenir. Cet argument était davantage corroboré par le fait que le service militaire avait été suspendu en raison de la conjoncture économique.

Sur le plan économique, le Cameroun était à l'époque plongé dans une crise depuis 1985. Economie de rente, la faiblesse des campagnes coton et café, ainsi que la baisse des activités pétrolières (l'exportation notamment)169, avaient assombris l'avenir économique du pays. Quant au Nigeria170, malgré la récession économique, l'or noir restait un générateur important de devises : 30 millions de dollars étaient quotidiennement recueillis par le pays au début des années 1990, soit environ 15 milliards de francs C.F.A, pour une production journalière évaluée à 2 millions de barils171.

En termes de potentiel humain et matériel, le Nigeria détenait l'une des armées les puissantes d'Afrique. Comme le montre le Tableau 2 ci-dessous, en 1994, le déséquilibre militaire entre l'armée camerounaise et celle nigériane était flagrant et, explique sans doute le recul manifesté par le Cameroun vis-à-vis d'un règlement militaire. A l'époque, l'armée nigériane comptait 85 800 soldats répartis en : 62 000 hommes pour l'armée de terre, 7 300 dans l'armée marine, 9 500 dans l'armée de l'air, et 7 000 pour la garde nationale. Elle était dotée d'un matériel, quand bien même vieillissant, numériquement impressionnant : 257 chars d'assaut, 65 navires de guerre172 (contre 4 pour le Cameroun), des véhicules blindés de transport des troupes, de l'artillerie tractée et automotrice, des canons de défense aériennes et 64 missiles sol air. L'armée de l'air disposait de : 95 avions de combat (contre 16 pour le Cameroun) de type Alpha jet, Mig 21, Jaguar et 15 hélicoptères173. Le Cameroun quant à lui, se trouve dans une position inconfortable. Il n'était défendu que par 12.100 soldats soit : 6.600 pour l'armée de terre, 300 pour l'armée de l'air, 1.200 pour la marine, et 4.000 pour la gendarmerie. En termes de bataille rangée, cela donnait un rapport de force de sept soldats Nigérians contre un soldat Camerounais. Par ailleurs, l'accord de défense qui le liait à la France ne lui assurait pas entièrement l'intervention militaire de cette dernière en cas de guerre.

168 Thierry de MONTBRIAL, L'action et le système monde, Paris, Quadrige/PUF, 2ème éd., 2008, p. 60.

169 A titre illustratif, voir l'annexe 8 qui traite des activités pétrolières du Cameroun (en tonne) entre 1987-1995 (page 137).

170 Le Nigeria est alors, et continu d'ailleurs de l'être aujourd'hui, le premier exportateur africain de pétrole, et le cinquième mondial au rang de l'OPEP.

171 Sylvie Françoise CARON, « Le Nigeria : chronique d'une explosion annoncée », Afrique 2000, n°23, Mai, 1996, pp. 99-100, cité par Hamadou MGBALE MGBATOU, 2001, op. cit., p. 221.

172 Soit deux frégates, deux corvettes, six vedettes lance-missiles, 53 garde-côtes, deux navires porteurs de mines.

173 Sur les capacités militaires de l'armée nigériane à l'époque, lire Zacharie NGNIMAN, 1996, op. cit., p. 74-75, MGBALE MGBATOU Hamadou, 2001, op. cit., pp. 222-224, et Jean Pierre FOGUI, 2010, op. cit., p. 24.

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La force du Nigeria doit toutefois être nuancée, car « la puissance d'une armée est liée d'une part, au « système d'hommes » (formation et perfectionnement) et au « système d'armes », c'est-à-dire la puissance de feu disponible en quantité et en qualité, et d'autre part à un environnement socio-politique propice »174. Or, le Nigeria était, à l'époque de la prise de décision, « une fédération politiquement et socialement instable, minée par la corruption à tous les niveaux, y compris l'institution militaire »175. Qui plus est, il existait dans l'histoire des exemples où, une armée a priori plus puissante que son adversaire, n'avait pas pu le faire plier. La guerre du Vietnam (1959-1975) était à ce titre illustratif. Malgré leur nombre et leur équipement technologique, les soldats américains n'étaient pas parvenus à s'imposer au Viêt Nam.

Néanmoins, cela n'enlève rien à l'incertitude qui entourait le recours au règlement militaire ; d'autant plus que, ces vulnérabilités ne remettaient pas en cause la force militaire de l'armée nigériane, composée en partie d'éléments aguerris par les guerres du Libéria et de la Sierra Leone.

Tableau 2 : Effectifs et Armement des armées nigérianes et camerounaises en 1994.

 

INDICATEURS

NIGERIA

CAMEROUN

EFFECTIFS

Armée de terre

62 000

6 600

Armée de l'air

9 500

300

Marine

7 300

1 200

Garde nationale (Nigeria) Gendarmerie (Cameroun)

7 000

4 000

TOTAL

85 800

12 100

EQUIPEMENTS
TERRESTRES

Chars d'assaut

257

Non estimés

174 André-Hubert ONANA MFEGUE, 2002, op. cit., p. 146 175Idem.

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EQUIPEMENTS
AERIENS

Missiles Sol Air

64

Non estimés

Avions de combat

95

16

Hélicoptères

15

4

EQUIPEMENTS
NAVALS

Navires de guerre

65

4

Source: Réalisé par l'auteur à base de données tirées de Zacharie NGNIMAN, 1996, op. cit., p. 7475 ; Hamadou MGBALE MGBATOU, 2001, op. cit., pp. 223-224 et 227-228 ; Jean Pierre FOGUI, 2010, op. cit., p. 24.

Face aux convoitises nigérianes sur la péninsule de Bakassi, trois options s'offraient au Cameroun en vue de l'atteinte de l'objectif fixé : la poursuite de la voie de règlement diplomatique, le recours au règlement militaire et la solution judiciaire. Après l'analyse des deux premières options il ressort clairement que, poursuivre à travers la seule voie diplomatique aurait pu à terme favoriser la consolidation de la présence nigériane en territoire camerounais ; et que recourir au règlement militaire auraient été désastreux à tous les nivaux pour lesdits pays.

Dès lors, quels avantages offrait le recours au règlement judiciaire au Cameroun ? Ces avantages maximisaient-ils les chances de ce dernier d'atteindre son objectif ? Étaient-ils plus importants que les risques possibles qui l'accompagnaient ?

Là se trouvent les questions traitées dans le Chapitre II de la présente étude.

CHAPITRE II : LES ENJEUX DU RECOURS AU

REGLEMENT JUDICIAIRE

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L'engagement judiciaire constitue l'obligation la plus « parfaite » en matière de règlement des conflits176. Par rapport aux procédures diplomatiques, le recours au règlement judiciaire implique une plus grande renonciation au pouvoir discrétionnaire des Etats. Une fois une procédure judiciaire déclenchée, elle se poursuit normalement jusqu'à l'adoption d'une décision, apportant une solution définitive au conflit. Avant d'y recourir, un Etat doit scruter la valeur juridique de ses prétentions, en vue d'apprécier si la voie judiciaire est avantageuse ou dangereuse. Il doit évaluer ses chances de gain et ses risques de perte dans une instance qui se terminera par une décision obligatoire ; évaluation qui comporte toujours un élément d'incertitude.

A cet égard, le choix du règlement judiciaire du conflit de Bakassi, précisément le recours à la C.I.J., comportait des risques pour le Cameroun (Section I). Toutefois, ces risques ne pesaient pas autant que les nombreux avantages liés au recours à l'organe judiciaire principal des Nations Unies (Section II).

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery