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Le processus décisionnel dans la politique étrangère du cameroun: le cas du recours au règlement judiciaire dans le conflit de Bakassi


par Zoulica RANE MKPOUWOUPIEKO
Institut des Relations Internationales du Cameroun/Université de Yaoundé II - Master en Relations Internationales 2011
  

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Section 1 : Les variables gouvernementales et de rôle

De prime abord, il convient de rappeler que les variables gouvernementales et de rôle (du paradigme de ROSENAU) prennent toute leur ampleur dans l'approche dite « bureaucratique » de la décision (d'ALLISON)256. Les variables gouvernementales renvoient à toutes les institutions administratives, ayant été impliquées dans la prise de décision, hormis le Chef de l'Etat (Paragraphe

I). Les variables de rôle, quant à elles, privilégient l'influence sur la prise de décision, du statut et des attentes professionnelles des fonctionnaires représentants ces administrations (Paragraphe II).

Paragraphe 1 : L'apport des institutions administratives

La décision de régler le conflit frontalier camerouno-nigérian par voie judiciaire n'a pas été prise ex nihilo. En effet, diverses administrations ont procédé à une analyse de la situation (A) et, des concertations entre elles ont permis au Chef de l'Etat de se décider (B).

A. Les institutions intéressées

En cas de crise ou de conflit, l'urgence de la situation et le caractère court des délais amènent généralement les décideurs à s'entourer de leurs plus proches collaborateurs. Ces derniers sont généralement chargés du fait de leur expertise, de réfléchir sur la meilleure solution à adopter. Ce fut le cas comme l'a démontré Graham ALLISON, des membres de l'Executive Commitee of National Security Council, en abrégé ExCom, mis en place par John F. KENNEDY, lors de la crise des missiles de Cuba257.

Dans le cas d'espèce, l'expertise nécessaire à la prise de décision du Chef de l'Etat est venue de trois institutions : le Ministère des Relations Extérieures (1), le Ministère de la Défense (2), et le Secrétariat Général de la Présidence de la République du Cameroun (PRESICAM) (3).

1. La position du Ministère des Relations Extérieures

Il existe dans chaque secteur des spécialistes ou professionnels jouant un rôle important dans la définition des contours et caractéristiques de leur domaine. Dans le Gouvernement, c'est le cas du

256 Jean BARREA, 1981, op. cit., p.260.

257 Ce comité était chargé de réfléchir sur le meilleur moyen pouvant garantir le démantèlement des missiles soviétiques de Cuba. Il était composé des hommes de confiance du Chef de l'Etat à savoir entre autres : le Ministre de la justice (Robert KENNEDY, frère du Président), les Secrétaires d'Etat (Dean RUSK), et de la Défense (Robert McNamara), le Directeur de la CIA (John McCone), le Secrétaire au Trésor (Douglas DILLON), l'Assistant spécial pour les affaires de sécurité national (McGeorge BUNDY), le Conseiller spécial (Theodore SORENSON) etc. Lire pour de plus amples informations sur la composition de l'ExCom et les débats en son sein : Graham T. ALLISON, 1971, op cit.

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Ministère des Relations Extérieures (MINREX) en matière de politique étrangère. En ce domaine, le MINREX est l'organe ministériel investi d'une spécialisation fonctionnelle. Il a pour principale mission d'assurer la mise en oeuvre de la politique extérieure arrêtée par le Président de la République258. En tant qu'organe de conception, il contribue également à l'élaboration de la politique étrangère du Cameroun.

En qualité d'organe statutairement chargé des relations avec les Etats étrangers, les Organisations Internationales et les autres sujets de la Communauté internationale259, il a une vue d'ensemble de la scène internationale. Ainsi, le Ministre des Relations Extérieures est, selon Samy COHEN, le seul Ministre capable de fournir une vue synthétique de la situation internationale, de réfléchir en termes globaux, de mesurer toutes les incidences externes des décisions prises260. Ces atouts ont permis au MINREX d'intervenir dans le processus qui a conduit le Cameroun à l'adoption de la décision qui fait l'objet de la présente étude.

Lorsque ce Département ministériel a été instruit du dossier Bakassi, il s'est prononcé pour un règlement diplomatique du conflit frontalier. Selon lui, le Cameroun ne pouvait atteindre ses objectifs de manière satisfaisante que par la poursuite de la voie diplomatique. Graham ALLISON à travers le modèle bureaucratique explique le penchant du MINREX pour une solution négociée par la place qu'il occupe dans l'appareil gouvernemental. Pour ALLISON, en tant qu'organe investi de questions diplomatiques et composé essentiellement de diplomates, il était logique pour le MINREX de privilégier cette voie261. En revanche, l'avis du MINREX n'était pas partagé par les militaires du Ministère de la Défense (MINDEF).

2. L'avis du Ministère de la Défense

Le MINDEF est responsable : de l'exécution de la politique militaire de défense et en particulier de l'organisation, de la gestion, de la mise en condition, d'emploi et de mobilisation de l'ensemble des forces régulières, supplétives, ou auxiliaires, ainsi que de l'infrastructure qui leur est nécessaire ; de la formation appropriée des fonctionnaires et des catégories de citoyens qui ont un

258 Article 5 (23) du Décret N° 92/245 du 26 novembre 1992 portant organisation du Gouvernement. (Ce Décret n'est plus en vigueur aujourd'hui. L'actuel texte portant organisation du Gouvernement est le Décret N°2004/320 du 8 Décembre 2004).

259 Article 5 (23) du Décret N°92/245 du 26 novembre 1992 précité.

260 Samy COHEN, La monarchie nucléaire. Les coulisses de la politique étrangère sous la Vème République, Paris, Hachette, 1986, p. 46, cité par Alain Titus BILOA TANG, 2000, op. cit., pp. 39-40.

261 Graham T. ALLISON, 1971, op. cit., pp. 166-167. Selon ALLISON, le point de vue des administrations impliquées dans le processus dépend prioritairement de la position qu'ils occupent dans le système décisionnel. D'où la formule: « Where you stand depends on where you sit ». Cette formule a été attribuée par Graham ALLISON à Don Price. Pour une lecture critique du modèle Bureaucratique d'ALLISON, lire Samy COHEN, 1998, op. cit., pp. 83-88.

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rôle à jouer dans la défense262. Il est également chargé de l'étude du plan de défense ; de la coordination et du contrôle des forces de défense263. Si le MINREX est l'organe spécialisé en matière de diplomatie, la défense constitue le domaine d'action du MINDEF. Selon Raymond ARON, ces secteurs sont des domaines cruciaux, qui constituent les principales composantes, de la politique étrangère d'un Etat, car les relations interétatiques comportent, par essence, l'alternative de la guerre et de la paix264.

A ces titres, le MINDEF a compté parmi les institutions intervenues pour trouver la solution la mieux à même de régler définitivement le conflit de Bakassi. S'agissant de l'avis de cette institution, ses experts se sont prononcés à l'époque en faveur d'un règlement militaire du conflit de Bakassi265.

3. La position du Secrétariat Général de PRESICAM

Le Secrétariat Général de PRESICAM fait partie des structures qui secondent le Président de la République dans la conception, la direction et l'orientation de la politique extérieure. Il est chargé, d'une manière générale, du suivi de l'exécution des instructions données par le Président de la République, et de la supervision de l'organisation du travail gouvernemental par le biais de conseils ministériels, et de réunions interministérielles266.

La majorité des dossiers de politique étrangère (y compris ceux venant du MINREX) sont confiés au Secrétariat Général267 pour étude et avis à la haute hiérarchie. Le Secrétariat Général est très imbriqué dans le circuit décisionnel268. En France où la tradition du « domaine réservé » est également très ancrée, le Secrétariat Général est considéré comme un « super-gouvernement ». Selon le Général Charles De Gaulle, il est « au centre et au courant de tout »269. « Il est le collaborateur du Président, l'organisateur des sommets élyséens, le surveillant, l'homme des

262 Article 12 de la Loi N°67/LF/9 du 12 Juin 1967 portant organisation générale de la défense, cité par Emmanuel ELA ELA, 2001, op. cit., pp. 166-167.

263 Article 5 (1) du Décret N° 92/245 du 26 Novembre 1992 portant organisation du Gouvernement.

264 Raymond ARON, 1962, op. cit., p. 18.

265 Entretien avec le Professeur Joseph OWONA, op. cit.

266 Article 2 (2) du Décret N°90/951 du 29 mai 1990 portant organisation de la Présidence de la République.

267 Au niveau du Secrétariat Général de PRESICAM, le Secrétaire Général et le Conseiller Technique chargé des problèmes diplomatiques - appelé au MINREX Conseiller Diplomatique du Président - interviennent dans l'élaboration de la politique étrangère. Autour du Conseiller Diplomatique, se forme ce que l'on appel au MINREX la « cellule diplomatique de la Présidence ». Pour une analyse des compétences et capacités d'influence, en la matière, de l'entourage administratif du Chef de l'Etat au niveau de PRESICAM, lire Simplice ATANGA, 1991, op. cit., pp. 67-70 et 74-78.

268 Il lui est souvent reproché d'empiéter sur des domaines relevant de la compétence du MINREX.

269 Pierre BIRNBAUM, Les sommets de l'Etat. Essai sur l'élite du pouvoir en France, Paris, Seuil, 1977, p. 98, cité par Simplice ATANGA, 1991, op. cit., p. 64.

contacts officiels et des réseaux officieux, l'inspirateur »270. Cette image, selon Simplice ATANGA, n'est pas très éloignée de celle du Secrétaire Général du Palais de l'unité271. Il convient de relever en outre qu'en matière de politique publique, parmi les quatre « cercles fondamentaux de la décision »272, le cabinet du Président (en particulier le Secrétariat Général) fait partie du premier cercle.

Ces atouts ont permis au Secrétariat Général, dirigé à l'époque par le Professeur Joseph OWONA, juriste de formation et enseignant de droit international, d'intervenir et d'influencer le processus de prise de décision. A ce titre, contrairement aux autres institutions impliquées dans le processus, le Secrétariat Général était persuadé que le conflit de Bakassi ne pouvait être réglé de manière efficace que par un recours à l'organe judiciaire principal des Nations Unies273. Toutefois, il a fallu que chaque administration instruite de l'affaire par le Chef de l'Etat arrive à le convaincre à travers ses arguments de la pertinence de son option.

B. Les concertations entre institutions

Le Chef de l'Etat a affirmé que l'affaire Bakassi a été le plus gros dossier qu'il ait eu à traiter en l'espace de trente ans274. A l'époque, le Cameroun faisait face à une violation manifeste de son intégrité territoriale, et les négociations n'avançaient plus du fait de malentendus persistants. Il fallait vite réagir afin d'empêcher que la situation ne se consolident en faveur du voisin nigérian, dont la volonté d'appropriation de la péninsule de Bakassi allait crescendo.

C'est dans ce contexte que l'étude de ce dossier a été confiée au MINREX. Du fait de la confidentialité qui l'entourait, son traitement n'a été attribué à aucun Service du MINREX. En raison de sa spécialisation technique en matières internationales, le MINREX a souhaité à l'époque avoir l'entière gestion du dossier Bakassi. Toutefois, la délicatesse de l'affaire, la nécessité pour le Chef de l'Etat d'avoir un éventail large d'analyses et de propositions en provenance de toutes les administrations expertes sur la question, et l'importance d'une gestion coordonnée du dossier, ont fait en sorte que sa gestion remonte à PRESICAM. Ainsi, de nombreuses réunions de concertations ont été convoquées à PRESICAM. Ces réunions avaient pour objet la recherche de la meilleure solution à adopter en vue d'un règlement définitif du conflit frontalier et étaient coordonnées par le

270 Samy COHEN, Les conseillers du Président. De Charles De GAULLE à Valéry Giscard d'ESTAING, Paris, PUF, 1980, pp. 61-77, cité par Simplice ATANGA, 1991, op. cit., p. 65.

271 Simplice ATANGA, Idem.

272 Pierre MULLER, Les politiques publiques, Paris, PUF, 1990, p. 72, cité par Alain Titus BILOA TANG, 2000, op. cit., p. 34.

273 Entretien avec le Professeur Joseph OWONA, op. cit.

274 Entretien avec Maître Douala MOUTOME, Ministre de la Justice et Garde des sceaux à l'époque de la prise de décision, op. cit.

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Secrétaire Général de PRESICAM qui servait de liaison avec le Chef de l'Etat. Elles regroupaient les représentants du MINDEF, ceux du MINREX et du Secrétariat Général de PRESICAM.

A ce niveau, chaque administration a essayé de faire accepter sa logique ou vision comme relevant de l'intérêt général. Le MINREX dont le Chef de Département était Diplomate de carrière, était pour une solution négociée. Il refusait d'envisager toute option qui reviendrait à attaquer frontalement le « grand voisin » Nigérian. Pour lui, il était plus propice de poursuivre avec la diplomatie car le règlement militaire et le recours à la voie juridictionnelle étaient propres à détériorer les relations diplomatiques entre les deux pays et n'offraient aucunes garanties de victoire. Les militaires du MINDEF étaient convaincus que l'on ne pouvait plus rien attendre des négociations avec le Nigeria. La seule voie capable de régler définitivement le conflit de Bakassi, selon eux, était la guerre. Ils avançaient comme argument le fait que, sur le terrain, les forces armées camerounaises avaient jusque là repoussé toutes les attaques nigérianes, et que les bilans en termes de perte en vies humaines par exemple étaient plus favorables au Cameroun qu'à l'adversaire. De l'avis des officiers généraux de l'armée, en matière de stratégie militaire, les forces camerounaises n'avaient pas grand-chose à redouter du Nigeria. Pour eux, en matière de rapport de force, le tout n'était pas d'être les plus nombreux ou les mieux équipés, encore fallait-il savoir se servir de son arsenal et de son potentiel275. Le Cameroun, à leur avis, avait les capacités nécessaires pour faire face à l'armée nigériane.

Le Secrétariat Général, dont le Secrétaire de l'époque Joseph OWONA était un Professeur agrégé en Droit international, était contre l'idée d'un affrontement armé. Pour lui, gagner une bataille ne signifiait pas que l'on pouvait gagner une guerre contre le Nigeria. En termes de rapport de force démographique, économique et militaire276, le voisin occidental battait le Cameroun. Bien que le Secrétaire Général ait marqué à l'époque une réticence vis-à-vis de la solution militaire, il n'était pas pour autant en faveur du statu quo, ou de la poursuite de l'unique voie diplomatique comme le préconisait le MINREX. Selon lui, on ne pouvait faire valoir les droits du Cameroun sur la péninsule de Bakassi qu'en protestant contre l'occupation nigériane277. Et cela ne pouvait se faire valablement que par le recours à la C.I.J. Il se servit de deux arguments pour faire prévaloir cette option : la souscription nigériane sans réserve à la clause facultative de juridiction obligatoire et la pertinence des arguments juridiques du Cameroun. Qui plus est, la solution rendue par la Cour avait l'avantage d'être définitive et, prenait le monde entier à témoin en cas d'inexécution d'une des parties. Afin de se rassurer de la capacité du Cameroun à pouvoir soutenir valablement un dossier

275 Zacharie NGNIMAN, op. cit., p. 97.

276 A titre illustratif, confère Tableau 2 (présenté plus haut) qui ressort les effectifs et armement des armées nigérianes et camerounaises en 1994.

277 Entretien avec le Professeur Joseph OWONA, op. cit.

devant la C.I.J., permettant de prouver la « camerounité » de Bakassi, il a également été fait appel à un expert en la matière en l'occurrence le Professeur Maurice KAMTO.

Ces concertations ont permis au Chef de l'Etat d'avoir une vision large de la situation et de se décider pour le règlement judiciaire du conflit de Bakassi, une semaine avant le dépôt de la requête du Cameroun auprès de la C.I.J. La décision ainsi prise, sa mise en application a été confiée au Ministère de la Justice (MINJUSTICE), qui s'est chargé de la préparation et de la défense du dossier du Cameroun devant la C.I.J.278

Au regard de la décision finale, il ressort que le SG/PRESICAM est l'institution administrative qui avait le plus influencé la prise de décision.

La variable rôle fait partie des facteurs qui ont permis à la balance de pencher en faveur du règlement judiciaire.

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