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La construction sociale de la notoriété et de la reconnaissance comme enjeu d'une minorité: le cas d'un fan-club


par Estelle Couture
Université de Provence - DEA Sociologie 2006
  

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I ) LA MISE EN SCENE MEDIATIQUE

1. Les médias comme instruments de maintien de l'ordre symbolique ?

La télévision, diffusion à distance des sons et des images, est devenue un phénomène de société depuis qu'elle s'est répandue dans presque tous les pays. Elle est l'outil le plus important de l'accès à la culture de masse c'est-à-dire, produite selon les normes massives de la fabrication industrielle, répandue par des techniques de diffusion massive, s'adressant à une masse sociale8(*). Elle a suscité de nombreuses études de la part des sociologues, qui peuvent s'appuyer sur des sondages concernant notamment le choix des téléspectateurs. A la fin du 20ème siècle, les progrès techniques déjà réalisés ou prévisibles en ce domaine modifient les rapports entre cette technique et la société moderne. La diffusion des programmes en couleur, la transmission par câble ont marqué l'évolution récente. Désormais la substitution du numérique à l'analogique ainsi que la très haute définition -la télévision interactive- et les multimédias annoncent une grande multiplication des chaînes, un grand choix de programmes. Les problèmes qui suscitent le plus de discussions de la part des sociologies sont l'organisation de la programmation par des chaînes publiques ou privées, la pénétration dans les diverses couches sociales, l'influence des loisirs, la culture, les comportements moraux, politiques et sociaux. Plus récemment les sociologues se sont davantage intéressés à l'action de la télévision sur les structures sociales. C'est ainsi que l'on attache une grande importance aux modèles qu'elle nous présente, notamment à travers les « stars », ou les exemples qu'elle donne de la vie familiale, tantôt en renforçant le conformisme, tantôt en cherchant plutôt à « déranger », à briser les tabous.

Mais la télévision et les images médiatiques qu'elle donne à voir, sont avant tout une mise en scène réfléchie et sélectionnée, si l'on en croit les travaux de P.Bourdieu à ce sujet9(*). Et cela est encore plus percutant dans le domaine qui va nous intéresser, celui de la télé-réalité. Les programmes télévisés sont encadrés de contraintes ; d'une part, contraintes techniques avec le règne d'une certaine « censure invisible » qui entraîne une perte d'autonomie, et d'autre part, des contraintes économiques car ils sont soumis à la loi du marché de la concurrence dans une logique de course à l'audimat. En dénonçant la censure, P.Bourdieu en vient à évoquer la télévision comme « instrument de maintien de l'ordre symbolique », il fait bien sûr allusion ici à la « violence symbolique » que les programmes exercent sur les téléspectateurs. Les journalistes vont choisir de montrer certaines choses et pas d'autres, ils opèrent une sélection et une construction de ce qui est sélectionné. Le principe de la sélection repose sur la recherche du sensationnel, du spectaculaire, de tout ce qui pourra « faire l'audience ». Les émissions de télé-réalité se construisent exactement de cette façon. Par exemple, des émissions comme Star Academy qui ont des diffusions quotidiennes pour que le téléspectateur puisse suivre l'évolution des élèves au jour le jour, se fabriquent selon ce principe : la production choisit les images qu'elle va montrer à l'écran, c'est la construction médiatique qui est à l'oeuvre. Le fait de montrer telle ou telle image et pas d'autres va influer le sens du jeu et les impressions des téléspectateurs quant aux participants, aux pensionnaires du château10(*) par exemple. Il y une mise en scène des images par la production de l'émission.

Mais ces observations ne se réduisent pas aux seules télé-réalités, elle s'observe même jusqu'au journal télévisé, selon P.Bourdieu. La télévision appelle à la dramatisation. Elle met en scène, en images, un événement et elle en exagère l'importance, la gravité et le caractère dramatique, tragique. P.Bourdieu parle du danger de « l'effet de réel », car rapporter des faits implique toujours une « construction sociale de la réalité capable d'exercer des effets sociaux de mobilisation ou de démobilisation ». Elle peut ainsi faire exister des idées ou des représentations mais aussi des groupes, notamment en développant un certain système de projection et d'identification spécifique. La culture de masse ainsi créée constitue un corps complexe de normes, symboles, mythes et images pénétrant l'individu dans son intimité, structurent les instincts et orientent les émotions11(*).

Les médias cherchent donc à « toucher » un public afin que celui-ci se retrouve au sein des programmes tout en agissant comme une « main invisible »12(*) , pour reprendre un terme économique, où les décisions et les actes sont rendus compatibles et concourent à l'intérêt général. Il existe donc un paradoxe entre « la logique industrielle, bureaucratique, monopolitique, centralisatrice, standardisatrice et la contre-logique individualiste, inventive, concurrentielle, autonomiste et novatrice »13(*). Chaque acteur du public a accès à ces logiques qui font parties d'une compétence partagée. Ces logiques peuvent s'interpréter en registres généraux de justification utilisés dans des activités quotidiennes14(*), d'une part par la justification marchande basée sur le marché, et d'autre part par la justification par l'opinion basée sur la reconnaissance des autres.

La logique de concurrence qui règne entre les chaînes de télévision montre que les émissions ou les journaux s'homogénéisent car ils sont soumis aux mêmes contraintes, aux mêmes sondages, aux mêmes annonceurs. P.Bourdieu parle de « jeu de miroirs se réfléchissant mutuellement », ils sont tous soumis à la contrainte de l'audimat. La télévision pense en terme de succès commercial. De ce fait, les sujets sont de plus en plus banalisés ; l'objet est construit conformément aux catégories de perception du récepteur. La télévision est ajustée aux structures mentales du public. Les journalistes vont choisir ce qui « passe bien » à l'écran: « La télévision des années 90 vise à exploiter et à flatter ces goûts pour toucher l'audience la plus large en offrant aux téléspectateurs des produits bruts, dont le paradigme est le talk-show, tranches de vie, exhibitions sans voiles d'expériences vécues, souvent extrêmes et propres à satisfaire une forme de voyeurisme et d'exhibitionnisme »15(*).

Cette citation s'adapte bien sûr aux télé-réalités présentes sur nos chaînes depuis le lancement de la première édition de Loft-story en 2001 sur M6. Ces émissions ont quelque peu remis en cause les modèles économiques, juridiques et sociaux qui permettaient jusqu'ici d'analyser et de comprendre la télévision. Le premier constat que l'on peut faire c'est la condamnation sans appel dont toutes ces émissions ont fait l'objet. Ces émissions étaient considérées comme dégradantes pour l'individu et pourtant les audiences ne faisaient que grimper, même si aujourd'hui, l'originalité s'essouffle. Finalement elles apparaissaient comme les émissions que personne n'aime mais que tout le monde regarde, et qui finissent par intégrer le paysage télévisuel quotidien jusqu'à devenir pour certains un phénomène de société. Nous ne nous attarderons pas sur les enjeux économiques de ces programmes, nous retiendrons seulement qu'aujourd'hui les téléspectateurs sont demandeurs de ce genre d'émissions et dans l'optique de la concurrence, chacun se doit de satisfaire cette demande d'un nouveau « concept » de divertissement où le public n'est plus passif mais où il s'adonne à une sorte de voyeurisme dénoncé par P.Bourdieu, qui confère à l'auto-identification.

Les candidats participant à ces émissions qui ne sont finalement que des jeux télévisés d'un genre nouveau, sont, au même titre que les émissions elles-mêmes, stigmatisés. La télé-réalité fabrique des stars éphémères dont la durée de vie excède à peine celui de l'émission, et rarement plus, à l'exception de quelques unes. Mais il est évident qu'une émission comme Loft Story16(*) ne ressemble en rien à Star Academy sur ce point là. Le casting repose sur le même principe mais l'objectif est différent. Les candidats du Loft n'ont aucun talent à proposer, alors que les élèves de Star Academy sont sensés, au moins savoir chanter, et c'est normalement sur cela qu'ils sont jugés. Nous disons « normalement » parce que le gagnant doit répondre à certains critères pour garantir son succès, les critères séduisant la majorité de ceux qui font l'audience ; le travail du producteur étant la quête permanente et organisée de ce qui fait sens pour le public17(*), notamment en tenant compte des catégories socio-sentimentales qui portent sur l'imaginaire du public en menant à bien une tâche de production technique, financière et commerciale. Pour que ce processus fonctionne, l'image est construite tout au long du travail de production. Ainsi, les objets ne sont porteurs de sens « qu'en vertu du consensus social qui leur accorde provisoirement à la suite d'un va-et-vient entre les demandes mouvantes et hétérogènes des acteurs [...] »18(*) : artistes, producteurs, critiques, public. L'objet médiatique, qu'il soit musical ou autre, est socialement construit. Les caractères internes du star system sont ceux du grand capitalisme industriel, marchand et financier. Le star system est d'abord une fabrication19(*).

2. Une économie de l'identification : la cas de la télé-réalité

Il conviendrait de s'attarder plus longuement sur les enjeux juridiques suscités par ces programmes. En effet, ces images nous rappellent la spécificité de ce type d'émissions où des individus qui ne sont pas des professionnels se retrouvent d'un seul coup au rang de vedettes ; nous reviendrons sur la redéfinition actuelle opérée sur ce terme. Les problèmes engendrés proviennent du droit de la personne et du droit à l'image étant donné que ces individus permettent que l'on mette en scène leur vie intime. Ils vont parfois devenir des vedettes de la chanson, ils signent des contrats avec des sociétés qui vont exploiter leur travail, et en France, il y a une réglementation extrêmement stricte du fonctionnement de la télévision, avec le régime du droit d'auteur, avec des définitions des oeuvres, des quotas, des subventions en fonction des catégories d'oeuvres. La télé-réalité bouleverse cet ordonnancement. La nature des engagements souscris par l'ensemble des participants à ce contrat est tout à fait particulière car ils procèdent d'une cessation assez large des droits de la personnalité des différents candidats. Est-ce que les candidats participent à un jeu, à un concours ? Sont-ils sous un lien de contrat de travail ? Ont-ils un statut d'artiste interprète ? Toutes ces questions posent des problèmes d'ordre juridiques. Il faut tout d'abord préciser que les contrats sont signés avec la société de production de l'émission et non par la chaîne, même si elle a un fort droit de regard. La question nouvelle qui se pose est celle des droits de la personnalité qui sont par nature hors du commerce. Jusqu'à une période récente, c'était principalement la vie privée des stars et des vedettes qui suscitait l'intérêt ; d'où l'exploitation commerciale qui en est faite, notamment dans les magazines « people ». Ces personnalités monnayent leur présence, leur image, leur vie privée auprès de la presse, ou des médias. Elles veillent à protéger tout particulièrement leur droit à l'image et poursuivent toute utilisation non autorisée, en exigeant par voie juridique des dommages et intérêts. Avec la télé-réalité, ce sont des inconnus qui vont trouver une forme d'exploitation commerciale de leur image. Lorsque l'on regarde l'histoire des « reality-show » ( « Perdu de vue », « Bas les masques » ou encore « Strip tease »), on constate qu'aucune rémunération n'était versée aux participants de ces émissions. Avec l'arrivée en 2001 de Loft Story et de Star Academy, on constate que les participants abandonnent, au travers des contrats qu'ils signent, une large part de leurs droits de la personnalité dans l'espoir de percevoir un gain mais surtout d'acquérir rapidement et efficacement une vraie notoriété. Cependant, les producteurs et les diffuseurs ont veillé à restreindre les cessions très globales de droits de la personnalité, en réduisant notamment la durée d'exploitation des droits, mais aussi en demandant aux candidats des autorisations supplémentaires chaque fois que des éléments relevant de la vie privée des candidats étaient susceptibles d'être exploités.

Mais nous pourrions envisager également le fait que finalement ces participants ne font qu'interpréter un rôle au sein de l'émission, en les assimilant à des personnages de sitcom. En effet, dans tous les types d'émission de télé-réalité, il est possible d'énumérer différents types sociaux représentés par les différents participants, les différents personnages. Les producteurs ont compris que pour toucher un large public, il fallait que chacun se reconnaisse dans le programme. Il est alors aisé de s'identifier à un personnage qui présente les mêmes caractéristiques sociales que nous, dans tous les cas, il va au moins nous paraître sympathique. Ce marché se fonde donc sur une logique de l'identification, et d'autant plus lorsqu'il s'agit de mettre en scène des types sociaux plus ou moins marginalisés, comme cela peut être le cas pour les gays et les lesbiennes. Ce sont dans les médias que les repères, les éléments constructeur de la personnalité se trouvent lorsque la vie quotidienne n'en offre pas. La consommation d'images médiatiques va alors s'effectuer selon le principe de la projection et de l'identification ; mais pour que cela soit possible, il faut qu'il y ait un équilibre entre réalisme et idéalisation20(*). Cette culture de masse va créer des images et des modèles permettant la « réalisation de soi », offrant des aspirations, fournissant des mythes. Elle est à la fois facteur d'évasion à l'aide des images, et facteur d'intégration à l'aide des modèles qu'elle véhicule au grand public. Les personnages offerts aux téléspectateurs deviennent des modèles de culture c'est-à-dire des modèles de vie, surtout ceux qui ne sont pas visibles facilement dans le quotidien réel des acteurs sociaux.

En ce sens, l'homosexualité est un exemple. Le 29 novembre 1973 aux alentours de 22 heures, la deuxième chaîne présente une émission médicale intitulée «L'homosexualité ». Le communiqué de presse transmis par ses producteurs annonce « une étude envisagée sous l'angle de la psychologie et de la psychanalyse », c'est la première fois en France, et pourtant aucun magazine de télévision n'y consacrera un article. Les archives sur la presse télévisuelle montrent que les chaînes de télévision ont gardé pendant des décennies sur le sujet, un silence quasi absolu, entre tabou et négation. Il faut attendre le 23 juin 1995 et la première « Nuit gay »21(*) de Canal + pour que la télévision se demande si les gays et les lesbiennes ont une place. Un « coming-out » tardif qui prendra bientôt presque la forme d'un paroxysme. Car, à partir de l'an 2000, entre l'arrivée de séries comme « Queer as folk »22(*) sur Canal +, de magazines comme « Good as you »23(*) ou l'émergence de candidats gays dans les émissions de télé-réalité, les gays et les lesbiennes prennent part dans les écrans. L'arrivée de Pink TV, chaîne thématique gay et lesbienne, à l'automne 2004 marque un tournant dans l'épopée gay et lesbien à la télévision. Une centaine d'articles, rien que dans la presse spécialisée, salue l'arrivée de la chaîne. Il semble désormais clair que la télévision française accorde aux homosexuels une visibilité qu'elle leur avait longtemps refusée, mais pour des motifs qui n'ont pas toujours quelque chose à voir avec l'ouverture d'esprit. Certains parlent même parfois de sollicitude ambiguë. Il y a eu d'abord, la volonté de faire « tendance », « moderne » de la part de certaines chaînes qui ont voulu redorer leur image. Si pour certains, cette nouvelle multiplicité rime avec clichés, que l'on retrouve dans certains programmes, elle rime également avec visibilité24(*).

Aujourd'hui, la starification de masse et les émissions de télé-réalité ont multiplié les facilités du « devenir star ». La star a perdu de sa divinité au point de ne plus faire la différence avec le public, les mortels25(*). Elle devient plus présente et plus intime, elle est visible et accessible. Sa diffusion massive est assurée par les grands multiplicateurs du monde moderne comme la presse, la radio, la télévision et Internet. Cette visibilité accrue permet alors l'identification qui peut apparaître comme le vecteur de base d'une certaine reconnaissance et d'une affirmation identitaire, homosexuelle dans notre cas. Variés, ses espaces sont ceux du lien social et de la production culturelle : fréquentation d'un quartier, engagement politique, adoption de pratiques sexuelles, choix vestimentaires ou encore constitution d'un groupe de soutien pour une candidate homosexuelle de la télé-réalité...Cette hypothèse a été démontrée durant l'analyse.

3. Quelle réception pour quel(s) public(s) : éléments d'analyse

Il semblerait que l'étude d'un tel groupe s'inscrive obligatoirement dans le domaine de la sociologie des publics, et de la réception. La question des publics est difficile à appréhender car ils représentent des sortes de «communautés provisoires »26(*). Cependant, les conceptions fonctionnalistes de P.Lazarsfeld et R.Merton27(*) et les analyses critiques des industries culturelles de T.Adorno28(*) doivent sans doute être dépassés. En effet, le public n'est pas qu'une masse passive, même si aujourd'hui, les productions dites de « masse » élaborées par des stratégies commerciales amènent à penser les téléspectateurs également en terme de « masse». La sociologie des publics et de la réception peut donc s'envisager autrement que par une approche inspirée de la psychologie du comportement ou par une analyse économique des entreprises de productions des biens culturels. L'explication par les déterminations sociales des téléspectateurs doit être prise en compte mais doit également être dépassée, tout du moins, dans cette étude. En effet, l'affirmation identitaire deviendrait une explication de la conduite des publics, or nos identités ne sont pas seulement construites par notre origine sociale et nos moyens économiques29(*). Nous laissons de côté ici la théorie de la légitimité culturelle de P.Bourdieu.

Les Cultural Studies autour des travaux de S.Hall dans un article30(*) cherchent à démontrer que le public n'est plus une masse inactive et qu'il participe au processus de production des informations. S.Hall montre bien la différence entre la dénotation et la connotation du message, et que c'est au niveau de la connotation que le public intervient. Le téléspectateur peut avoir plusieurs manières d'interpréter le message. Ce modèle sera très utilisé pour interroger sociologiquement la conduite politique des publics.

Les culturalistes se sont principalement intéressés aux publics minoritaires et leurs rapports à la majorité dominante, le public serait ici structuré par des configurations culturelles. L'étude de cas de J.Bobo31(*) sur la réception du film de Spielberg en 1985 « La couleur pourpre » montre que la critique de gauche avait dénoncé les stéréotypes utilisés par le film pour décrire les personnages noirs. Mais le film a pourtant connu un grand succès auprès des femmes noires. J.Bobo l'explique par l'existence d'un contexte culturel nouveau, principalement entretenu par des écrivains femmes et noires qui, depuis le début des années 60 n'ont plus voulu parler à un auditoire blanc mais se sont adressées à leur propre communauté. Ainsi de nombreuses femmes noires étaient prêtes à s'intéresser au destin de personnages qui leur ressemblent. De plus, le film parlait des femmes noires non comme objets mais comme sujets, et cela a permis d'équilibrer son emploi massif de tous les clichés possibles à propos de la population noire.

Ainsi, on peut comprendre comment certaines compétences culturelles spécifiques pouvaient interférer avec les statuts sociaux pour produire des modes de réceptions particuliers. C'est pourquoi le féminisme s'est longuement intéressé à la question des publics, d'une part en repartant des travaux de la psychanalyse qui enferment le sexe faible dans une position d'objet et en opérant une confrontation entre la réalité sociale en matière de rapports de sexe et ce qui se passe dans les films; et d'autre part en adoptant une ethnologie féministe32(*) dont le point de départ est la situation dévalorisée de la femme dans les produits culturels et littéraires qui leur sont destinés, ou du moins ceux dont les femmes sont les plus spectatrices comme les soap opera ou les « romans sentimentaux »33(*). Le constat est que ces ouvrages ou ces feuilletons jouent le rôle d'une revendication implicite face aux contraintes de la vie sociale. Le public des femmes apparaît en quête d'une autre formule d'identité féminine, à laquelle les stéréotypes véhiculés par ces vecteurs servent à la fois de repoussoir et d'origine.

Les actes de réception ne sont pas accomplis dans un désert culturel et social et, de plus, ils sont souvent très indépendants de l'objet dont il y a réception. Ces actes peuvent se concentrer, et cela va particulièrement nous intéresser, sur la réception secondaire34(*), sur l'interaction. Cette approche constructiviste des publics pense les usages de la télévision notamment autour d'une forme particulière d'apprentissage social35(*) : ce serait la dernière institution capable de nous apprendre à vivre dans notre monde « transmoderne »36(*). La « fiction » à laquelle la télévision se tient serait celle d'un public à la fois universel et sensible aux différences ; les programmes joueraient le rôle d'un espace public populaire où les agents sociaux apprennent de nouvelles formes de citoyenneté. J.Hartley donne l'exemple des femmes que la télévision a contribué à rendre plus visibles dans l'espace social. On pourrait dire la même chose pour la présence ostensible de l'homosexualité, sur les plateaux, contribuant sans aucun doute à rendre moins aiguë l'hostilité commune en la matière. De ce point de vue, le public de la télévision, compris comme fiction constructrice, ne devrait pas être analysé en terme de masse mais en terme de différenciation.

Si, comme nous l'avons déjà montré, la télévision et les images qu'elle renvoie permettent d'induire un processus de construction identitaire, une certaine reconnaissance, essentiellement pour les populations opprimées, ou du moins en manque de repères dans l'espace social, elles définissent également une représentation de l'homosexualité qui va se répercuter sur tous les agents de la société et pas seulement sur les homosexuels eux-mêmes. Ce constat pourrait être menacé à long terme par la prévalence de chaîne « ghettoisée » comme Pink TV, comme le préconisent certains observateurs anglo-saxons.

En dernier lieu, il semblerait pertinent de s'intéresser aux contextes à l'intérieur desquels les oeuvres sont reçues37(*). Ainsi, ce serait dans la mesure où les oeuvres ou les artistes touchent quelque chose de la vie des publics que ceux-ci réagissent. Ce n'est pas seulement le statut de l'oeuvre qui compte, c'est aussi son contenu : la façon dont ce dernier éprouve les habitudes, les valeurs, les identités des publics suscite la réception. J.Staiger propose donc une analyse de la relation entre des objets et des communautés sociales et démontre comment, dans un contexte donné, les acteurs sociaux se réapproprient les enjeux d'une oeuvre. Ce dernier point pourrait être très utile afin d'expliquer certains de nos constats empiriques sur l'usage du coming-out de certaines célébrités. Ainsi nous pourrions nous demander si certains regroupements, comme celui auquel nous avons confronté nos hypothèses peut tenir lieu de mouvement de soutien envers une certaine minorité sociale pouvant se reconnaître dans une oeuvre ou une artiste. Ce mouvement pourrait constituer un constructeur de notoriété et de sociabilité télévisuelle38(*), suite à la diffusion des émissions Star Academy.

En effet, D.Pasquier a montré que la télévision est l'objet d'échanges dans une multitude de communautés sociales comme la famille, l'école, le lieu de travail, le voisinage, les lieux de loisirs ou de vacances. A travers son étude sur la série « Hélène et les garçons », elle constate que dans la sociabilité juvénile, ce marché des interactions est particulièrement actif. D'après ses questionnaires, 61% des répondants disent discuter des séries pour adolescents avec leurs amis et d'autres enquêtes indiquent que la télévision vient en tête des sujets de conversation à l'école. Elle est aussi, comme elle le montre, l'objet de nombreuses pratiques collectives. Elle évoque notamment les échanges d'images représentant les personnages de la série. Le groupe des pairs pourrait donc avoir une certaine influence sur les comportements de chacun par rapport à l'expérience télévisuelle. Des travaux montrent que la pression du groupe des pairs agit à la fois sur les choix des consommateurs et sur les interprétations. Ainsi, il faut toujours se tenir au courant de ce qui risque d'intéresser les autres, pour pouvoir interagir et discuter sur le sujet. D.Mehl a montré aussi comment les jeunes faisaient usage du magnétoscope. Ils enregistrent des films de cinéma dont ils ont plutôt un usage individuel et patrimonial, mais ils regardent toujours en direct les émissions dont ils savent qu'ils auront à parler avec leurs amis39(*).

La relation à la télévision est une expérience socialement normée et organisée. Les positions de chacun affichées sur la scène sociale ont pour but d'organiser une expérience sociale commune qui se construit dans le cadre des interactions avec autrui. La culture de masse s'impose de manière peut être encore plus brutale chez les jeunes et la pression du groupe sur les choix individuels est forte. La télévision mais aussi, comme nous le verrons plus loin les nouveaux moyens de communication comme Internet sont des supports de l'affirmation des identités. Ce sont des formes culturelles communes qui suscitent des discussions et tracent les contours des réseaux sociaux : « Ces échanges permettent de parler de soi sous couvert d'un personnage du petit écran, d'affirmer des préférences physiques ou de porter des jugements moraux. Ils permettent aussi d'évaluer ce que d'autres pensent sur le même sujet. Les programmes de télévision sont des supports particulièrement utiles pour exprimer les identités personnelles »  40(*).

II ) L'AFFIRMATION ET LA RECONNAISSANCE IDENTITAIRE A TRAVERS DES MODELE MEDIATISES

Les différentes formes de sociabilités et la recherche de modèles que nous avons évoquée, sont des expériences socialisantes qui permettent la construction de l'identité sexuée41(*), puis sexuelle. Le sexe devient une affaire de choix personnel au sein de sociétés réflexives où les identités sont successives, plurielles et flexibles42(*). Nous nous intéressons plus particulièrement aux jeunes, puisque la jeunesse est un des pôles fondamentaux dans le processus de construction identitaire. L'adolescence a pour enjeux aujourd'hui la sexualité soumis à la dépendance matérielle de la famille et de l'école. Ainsi, la construction d'une autonomie et d'une identité à l'adolescence repose largement sur la constitution d'une sphère privée, par la mise en place de relations échappant aux institutions familiales et scolaires43(*). Le groupe des pairs est un vecteur important dans ce processus. Il s'apparente à un collectif dans lequel les individus puiseraient leurs ressources, des enquêtes ayant montré la place considérable de la sociabilité amicale dans la vie des jeunes44(*). Il correspond à un foyer identitaire45(*). La socialisation entre pairs permet à l'individu d'intérioriser, de concrétiser et d'exprimer les changements identitaires qui l'affectent. Cependant, le groupe se pose aussi comme lieu de contrôle et de régulation sociale pouvant entraîner des sanctions symboliques46(*), notamment dans le cadre d'une socialisation divergente de celle de la majorité. Il pourra s'agir dans ce cas, dans notre étude, de la découverte de l'homosexualité chez les jeunes, qui se trouvent alors en décalage avec leurs pairs. Le degré d'appropriation intérieur d'un monde va alors être fonction du degré de leur identification aux autres et de leurs modèles de projection. La sexualité résulte d'une construction sociale importante où les influences des représentations littéraires, médiatiques et artistiques ont un rôle considérable47(*). Les individus, ici plus précisément les adolescents, ont besoin d'un apprentissage social et culturel concernant la sexualité ; d'autant plus qu'aujourd'hui la procréation n'est plus au centre des discours. La sexualité apparaît désormais comme une expérience personnelle, fondamentale dans la construction du sujet, au sein de la sphère de l'intimité et de l'affectivité entraînant un certain paradoxe : « la visibilité et la relative acceptation sociale d'orientations sexuelles alternatives ont permis de redéfinir à l'époque contemporaine, l'horizon de l'expérience sexuelle pour tous les individus, même si paradoxalement cette extériorisation semble pourtant aller à rebours du processus historique de privatisation et de cantonnement des manifestations sexuelles ordinaires à l'intimité »48(*).

Dans cette partie, nous allons tenter de lier le processus de construction identitaire à celui de socialisation et aux formes de reconnaissance. En effet, chaque sujet humain est fondamentalement dépendant du contexte de l'échange social organisé selon les principes normatifs de la reconnaissance réciproque. La disparition de ces relations de reconnaissance peut déboucher sur des expériences de mépris et d'humiliation qui ne sont pas sans conséquence pour la formation de l'identité de l'individu49(*).

1. De la construction identitaire à une « politique des identités »50(*)

Avant de commencer cette partie, il convient de noter que nous ne défendons pas l'existence essentialiste d'une identité gay ou lesbienne51(*). L'identité est appréhendée comme une construction sociale, elle est soumise aux changements, elle fait partie d'un processus.

Le mot « identité » vient du latin « idem » (le même) désigne ce dans quoi nous nous reconnaissons et dans quoi les autres nous reconnaissent. L'identité est toujours attachée à des signes par lesquels elle s'affiche, de sorte qu'elle est à la fois affirmation d'une ressemblance entre les membres du groupe identitaire et d'une différence avec « les autres ». Autrement dit, l'identité se situe au point de rencontre entre la connaissance de soi par soi-même et par autrui52(*). Cette conception peut s'analyser par la notion de soi en miroir (looking glass self), encore appelé soi réfléchi, indiquant ainsi que le soi est enraciné dans l'image renvoyée par les autres53(*). L'autre est en quelque sorte un miroir social qui permet à l'individu de se connaître, de s'évaluer, de s'éprouver et de se reconnaître.

Ce que nous pensons de nous-mêmes, la façon dont nous nous percevons, dont nous nous définissons, dont nous nous cataloguons ou évaluons qui nous sommes, et dont nous le prenons en compte pour agir, dépend des autres que nous avons rencontrés ou que nous rencontrons quotidiennement. L'interaction contribue à la conscience de soi et d'autrui à travers l'apprentissage, la prise et l'exécution de rôles. La notion de rôle54(*) est une notion qui a été souvent proposée pour expliquer de manière générale la socialisation de l'individu en société. La notion d'interaction permet d'actualiser, de concrétiser, et d'une certaine manière, d'opérationnaliser cette médiation entre l'individu et la société dans la mesure où celle-ci se passe entre individus en présence l'un de l'autre. Celle-ci peut être utilisée pour expliquer la formation de soi lors de la socialisation primaire, secondaire, ou la présentation de soi par la prise de rôles en situations publiques.

La socialisation participe donc pleinement au processus de construction de l'identité sociale. L'identité se caractérise par la dualité entre une image pour soi et une image pour autrui, par la nécessaire continuité dans le changement : « entre la nécessité de sauvegarder une part de ses identifications antérieures (identités héritées) et le désir de se construire de nouvelles identités (identités visées) »55(*). Chacun construit son soi réel à partir des identités héritées, attribuées et visées. Cependant les débuts de la quête identitaire trouvent des ressources d'identification collective provenant de ce qu'il reste des structures communautaires. Lorsque l'individu effectue une rupture avec sa socialisation identitaire primaire, il doit se détacher de certaines valeurs et croyances pour en adopter d'autres, celles de « l'identité visée », et pour se faire, il va s'appuyer sur ce que la société lui propose. Dans le cadre de notre étude, il peut se référer à une sorte de « communauté sexuellement marginalisée » ou à une « influence minoritaire »56(*) comprenant certaines représentations d'elle-même, mais aussi comme nous l'avons vu, aux représentations de l'homosexualité dans l'opinion publique véhiculées par les médias de masse.

C.Dubar montre qu'il existe deux formes de construction identitaire57(*) : les formes communautaires qui supposent la croyance dans l'existence « de groupements appelés communautés considérés comme des systèmes de places et de noms préassignés aux individus et se reproduisant à l'identique à travers les générations », c'est la manière d'identifier les individus à partir du groupe auquel ils appartiennent, qui persistent encore aujourd'hui ; et les formes sociétaires qui supposent l'existence de « collectifs multiples, variables, éphémères auxquels les individus adhérent pour des périodes limitées et qui leur fournissent des ressources d'identification qu'ils gèrent de manière diverse et provisoire », c'est le primat du sujet individuel sur les appartenances collectives et de la primauté de l'identification pour soi sur les identifications pour autrui. Dans cette deuxième conception, il n'y a pas d'opposition entre identité individuelle et collective car toute identification individuelle fait appel à des mots, des catégories de référence socialement identifiables. De plus, comme nous pourrons le voir en ce qui concerne les fans, l'identification collective est un instrument de confirmation réciproque d'un sens particulier de la vie. J.C.Kaufmann donne l'exemple des anciens combattants qui doivent se reconnaître mutuellement comme tels pour exister individuellement en tant que tel58(*), c'est-à-dire que l'individu peine à se définir sans appartenance. C'est en ce sens qu'il faut comprendre la vertu identitaire des mouvements sociaux. Ainsi, leur multiplication supposerait un besoin croissant de connaissance de l'identité, cette nécessité serait provoquée par la modernité individualiste, qui paradoxalement supposerait également l'importance des identités collectives.

De plus en plus, l'individu tend à vouloir faire apparaître et reconnaître dans la sphère publique ce qui fait parti de la sphère privée, selon des critères subjectifs plus qu'objectifs. Citons ici la logique du « coming-out » : c'est lorsque le dedans (in) se manifeste au dehors (out), comme une naissance, une nouvelle socialisation59(*). De même, la revendication des unions de même sexe aboutit à la reconnaissance publique des formes d'organisation de la vie privée60(*).

Nous l'avons vu, l'intimité et par conséquent la sexualité sont de plus en plus évoquées et mises en scène sur les écrans de télévision, mais encore davantage avec l'avènement des nouveaux médias comme Internet. A partir des années 60, la politisation de l'intimité et de la sexualité a été mise à l'ordre du jour. Il s'agissait alors de faire débattre publiquement de questions jusque-là dissimulées dans le non-dit du fonctionnement de la famille patriarcale61(*). Les mouvements féministes ont largement contribuées à ces changements contemporains. L'émergence de l'homosexualité dans la sphère publique est inscrite dans ce mouvement et a eu des conséquences sur la vie sexuelle en général62(*). La popularisation du terme « gay » par lequel les homosexuels se désignent a été interprété comme l'indice de la place grandissante de la subjectivité dans le processus identitaire. Ainsi ce processus réflexif permet « à un phénomène social donné de faire l'objet d'une appropriation et d'une transformation grâce à un engagement collectif ». Cela a contribué à donner un autre visage à l'homosexualité, jusque là considérée comme une perversion au sens psychiatrique du terme. La divulgation d'expériences vécues jusque-là clandestinement a un double sens politique : favoriser une prise de conscience et une croissance du mouvement, lutter contre les multiples discriminations dont souffrent les homosexuels. Ainsi, « sortir du placard », c'est-à-dire, dire publiquement son homosexualité est devenue à la fois un rite de passage personnel et un acte politique. Cela a permis également de suggérer que la sexualité constitue une qualité ou une propriété appartenant en propre au soi. Un individu a donc une sexualité, homosexuelle ou non, pouvant être « appréhendée, interrogée et développée sur le mode réflexif ». Il n'y aurait pas d'état naturel de la sexualité humaine ; nos expériences sexuelles sont construites comme des scripts c'est-à-dire apprises, codifiées, inscrites dans la conscience et élaborées comme des récits63(*). La sexualité est donc scénarisée et devient un élément central de l'identité. Elle tient le rôle de jonction entre le corps, l'identité personnelle et les normes sociales. C'est pourquoi, elle apparaît également sur le devant de la scène en matière de reconnaissance. L'univers des affects, des sensations et des émotions est central dans le processus identitaire. Les instruments de l'invention identitaire sont les images et les émotions64(*). Ce dernier point sera plus amplement développé plus loin.

Aujourd'hui, le phénomène d' « androgynéisation sociale65(*) », la relative banalisation de l'homosexualité du fait d'une relative plus grande visibilité, du développement d'un sentiment d'appartenance à un groupe social et l'influence des médias amènent à repenser la construction identitaire homosexuelle. Il y aurait donc, ces dernières années et pour certaines catégories sociales, un passage d'une identité assujettie à une identité réinventée et choisie66(*), avec notamment le développement et l'accroissement des études gays et lesbiennes sous différentes formes (films, oeuvres, études, conférences...) et diffusées essentiellement à l'intérieur de ce qui est communément appelée la communauté homosexuelle. Ce savoir alimente la quête d'une identité collective à travers la redécouverte de ses racines et la création de représentations positives de l'homosexualité67(*). Mais cela n'a pas toujours été le cas. En effet, les lesbiennes, comme tout groupe minoritaire dans une structure sociale et discursive modelée par les dominants, s'affirment et se nomment à la fois dans et contre ce cadre conceptuel et ces systèmes de représentations. Soit niées et invisibilisées, soit assignées à une catégorie marginalisée et stigmatisée, elles vivent, et expriment plus ou moins explicitement, une contradiction entre cette inscription dans les structures de catégorisation et d'étiquetage produites par les dominants, et la contestation de ces structures oppressives68(*). De ce fait, le mouvement social que peut créer un tel phénomène peut être considéré comme intégrant le processus de construction identitaire des individus minoritaires. La dimension identitaire est encore plus forte si le groupe se heurte à une stigmatisation de la part de la société globale et cela peut donner lieu à certaines stratégies s'accompagnant pour la reconnaissance d'une identité.

Trois moments caractérisent une stratégie de mobilisation identitaire69(*). Dans un premier temps, l'existence préalable d'une situation d'exclusion : une qualité particulière (raciale, sexuelle, culturelle ou comportementale) place son détenteur en situation de marginalité, et peut dans certains cas le priver de certains droits et privilèges. Cette situation d'exclusion s'appuie sur la construction d'une identité marginale, imposée aux exclus et socialement ressentie comme honteuse. Dans un deuxième temps, la mise en oeuvre d'une stratégie communautaire : elle vise à consolider le groupe minoritaire qui rassemble les exclus et à revendiquer le plein usage des « droits spoliés » (droits entendus au sens large du terme et pas seulement au sens juridique). Cette stratégie s'accompagne d'un combat culturel destiné à valoriser l'identité à l'origine de l'exclusion, à donner un contenu positif à cette spécificité. L'auto-définition et l'auto-représentation d'un groupe sont précisément l'enjeu de sa mobilisation. Cette mobilisation s'accompagne d'une pratique politique spécifique, qui a pour but de contester le caractère prétendument neutre de l'espace public, en rendant visible la différence, en rendant visible une identité culturelle ordinairement occultée : c'est la démarche de visibilité. Dans un troisième temps, les succès de cette mobilisation rendent possible une problématisation de cette identité marginale. En effet, l'homosexualité entre aujourd'hui dans les débats sur la famille et le mariage.

Mais cette notion de « politique des identités » est inséparable de la notion de connaissance et de reconnaissance : vouloir se définir, s'identifier, c'est aussi vouloir se catégoriser par rapport à un autre semblable ou différent. L'activité de nommer apparaît comme le premier rapport à l'autre -l'autre au sens de celui qui n'est pas nous, et l'activité de connaissance et de reconnaissance entérine au sein des majorités l'existence de groupes réels, elle est la manifestation de l'accès à la conscience majoritaire d'un certain nombre de faits sociaux70(*). D'une certaine façon, le moi n'est personne sans les autres (y compris sous forme virtuelle comme nous le verrons plus après), il n'est rien sans les univers de signification dans lesquels il s'inscrit71(*). Chaque majoritaire et chaque minoritaire se définit dans l'ensemble social par rapport au « je imaginaire », l'un par contiguïté, l'autre par opposition. Les minoritaires doivent jouer sur deux registres : le moi que le majoritaire leur signifie qu'ils sont et le moi qu'ils se sentent être et dont ils sont séparés par l'impératif majoritaire.

2. Les principes de la reconnaissance

La lutte pour la reconnaissance est devenue la forme paradigmatique du conflit politique à la fin du 20ème siècle. Les revendications de « reconnaissance de la différence » alimentent les luttes de groupes mobilisés sous la bannière de la nationalité, de l'ethnicité, de la « race », du genre ou de la sexualité72(*). L'identité collective remplace selon certains auteurs, les intérêts de classe. Dans ces nouveaux conflits comme lieu de mobilisation politique, l'injustice fondamentale ressentie n'est plus l'exploitation mais la domination culturelle. La demande de reconnaissance submerge la société73(*).

La reconnaissance peut être vue en terme de justice ou en terme de réalisation de soi. L'analyse en terme de justice sociale nous intéresse peu ici, puisqu'il est évident que, malgré les évolutions, la parité de participation à l'interaction sociale n'est pas respectée à ce jour, que toutes les sexualités ne sont pas légitimées de la même façon. Les obstacles que certaines personnes peuvent rencontrer sont institués, et peuvent entraver la recherche d'estime de soi, de réalisation de soi. Les institutions produisent et expriment les rapports de reconnaissance. Ce sont les subjectivités qui adressent des demandes de reconnaissance aux institutions. Les institutions, au sens le plus large du terme, produisent trois types d'effets de reconnaissance sur les individus74(*), et par conséquent trois types de contre-effets. Elles influent sur les comportements en tant qu'instance de coordination des actions par des règles. Le risque est que les qualifications de l'agent et de ses partenaires d'action par les règles de l'interaction produisent des effets de reconnaissance mais aussi de déni de reconnaissance, c'est ce qu'on appelle la reconnaissance dépréciative qui peut prendre la forme d'une infériorité, une disqualification ou encore une stigmatisation. Les institutions produisent également une configuration spécifique des attentes des individus et des effets de mobilisation de la subjectivité, c'est le concept d'interpellation75(*). Cependant dans les institutions qui n'offrent de reconnaissance qu'aux individus s'efforçant de coller le plus possible à un rôle social déterminé, le déni de reconnaissance prend la forme de la méconnaissance et de l'invisibilité. Enfin, en tant qu'espaces sociaux spécifiques régis par des principes normatifs particuliers, elles constituent des lieux de socialisation et de production de l'identité, elles sont donc des lieux de subjectivation identitaire. Le déni de reconnaissance produit par cet effet sera une reconnaissance insatisfaisante par une incompatibilité où les institutions interdisent aux individus de s'identifier totalement aux différents rôles dans lesquels ils tentent de se faire reconnaître par la société.

Nous postulons bien ici que le terme de reconnaissance est lié avec celui de l'identité : « c'est dans mon identité authentique que je souhaite être reconnu »76(*). C'est une tendance à la reconnaissance réciproque qui habite l'interaction sociale : autrui est institué au sein d'une activité qui me permet en retour d'exister comme sujet. Il est celui que je dois reconnaître comme sujet en même temps qu'il me reconnaît comme tel. C'est ce que A.Honneth nomme la reconnaissance intersubjective77(*). Le filtre identitaire est une grille de traitement de l'information, préparant l'action. Cette grille prend souvent la forme d'images régulées par des affects, il y aurait donc une amplification de la composante émotionnelle dans la construction de soi ; mais le plus important est la recherche de reconnaissance et d'estime de soi. Nous voulons toujours nous montrer à autrui de manière positive, l'essentiel étant de « sauver la face »78(*), nous nous arrangeons par de profondes reformulations identitaires. Ainsi la construction de l'identité personnelle peut être analysée comme une vaste transaction entre soi et autrui79(*). Dans le cas d'une identité marginalisée, il est assez difficile de se défaire de l'effet d'étiquetage stigmatisant de la morale dominante80(*), de « l'identité attribuée ». Empêtrés dans cette image imposée de l'extérieur et meurtrissant l'estime de soi, les marginaux n'ont comme solution que le repli dans l'invisibilité protectrice, l'échappée dans des passions ordinaires, l'usage de divers substituts palliant artificiellement les carences de « l'individu par défaut »81(*)ou la reconstitution de l'estime de soi par le renversement du stigmate82(*) et comme nous l'avons vu précédemment par la création d'images positives, notamment par le biais des médias, et aussi par la constitution d'un groupe, d'une communauté de tout ordre que ce soit, que ce soit le mouvement gay et lesbien ou à un niveau moins politique et de moindre envergure, le fan-club qui nous intéresse dans cette étude.

Les lesbiennes comme les homosexuels sont donc une minorité. Ce constat renvoie à une distinction fondamentale dans l'histoire du mouvement gay et lesbien en général, celle qui sépare les «assimiliationnistes » et les « séparatistes » respectivement « stigmaphobes » et « stigmaphiles 83(*)». Le premier consiste à rejoindre la majorité, c'est-à-dire à dissimuler son homosexualité pour se fondre dans la normalité, il prône un abandon de la lutte, dénonce le ghetto, accepte le statut de dominé et l'incorpore sous forme de discrétion. Le deuxième courant cherche à faire de la « différence », un point de départ et d'ancrage d'une politique de la différence, en revendiquant la rupture instituée par le stigmate, et en insistant systématiquement sur tout ce qui distingue les homosexuels des « normaux ». Ainsi la minorité ne peut se libérer qu'en construisant des espaces, des zones autonomes de liberté, quitte à former des alliances stratégiques et provisoires avec d'autres catégories dominées, notamment les féministes. Cependant, qu'il s'agisse de se conformer aux normes ou de construire des sous-mondes alternatifs, chacun à sa manière considère comme immuable le principe de la domination hétérosexiste, reconnaissant en ne les contestant pas les principes de division et de hiérarchisation qui sont à l'origine de l'oppression. Ici, on s'inscrit dans une perspective déterministe où l'on pourrait s'autoriser à employer le terme de P.Bourdieu et parler d'un habitus gay ou lesbien.

Historiquement, la minorité est devenue le référent des groupes dominés qui cherchent à réclamer leurs droits et à resignifier les catégories initialement destinées à les assujettir. On trouve au sein même d'une minorité, des divergences allant d'un extrême à l'autre. Par exemple, même si le mouvement lesbien était très proche voire corollaire au mouvement des femmes, le lesbianisme dit radical diverge du féminisme dit radical. Il considère le lesbianisme non comme une simple pratique sexuelle mais comme une résistance, consciente ou non, à l'ordre social et politique instauré contre les femmes : l'hétérosocialité, dont le pivot est l'hétérosexualité, ce lien total de la femme à l'homme, lien pensé comme naturel et immuable. Dans les pays francophones, la théorie du lesbianisme radical a puisé certains concepts dans le « féminisme matérialiste », notamment celui de l'appropriation collective et privée de la classe des femmes par la classe des hommes84(*) : le « sexage ». Le lesbianisme radical s'appuie en outre sur le lesbianisme matérialiste de Monique Wittig85(*). Se distinguant des thèses du féminisme, cette dernière entend montrer en quoi « le sujet désigné (lesbienne) n'est pas une femme, ni économiquement, ni politiquement, ni idéologiquement » car, bien que subissant les effets de l'appropriation collective des femmes (salaires inférieurs, viol, agressions...) les lesbiennes échappent à l'appropriation privée par un homme. L'objectif du lesbianisme radical, contrairement à un courant séparatiste, qui mise sur la création d'une contre-culture fondée sur la supériorité des valeurs féminines, est de supprimer la bi-catégorisation sexuée, analysée comme construite et non naturelle.

Nous évoquons dans cette étude une reconnaissance essentiellement dans le but d'une construction identitaire et par conséquent une reconnaissance pour la confiance en soi, le respect et l'estime de soi, qui apparaît comme la traduction subjective du mécanisme de reconnaissance. Mais en évitant de tomber dans la psychologisation de la réalisation de soi, il faut rappeler que les individus exigent aussi que la reconnaissance d'une valeur soit définie par des identités déjà constituées, produites par et dans les institutions. L'identité mise en mouvement politique serait ce qui se joue d'essentiel dans la lutte pour la reconnaissance à valeur émancipatrice. La thèse du primat social des identités collectives permet ainsi de recadrer la portée politique de la théorie de la reconnaissance86(*).

Ainsi, un regroupement tel que celui que nous nous sommes proposés d'étudier, celui des fans d'Anne-Laure mobilise la reconnaissance pour soi, c'est-à-dire une identification individuelle qui passe par un modèle médiatique favorisant du même coup l'émergence d'une solidarité collective, d'une reconnaissance pour autrui d'un certain mouvement, pas forcément revendicatif, pas forcément conscient, à travers le développement sur Internet d'un certain réseau de fan. Le passage de la construction identitaire individuelle à travers un modèle où chacune peut se reconnaître dans cette image médiatique qu'Anne-Laure donne des lesbiennes aujourd'hui, à la construction collective en faveur peut être d'une reconnaissance d'un certain « mouvement lesbien » se fait, dans ce cas, par la constitution du groupe de fans.

Les lesbiennes mènent donc un combat avant tout pour lutter contre leur invisibilité et obtenir la reconnaissance, sans que l'on les assimile au mouvement gay. Sortir de l'invisibilité c'est accéder aux médias de masse, et plus particulièrement à la télévision ; et y accéder de manière « naturelle ». La figure de la lesbienne prend lentement place dans un paysage audiovisuel français. Elle est en tout cas plus rare - ou plus discrète - que la figure de l'homosexuel. Le concept négatif d'invisibilité s'oppose au concept positif de visibilité. La visibilité physique implique une forme élémentaire d' « identifiabilité » individuelle ou collective et, en conséquence, représente une première forme primitive de ce que nous appelons « connaître »87(*). Rendre visible une personne va au-delà de l'acte cognitif de l'identification individuelle ou collective, c'est parce que nous possédons une connaissance commune des formes positives d'expression que nous pouvons voir dans leur absence une marque d'invisibilité. Autrement dit, la connaissance est un acte cognitif non public et la reconnaissance dépend des moyens de communication qui expriment le fait que l'autre personne est sensée posséder une « valeur » sociale. Nous attendons réciproquement les uns des autres une signification des formes d'expression afin de devenir visibles les uns pour les autres, nous attendons de recevoir une confirmation sociale. Ces formes d'expression accordent à l'individu une approbation sociale ou le fait qu'elle possède une légitimité sociale.

Anne-laure, on l'a vu, représente une minorité. Les minorités cherchent à faire promouvoir leur reconnaissance. Star Academy, en tant que programme télévisuel représentant jusqu'à 56,2% de part d'audience88(*) semble être une aubaine remarquable pour une minorité si peu évoquée. Même si le modèle est formaté, labellisé, et qu'il porte le sceau d'un produit dérivé, il n'en reste pas moins convoité par les populations concernées. C'est le terrain même de cette étude.

Ainsi de la même façon que les adolescentes, cibles privilégiées de ce genre de programme et de tous les produits dérivés qui vont avec, vont vouloir s'identifier en apparence à leur star favorite, les fans d'Anne-Laure, majoritairement lesbiennes, vont chercher et voir en elle, un symbole, un modèle de reconnaissance, notamment au niveau du look, de la mode vestimentaire. Les magazines pour adolescentes insistent beaucoup sur ce créneau de la ressemblance. On peut lire des conseils pour permettre aux jeunes filles de s'identifier ; par exemple : habille-toi comme Lorie, maquille-toi comme Christina Aguilera, adopte le look d'Avril Lavigne, sois sexy comme Britney Spears...Pourtant jouer avec son image a parfois été un moyen de faire passer un message ou de signifier son appartenance à un style de vie. Anne-Laure en adoptant le style sportwear a immédiatement fait la différence avec ses autres camarades féminines du château. Ce facteur vestimentaire pourrait être un point de départ dans l'éveil de la curiosité des téléspectatrices lesbiennes, même s'il n'est juste de définir la sexualité d'une personne uniquement sur des critères d'apparence.

L'identification est donc un vecteur incontournable de la reconnaissance et de l'affirmation identitaire sexuelle.

3. La politisation de la reconnaissance ou la réappropriation des enjeux d'une oeuvre autour d'un fan-club

La présence ou l'absence des homosexuels à la télévision n'est désormais plus ni un problème, ni un sujet de débat. Au contraire l'année 2002 constitue une sorte de tournant dans le cadre de la  télé réalité  : le mois de juin voit en effet la consécration de Thomas, lauréat de Loft Story 2, sur M6, qui présente la particularité d'avoir fait son coming-out en direct. Pour les observateurs gays, cette révélation est une demi-surprise. Mais pour le téléspectateur lambda, que l'on imagine toujours choqué, stupéfait, voire ricanant, l'affaire passe sans aucun scandale. Le même constat s'est opéré lors de la sortie du placard d'Anne-Laure, candidate de Star Academy 2 sur TF1, prétendument censurée par la production, qui, dans les faits, semble avoir savamment orchestré les fuites. Ce fait est relativement rare. L'homosexualité à la télévision est majoritairement masculine, jusque dans les années 80, à l'exception des apparitions de la célèbre Elula Perrin, reine des nuits lesbiennes parisiennes. Aujourd'hui, on a pu trouver quelques rares émissions consacrées aux seules lesbiennes ; elles sont la plupart du temps mise en images avec les gays, pour qu'au final on ne les montre pas à l'écran. Cette année, Canal plus a consacré sa « nuit gay et lesbienne », à l'homosexualité féminine pour la première fois. Enfin, sans parler du cinéma, la fiction francophone a évoqué le sujet de l'homoparentalité dans des couples de femmes.

Autant dire que les lesbiennes sont très peu représentées en France à l'écran. Le cas d'Anne-laure qui sera étudié ici va permettre de comprendre comment la télévision peut fabriquer des personnages, peut mettre en avant certains types sociaux, comment elle organise finalement l'adhésion voire l'identification du public. Par la suite, les autres médias récupèrent un certain nombre d'éléments qui vont être largement répandus. Après l'annonce de son homosexualité, Anne-Laure a été hissée au rang d'icône lesbienne sans véritablement l'avoir souhaité. Ce terme d'icône renvoie à, ce que nous avons pu constater lors de l'élaboration du travail de maîtrise sur la construction sociale de la culture gay et lesbienne. Il permet de rattacher certaines personnalités à un certain public qui va les mettre en avant dans leur propre « culture » pour différentes raisons. Sur ce point, les gays et les lesbiennes ont des attitudes différentes. Pour les gays, il s'agit généralement des divas qui sont le symbole même de la femme idéale et inaccessible. On parle bien ici de symbole, elles n'ont, la plupart du temps, pas de rapport direct avec l'homosexualité89(*). Ce que nous venons d'énoncer ici sont des a priori, des stéréotypes, qui peuvent se vérifier dans une certaine réalité mais qui surtout se perpétuent à travers les médias qu'ils soient gays ou non90(*). Cet engouement n'a pas son équivalent chez les lesbiennes. Toujours d'après notre travail précédent et les entretiens que nous avons réalisé, les lesbiennes semblent s'intéresser à une personnalité publique du fait de son homosexualité (Amélie Mauresmo, KD Lang, Anne-Laure) ou de son ambiguïté sexuelle (Sharleen Spiteri, chanteuse du groupe Texas). Les gays s'intéressent finalement peu aux personnalités gays actuelles. Les lesbiennes seraient plus dans la recherche d'une reconnaissance, d'une valorisation de leur minorité. En effet, elles accumulent une double discrimination portée sur leur genre et sur leur sexualité. La lesbophobie porte en effet sur la discrimination sexuée et sexuelle. Elle combine généralement homophobie et sexisme, même s'il n'est pas encore possible d'en trouver une définition dans les dictionnaires tant son usage est récent, ce qui justifie peut être une certaine indifférence à cet égard. Elle est moins manifeste que l'homophobie à proprement parler mais elle existe91(*).

Nous l'avons vu la télévision, même si elle tend à choisir de banaliser l'homosexualité, elle le fait toujours en fonction des schèmes déjà incorporés par le téléspectateur, ou encore en prenant garde de ne pas être trop décalée par rapport à la norme en vigueur. A une heure de grande écoute et pour des émissions aussi suivies que Star Academy ou Loft Story, il s'agit de montrer une image de l'homosexualité bien lisse, dans la même lignée que les différents documentaires qui affichaient des couples presque « normaux » durant les débats du PACS et ceux de l'homoparentalité. Bien sûr, il ne s'agit pas de dire ici que les gays ou les lesbiennes doivent forcément être des marginaux. Mais les productions vont avoir tendance à dédramatiser et utiliser l'enjeu du coming-out à des fins commerciales, tout en restant dans le « politiquement correct ». A aucun moment dans Star Academy il n'a été prononcé le mot homosexualité ou lesbienne. Mais le public averti ne s'y trompe pas et Anne-Laure est tout de suite étiquetée par le biais des médias. Nous verrons que l'homosexualité sans être mise en avant peut être un des vecteurs poussant ses fans à se regrouper à travers un nouveau moyen de se reconnaître et peut être se faire reconnaître.

Le dernier siècle a progressivement assisté à l'avènement de l'individu. Il s'agit pour chacun aujourd'hui de faire de sa vie un récit. La mise en scène du « soi » et la construction sociale de l'identité personnelle constituent l'une des composantes majeures des pratiques et des représentations des individus. Cette mise en scène revient souvent dans les recherches contemporaines qui rappellent que l'image et l'estime de soi, les identités communautaires ou politiques s'élaborent dans des interactions entre les individus, les groupes et leurs idéologies. Nous laisserons de côté le processus de construction identitaire individuelle, qui nous semble plus relever de la psychologie, pour nous intéresser plus généralement à la construction sociale de l'identité. Les interactions sociales sont au centre du processus actuel de recherche sur l'identité car les sociétés contemporaines se caractérisent par la multiplicité toujours accrue de groupes d'appartenance, réels ou symboliques, auxquels sont affiliés les individus92(*). Le groupe fonctionne comme catalyseur privilégié de l'identification personnelle. En effet, la conscience de soi n'est pas une simple production individuelle. Elle résulte de l'ensemble des interactions sociales que provoque ou subit l'individu. Le groupe socialise l'individu et l'individu s'identifie à lui. L'individu se trouve enserré dans un maillage, volontaire ou non, d'appartenances qui lui impose ses comportements et lui fournit un ancrage identitaire. L'idée selon laquelle l'identité sociale trouve son origine dans l'appartenance au groupe est relativement ancienne mais c'est bien plus récemment qu'il a été montré expérimentalement que l'identité sociale avait des implications sur les processus entre groupes. Dans nos jugements, nos perceptions, nos relations avec autrui, nous ne nous comportons pas comme des individus isolés mais comme des êtres sociaux qui constituent une part importante de ce qu'ils sont à partir des groupes humains et des catégories sociales auxquelles ils appartiennent. Les individus peuvent donc se définir en tant que membres de groupes par rapport à d'autres groupes présents dans la société, et cette définition sociale influe sur leurs perceptions, sur leurs évaluations et leurs conduites. L'identité sociale et l'appartenance au groupe y sont inextricablement liées au sens où la conception de quelqu'un ou la définition que quelqu'un peut avoir de lui-même sont largement composées de descriptions de soi en termes de caractéristiques définissant le groupe social auquel il appartient93(*) notamment le sexe, l'âge ou encore la catégorie socio-professionnelle. L'identité sociale se définit à partir des effets de la catégorisation sociale qui découpe pour un individu son environnement social de manière à faire apparaître son propre groupe et les autres. La catégorisation sociale consiste en un système d'orientation qui crée et définit la place particulière d'un individu dans la société par son emplacement dans une catégorie. Segmenter le monde en un nombre de catégories selon qu'elles sont semblables ou équivalentes pour l'action, ne nous aide pas seulement à simplifier le réel en fonction de nos objectifs, cela nous sert aussi à spécifier qui nous sommes. Non seulement nous classons les autres comme membres de tel ou tel groupe, mais nous nous situons nous-mêmes relativement à ces groupes et cela engage également une certaine forme de reconnaissance, la reconnaissance mutuelle : je reconnais autrui comme mon alter-égo lorsque je fais partie du même groupe que lui94(*). La reconnaissance ne peut exister que dans la mesure où les individus admettent que telles qualités ou capacités de réalisation de soi sont importantes pour mener tel type de vie et c'est parce qu'ils admettent une telle importance qu'ils se reconnaissent réciproquement comme ceux qui les possèdent et font ainsi partie de la même communauté95(*).

Ce terme nous renvoie à notre étude, le fan-club pourrait être interprété comme relevant d'une communion de certains individus autour d'un sujet ou d'un objet commun, et former ainsi une sorte de communauté presque au sens religieux du terme96(*) en vue d'obtenir une certaine reconnaissance des membres mais aussi de la société en général. Les fans serait la version moderne des apôtres d'antan, imaginairement membres d'une communauté fictive. Dans cette culture laïcisée demeurent des structures fondamentales, celles de la religiosité, non pas la foi en tel Dieu, mais le besoin de croire à quelque chose ; non pas tel rite régulé par un code ecclésiastique, mais le désir d'une expression stéréotypée et habituelle des émotions individuelles et collectives sous des formes imitatives, sacrificielles et communautaires ; non pas une organisation gérante du sacré, mais une soif de s'agréger en des communautés émotionnelles où se pratique la communication chaleureuse, le dévouement zélé, l'éclatement ludique ou la ferveur politique. Ainsi l'individu va sélectionner des bribes d'informations et va les agencer selon ses propres inspirations et aspirations. Les objets, symboles ou idées qui font partis des rites sont aussi inquestionnables que les rites religieux et peuvent avoir un aussi fort impact affectif et mobilisateur.

Ici nous traitons de l'étude d'un fan-club que nous pouvons définir comme une institution diffusant l'image d'un artiste, quel qu'il soit, et permettant une rencontre, un dialogue entre ses fans. C'est une forme d'association réunissant les admirateurs de l'artiste. L'objectif est de promouvoir l'image de l'artiste, d'organiser son culte public lorsqu'il s'agit de personnalité comme celle d'Elvis Presley par exemple, d'alimenter les dévotions privées, d'élargir la « grande famille des fidèles »97(*) représentée par un « nous » mis en avant par les membres. En premier lieu biensûr, le fan-club participe à la perpétuation de la construction médiatique de la notoriété d'un artiste, mais aussi, le réseau qu'il peut créer entre les membres peut sous-tendre l'idée de reconnaissance mutuelle, et enfin l'artiste lui-même peut être érigé en modèle par ses fans et ainsi être considéré comme un vecteur d'identification.

Aujourd'hui, le « nous » n'est pas forcément communautaire, il peut être sociétaire98(*), c'est-à-dire, relève d'associations volontaires de personnes qui ont choisi, pour un temps, de s'y affilier ou de les créer, en coopération avec d'autres. Ces « collectifs » ont pour eux une signification subjective dans la mesure où ils impliquent la défense d'intérêts communs et le partage de valeurs communes. Le lien sociétaire est fragile comme le lien social, il n'implique pas de croyances collectives ni de racines communes mais la participation à des actions avec d'autres qui sont des « partenaires ». Le lien est volontaire et son enjeu est aussi la reconnaissance de chacun des partenaires comme acteur social. Ainsi, s'inscrire dans tel ou tel club ou associations s'apparente à une affiliation « émotionnelle », « affective » et « éthique » car cela permet de développer une sociabilité choisie. Elle n'engage pas pour la vie mais permet de rencontrer des gens, de coopérer avec eux mais le « je » garde tout de même la prédominance sur le « nous ». Le fan-club est donc utile à un moment donné dans la construction identitaire de ses membres mais il ne doit être qu'éphémère.

* 8 MORIN E. L'esprit du temps, Grasset, Paris, 1975

* 9 BOURDIEU P. Sur la télévision, Raison d'agir éditions, Paris, 1996

* 10 Le principe de l'émission Star Academy est d' « enfermer » environ 16 participants dans un château afin qu'ils puissent apprendre le métier de chanteur grâce à des cours (chant, expression scénique, sport, danse et théâtre). Chaque semaine 3 candidats sont nominés par les professeurs comme étant les moins bons élèves. Durant toute la semaine, le public vote par téléphone et par SMS pour « sauver » leur candidat préféré. C'est à la fin de la semaine, sur le prime-time que les résultats sont donnés.

* 11 MORIN E. op.cit.

* 12 SMITH A. La richesse des nations, Hatier, Paris, 1973

* 13 MORIN E. op.cit.

* 14 BOLTANSKI L.&THEVENOT L. De la justification. Les économies de la grandeur, Gallimard, Paris, 1991

* 15 BOURDIEU P. op.cit.

* 16 Le principe de cette émission est simplement de faire vivre ensemble dans un loft un certain nombre de candidats, de les filmer 24 heures sur 24. Ce sont les candidats qui se nominent entre eux et c'est le public qui vote pour « sauver » son candidat préféré. Les gagnants sont le couple restant en dernière semaine, il gagne une importante somme d'argent.

* 17 HENNION A. Les professionnels du disque. Une sociologie des variétés, Ed. Métailié, Paris, 1981

* 18 HENNION A. op.cit

* 19 MORIN E. Les stars, Le seuil, Coll. Points, Paris, 1972

* 20 MORIN E. op.cit.

* 21 Sorte de soirée thématique consacrée à l'homosexualité sur la chaîne payante du paysage audiovisuel.

* 22 Série anglaise puis reprise par des américains qui racontent la vie de trentenaires gays.

* 23 Emission de télévision abordant différents thèmes autour de la sexualité et de l'homosexualité.

* 24 in Têtu n°100, Mai 2005, ce n'est pas un hasard que ce soit un « média communautaire » qui le dise, on peut aussi penser que les homosexuels sont des consommateurs à part entière...En effet, Têtu est le magazine mensuel national gay et lesbien.

* 25 MORIN E. Les stars, Le seuil, Coll. Points, Paris, 1972

* 26 ESQUENAZI J.P. Sociologie des publics, La découverte, Coll. Repères, Paris, 2003

* 27 LAZARSFELD P.F. & MERTON R.K. « Mass communication, popular taste, and organized social action » in The process and effects of mass communication, University of Illinois press, Chicago, 1962 in ESQUENAZI J.P. op.cit.

* 28 ADORNO T. & HORKHEIMER M. La production industrielle des biens culturels in La dialectique de la raison, Gallimard/Tel, Paris, 1974

* 29 LAHIRE B. L'homme pluriel, Nathan, Paris, 1998

* 30 HALL S. « Codage, décodage » in Réseaux n°68, 1994 (1977), pp 27-39

* 31 BOBO J. « The color purple : Black Women as cultural readers » in PRIBRAM (éd.) Female Spectators, Verso, Londres, 1988 in ESQUENAZI J.P. op.cit

* 32 ESQUENAZI J.P. op.cit

* 33 RADWAY J.  Reading the romance, University of Carolina Press, Londres, 1991 in ESQUENAZI J.P. op.cit.

* 34 DAYAN D. « Le double corps du spectateur » in PROUX (éd.) Accusé de réception, L'Harmattan, Paris, 1998

* 35 HARTLEY J. Tele-ology, Routledge, Londres, 1992 in ESQUENAZI J.P. op.cit

* 36 HARTLEY J. Uses of television, Routledge, Londres, 1999 in ESQUENAZI J.P. op.cit

* 37 STAIGER J. Interpreting films, Princeton University Press, 1992 & Perverse Spectators, New York University Press, 2000 in ESQUENAZI J.P. op.cit

* 38 PASQUIER D. La culture des sentiments, Ed. Maison des sciences de l'homme, Paris, 1999

* 39 MEHL D. « Une téléphilie bien tempérée : les jeunes et la télévision, enquête au lycée de Chelles » in Médias Pouvoirs n°35, 1994

* 40 PASQUIER D. Cultures lycéennes : la tyrannie de la majorité, Editions Autrement, Collection Mutations n°235, Paris, 2005, p.82

* 41 MOULIN C. Féminités adolescentes. Itinéraires personnels et fabrication des identités sexuées, Presse Universitaire de Rennes, Rennes, 2005

* 42 GIDDENS A. La transformation de l'intimité. Sexualité, amour et érotisme dans les sociétés modernes, Ed. La Rouergue / Chambon, Rodez, Paris, 2004 (trad.)

* 43 BOZON M. Sociologie de la sexualité, Nathan Université, Coll.128, Paris, 2002

* 44 GALLAND O. & ROUDET B. Les valeurs de jeunes. Tendances en France depuis 20 ans, L'harmattan, Coll. Débats jeunesses, Paris, 2001

* 45 KAUFMAN J.C. L'invention de soi. Une théorie de l'identité, Hachette Littérature, A.Colin, Paris, 2004

* 46 MOULIN C. op.cit

* 47 BOZON M. op.cit.

* 48 BOZON M. op.cit.

* 49 HONNETH A. « Visibilité et invisibilité : sur l'épistémologie de la « reconnaissance » » in La revue du MAUSS n°23, 1er semestre 2004

* 50 ROUSSEL Y. « Le mouvement homosexuel français face aux stratégies identitaires » in Les temps Modernes, Mai-juin 1995

* 51 Nous employons les termes « gay » et « lesbienne » plutôt que celui d' « homosexuel(le) » car il nous semble qu'ils permettent mieux de participer à un processus de construction en tant qu'ils renvoient à une certaine politique de l'identité.

* 52 JAMES W. « Principles of Psychology », Encyclopaedia Britanica vol.53, Londres, 1952 (1890) in BAUGNET L. L'identité sociale, Dunod, Paris, 1998

* 53 COOLEY C. «The social self»  in GORDON C. & GERGEN K.J. «The self in Social Interaction, Vol. 1: Classic and Contemporary Perspectives», Wiley, New-York, 1902 in BAUGNET L. op.cit.

* 54 GOFFMAN E. La présentation de soi dans la vie quotidienne, Ed. de Minuit, Tome 1, Paris, 1973

* 55 DUBAR C. La socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles, A.Colin, Paris, 1991

* 56 MOSCOVICI S. Psychologie des minorités actives, PUF, Paris, 1979

* 57 DUBAR C. La crise des identités. L'interprétation d'une mutation, PUF, Coll. Le lien social, Paris, 2000

* 58 KAUFMANN J.C. op.cit.

* 59 FASSIN E. L'inversion de la question homosexuelle, Ed. Amsterdam, Paris, 2005

* 60 FASSIN E. « Démocratie sexuelle » in OGIEN R. & BILLIER J.C. Comprendre la sexualité, Revue de philosophie et de sciences sociales n°6, PUF, Paris, 2005

* 61 BOZON M. op.cit.

* 62 GIDDENS A. op.cit

* 63 BOZON M. & GIAMI A. « Les scripts sexuels ou la mise en forme du désir. Présentation de l'article de John Gagnon » in Actes de la recherche en sciences sociales n°128, Juin 1999

* 64 KAUFMANN J.C. op.cit.

* 65 MENDES-LEITE R. Le sens de l'altérité. Penser les (homo)sexualités, L'Harmattan, Coll. Sexualité humaine, Paris, 2000

* 66 ERIBON D. Papiers d'identité. Intervention sur la question gay, Fayard, paris, 2000

* 67 CHAMBERLAND L. « Présentation du fléau social au fait social : l'étude des homosexualités » in Sociologie et sociétés Vol XXIX n°1, Printemps 1997

* 68 LESSELIER C. Formes de résistances et d'expression lesbiennes dans les années 50 et 60 en France in Le séminaire gai, site Internet http://semgai.free.fr

* 69 ROUSSEL Y. op.cit.

* 70 GUILLAUMIN C. L'idéologie raciste, Gallimard, Folio Essai, Paris, 2002

* 71 KAUFMANN J.C. op.cit.

* 72 FRASER N. « Justice sociale, redistribution et reconnaissance » in La revue du MAUSS n°23, 1er semestre 2004

* 73 TODOROV T. La vie commune, Seuil, Paris, 1995

* 74 RENAULT E. « Reconnaissance, institutions, injustice » in La revue du MAUSS n°23, 1er semestre 2004

* 75 ALTHUSSER L. « Idéologie et appareils idéologiques d'Etat » in Positions, Editions sociales, 1976

* 76 RICOEUR P. Parcours de la reconnaissance, Ed. Stock, Paris, 2004

* 77 HABER S. « Hegel vu depuis la reconnaissance » in La revue du MAUSS n°23, 1er semestre 2004

* 78 GOFFMAN E. La mise en scène de la vie quotidienne 2. Les relations en public, Minuit, Paris, 1973

* 79 DUBAR C. 1991, op.cit.

* 80 BECKER H.S. Outsiders, Ed. Métailié, Paris, 1985 (1963)

* 81 CASTEL R. & HAROCHE C. Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi. Entretiens sur les constructions de l'individu moderne, Fayard, Paris, 2001

* 82 GOFFMAN E. Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Ed. de Minuit, Paris, 1975

* 83 ERIBON D. (dir.) Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes, Larousse, Paris, 2003

* 84 GUILLAUMIN C. Sexe, race et pratique du pouvoir. L'idée de nature, Côté femmes, Paris, 1992 (1978)

* 85 WITTIG M. La pensée straight, Balland, Paris, 2000

* 86 HABER S. op.cit.

* 87 HONNETH A. op.cit.

* 88 Voir les chiffres en annexes.

* 89 Notre analyse nous a conduit à considérer Sheila, Mylène Farmer, Madonna, Kylie Minogue, Barbara, Dalida, Sylvie Vartan etc...comme des icônes gays.

* 90 L'exemple le plus actuel est celui du lancement de la chaîne thématique homosexuelle Pink TV qui réactive ces clichés. En effet, lorsqu'on regarde la grille des programmes, on y trouve entre les reportages et les émissions d'actualité consacrés à l'homosexualité et au mélange des genres, des programmes tels que : la série Wonder Woman, un document sur la diva Julia Migenes, un concert de Marianne Faithfull...L'hypothèse que l'on pourrait admettre ici serait simplement de parler d'une recherche d'un certain esthétisme chez les gays.

* 91 Voir les statistiques de l'association SOS Homophobie en annexes.

* 92 RUANO-BORBALAN J.C. (dir.) L'identité. L'individu, le groupe, la société, Ed. Sciences Humaines, Auxerre, 1998

* 93 HOGG M.A. & ABRAMS D. «Social identifications: A Social Psychology of Intergroup Processes», Routhledge, New-York, 1988 in BAUGNET L. L'identité sociale, Dunod, Paris, 1998

* 94 RICOEUR P. op.cit.

* 95 LAZZERI C. & CAILLE A. « La reconnaissance aujourd'hui : enjeux théoriques, éthiques et politiques du concept » in La revue du MAUSS n°23, 1er semestre 2004

* 96 RIVIERE C. & PIETTE A. Nouveaux idoles, nouveaux cultes. Dérives de la sacralité, L'Harmattan, Coll. Mutations et complexité, Paris, 1990

* 97 SEGRE G. Le culte Presley, PUF, Paris, 2003

* 98 DUBAR C. op.cit.

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