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Le vocabulaire des discours d'investiture au Québec et en France (1995-2006)

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par Jean-Marie GIRIER
Institut de la communication - Université Lyon 2 - Master 1 en Sciences de l'Infomation et de la Communication 2006
  

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Problème épistémologique

Loin de l'analyse du contenu, nous n'allons pas chercher à savoir qui est derrière ces paroles et quelles sont les valeurs sous-jacentes construites volontairement afin de faire adhérer un auditoire à ses propos. Nous nous interrogerons sur les éléments qui composent ces actes de langage. Notre travail ne relèvera ni de la linguistique ni de l'analyse de contenu car nous ne traiterons directement ni de la langue ni de la parole. Nous travaillerons sur le vocabulaire, sur des unités de sens simples. Nous nous placerons au carrefour de l'interprétation politique, de l'histoire, de la sémiotique et de la statistique. Nous pourrions rapprocher la lexicométrie de la sociologie dans la mesure où leurs objets d'études sont les mêmes, bien que la lexicométrie offre un point de vue particulier en se basant sur le vocabulaire16(*). Il nous apparaît en effet essentiel de travailler sur une base exhaustive avec des méthodes fiables ne laissant la place à aucune subjectivité afin de disposer de résultats incontestables.

Pour répondre à nos questions, notre méthode consistera en une analyse lexicométrique des discours effectuée à l'aide du logiciel Lexico 3.45 développé par André Salem de l'Université la Sorbonne Nouvelle - Paris III.

Tout d'abord, il convient d'effectuer un bref rappel de cette méthode quantitative qui ne fait pas l'unanimité. La lexicométrie est entièrement basée sur la notion de fréquence. Le discours est segmenté dans sa plus petite unité, la forme graphique. Il s'agit d'une suite de caractères délimités par deux espaces blancs que nous nommerons occurrences. L'ensemble des formes d'un texte constitue son vocabulaire. Afin de pouvoir effectuer des comparaisons, il est nécessaire de traiter tous les textes avec une méthode de dépouillement strictement identique. Nous avons opté pour les normes mises en place par Dominique Labbé en 199017(*). Il convient alors de procéder à une fastidieuse désambiguïsation manuelle des homographies afin d'éviter des erreurs de sens18(*).

Depuis les années 1950, de grands chercheurs issus de disciplines diverses ont construit et défendu la lexicométrie. Guiraud, Muller, Brunet, Tournier19(*) se sont opposés au courant subjectiviste en bâtissant une nouvelle science sociale basée sur les sciences dures. Frédéric Bon reconnaît que « l'objectivité scientifique de la mesure a une définition bien précise : elle signifie simplement que plusieurs chercheurs appliquant les mêmes critères obtiendront les mêmes résultats ». Le choix de l'objet et de cette méthode nous permettra de nous appuyer sur les publications de références de Denis Monière et de Dominique Labbé20(*) afin de pouvoir replacer nos analyses dans une perspective historique plus large et de les comparer aux corpus précédemment étudiés.

Mais la simple fréquence d'un terme suffit-t-elle pour affirmer que ce vocable revêt une importance particulière dans le texte étudié ? De nombreuses études ont démontré que les termes lourds de sens étaient aussi les plus répétés21(*), donc « la fréquence des termes paraît un indicateur sûr de leur importance objective22(*) ».

La lexicométrie s'impose par sa rigueur et la fiabilité de ses résultats. Des comparaisons entre des discours ont rarement été traitées par des auteurs dont les recherches reposent sur des méthodes aussi fiables que les données quantitatives. Par ailleurs, la lexicométrie présente des résultats tout à fait explicites et très représentatifs. De plus, l'application de cette méthode est particulièrement simplifiée par le recours à l'informatique. Une lecture intuitive superficielle pourrait entraîner de fausses évidences, alors que l'ordinateur se révèle comme un puissant outil de dépouillement. Damon Mayaffre souligne à ce propos que :

« l'ordinateur fait preuve à la fois de rigueur et de souplesse. Rigueur par l'exhaustivité et la systématicité de l'indexation, donc des explorations, donc des relevés d'information. Souplesse car l'ordinateur peut balayer le texte en quelques secondes, avancer et revenir en arrière sans se lasser, surfer sur la vague d'informations sans se laisser laminer par elle23(*). »

Le logiciel Lexico 3.45 nous permettra de disposer des mots les plus fréquents, donc les plus répétés. Des fonctions récemment développées nous permettrons ensuite de disposer des spécificités du vocabulaire24(*) et des segments répétés25(*). Nous avons aussi effectué artisanalement un certain nombre de mesures afin de disposer de la diversité du vocabulaire d'un orateur, et de tous les indicateurs nécessaires à la description de son style. Nous traiterons principalement de fréquences relatives. Cela serait susceptible de biaiser nos résultats car la fréquence relative d'un mot dépend de la longueur du texte. Mais, dans la mesure où les discours de notre corpus sont approximativement d'une longueur équivalente, nous estimons que le choix des fréquences absolues ne s'imposait pas.

Il apparaît essentiel de faire émerger certaines critiques et limites de la lexicométrie. Nous nous positionnerons face à celles-ci pour justifier notre cadre d'analyse.

Tout d'abord, il convient de souligner que nous ne cèderons pas à l'isomorphisme entre lexique et parti politique. Cela apparaîtrait réducteur et nous préférerons utiliser des notions de relation. Nous nous plaçons dans la ligne de Jean-Baptiste Marcellesi selon lequel cet isomorphisme conduirait à prêter au locuteur une naïveté linguistique et politique dans la mesure où il serait incapable de tenir des discours différents26(*). Le vocabulaire ne peut pas être considéré comme une étiquette fixée à un groupe politique car cela imposerait une rigidité qui ne correspond pas à une réalité de chassés-croisés lexicaux. Nous pourrons nous placer au-delà de cet isomorphisme en procédant à l'étude de l'univers lexical. Les mots ne seront pas séparés de leur environnement lexical adjacent.

Lorsqu'un mot est utilisé, le choix du mot suivant n'est plus aléatoire27(*). On pourrait penser que la lexicométrie ne tient pas compte de ce déterminisme. Cependant pour faire face à cette limite nous disposerons de deux outils qui sont respectivement l'analyse des cooccurrences, qui consiste à prendre en compte des vocables qui apparaissent à proximité de chaque terme, et l'inventaire des segments répétés qui permet de repérer les expressions qui se répètent dans un texte. Il faut cependant reconnaître que ces techniques sont loin d'être au point pour faire face à cette limite.

De plus, le fondement même de la méthode lexicométrique peut être remis en cause par l'importance de notions employées à très faible fréquence. En effet, « c'est quelquefois la rareté même de certaines notions qui sera davantage révélatrice parce qu'elle renvoie au non-dit ou à ce qui doit être dit avec circonspection28(*) ». C'est pourquoi nous travaillerons sur les fréquences les plus élevées mais aussi les moins élevées, comme nous travaillerons sur les spécificités positives et négatives de chaque discours.

Enfin, notre travail ne comportera presque aucun recours à la récente technique de lemmatisation des textes. Les vocables d'une même racine sont regroupés sous le même lemme (souvent à l'infinitif), l'objectif étant de disposer d'une unité de sens pertinente linguistiquement29(*). Outre le fait que nous ne disposons pas des moyens techniques pour effectuer un tel ouvrage, nous considérons que cette méthode présente d'importantes lacunes. Maurice Tournier soulignait d'ailleurs que « la lemmatisation ne résout rien et empire tout ». Le renvoi d'un vocable à « une entrée canonisée du dictionnaire30(*) » ne fait pas disparaître le problème du sens, et impose une norme extérieure au vocabulaire du locuteur. Cela permet certes le traitement statistique de nouvelles données linguistiques, mais le texte lemmatisé dénature la réalité originelle du corpus. 

* 16 Régine Robin, Histoire et linguistique, Paris, Armand Colin, 1973, page 35.

* 17 Dominique Labbé, Normes de saisie et de dépouillement des textes politiques, Grenoble, Université Pierre Mendès-France Grenoble II - Institut d'Études politiques de Grenoble, Cahiers du CERAT, Cahier n°7, Avril 1990, 119 pages.

* 18 Par exemple, nous avons dû effectuer une distinction entre le verbe à l'infinitif pouvoir et le substantif le pouvoir. Il en était de même pour Français et français, État et état...

* 19 Maurice Tournier fut le principal animateur du laboratoire de lexicologie politique de l'ENS Fontenay Saint-Cloud. Les réussites de ce groupe entraînèrent la création en 1980 de la revue MOTS (Mots, Ordinateurs, Textes, Sociétés), puis dans les années 1995 des JADT (Journées d'analyse des données textuelles).

* 20 Dominique Labbé et Denis Monière : « La connexion intertextuelle. Application au discours gouvernemental québécois ». Lausanne, Actes des 5ème journées internationales d'analyse statistique des données textuelles, 2000, 10 pages ; « Essai de stylistique quantitative. Duplessis, Bourassa et Lévesque », Saint-Malo, Actes des 6ème journées internationales d'analyse statistique des données textuelles, 2002, 9 pages ; Le discours gouvernemental - Canada, Québec, France (1945-2000), Paris, Editions Honoré Champion, Collection Lettres numériques, 2003, 181 pages.

* 21 Groupe Saint Cloud, La parole syndicale, Étude du vocabulaire confédéral des centrales ouvrières françaises, Paris, Presses Universitaires de France, 1982, 270 pages ; et Antoine Prost, Vocabulaire des proclamations électorales de 1881, 1885 et 1889, Paris, Presses Universitaires de France, Publications de la Sorbonne, série NS Recherches, 1974, 196 pages.

* 22 Antoine Prost, « Les mots », in René Rémond, Pour une histoire politique, Paris, Éditions du Seuil, Seconde édition, 1996, 387 pages, page 259.

* 23 Damon Mayaffre, « L'herméneutique numérique », L'Astrolabe. Recherche littéraire et informatique, novembre 2002.

* 24 Un calcul de probabilité permet de mesurer si des termes sont ou ne sont pas caractéristiques d'un discours.

* 25 Groupes de formes composés de 2 à 5 occurrences présents fréquemment dans le texte.

* 26 Jean-Baptiste Marcellesi, Le Congrès de Tours : (décembre 1920), étude sociolinguistique, Paris, Pavillon, 1971, 359 pages.

* 27 Antoine Prost, « Les mots », in René Rémond, Pour une histoire politique, Paris, Éditions du Seuil, Seconde édition, 1996, 387 pages, pages 266 à 267.

* 28 Gilles Bourque, Jules Duchastel, Restons traditionnels et progressifs, Pour une nouvelle analyse du discours politique. Le cas du régime Duplessis au Québec, Montréal, Les Éditions Boréal, 1988, page 61.

* 29 Ainsi, les vocables est, suis, sont, sera, fut seront regroupés sous le lemme être.

* 30 Damon Mayaffre, « De la lexicométrie à la logométrie », L'Astrolabe.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo