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Le vocabulaire des discours d'investiture au Québec et en France (1995-2006)

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par Jean-Marie GIRIER
Institut de la communication - Université Lyon 2 - Master 1 en Sciences de l'Infomation et de la Communication 2006
  

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Des conditions d'énonciation proches

Le choix des discours de politique générale et de ceux d'ouverture correspond à la nécessité de disposer de conditions d'énonciations proches afin d'effectuer une analyse comparative.

Tout d'abord, il convient de dresser un bref portrait historique, afin de montrer qu'ils se sont imposés au fil du temps comme les discours majeurs d'une gouvernance.

Pendant deux siècles, le discours du Trône développait chaque année les volontés royales devant une assemblée non élue. Il était lu par le représentant du roi, en l'occurrence le gouverneur-général du Canada. En 1969, l'Assemblée législative de Québec devint l'Assemblée nationale du Québec. Dès lors, le discours inaugural fut prononcé à chaque début de session parlementaire devant une assemblée élue, dans un souci démocratique. En 1984, il prit le nom de discours d'ouverture, et sa lecture fut dorénavant retirée au lieutenant gouverneur au profit du Premier ministre. Cette évolution traduit la prise en main démocratique de l'Assemblée et le refus de la domination de la Couronne britannique61(*).

Il convient de souligner que le Québec présente l'exception d'être un État composé de deux communautés linguistiques. Ainsi, le discours majoritairement en français comprend quelques phrases en anglais. Par ailleurs, notons qu'il est toujours suivi de la réplique du chef de l'opposition officielle. Cet aspect typiquement issu du régime parlementaire exerce une pression supplémentaire sur l'énonciateur qui se placera dans une situation polémique face à son adversaire.

En France, la déclaration gouvernementale tient lieu après l'investiture d'un Premier ministre et la composition du gouvernement ; elle précède un vote de confiance. Le discours de politique générale se déroule dans l'hémicycle du Palais Bourbon lors d'une séance extraordinaire. Il est parfois prononcé au Palais du Luxembourg, mais les sénateurs ne peuvent pas s'exprimer sur le texte. En effet, en vertu de l'article 49-1 de la Constitution, le gouvernement demande la confiance aux députés lors de sa déclaration. C'est pourquoi celle-ci contient les grandes lignes de l'action gouvernementale à venir. Or la dérive présidentialiste des premiers septennats avait entraîné les Premiers ministres à négliger cette demande. Sous Valéry Giscard d'Estaing, le respect de cette responsabilité fut exercé, avant de disparaître avec les Premiers ministres socialistes. Notre corpus est pour sa part constitué uniquement de discours ayant été suivis de l'application de l'article 49-1 ; il faut lier ce fait à de fortes majorités à l'Assemblée nationale, ce qui n'était pas toujours le cas pour les gouvernements socialistes des années 1990 (Mauroy, Fabius, Cresson).

Au-delà du détail historique, nous pouvons d'ores et déjà considérer que l'institution canalise le message et ainsi les choix de vocabulaire. Afin d'étayer nos propos, nous nous appuierons sur des études lexicométriques effectuées sur divers États dont les discours gouvernementaux apparaissent proches.

Il convient pour aborder ce thème de faire référence à Michel Foucauld selon lequel :

« Dans toute société la production du discours est à la fois contrôlée, sélectionnée, organisée et redistribuée par un certain nombre de procédures qui ont pour rôle d'en conjurer les pouvoirs et les dangers 62(*)».

C'est ainsi que le philosophe français aborde les contraintes institutionnelles pesant sur le discours. La prise de parole serait donc encadrée par des interdits63(*) qui imposeraient en quelque sorte un « discours type ». Dans son étude sur les gouvernements belges, Jean-Claude Deroubaix64(*) confirme les contraintes lors de la production et met en avant le partage des mots usuels des institutions politiques. Il en est de même en Espagne où l'homogénéité du vocabulaire reposerait sur un vocabulaire institutionnel commun65(*). En France, le discours de politique générale poursuit la tradition de la IIIe République quant à sa forme. Le Premier ministre y expose ses intentions dans un genre programmatique66(*).

Il est significatif que la plupart des contraintes liées à l'institution reposent sur une base historique. Tout d'abord, ce type de cérémonie est infiniment solennel, très hiérarchisé et la marge de liberté apparaît mince. Le protocole hérité de traditions ancestrales neutralise toute créativité. C'est une des raisons ayant conduit au choix de notre corpus dans la mesure où ces discours apparaissent comme un outil de référence assez stable dans le temps. Par ailleurs, les discours d'ouverture sont toujours prononcés devant un public similaire, dans des conditions très règlementées qui créent une stabilité dans le temps. Le discours se déroule au coeur de l'Assemblée devant l'ensemble des députés. Il est entouré de tout un protocole et les tours de paroles sont strictement encadrés, parfois restreints, et accordés par le Président de l'Assemblée.

Enfin, il convient de parler de l'auditoire. Le discours réclamant la confiance des députés s'actualise au sein même de la chambre parlementaire, mais l'assistance est bien plus vaste. Ainsi, il s'est détourné au fil des années de sa cible initiale pour se destiner davantage aux médias et aux citoyens. Il s'agit actuellement du discours majeur d'une gouvernance, et il servira de base aux journalistes comme aux élus de l'opposition pour faire valoir le bilan de l'action en place.

Outre les contraintes de l'institution politique, il faut intégrer ces discours dans un espace temporel. Les discours gouvernementaux présentent en effet une continuité temporelle, c'est pourquoi nous avons précédemment insisté sur la contextualisation historique. Au Canada, il existe une « chronologicité » du vocabulaire politique. Les discours du Trône sont proches car ils partagent un même vocabulaire et des mêmes thèmes67(*). Les différents gouvernements sont soumis à la conjoncture et aux problèmes placés à l'agenda politique. En Espagne, l'analyse de l'évolution du vocabulaire a démontré que « la cause principale des changements lexicaux n'est pas l'alternance des partis au pouvoir mais l'évolution de la société espagnole 68(*)». Cependant l'évolution chronologique exposée ici est principalement liée à des problèmes récurrents comme l'organisation et le développement de l'État, et non à une réelle périodisation.

Nécessairement, l'idéologie des partis au pouvoir reste présente mais bien timide quant à son actualisation par le discours. Le vocabulaire idéologique est régulier, mais immergé dans un vocabulaire institutionnel. Ainsi, Jean-Claude Deroubaix décèle de rares tentatives d'introduction d'un lexique partisan69(*) ; Dominique Labbé avance pour sa part une certaine logique de parti et de nomination, dont la continuité politique serait porteuse de sens70(*).

Cependant, le Québec a présenté dans les années 1980 un contexte inédit où une telle coupure s'est opérée. Les discours inauguraux québécois représentent sur la période de 1976 à 1994 une réelle exception face à toutes ces situations d'effacement des marqueurs lexicaux idéologiques. On retrouve logiquement des proximités entre les discours de Premiers ministres d'une même législature ou d'une même tendance, mais les déclarations inaugurales au Québec exposent alors un réel affrontement entre deux idéologies71(*). L'arrivée au pouvoir du Parti québécois a entraîné un « séisme lexical » et des changements radicaux dans les thèmes traités, et cela malgré une forte contrainte institutionnelle72(*). Les contraintes institutionnelles et temporelles apparaissent donc surmontables lorsque l'écart idéologique est démesuré, ici principalement sur le thème de la souveraineté.

* 61 Gaston Deschenes, « L'ouverture des sessions », Québec, Bulletin de la bibliothèque de l'Assemblée nationale à Québec, vol 18, n°1-2, 1989, pages 3 à 7.

* 62 Michel Foucault, L'ordre du discours. Leçon inaugurale au Collège de France prononcée le 2 décembre 1970, Paris, Gallimard, NRF, 1971, page 10.

* 63 Cf. Christian Lebart, Le discours politique, Paris, Presses Universitaires de France, 1998, chapitre 1.

* 64 Jean-Claude Deroubaix, « Les déclarations gouvernementales se suivent et se ressemblent. Exploration d'une chronique textuelle », in Le « programme de gouvernement » un genre discursif, Lexicométrica-Mots, n°62, mars 2000.

* 65 Ramon Alvarez, Monica Becue et Juan José Lanero, « Le vocabulaire gouvernemental espagnol (1979-1996 ) », in Le « programme de gouvernement » un genre discursif, Lexicométrica-Mots, n°62, mars 2000.

* 66 Pascal Marchand et Laurence Monnoyer-Smith, « Les discours de politique générale français : la fin des clivages idéologiques ? », in Le « programme de gouvernement » un genre discursif, Lexicométrica-Mots, n°62, mars 2000.

* 67 Dominique Labbé et Denis Monière, Le discours gouvernemental - Canada, Québec, France (1945-2000), Editions Honoré Champion, collection Lettres numériques, Paris, 2003, 181 pages.

* 68 Ramon Alvarez, Monica Becue et Juan José Lanero, Le vocabulaire gouvernemental espagnol (1979-1996), in Le « programme de gouvernement » un genre discursif, Lexicométrica-Mots, n°62, mars 2000, 14 pages.

* 69 Jean-Claude Deroubaix, « Les déclarations gouvernementales se suivent et se ressemblent. Exploration d'une chronique textuelle », in Le « programme de gouvernement » un genre discursif, Lexicométrica-Mots, n°62, mars 2000, 25 pages.

* 70 Dominique Labbé et Denis Monière, Le discours gouvernemental - Canada, Québec, France (1945-2000).

* 71 Dominique Labbé et Denis Monière, « La connexion intertextuelle. Application au discours gouvernemental québécois », in Actes des 5èmes journées internationales d'analyse statistique des données textuelles, Lausanne, Suisse, 2000.

* 72 Denis Monière, « Les mots du pouvoir, Cinquante ans de discours inauguraux au Québec (1944-1996 »), in Le « programme de gouvernement » un genre discursif, Lexicométrica-Mots, n°62, mars 2000.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus