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Discriminations et conflits, Contribution à l'étude de la « conscience de condition » de la population de Ngaba

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par Jean Pierre Mpiana Tshitenge wa Masengu
Université de Kinshasa - D.E.A en sociologie 2004
  

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Section 2. Perception et attribution des positions dans le champ social.

Reprenons, en guise des prolégomènes à cette section, les termes combien expressifs de Jean Golfin à propos de la stratification. « La société, écrit-il, n'est pas un tout homogène et elle n'a rien d'une masse amorphe et indifférenciée. Ses membres se répartissent en un certain nombre de couches sociales auxquelles on donne le nom de strates, emprunté à la géologie. Ce phénomène est perçu et ressenti subjectivement dans la société, c'est à ce sentiment que correspond la vision commune verticale que les membres ont de l'ensemble social et qui fait dire quand on passe d'une strate inférieure à une strate supérieure que l'on monte. »86(*)

Ces propos de Jean Golfin sont révélateurs de la structuration de tout système, mieux, de tout champ social. En effet, tout champ social se structure à la suite de la polarisation des positions considérées socialement comme supérieures ou inférieures ou, comme dans le jargon bourdieusien, en positions dominantes et en positions dominées. Ce qui assure la domination de certaines positions sur les autres, c'est l'inégale répartition du capital spécifique qui circule dans le champ social. Ce qui induit que percevoir et évaluer un individu signifie déterminer sa position dans le champ social en fonction du volume du capital spécifique qu'il détient.

Revenons sur la conjoncture de l'informalité décrite à la section précédente pour comprendre le mode de stratification sociale en cours dans notre univers d'enquête. L'économie informelle dans son développement répond à la question « Who shalls survived ?» (Qui survivra ?) que s'est posé J.L. Moreno aux années trente à la suite de la grande crise qui avait secoué l'économie mondiale. S'il est vrai que la survie à laquelle répond l'économie informelle relève du biologique, le maintien en vie des personnes confrontées à la crise économique, il est aussi vrai qu'elle tient principalement du social, de l'existence sociale de ces personnes en tant qu'êtres humains, maîtres du monde et de son destin. Tel nous le déduisons des écrits de Janet MacGaffey sur l'économie informelle qu'il qualifie d'économie de la débrouillardise. Il écrit : « les stratagèmes déployés afin de venir à bout des difficultés de la vie quotidienne représentent non seulement la lutte pour la survie, mais aussi, tantôt la résistance à l'écrasement, tantôt la poursuite d'occasion qui facilitent la mobilité sociale ou consolident le rang dans la société. (C'est nous qui soulignons) »87(*). Dans un tel environnement, marqué du sceau de la nécessité, les différences sociales procèdent de la perception des conditions matérielles d'existence. Il se développe ainsi dans la population en proie à la crise une conscience de condition dont le mode le plus expressif est l'aspiration au plus grand bien-être. Par conséquent, la différence dans les conditions matérielles d'existence devient le paramètre déterminant dans la hiérarchisation des individus. Partant, c'est en termes des niveaux ou des rangs sociaux et non de classes qu'est perçue la structure du champ social. Et les oppositions entre ces niveaux s'articulent non pas autour de divergence des intérêts mais plutôt d'inégale attribution de l'honneur ou prestige social.

4.2.1. Assignation de la condition sociale à Ngaba

La condition sociale, dans la terminologie wébérienne, désigne la chance caractéristique pour un individu d'accéder à l'« honneur social ». Elle se matérialise dans la vie quotidienne par la considération sociale que l'on témoigne à certaines personnes. Dans cette optique, être considéré signifie jouir d'un honneur parce que classé dans une position enviable par les autres membres de la communauté. En d'autres termes, la considération sociale implique l'assignation des rangs sociaux à des individus jugés dignes d'y être placés compte tenu de leur profil. Il s'agit, en langage managérial, d'affectation à des différents postes des individus en fonction de leur compétence.

En rapport avec la considération sociale, les résultats de nos enquêtes attestent que les habitants de Ngaba n'enferment pas tout le monde dans le même panier. Ils assignent aux individus des rangs sociaux et démontrent, par ce fait même, leur conscience des différences sociales. Les réponses à la question de savoir si dans leurs quartiers respectifs tout le monde jouit de la même considération sociale, sont révélatrices à ce propos : 73,5% des enquêtés ont répondu que dans leurs quartiers, tout le monde ne jouit pas de la même considération sociale.

Ce résultat corrobore le vécu quotidien. Il est courant, à Ngaba, d'entendre, au titre d'attribution inégalitaire de la considération sociale, des propos tels « keba azali mutu munene » (faites attention, c'est un grand homme) ou « alongua kuna, azali mutu pamba » (qu'il s'en aille, il ne vaut rien) pour élever ou rabaisser un individu sur (de) l'échelle sociale.

Ces propos, à notre avis, dénotent un processus d'hétéro-évaluation et d'auto-évaluation par lequel un individu apprécie le rang social des autres non seulement en fonction du volume de leur capital agissant dans le champ social mais aussi par rapport à ce qu'il détient lui-même. Par ce processus, on débouche sur un constat de supériorité, d'égalité ou d'infériorité statutaire de la personne évalué.

D'autre part, dans la mesure où nous avons mentionné plus haut que le champ social est un espace des rapports de force entre les forces sociales en présence, il implique une vue commune de l'ensemble des agents sur la situation du champ, c'est-à-dire les principes de sa structuration et la distribution de ces principes dans les différents corps qui constituent ce champ. Ce faisant, nous estimons que l'attribution inégalitaire de la considération sociale induit une dialectique de « crédulité- incrédulité » qui marque de ses empreintes les interrelations sociales à Ngaba. En effet, elle montre la croyance des tous dans le capital agissant (argent), à son efficacité et sa légitimité. Elle est en même temps une incrédulité, c'est-à-dire un refus de reconnaissance d'un autre capital autre que le capital agissant (comme la vertu éducative), jugé d'illégitime dans un contexte donné.

La question qui découle de cette observation de l'inégale attribution de la considération sociale est celle de savoir pourquoi tout le monde ne jouit pas de même considération sociale. Il est évident, comme dit ci-haut, que la chance d'accès à l'honneur social dépend de la situation, des ressources et de la stratégie. La situation ayant été décrite, et pour ne pas anticiper le débat prévu à la section 3 sur les stratégies, examinons à présent les ressources qui font bénéficier de la considération sociale dans la Commune de Ngaba.

* 86 GOLFIN, J., Op-Cit, p.135.

* 87 MACGAFFEY, J., « `On se débrouille' : Réflexion sur la `deuxième économie' au Zaïre » in OMASOMBO, T. J, (Sous dir. de) Le Zaïre à l'épreuve de l'histoire immédiate, Karthala, Paris, 1993, pp.143-144.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe