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Discriminations et conflits, Contribution à l'étude de la « conscience de condition » de la population de Ngaba

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par Jean Pierre Mpiana Tshitenge wa Masengu
Université de Kinshasa - D.E.A en sociologie 2004
  

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4.2.3. Contraintes existentielles, capital social et fluidité des frontières entre groupements sociaux.

Les frontières entre ces deux catégories sociales (gens fortunés et démunis) ne sont pas étanches. Elles sont fluides et labiles, et les positions, dans ces catégories, sont tellement instables et précaires que l'on peut basculer facilement dans l'une ou l'autre d'entre elles. La chute des gens fortunés dans l'infamie des démunis et l'ascension de ces derniers dans le cercle des privilégiés se fait sans régulation. D'autre part, comme nous l'ont révélé la majorité des enquêtés (87,5%) voir tableau XII, les habitants de leurs quartiers respectifs se fréquentent, aussi bien entre les démunis que entre ceux-ci et les gens fortunés. Dans leur comportement quotidien, les habitants de la Commune de Ngaba sont mus par la volonté d'élargir et de renforcer, chacun en ce qui le concerne, le réseau de relations sociales tant au niveau de la famille, de la parcelle, de l'avenue, du quartier que de la Commune et de la Ville. C'est à ce titre que les « gens fortunés » ou perçus comme tels et les démunis se trouvent impliqués dans plusieurs réseaux polymorphes des relations sociales liquéfiant ainsi les barrières sociales entre eux.

Il ressort de l'observation minutieuse que cela tient de la nécessité existentielle. Nombreux de nos enquêtés, à la question de savoir pourquoi les gens se fréquentent beaucoup, ont justifié la forte fréquence des contacts sociaux par le fait que personne dans leur quartier ne peut se suffire à lui-même et que grâce aux bonnes relations avec les autres, il était possible de résoudre plusieurs problèmes que l'on rencontre dans la vie quotidienne. Ce point de vue des enquêtés corrobore les perspectives théoriques développées par S. Shomba dans le Séminaire des Espaces, morphologie et modèles culturels du Congo contemporain, destiné aux doctorands en Sociologie et Anthropologie. Il écrit à ce propos que « l'entraide et l'échange de services entre voisins sont des comportements répandus en milieu populaire. La serviabilité, la générosité, la solidarité y sont fort valorisées. Ce système d'entraide comporte des avantages matériels immédiats. Il permet de mieux faire face aux coups durs de l'existence : manque d'argent, maladie, vieillesse ...autant de difficultés pour lesquelles on peut compter sur l'aide de ses proches. Le « faire ensemble » est le langage de prédilection des contacts sociaux ».95(*)

Les enquêtes que nous avons menées en janvier 2004 à Ngaba dans le cadre de ce séminaire nous ont permis de nous rendre compte de l'importance des relations sociales, surtout avec les voisins, non seulement comme palliatif de la précarité matérielle mais aussi comme facteur de réduction de la distance sociale. Une certaine convivialité semble sceller les rapports sociaux dans notre univers d'enquête. Les voisins se demandent et s'échangent des biens et des services de tout genre, du sel au fer à repasser en passant par l'huile, les allumettes, l'eau fraîche (refroidie au frigo), le savon, la farine de maïs ou de manioc, etc. Ils s'invitent mutuellement à la table, les uns suivent la télévision chez les autres, sollicitent leur réchaud ou brasero pour préparer la nourriture. En cas de coupure de fourniture d'électricité ou d'eau, on se raccorde au réseau du voisin ou on va y puiser l'eau de puits. Par-dessus tout, on se prête les habits, souliers, bijoux, etc. pour certaines sorties. Cette convivialité compense la dureté de la vie. Elle atténue les stress et les frustrations qui résultent de dénuement dans lequel vivent les enquêtés et rend quasi inexistants les cas de suicide et de dépression mentale souvent rencontrés dans les sociétés trop individualistes de l' « Occident ».

La constitution, la gestion et le maintien du capital social, et par conséquent la réduction de la distance sociale, se réalisent par le biais de plusieurs mécanismes. D'abord, dans les mutuelles tribales qui réunissent « gens fortunés » et démunis. Ces mutuelles dont la finalité est de raviver la tradition ancestrale d'une communauté tribale, constituent des espaces de rapprochement entre les différentes catégories sociales ; un moment d'affirmation ou de confession de l'unité entre les nantis et les démunis d'une ethnie et une instance de redistribution des avoirs des nantis en faveur de démunis à travers les cotisations qu'ils concèdent pour le compte de la mutuelle. Ensuite, le capital social se gère à travers la solidarité témoignée aux habitants de l'avenue ou du quartier à l'occasion de certains drames existentiels, notamment le deuil. En effet, l'assistance à la famille éprouvée, quel que soit son train de vie semble être la règle d'or. Toutes les catégories sociales, les jeunes, les femmes et les hommes s'illustrent mieux en cette matière. Dès que le décès est annoncé, les jeunes se déploient dans le quartier pour collecter l'aumône en faveur de la famille éprouvée. Ils courent dans toutes les directions pour négocier et obtenir le catafalque, la chapelle ardente, le cercueil, le corbillard, etc. d'autres se chargent de creuser la tombe où sera enseveli le mort. Et le jour de l'inhumation, ils portent le cercueil sur les épaules, font la procession pour sublimer l'illustre disparu et l'accompagne jusqu'à sa dernière demeure. Ils animent les veillées mortuaires. Les femmes viennent compatir avec leur consoeur éprouvée et pleurent avec elle son mort qui devient leur mort, s'activent à préparer le repas qui sera servi à l'assistance. Les hommes eux viennent présenter leurs condoléances le soir après les courses de survie. Quand la nuit tombe, tout le monde la passe au lieu mortuaire. C'est cette chaleur humaine qui caractérise la vie dans la Commune de Ngaba et lui donne un sens dans une société où la misère côtoie la majorité de la population.

Le réseau de relations n'est pas seulement profitable aux seuls démunis mais aussi aux gens fortunés, surtout lorsque ceux-ci ont leurs activités dans la Commune, comme l'a observé P. Kapagama96(*). Parce que l'économie informelle procède de la confiance et des liens sociaux, la fidélisation de la clientèle passe par des bons rapports qu'on entretient avec les gens de son quartier qui dorénavant s'approvisionneront dans l'établissement d'une « connaissance » et espérer bénéficier à l'avenir des crédits. Ainsi, étant appelé à exercer leurs activités dans le milieu pauvre, les nantis entretiennent de relations avec leurs voisins et autres personnes pour créer une bonne image d'eux-mêmes et maintenir la clientèle.

Au delà des profits matériels que rapporte le capital social, il sied de mentionner le profit symbolique qu'il procure (aux gens fortunés) et qui semble motiver le maintien des contacts sociaux avec les autres habitants du quartier. Ainsi, par ses contacts, ses interventions ou implications dans la recherche des solutions aux problèmes qui surviennent aux voisins (maladie, deuil, etc.), le nanti qualifié de social ou cool, c'est-à-dire d'un abord facile bénéficie d'un prestige social ou de la considération dans le quartier. En passant pour un homme simple, comme s'il niait son statut de nanti et se rapprochant de plus en plus des démunis, il se distingue des autres nantis qui vivent repliés sur eux-mêmes que les jeunes qualifient de « vieux bombases », c'est-à-dire qui friment à cause de leur avoir matériel.

En outre, le capital social participe aussi au réconfort de la position social d'un individu. En effet, Certaines personnes du fait de leurs relations avec des personnalités de la Ville jouissent d'un prestige et considèrent qu'elles occupent une position privilégiée par rapport aux habitants de leur quartier. Telle est la situation de ceux qu'on appelle généralement les « ndeko ya... », C'est-à-dire les frères de... (telle personnalité), des conseillers ou amis des ministres, des Pdg, Officier militaire, etc. Ils exploitent la position sociale de cette personnalité pour s'attribuer une place dans la hiérarchie des rangs. De manière générale, ils distinguent par leur arrogance, triomphalisme et exhibitionnisme.

Terminons ce point par l'examen de la nature des rapports entre les « gens fortunés » et les démunis. Il nous est difficile d'affirmer la domination et d'exploitation politique, économique et culturelle des « gens fortunés » sur les démunis. Même si ceux-la influencent négativement la vie de ces derniers du fait de leur intervention sur les marchés des biens et des services, il s'observe que les marginalisés font irruption sur ces marchés pour leur contester le monopole. Comme l'écrit Janet MacGaffey, « The rich and powerfull have superior access to resources and consolidate their social position by participating in the second economy, but they have non institutionalized means to monopolize its activities, many of witch are accessible to the general population. » 97(*)

La domination des gens fortunés sur les démunis tel que cela nous paraît, s'exerce sur le plan symbolique par la détention et la manipulation exclusive des biens qui procure le prestige social.

* 95 SHOMBA, K., S., Espaces, morphologie et modèles culturels du Congo contemporain, Op-Cit.

* 96 KAPAGAMA, I. P., Op-Cit, p. 135.

* 97 MACGAFFEY, J., cité par DE VILLERS, G., Art.-Cit, p.21.

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