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Le Droit de Propager ses Croyances en Droit International des Droits de l'Homme, à la Lumière de la Jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme

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par Michael Mutzner
Institut Universitaire de Hautes Etudes Internationales (IUHEI) - Université de Genève - Diplôme d'études approfondies en relations internationales, spécialisation: droit international 2007
  

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2.2 L'interventionnisme ou l'individu infantilisé

Selon l'opinion dissidente dans les affaires grecques, l'Etat est pleinement habilité à intervenir, sur la base d'une interprétation large de la loi en question. Autrement dit, dès que la discussion dépasserait le simple échange de vue, et que la source tenterait subrepticement

185 Ibidem, §§35, 39-41, 53; Larissis et autres c. Grèce, n° 23372/94, n° 26377/94, n° 26378/94, arrêt du 25 février 1998, Recueil des arrêts et décisions, 1998-I, §§32-35, 39-42

186 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §§18-21

187 Voir notamment SICILIANOS, « La Liberté de Diffusion des Convictions Religieuses », op. cit., pp. 217-218: « la valeur suprême qui risque d'être menacée aujourd'hui est celle de la libre volonté de la personne (...). Il faudrait donc essayer de renforcer l'arsenal juridique existant en la matière en partant du droit au libre développement de la personnalité de chacun. »

d'influencer le récepteur, l'Etat serait habilité à intervenir. Une telle démarche donnerait un pouvoir considérable à l'Etat, et restreindrait sérieusement la liberté de religion de la source. Cette position interventionniste repose sur une vision infantilisée du récepteur,188 où un Etat paternaliste se sent en devoir d'intervenir pour éviter que l'individu ne fasse un choix sous l'influence d'une tierce personne. Cette lecture de la liberté religieuse portée notamment par le juge Valticos, est évidemment problématique et éminemment conservatrice,189 et ne semble pas avoir trouvé de soutien dans la doctrine.

Elle a d'ailleurs été critiquée par un certain nombre d'auteurs et par une partie des juges de la Cour, qui estiment qu'au contraire l'Etat n'est pas dans son rôle s'il intervient de la sorte dans la sphère des relations interpersonnelles à caractère religieux.

2.3 Le « laisser faire » ou l'individu responsable

L'approche privilégiant le « laisser faire » est portée par une très large majorité de la doctrine.190 Les tenants de cette position estiment qu' « [e]n principe l'Etat n'a (...) pas compétence pour intervenir dans ce « conflit » entre la personne qui se livre au prosélytisme et son interlocuteur ».191 Ceux-ci dénoncent par conséquent les risques de dérives paternalistes, pour ne pas dire autoritaires que comporte la position interventionniste.192 Ces lois sur le prosélytisme

188 GARAY, « Liberté Religieuse et Prosélytisme. L'Expérience Européenne », op. cit., p. 8

189 Selon cette position, le statu quo religieux est perçu comme le meilleur garant de la liberté religieuse.

190 EDGE, « The Missionary's Position after Kokkinakis v Greece », op. cit.; FERRARI, « La Liberté Religieuse à l'Epoque de la Globalisation et du Postmodernisme: la Question du Prosélytisme » op. cit.; GONZALEZ, La Convention Européenne des Droits de l'Homme et la Liberté des Religions, op. cit.; GUNN Jeremy T, « Adjudicating Rights of Conscience Under the European Convention on Human Rights », in VAN DER VYVER Johan D, WITTE John, Jr. (eds.), Religious Human Rights in Global Perpective. Legal Perspectives, Martinus Nijhoff Publishers, The Hague / Boston / London, 1996, pp. 305-330; RIGAUX, « L'Incrimination du Prosélytisme Face à la Liberté d'Expression », op. cit.; SURREL, « La Liberté Religieuse Devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme », op. cit.; TAYLOR Paul, « The Basis for the Departure of the European Standard under Article 9 of the European Cnvention on Human Rights from Equivalent Universal Standards », Web Journal of Legal Current Issues, 5th issue, 2001, disponible sur Internet au lien suivant: http://webjcli.ncl.ac.uk/2001/issue5/taylor5.html, soutiennent tous cette position et regrettent que la Cour ne se soit pas prononcée sur l'incompatibilité de la loi grecque avec la Convention.

191 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, opinion partiellement dissidente du juge Martens, § 15

192 Pour le juge Pettiti par exemple, « [l]e domaine des convictions spirituelles, religieuses ou philosophique fait appel à la sphère intime des croyances et au droit de les exprimer et manifester. Entrer dans un système répressif sans gardefous est périlleux et l'on sait à quels errements ont conduit les régimes autoritaires qui tout en affirmant dans leurs constitutions la liberté de religion, la restreignaient par des incriminations pénales visant le parasitisme, le « subversif » ou le « prosélytisme ». » La loi grecque « permet à tout moment de sanctionner la moindre tentative pratiquée pour convaincre son interlocuteur. (...) « Des critères aussi incontrôlables que faits de prosélytisme de « bon ou mauvais aloi » ou prosélytisme « intempestif » ne peuvent assurer la sécurité juridique. ». « On peut se demander si le principe même de l'application d'une loi pénale en matière de prosélytisme est compatible avec l'article 9 (art. 9) de la Convention. » Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A,

laissent en effet une très large discrétion au juge national dans le cadre de leur application, et peuvent représenter, à l'instar de la loi grecque, une menace à la liberté de propagation de la source. De plus, selon le juge Martens, l'Etat n'est plus dans la position de neutralité qu'il devrait occuper en matière religieuse, s'il s'érige en arbitre pour juger si tel ou tel comportement est de bon ou de mauvais aloi.

Par conséquent, les tenants du « laisser faire » prônent un seuil d'intervention étatique très élevé dans ce domaine religieux. Ainsi pour le juge Pettiti, ce n'est que lorsque l'on tente de « forcer le consentement » d'autrui que l'Etat est habilité à intervenir. Des comportements « tels que [le] lavage de cerveau, [les] atteintes au droit du travail, [les] atteintes à la santé publique ou [l]'incitation à la débauche (...) doivent être sanctionnés en droit positif par les qualifications de droit commun pénal. »193 Quant au juge Martens, il préconise un seuil encore plus élevé. Selon lui, la stricte neutralité de l'Etat dans ce domaine exclut toute ingérence à moins d'une infraction d'ordre physique telle des coups et blessures. Même s'il est fait usage de « formes graves de coercition intellectuelle », le juge reste réticent à avaliser une ingérence, « puisqu'il est à l'évidence difficile d'établir quand des moyens intellectuels de conversion franchissent la ligne de démarcation entre un enseignement insistant et intensif qu'il faut autoriser, et une coercition intellectuelle voisine du lavage de cerveau », à moins que ces méthodes atteignent un niveau tel qu'elles relèvent de l'article 3 de la Convention (interdiction de la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants).194 Dans la perspective du « laisser faire », la propagation n'est pas acceptable lorsque elle aboutit clairement à une « conversion forcée » mais le simple prosélytisme « abusif » n'est pas suffisant pour justifier une ingérence.

Au coeur de cette approche de la liberté religieuse se trouve l'idée que l'individu, être humain doté de raison, est fondamentalement responsable de ses choix concernant son orientation religieuse.195 Dès l'affaire Arrowsmith, l'on trouve une inquiétude face aux risques que comporte une

opinion partiellement concordante du juge Pettiti

Voir aussi l'avertissement du juge Martens, qui déclare que « compte tenu de la vague montante d'intolérance religieuse, il est impératif de circonscrire le plus rigoureusement possible les pouvoirs de l'Etat en la matière. » Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, opinion partiellement dissidente du juge Martens, §16

193 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, opinion partiellement concordante du juge Pettiti

194 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, opinion partiellement dissidente du juge Martens, §§17-18

195 L'actuelle Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la liberté de religion ou de conviction se situe également dans le camp du « laisser faire ». Parce que « la liberté de religion ou de conviction des adultes est intrinsèquement une question de choix personnel, toute restriction généralisée imposée par l'Etat (par exemple par le biais de la loi) pour

vision infantilisée du récepteur du message de propagation, et qui semble faire du récepteur un individu irresponsable, incapable de faire face raisonnablement aux croyances religieuses qui lui sont présentées.196

Vouloir protéger absolument le libre choix de la personne est une entreprise difficile, dans la mesure où la question de savoir comment et dans quelle mesure l'être humain est capable d'effectuer librement ses « choix » est controversée.197 Interdire les influences et les tentatives de faire changer de position la personne n'est certainement pas la bonne solution. Au contraire, dans la perspective de la liberté de l'individu de pouvoir choisir sa religion ou conviction, une propagation saine des croyances devrait être encouragée, si l'on veut que ce choix puisse se faire de manière informée. Peter Edge rappelle à juste titre que la propagation ne doit pas être perçue comme un fait négatif, que l'on tolère tant qu'il ne dépasse pas un certain seuil de gravité. S'il invite à quitter ce qu'il appelle le « paradigme du prédateur », c'est justement parce qu'une telle perspective passe à côté de la valeur positive du prosélytisme pour le récepteur et la société en général.198 Si l'article 10 mentionne la liberté de « recevoir » des idées ou informations, une telle liberté fait aussi sens au regard de l'article 9, non seulement pour que chacun puisse faire un choix en connaissance de cause, mais aussi et tout simplement pour une question d'ouverture, de tolérance véritable et d'acceptation et de compréhension de l'autre dans sa différence.

protéger la liberté de religion et de conviction d' « autrui » en restreignant le droit de chacun de mener des activités missionnaires est à éviter » (Rapport A/60/399, op. cit, §62). Par conséquent elle déconseille d'ériger en infraction pénale des actes non violents commis dans le cadre de la propagation des croyances afin d'éviter notamment d'ouvrir la voie à la persécution des minorités religieuses (Ibidem, §65). Elle critique implicitement le jugement de la Cour européenne dans l'affaire Larissis en ce qui concerne le soldat Kafkas, estimant que toute crainte à l'égard de certaines conversions ou des moyens utilisés pour les susciter devrait être exprimée avant tout par la victime présumée (§65). Elle distingue par ailleurs les cas de coercition, des cas de propagation qui, tout en ne constituant pas une violation des droits de l'homme, « n'en suscitent pas moins de vives inquiétudes parce qu'ils portent atteintes à une culture de tolérance religieuse. » (Ibidem §66-67)

196 « Chercher à influencer des personnes responsables de leurs faits et gestes est, en matière politique ou autre, un aspect essentiel de la liberté d'expression et d'opinion. Si ces personnes sont en fait amenées à accepter les convictions, opinions ou idées ainsi exprimées ou font usage des informations qui leur ont été communiquées pour les influencer, elles le font essentiellement sous leur propre responsabilité. » Arrowsmith c. Royaume- Uni, n° 7050/75, rapport du 12 octobre 1978, D. R. 19, opinion séparée, en partie dissidente de M. Opsahl.

On retrouve cette idée dans une déclaration du juge Martens: L'Etat a « le devoir d'admettre qu'en règle générale toute personne est capable de choisir son sort de la manière qu'elle juge la meilleure ». Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, opinion partiellement dissidente du juge Martens, §15

197 EDGE Peter W., « Religious Rights and Choice Under the European Convention on Human Rights », Web Journal of Legal Current Issues, 3rd issue, 2000, disponible sur Internet au lien suivant: http://webjcli.ncl.ac.uk/2000/issue3/edge3.html

198 EDGE Peter W., « The Missionary's Position after Kokkinakis v Greece », Web Journal of Legal Current Issues, 2nd issue, 1995, disponible sur Internet au lien suivant: http://webjcli.ncl.ac.uk/articles2/edge2.rtf

Voir aussi GONZALEZ, La Convention Européenne des Droits de l'Homme et la Liberté des Religions, op. cit., pp. 92-93, 101

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