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Le Droit de Propager ses Croyances en Droit International des Droits de l'Homme, à la Lumière de la Jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme

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par Michael Mutzner
Institut Universitaire de Hautes Etudes Internationales (IUHEI) - Université de Genève - Diplôme d'études approfondies en relations internationales, spécialisation: droit international 2007
  

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2.2 La propagation non verbale des croyances et le port de signes religieux

Si la propagation des croyances prend essentiellement la forme d'une expression verbale, d'autres comportements peuvent eux aussi véhiculer une intention de convaincre autrui d'adhérer à son système de croyance. C'est le cas notamment du port de signes religieux.

Dans un contexte européen où cette question donne lieu a un débat intense, principalement en lien avec le port du foulard islamique, il nous semble pertinent d'aborder très brièvement cette facette de la propagation, d'autant plus que la Cour elle-même a eu l'occasion de mentionner le lien existant entre le port de signes religieux et le prosélytisme. La doctrine déjà avait estimé auparavant que « l'extériorisation de la croyance religieuse peut représenter cependant, et trop souvent, un

104 Voir infra III 1.2

Signalons que très récemment, dans l'affaire Ivanovna v. Bulgarie, n°52435/99, judgement, 12 april 2007, HUDOC, la Cour a examiné une affaire où le superviseur de la piscine d'un établissement scolaire a été démis de ces fonctions, du fait de ces convictions. Le gouvernement laisse entendre que c'est parce que ce membre de « Word of Life », un mouvement chrétien évangélique, s'adonnait à des activité de « prosélytisme » (§82). La Cour se réfère à l'arrêt Kokkinakis pour rappeler que l'article 9 comprend en principe le droit de tenter de convaincre autrui (§78). La question du prosélytisme n'est abordé que marginalement dans cette affaire, où la Cour a conclu à la violation de l'article 9, du fait qu'elle ait été démise de ses fonctions en raison de ses convictions religieuses.

105 Certains auteurs semblent toutefois considérer que la propagation des croyances relève avant tout de la liberté d'expression, sans argumenter cette position. Voir par exemple LERNER Nathan, Religion, Beliefs and International Human Rights, Orbis Book, Maryknoll, New York, 2000, p. 82

106 Cette lecture nous est inspirée par Ben Achour. « Les articles 9, 10 et 11 posent un principe [les droits de l'être pensant] et prévoient des moyens pour sa réalisation. Le principe est celui de l'article 9 relatif à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Les moyens sont ceux prévus par les articles 10 et 11 ». ACHOUR, La Cour Européenne des Droits de l'Homme et la Liberté de Religion, op. cit., p. 3

caractère volontairement militant, revendicatif qui en fait un acte de militantisme et de prosélytisme religieux ».107

C'est dans le cadre de l'affaire qui concernait une institutrice genevoise de religion musulmane, l'affaire Dahlab c. Suisse, que la Cour mentionna pour la première fois le « prosélytisme » en lien avec le port du foulard islamique. La directrice générale de l'enseignement primaire interdit à l'institutrice en question de continuer de porter le voile en classe. Cette décision fut soutenue par les tribunaux suisses. Le Tribunal fédéral justifia notamment son jugement en expliquant que les enseignants « peuvent avoir une grande influence sur les élèves; ils représentent un modèle auquel les élèves sont particulièrement réceptifs en raison de leur jeune âge, de la quotidienneté de la relation - à laquelle ils ne peuvent en principe se soustraire - et de la nature hiérarchique de ce rapport ».108 Lorsqu'il s'est agi de mettre en balance la protection des droits des élèves avec la protection des droits de la requérante, la Cour a repris à son compte cet argument, estimant que le foulard islamique était un signe extérieur fort, et cela d'autant plus qu'il s'agissait d'enfants en bas âge (4-8 ans). « Comment pourrait-on dès lors dans ces circonstances dénier de prime abord l'effet prosélytique que peut avoir le port du foulard dès lors qu'il semble être imposé aux femmes par une prescription coranique qui, comme le constate le Tribunal fédéral, est difficilement conciliable avec le principe d'égalité des sexes. »109

D'autres affaires ont suivi, où la Cour a estimé que le port du voile était également une manière d'exercer une pression, notamment sur les musulmanes qui ne portent pas le voile.110 Le message propagé dans ce cas-là consistait à réclamer de ces femmes qu'elles adoptassent une attitude conforme à une lecture plus rigoureuse des préceptes islamiques. L'argument de l'effet « prosélytique » du foulard est ainsi repris tant dans l'affaire Sahin c. Turquie111, que dans l'affaire

107 GARAY, « Liberté Religieuse et Prosélytisme: l'Expérience Européenne », op. cit., p. 27

108 Dahlab c. Suisse, n° 42393/98, décision du 15 février 2001, CEDH 2001 -V, §2

109 Ibidem

110 En réalité on remarque que dès 1993, la Commission avait déjà jugé irrecevable deux requêtes d'étudiantes qui ne s'était pas vu délivrer son diplôme du fait que sur la photographie d'identité requise à ce titre elle apparaissait voilée, estimant qu'il n'y avait pas en l'espèce d'ingérence à l'article 9. Selon la Commission la réglementation turque était justifiée parce qu'elle cherchait à éviter à ce que les musulmanes qui ne portent pas le voile ainsi que les nonmusulmanes ne soient mises sous pression. Karaduman c. Turquie, n° 16278/90, décision du 3 mai 1993, D. R. 74, p. 93 et Bulut c. Turquie, n°18783/91, décision du 3 mai 1993, HUDOC.

111 Leyla Sahin c. Turquie [GC], n° 44774/98, arrêt du 10 novembre 2005, HUDOC, § 111. Cette affaire concernait une étudiante en médecine à Istambul qui a été exclue de l'université en conséquence de son choix de porter le voile en toute circonstance. La Grande Chambre a estimé qu'il n'y avait pas de violation de la Convention en l'espèce. Dans son opinion dissidente, la juge Tulkens considère que l'on peut estimer que la liberté de manifester sa religion peut être limitée par les droits et libertés d'autrui « si le port du foulard par la requérante, comme signe religieux, avait revêtu un caractère ostentatoire ou agressif ou avait constitué un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande portant atteinte - ou susceptible de porter atteinte - aux convictions d'autrui. » (§8)

Köse et 93 autres c. Turquie.112

Ce que l'on constate à la lecture de cette jurisprudence, c'est qu'une signification négative per se est donnée au port du signe religieux.113 Il semblerait que la réflexion de Koubi soit particulièrement pertinente à cet égard: « un « signe » n'a de sens religieux qu'en tant que celui qui l'expose le lui donne; et pourtant, parfois, la situation est l'inverse, et la qualité religieuse du « signe » dépend du regard de l'autre ». 114 Il y a de quoi se poser la question de savoir si cette dimension négative systématiquement attribuée au port du voile est justifiée. D'ailleurs la perception d'un éventuel effet « prosélytique » découlant du port du signe religieux s'inscrit dans cette logique et se trouve évoquée non pas comme un argument pour renforcer l'idée d'une protection sous l'article 9, mais bien au contraire comme une raison justifiant les restrictions que les Etats ont jugé bon émettre à l'encontre de cette pratique.

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