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Le Droit de Propager ses Croyances en Droit International des Droits de l'Homme, à la Lumière de la Jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme

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par Michael Mutzner
Institut Universitaire de Hautes Etudes Internationales (IUHEI) - Université de Genève - Diplôme d'études approfondies en relations internationales, spécialisation: droit international 2007
  

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III. Les restrictions au droit de propager ses croyances

S'il existe un droit de la source de propager ses croyances, ce droit n'est certainement pas illimité. Sur le plan universel, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques contient notamment une clause disposant que « [n]ul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction de son choix » (article 1 8§2). Ce

112 Köse et 93 autres c. Turquie, n° 26625/02, décision du 24 janvier 2006, HUDOC, affaire qui concerne des élèves d'établissements secondaires publics à vocation religieuse interdits d'accès à l'école du fait qu'elles portaient le voile. La Cour conclut à l'irrecevabilité des requêtes, estimant notamment que la seconde phrase de l'article 2 du Protocole n° 1 (droits des parents en matière d'éducation des enfants) impliquait que l'Etat, « veille à ce que les informations ou connaissances figurant au programme soient diffusées de manière objective, critique et pluraliste (Kjeldsen, Busk, Madsen et Pedersen, précité, p.26) dans une atmosphère sereine, préservée de tout prosélytisme intempestif ». Notons tout de même que la Cour transforme en l'occurrence le dictum de l'affaire Kjeldsen. En effet, le « prosélytisme intempestif » contre lequel l'Etat devait veiller émanait alors potentiellement de l'enseignant. Celui-ci devait s'acquitter de sa tâche en respectant le principe de neutralité. En revanche dans le cas d'espèce, le « prosélytisme intempestif » dont il faut protéger les élèves émanerait de l'attitude des musulmanes portant le voile.

113 BURGORGUE-LARSEN Laurence, DUBOUT Edouard, « Le Port du Voile à l'Université. Libres Propos sur l'Arrêt de la Grande Chambre 'Leyla Sahin c. Turquie' du 10 Novembre 2005 », Revue Trimestrielle des Droits de l'Homme, n° 66, 2006, p. 196. « La Cour - sans doute aveuglée par sa volonté de valoriser coûte que coûte le principe de laïcité - a porté un jugement défavorable sur le sens dudit voile ».

Voir aussi notamment l'opinion dissidente de Mme la juge Tulkens: « Le port du foulard ne peut, en tant que tel, être associé au fondamentalisme et il est essentiel de distinguer les personnes qui portent le foulard et les « extrémistes qui veulent l'imposer, comme d'autres signes religieux. Toutes les femmes qui portent le foulard ne sont pas des fondamentalistes (...) » (§1 1). Et plus loin: « je vois mal comment le principe d'égalité entre les sexes peut justifier l'interdiction faite à une femme d'adopter un comportement auquel, sans que la preuve contraire ait été apportée, elle consent librement. » (§12)

114 KOUBI G., « De la Laïcité à la Liberté de Conscience », Les Petites Affiches, 5 janv. 1990, p. 10, in GARAY, « Liberté Religieuse et Prosélytisme », op. cit., p. 27

paragraphe a été introduit notamment dans le but d'éviter que certaines formes de propagation des croyances ne soient justifiées sous prétexte de liberté religieuse.115 Dans son Observation générale n°22, le Comité des droits de l'homme explique que « [l]e paragraphe 2 de l'article 18 interdit la contrainte pouvant porter atteinte au droit d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction, y compris le recours ou la menace de recours à la force physique ou à des sanctions pénales pour obliger des croyants ou des non-croyants à adhérer à des convictions et à des congrégations religieuses, à abjurer leur conviction ou leur religion ou à se convertir ».116 La propagation des croyances ne sauraient donc être admise sous toutes ces formes, notamment lorsqu'elle prend une forme contraignante portant atteinte à la liberté du récepteur. Toute la question est de savoir quel est le seuil à partir duquel l'on peut considérer que l'acte de propagation porte gravement atteinte à la liberté de religion ou de conviction d'autrui au point qu'il faille le réprimer. Avant d'examiner plus précisément comment le droit de la source doit être mis en balance avec la nécessité de protéger celui du récepteur, voyons quels sont les différentes bases de justification d'une limitation au droit de la source dans le texte de la Convention européenne.

Les restrictions à la liberté religieuse au sein de la Convention européenne des droits de l'homme

Le texte de la Convention européenne des droits de l'homme ne comporte pas l'équivalent de l'article 1 8§2 dans le Pacte. Les restrictions à la liberté de religion ou de conviction sont envisagées au second paragraphe de l'article 9.117 On y retrouve le schéma classique de ce genre de disposition permettant de restreindre, sous condition, un droit de l'homme. La limitation au droit doit être « prévue par la loi », doit poursuivre un but légitime et être « nécessaire dans une société démocratique ».

Ces buts légitimes sont tout d'abord la « sécurité publique ». On peut imaginer que dans certaines circonstances, la propagation des croyances puisse être limitée à cet effet, à condition que cette limitation soit proportionnelle au but visé. Dans l'affaire Arrowsmith, la Commission a estimé que l'ingérence à la liberté d'expression de la requérante se justifiait au regard de la protection de la « sécurité nationale », du fait qu'elle incitât des soldats à la désertion.118 Hors du contexte européen,

115 Voir note 51

116 Comité des droits de l'homme, Observation Générale No 22, op. cit. §5. Notons que le Comité se montre très prudent en se contentant de mentionner la force physique et les sanctions pénales comme forme de contrainte, et choisit ainsi de ne pas ouvrir la boîte de Pandore en évitant d'aborder les contraintes d'ordre mentales.

117 Ce paragraphe a son pendant au §4 de l'article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

118 Arrowsmith c. Royaume-Uni, n°7050/75, rapport du 12 octobre 1978, D. R. 19, §§90-94

la sécurité publique sert parfois à la justification d'ingérences à la liberté de propager ses croyances qui peuvent paraître excessives. Certains Etats ont par exemple estimé que la stabilité ethnique et religieuse de la population - ou tout simplement la stabilité politique du régime en place - devait être préservée, et qu'à cette fin, les activités de propagation menées par des communautés soutenues depuis l'étranger et perçues comme étant subversives devaient être prohibées.119

Une ingérence à la liberté de religion ou de conviction peut également se justifier par la « protection de l'ordre ». C'est sur cette base que la Commission a décidé que l'interdiction faite au requérant, dans l'affaire H. W. v. Sweden, d'exprimer bruyamment ses convictions sur la place publique se justifiait. Dans certains pays non européens, la protection de l'ordre public est également le prétexte à des interdictions extensive de la liberté de propager des croyances. Parce que la propagation de certaines convictions risquerait de créer des tensions intercommunautaires, il a parfois été estimé qu'elle représentait un danger à l'ordre public. 120 Dans ce contexte, ce sont souvent les croyances portées par une minorité de personnes et impopulaires aux yeux de la majorité qui se trouvent de la sorte limitées.

L'article 9 mentionne encore la « protection de la santé ou de la morale publiques », mais aussi et surtout « la protection des droits et libertés d'autrui ». Dans la perspective de notre problématique, ce dernier objectif signifie que la propagation des croyances peut être limitée lorsqu'elle porte atteinte aux droits du récepteur. Autrement dit, le droit de la source doit, dans certaines circonstances, être mis en balance avec celui du récepteur. On peut imaginer par exemple que le droit au respect de la vie privée du récepteur puisse être menacé par certaines formes de propagation.121 Mais par dessus tout, c'est sa liberté de religion et de conviction qui pourrait être bafouée par certaines techniques de propagation. A partir de quel moment peut-on considérer que cette liberté est menacée? Quel est le seuil? Ce seuil est-il relatif ou absolu? Quelle forme d'intervention étatique est envisageable pour protéger le récepteur? Peut-il, doit-il intervenir? Une telle intervention dans ce domaine éminemment religieux est-elle légitime?

119 STAHNKE, « Proselytism and the Freedom to Change Religion in International Human Rights Law », op. cit., pp. 308-319. Il mentionne l'exemple de la Malaisie, où les lois prohibant le prosélytisme sont justifiées par la nécessité de préserver l'Islam et ses institutions dans une société multi-religieuse. Il cite également le cas de la République Populaire de Chine, qui restreint les activités religieuses, dans la mesure où elles représentent un obstacle au développement de l'Etat socialiste. Enfin l'Ukraine est mentionnée comme exemple d'un pays qui, dans la poursuite de la restauration des valeurs « ukrainiennes » traditionnelles refoulées durant l'ère soviétique, limite le prosélytisme des nouveaux courants religieux, car il est perçu comme menaçant ce retour aux sources.

120 STAHNKE, « The Right to Engage in Religious Persuasion », op. cit., pp. 638-639

121 LERNER, « Proselytism, Change of Religion and International Human Rights », op. cit., pp. 483-484

Après avoir identifié l'existence d'un droit de la source à la propagation des croyances, nous nous attacherons dans cette partie à identifier les limitations qu'imposent l'obligation de respecter la liberté de pensée, de conscience et de religion du récepteur. Nous verrons dans un premier temps comment la Commission et la Cour européennes ont identifié les formes de propagations abusives et contraires au droit du récepteur, avant d'identifier une liste de critères susceptibles de guider le juge dans cette qualification du « prosélytisme abusif ». Nous mentionnerons aussi dans le cadre de la protection des droits du récepteur, la problématique de l'atteinte aux sentiments religieux du croyant. Nous aborderons pour finir le débat sur le rôle de l'Etat dans la régulation de la propagation des croyances, débat qui se trouve au coeur des dissensions et qui partage tant la Cour que la doctrine.

1. La protection de la liberté de religion ou de conviction du récepteur

1.1 Le droit de ne pas subir une forme de prosélytisme « abusif »

Définir le prosélytisme « abusif », terme qui désigne dans le vocabulaire de la Cour une forme de propagation des croyances qui porte atteinte à la liberté de pensée, de conscience et de religion du récepteur, n'est assurément pas une tâche facile. Sachant que « tout mécanisme de communication est intrinsèquement manipulatoire en ce qu'il implique une réaction souhaitée conforme par l'auteur du message »,122 comment déterminer si cette manipulation est suffisamment forte pour que l'on puisse considérer qu'elle atteint un tel seuil? Nous nous proposons de commencer dans un premier temps par l'examen de la réponse que la Commission et surtout la Cour européennes ont donné à cette problématique.

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