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Habiter le nomadisme. L'exemple de l'habitat mobile des travellers du mouvement techno

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par Caroline SPAULT
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales - Master Recherche 2008
  

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Introduction

«Je vis plus de trois mois par an dans mon camion, et si je n'étais pas obligé de me sédentariser pour des raisons professionnelles, je serais plus souvent sur les routes [É] »1

«Pour moi, la mobilité est de rigueur [É] J'ai l'intention de vivre à long terme dans mon camion. »2

Ils ne se connaissent pas et pourtant, ils partagent le même paradoxe apparent: habiter le nomadisme. À défaut d'utiliser le terme de nomadisme qui renvoie de manière générale au genre de vie d'un groupe que la nature de ses activités contraint aux déplacements, j'emploie par commodité le terme de mobilité. La mobilité renvoie d'ordinaire au caractère de ce qui est mobile. J'envisage ainsi l'habitat mobile, comme mode d'habiter dans la mobilité, au regard d'une population qualifiée de travellers techno. L'habiter, compris comme le rapport que l'homme entretient à son espace habitable (de Radkowski, 2002: ) est ainsi connoté à la mobilité. De nos jours, les acteurs sociaux sont face à une double injonction: d'une part celle de la mobilité professionnelle et d'autre part, celle de la sédentarité domiciliaire.

Cette recherche s'inscrit dans une anthropologie de l'habitat et dans une sociologie des marges, dans laquelle je mobilise des outils ethnographiques, historiques, et sociologiques. L'objet de cette recherche porte sur les dispositions à habiter un logement mobile chez les travellers du mouvement techno. En toute fidélité avec mon terrain d'enquête, j'utilise le terme vernaculaire de traveller traduisible par [voyageurs] et faisant référence à une partie de la population issue des fêtes techno clandestines, plus connues sous le vocable de free ou rave-parties.

1 Pascal, 26 ans, chauffeur routier. Entretien du 23/01/2008.

2 Charlene, 32 ans, artisan. Entretien du 6/05/2007.

Au regard de la population qui m'intéresse, je me demande ainsi comment habite-t-on la mobilité? En admettant les travellers comme formation sociale signifiante, que nous donnent-ils à voir du logement ambulant ? Quelles relations ont -ils à la société globale et à ses normes? Les travellers représentent-ils une forme de résistance à l'injonction de sédentarité domiciliaire ?

Nos sociétés occidentales contemporaines sont de plus en plus des sociétés mobiles. En France, par exemple, là où en 1936, chacun parcourait cinq kilomètres par jour, nous parcourrons aujourd'hui, en moyenne, chacun chaque jour, physiquement près de 45 kilomètres, et virtuellement, des milliers. Le monde est quasiment inverse de celui de 1936, où le départ était l'exception, le téléphone rare, la radio une découverte, et la sédentarité la règle (Viard, 2006: 9).

De nos jours, nous ressentons sans cesse le besoin d'être mobile. Que ce soit au regard de flexibilité professionnelle ou d'activités de loisirs, les codes normatifs en matière de mobilité nous poussent de plus en plus au mouvement. Face à cette culture de la mobilité, il devient ainsi difficile d'opposer les sédentaires, les nomades, les migrants. Autrement dit, je ne cherche pas à mettre en exergue les divergences entre un cadre social sédentaire et un cadre nomade. Il apparaît que la sédentarité et la mobilité concourent à favoriser l'émergence d'autres pratiques ambulantes, manifestes chez les travellers, notamment.

En outre, nos sociétés se fondent sur une injonction à la sédentarité, à la stabilité, à la permanence spatiale des individus. L'accès à la propriété privée dont les agences immobilières et les organismes de crédit font l'apologie, est également devenu une règle dans nos sociétés industrialisées. Les services à domicile de plus en plus fréquents dans toutes les sphères de la vie sociale, et l'omniprésence de la télévision dans les foyers, limitent les mobilités de temps libre. L'impératif d'une sédentarité domiciliaire est le plus pesant. Dans ces espaces de mobilité, les trajectoires des travellers sont faites de points d'ancrage temporaires et occasionnels, parfois au sein de squats. Pour ces jeunes Européens, une trop forte sédentarisation semble alors entraver leur liberté.

L'homme est aujourd'hui un bricoleur de la vie sociale, pris entre mouvance et constance. L'ultimatum issu des normes sociales, consistant à acquérir un logement fixe et par conséquent à stabiliser la population, ne semble pas être applicable à tous.

En effet, le logement est devenu, au sens de Robert Castel, une question sociale récurrente, c'est-à-dire, un «défi qui interroge, remet en question la capacité d'une société à exister comme un ensemble lié par des relations d'interdépendances» (Castel, 1995 : 25).

La question du mal-logement renvoie à une pluralité de mauvaises conditions d'habiter concernant de plus en plus de ménages mais aussi des publics et des situations de plus en plus variées. Face à la pénurie généralisée de logements et à la hausse du coût du parc privé, certaines personnes ont répondu par la mise en mobilité d'un habitat. Intégrant caravanes, fourgons aménagés ou camping-cars, ils vivent entre itinérance et sédentarité. En expérimentant une autre manière d'habiter, les travellers répondent ainsi à cette tension sociale inhérente au mal-logement.

Chaque population mobile devrait faire l'objet d'une recherche approfondie. Grâce à mes connaissances préalables des fêtes techno clandestines et de l'habitat mobile, j 'ai sélectionné une seule catégorie de ces personnes de façon à mener une investigation singulière et concentrée. Je me suis ainsi particulièrement intéressée au groupe nommé travellers. Ils ont en moyenne entre 18 et 35 ans, sont fréquemment employés en tant que saisonniers ou dans les agences d'intérim, bien qu'ils puissent être aussi bien chômeurs, à la recherche ou non d'un emploi. Subsistant également grâce à l'économie basée sur leur sound-system3 , ils vivent effectivement une partie de l'année dans leur habitat mobile.

Aussi, les travellers sont plus souvent des hommes bien que ce mode de vie attire de plus en plus de femmes. En moyenne, ils sont célibataires. Toutefois, la mise en concubinage devient de plus en plus fréquente chez les travellers qui ne franchissent cependant pas le seuil du mariage. Si certains ont fondé une famille en habitant dans la mobilité, d'autres ont préféré se stabiliser le temps nécessaire à l'évolution de leurs enfants. C'est effectivement ce que soulignait Coralie, au cours d'un entretien: «C'est difficile d'être nomade quand on a deux enfants [É] »4

3 Le sound-system [système sonore] est compris comme l'ensemble du matériel propre à un groupe permettant la diffusion de sons et de vidéos, concrétisant ainsi l'organisation d'une festivité. Dans la partie suivante, je réalise une explication détaillée de ce terme : voir chapitre IV, page 21.s

4 Coralie, 30 ans, sans emploi.

Pour réaliser cette recherche, je suis partie à la rencontre d'anciens travellers anglais, réunis aujourd'hui dans une troupe de cirque, appelée Bassline Circus. Ex-organisateurs de soirées techno, j 'ai privilégié leurs expériences de travellers que celles d'artistes de cirque contemporain. Pendant un mois de l'été 2007, entre Londres, Cheltenham et Manchester, j'ai participé aux convois qui les menaient aux festivals. J'ai apporté mon aide quant à la mise en place de leur spectacle, en participant à plusieurs tâches logistiques telles que la gestion des costumes, du décor et du maquillage. Mes matériaux relèvent de l'observation participante et d'entretiens semi directifs. Grâce aux entretiens, j 'ai saisi les souvenirs de voyages et les premières fêtes techno qu'ils organisaient. Par la méthode des trajets commentés propre à Jean-Paul Thibaud, j 'ai dès lors recueilli les ressentis lors des déplacements et obtenu les commentaires des agents (2001 : 79-99). Enfin, par mes observations, j'ai découvert leur manière d'habiter la mobilité (vécue ici) entre un squat londonien, les festivals de cirque et les différentes excursions.

Par ailleurs, dans une perspective comparative, j 'ai prolongé ce terrain d'étude en France. Je me suis ainsi mise en contact avec diverses troupes de travellers, bien souvent réunies autour d'un sound-system. C'est au cours des fêtes techno clandestines que je me suis entretenue avec les acteurs sociaux: organisateurs, participants, policiers. J'ai photographié de nombreux véhicules et de nombreuses situations festives. J'ai également observé sur des temps longs quelles sont les pratiques des travellers en milieu festif, leurs manières de cohabiter.

Au regard de la problématique et des hypothèses qui en découlent, je dresse dans une première partie l'historique des mouvements de travellers en Angleterre et en France, des années 1960 à nos jours. Dans une perspective compréhensive, j'ai travaillé à la comparaison des travellers anglais et français autour des notions d'ordre public et de jeunesse. Des new age travellers aux technomades, en passant par l'expérience des squats vécue par le mouvement punk, l'émergence de l'habitat mobile et de ses difficultés à exister dans la société globale se retrace ainsi sur un temps relativement court.

Dans une seconde partie, je me focalise davantage sur l'habitat mobile et ses représentations. L'introduction des différents coûts que représente un habitat mobile me permet de présenter le véhicule aménagé en logis. Ensuite, les questions de l'intimité et de la publicité de la résidence mobile sont développées au regard de la construction d'un espace public et privé.

Aussi, grâce à notion de «chez-soi», je creuse la question de l'occupation de l'espace public et de l'espace privé. Puis, au regard des préjugés sur cet habitat, communément jugé rudimentaire, je m'essaye à la compréhension du confort et de ses caractérisations.

Enfin, les compétences à habiter un véhicule aménagé en logis sont éxaminées. Puisque le caractère éminemment autonome de l'habitat mobile révèle les compétences de ses acteurs et démontre les aptitudes à déceler des ressources, nous voyons d'une part, les compétences acquises culturellement venant rendre compte que l'habitant crée des arrangements dans son logement à partir de « modèles culturels»; d'autre part, on comprend les compétences des travellers à habiter la mobilité dans leur capacité à maîtriser les différents éléments.

La dernière partie se consacre à l'équilibre trouvé entre les injonctions de sédentarité domiciliaire et l'injonction de mobilité. En me demandant si les travellers sont des acteurs ou des sujets de la mobilité, les idées interdépendantes de contrainte et de choix sont abordées. Je considère également les incidences sociales au logement mobile, en analysant les rapports de la résidence mobile et de son occupant, à la société globale et à ses normes. Puisque la question du logement ambulant ne fait pas partie des interrogations qui se posent aujourd'hui dans le champ politique français et anglais, nous réfléchissons pour terminer sur les discontinuités sociopolitiques apparentes.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe