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Le roman policier français : illustration et stratégie commerciale

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par Jean Daniel Chevrier
Université de Rennes 2 - Master 2008
  

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1.1.3 La Belle Epoque du roman policier

C'est dans ce contexte que naissent les premières productions typiquement policières. La demande, de plus en plus forte des récits de crimes, dépasse le simple cadre des quotidiens. Un genre assez proche du policier avait vu le jour après le déclin du romantisme. Les nouvelles donnes de l'édition, vers le milieu du XIXe siècle avaient, en effet, favorisé l'apparition d'une littérature populaire dont le crime était le fond de commerce inévitable. L'abondante production des feuilletons tout d'abord, dont Eugène Sue fut l'un des premiers à entrevoir les avantages, avec Les mystères de Paris en 1842, relataient déjà les faits divers - ou les « Faits Paris13(*) » -, puis le roman judiciaire dont Emile Gaboriau peut être considéré comme l'inventeur avec son roman L'affaire Lerouge en 1866. Il s'agit cette fois de relater la progression d'une enquête, qui doit mener au coupable. Cependant, le genre du « roman judiciaire » s'essouffle au début des années 1900 : en effet, bon nombre d'auteurs s'étaient engouffrés à la suite de Gaboriau dans des récits, compliqués, aux digressions multiples, qui avaient peu à peu découragé les lecteurs. Les premiers romans policiers apparaissent sous forme de feuilletons dans la presse quotidienne ou dans des revues. Le Matin est le principal support des productions policières. Gaston Leroux y publiera ainsi ses premiers romans. Maurice Leblanc donne les débuts d'Arsène Lupin (1905) dans la revue Je sais tout. Le succès du genre est tel que, bientôt, les romans de police intéressent les éditeurs et les premières collections spécialisées voient le jour dans la première décennie du siècle. Les plus connus sont Fayard qui signe avec Gaston Leroux et Souvestre - Fantômas (1907) - qui s'engage à livrer vingt quatre « romans policiers (...) dont dans tous les épisodes seront reliés par des personnages principaux qui devront figurer dans chacun d'eux14(*) », Calmann-Lévy, Albin Michel, et Pierre Laffitte, éditeur de la série Arsène Lupin. L'affaire Lerouge15(*) est inspirée d'un fait divers, le meurtre de la veuve Célestin Lerouge, égorgée dans son lit à la fin du second empire, et dont on ne retrouva jamais le meurtrier. Loin cependant des illustrations sensationnelles des suppléments du Petit Parisien, ou de L'oeil de la police, l'illustrateur choisit ici, de rendre palpable l'atmosphère oppressante du roman. Le bandeau jaune, en haut, contient le titre du livre et le nom de

l'auteur. Dans ce même bandeau, on remarque la lame d'une guillotine et, au pied, le condamné. L'homme dans le lit semble effrayé, traqué. L'illustration se présente comme un condensé de l'intrigue : faux coupable, victime d'une erreur judiciaire qui risque sa tête, un homme - le vrai coupable ? -, traqué par la police ou par ses propres remords, le tout baignant dans une atmosphère inquiétante, rendue par l'opposition des couleurs et le poids menaçant des ombres. On ne montre pas le crime et l'image n'est pas en relation immédiate avec un épisode du texte. Le livre s'adresse aux classes populaires comme la collection l'indique.

Choix différent pour Arsène Lupin et pour cause : Lupin débute ses aventure dans un périodique à vocation bourgeoise Je sais tout. Le lectorat n'est donc pas le même et l'illustration, plus sobre, diffuse un mystère « bon chic bon genre ». La menace est encore perceptible avec au premier plan une mystérieuse main qui menace le personnage éponyme. La couverture monochrome avec un liseré noir témoigne de la préciosité de l'objet. Le choix de la police de caractère dégage encore une impression d'euphuisme avec des références précises sur la maison d'édition, références garantes de la qualité de l'oeuvre. La couverture, premier lien entre l'oeuvre et le lecteur, s'adapte en fonction de ce dernier. Le « roman judiciaire16(*) » touche donc toutes les couches de la société de la belle époque. Témoin encore de la savante composition des illustrations en fonction de lectorat que l'on veut toucher, les aventures de Fantômas publiées à partir de 1910 chez Fayard. Le titre d'abord, n'est pas sans rappeler l'affaire qui a plongé Paris dans l'inquiétude quelques années auparavant. Notons les similitudes entre les illustrations de L'affaire Lerouge et du Policier apache : en haut de la couverture, même bandeau jaune où s'inscrit le titre en lettres foncées, même utilisation des couleurs, l'opposition entre lumière et ombre. Le titre éponyme de la série se détache en lettres rouges, bien visible donc, et enserre le titre du nouvel opus. La scène représente un moment du texte ; l'illustrateur, Gino Starage (1859-1950) choisit de représenter un moment dramatique de l'épisode. Rappelons que Fantômas est le génie du mal, un fou sanguinaire, et qu'il fait partie à ce titre, de toute une génération de criminels délirants qui fleurissent au début du siècle. Une vieille femme est à genoux au centre de l'image, en pleine lumière, au milieu de ses agresseurs : elle leur donne ce qui doit être de l'argent. Notons la tache bleue du tablier de la femme, exactement au centre de la composition, qui suppose que la victime est une ménagère, une femme ordinaire du peuple, semblable au lectorat des aventures de Fantômas. Le lecteur ou la lectrice se posera donc, d'autant plus facilement en victime potentielle. La scène se passe dans un cimetière et l'on assiste à la profanation d'une tombe. L'image se sert de son pouvoir cathartique ; représenter l'horreur, c'est à la fois entretenir le climat ambiant de crainte, mais c'est aussi une façon pour le lecteur qui s'identifie aux victimes, de purger ses fantasmes, ses peurs.

Ces collections policières seront bientôt concurrencées par un genre venu des Etats-Unis. La mode est lancée par Eichler, un éditeur allemand, qui inonde le marché de productions semblables aux Dime-novel17(*), à bas prix, et qui suscitent un nouvel engouement. Le sujet de ces productions est hétéroclite, mais ce sont surtout les westerns et les intrigues policières qui attirent les jeunes lecteurs.

Deux exemples de Dime-novel : illustrations colorées, en rapport avec l'action

Les Dime-novel ne font que préfigurer une tendance qui, de 1920 à 1940, éclipsera le roman policier français. En effet, le modèle qui s'impose alors est anglo-saxon18(*), avec le Detective Novel. Le roman policier français tente pourtant de se libérer de l'emprise du roman problème anglo-saxon, aux environ des années trente, mais le genre ne pourra cependant pas occulter une influence, surtout américaine, après la fin de la deuxième guerre mondiale.

* 13 Voir note 1, p.1.

* 14 Cité dans Europe, 590-591, 1978, p.49-51.

* 15 E. Gaboriau, L'affaire Lerouge, Fayard, 1866

* 16 L'expression est de l'éditeur Dentu, citée dans Kalifa Dominique, Op. Cit. p. 30.

* 17 D. Kalifa, Op. Cit. p. 38.

* 18 J.-J. Tourteau, D'Arsène Lupin à San Antonio, Tours, Mame, 1970, p. 107.

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