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Les enjeux géopolitiques de la "percée" chinoise au Sénégal

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par Xavier Aurégan
Institut Français de Géopolitique - Master 2007
  

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2. L'économie : un partenariat prometteur

Ce titre résume bien l'état des lieux économique de la position chinoise au Sénégal. La Chine, d'années en années, se positionne comme un partenaire non seulement de plus en plus important, viable, mais surtout, comme un des tout premiers importateurs et exportateurs.

En 2005, la Chine devient le quinzième importateur, ou, pays client du Sénégal ; elle figurait à la quarantième place en 2000. Identiquement, elle se classe au septième rang des exportateurs en 2005 ; elle gagne cinq places en cinq ans (voir graphique 1). La RPC devient donc incontournable dans l'économie sénégalaise. Bien sûr, elle reste considérablement en deçà du rôle économique global de la France et des États européens. Mais sa responsabilité est ailleurs. Elle se trouve dans l'économie dite micro-économique (consommateurs) et dans ce domaine, son implication est grande, même si la Chine en tant qu'État n'y joue que peu de fonctions.

Il convient dans cette subdivision du premier chapitre d'éclairer le lecteur sur la présence économique chinoise au Sénégal. Pour ce faire, je vais décrire et analyser cette section graduellement, en y appliquant une relation d'ordre décroissante. La place de la Chine dans l'économie sénégalaise en premier lieu en incorporant les importations et exportations, les secteurs économiques où la Chine investit et joue un rôle, les grandes réalisations chinoises au Sénégal et en dernier lieu, la responsabilité directe et indirecte de la Chine dans l'économie informelle dans la République du Sénégal, dont les produits made in China.

La place de la Chine dans l'économie globale

Tout d'abord un peu de prospective. Si la Chine continue sur la même évolution, elle sera au premier rang des exportations sénégalaises en 2008 et en 2012 pour les importations. Bien sûr, cette progression sera plus lente au fur et à mesure qu'elle se hissera dans ce classement, mais tout de même, sur cette période 2001-2005, l'ascension (graphique 1) est fulgurante et prometteuse ! Si l'on fait la moyenne entre les rangs exportations et importations, la Chine figure en 2005 à la 1 1e place, elle se trouvait à la 26e cinq années auparavant.

La Chine et le Sénégal, au regard de ces chiffres, n'ont pas attendu la reprise des relations en Octobre 2005 pour commercer. Pourtant, ces échanges commerciaux restent modestes. Dans l'annexe Ta page 147, sur la période 1996-2005, les exportations sénégalaises vers la Chine ne dépassent pas les 2 %, les importations 4 %. C'est peu, quasiment insignifiant. Toutefois, les exportations comme les importations augmentent régulièrement. Il faut nuancer. Les exportations du Sénégal vers la Chine restent faibles. Les importations28, à l'opposé, sont plus importantes comme le démontre le graphique 2. Le rouge représentant les importations sénégalaises de Chine l'établi. Les courbes, dans les deux cas, augmentent. Le graphique 3 propose la même tendance sur la période 1996-2005. Sur ce dernier, un fléchissement est visible en 1997 et 2000. Le premier correspond à la reconnaissance de Taiwan par le Sénégal, le second est plus ardu à définir. S'agit t'il d'un fait isolé au cas chinois ? Il semble que non.

28 Doing Business, pratique des affaires en 2006-créer des emplois, Éditions ESKA, Banque Mondiale, 2006.

Une parenthèse s'impose : il faut savoir que le Sénégal figure en bonne position dans le classement « où est-ce facile d'exporter » de la Banque Mondiale, page 71. Il faut 6 jours, le Danemark en comparaison, premier sur cette liste, est à 5. Par ailleurs, pages 120 à 122, le tableau « commerce transfrontalier » nous indique certains éléments : il faut 6 documents pour l'exportation au Sénégal (6 en Chine et 7 en France) ; il faut 8 signatures (7 en Chine et 3 en France) ; il faut donc 6 jours (20 vers la Chine et 22 en France). Concernant l'importation, il faut 10 documents (11 en Chine et 13 en France) ; 12 signatures (contre 8 en Chine et seulement 3 en France) et 26 jours (pour 24 en Chine et 23 en France). Une dernière donnée, la « facilité de faire des affaires » classe le Sénégal à la 132e position (la France est 44e, la Chine 9 1e).

Sur les graphiques 4 et 5, une légère baisse dans les exportations et importations est visible. Concernant les exportations, en 1997, une relative baisse s'opère pour l'Europe, l'Amérique et l'Asie mais en 2000-2001, seules les régions Asie et Afrique sont touchées. Il faut donc noter que la Chine n'est pas isolée dans cette baisse des exportations sénégalaises et notamment pour l'année 2000 (1996-1997 s'explique, principalement, par l'arrêt des relations bilatérales). Pour les importations, la même constatation s'impose : en 1996-1997, l'Asie et l'Amérique sont touchées, en 2000, l'Europe, l'Amérique et l'Asie. Je conclurai cette analyse en affirmant une relative décroissance des échanges commerciaux du Sénégal en 1996-1997 et surtout en 2000.

Je reviens sur ces exportations sénégalaises vers la RPC. En m'appuyant sur les graphiques 6, 7 et 8, je démontre l'augmentation croissante de ces exportations. Le nombre de produits (5 à 18), leurs valeurs (1 213 771 952 à 3 973 342 711) ou leurs poids (1 584 834 à 6 564 911) en atteste29.

Quelles sont ces exportations, quelle en est la nature ? C'est le secteur de la pêche qui accapare l'ensemble des produits. Le coton en second, les « peaux brutes de bovins ou d'équidés », les « dérivés halogènes des hydrocarbures30 », les « autres produits » et les « voiture de tourisme, autres véhicules de transport de personnes » enfin31.

À ce sujet, les voitures chinoises, une parenthèse s'avère nécessaire. Ces dernières années, les constructeurs chinois, en retard technologiquement, achetaient les moteurs japonais, réputés

29 Ces figures ont été réalisées à l'aide des données de l'annexe Ib, page 147.

30 Éléments chimiques tels que le fluor, le chlore, le brome, l'iode et l'astate, www.wikipédia.org

31 Annexe Ic, page 148.

fiables, pour les monter sur leurs automobiles bon marché. La Chine vend d'ores et déjà des moyens de locomotion en Afrique, ce n'est pas une nouveauté, elle vend des motos et mobylettes à Douala, au Cameroun par exemple à trois fois moins cher que ses concurrents : « les Camerounais se sont donc équipés en masse pour développer un nouveau métier : moto-taxi. » [...] « C'est bien ça a amorti la pauvreté au Cameroun, maintenant c'est à la portée de n'importe qui, n'importe quel Camerounais peut avoir une moto, les Chinois ont gagné le marché, ils ont simplifié la vie, la vie est devenue un peu moins cher »32. Mais la nouveauté, est la création dans les usines chinoises de moteurs 100 % Chinois. La découverte du tout premier concessionnaire en Afrique de l'Ouest, Espace Auto, est importante. La vendeuse, peu formée à répondre à des questions exigeant des réponses précises, m'apporte cette seule information, qui vaut toutes les informations, sur ces modèles (annexe Id, page 149) moins chers que la Logan33 : après les scooters et autres deux-roues, ce sont les voitures que la Chine tente d'exporter sur le continent africain, si besoin est, en bradant la voiture.

Au sujet des importations, grâce à l'annexe Ie, page 150, je peux distinguer les produits importés. Le thé, le tissu, les chaussures, les « machines et appareils pour le conditionnement de l'air », les « appareils récepteurs de télévision, y. c. vidéo » et « autres produits » représentent la majorité des importations.

Avant d'éclairer au mieux le lecteur et de définir les principaux secteurs d'activité où la Chine joue un rôle important ou du moins non négligeable, je dois remettre la place de cet État au niveau international. La Chine fait partie de la région géographique Asie. Quatre autres régions sont analysées, l'Europe, l'Afrique, l'Amérique, l'Océanie. Selon le classement de l'ANSD, certains partenaires économiques, ne pouvant être intégrés dans ces régions, sont classés dans Autres.

Quelle est l'évolution des exportations (graphiques 9, 10 et 11) et importations (graphiques 12, 13 et 14) sénégalaises pour la période 2001-2005 selon les régions ? Dans ces différentes figures, on perçoit bien la place occupée par l'Asie : c'est la troisième région cliente du Sénégal et de même pour les importations sénégalaises, derrière l'Europe et l'Afrique, mais devant l'Amérique et l'Océanie. L'Europe y est donc prépondérante, s'expliquant par le facteur historique (Traite, colonisation, décolonisation, néocolonialisme). L'Afrique de par sa proximité géographique est de fait en seconde position, il est naturellement plus aisé pour un État d'échanger, de commercer avec les marchés voisins que distants.

32 Un oeil sur la planète, que fait la France en Afrique ?, 5 Décembre 2005, France 2.

33 La Logan est une automobile Dacia (marque du groupe Renault) fabriquée et destinée au marché Est Européen (Roumanie et Bulgarie notamment puis au marché Sud-américain). Son prix minimum s'accorde sur ses prestations minimums. Les constructeurs chinois (Chery et GWM) et leurs voitures (Chery, Safe ou Hover) sont les copies conformes de cette volonté d'inonder les marchés africains et Sud-américains peu enclins à se pourvoir d'autos européennes et américaines, inaccessibles.

La logique historique voudrait pourtant que ce soit l'Amérique et en tête les États-unis qui devancent économiquement les pays asiatiques. Mais la conférence de Bandung y est pour une large part, responsable de ce constat (point 2. du Chapitre II de la Troisième partie, page 132). D'ailleurs les États-unis, plus soucieux de protéger leurs points d'ancrage pétroliers et sécuritaires en Afrique Subsaharienne, en oublient certains principes diplomatiques essentiels (et peu estimés de l'actuelle équipe présidentielle étasunienne), dont celui-ci : une bonne relation diplomatique commence par de bonnes relations commerciales. L'Asie tient donc sa place. Mais dans cette Asie, que représente la RPC ? Car c'est bien là une question essentielle. Elle représente 2,84 % des pays clients (exportations du Sénégal) et 16,42 % des pays fournisseurs (importations) sur cette période. Soit, une moyenne de 9,63 %. La Chine représente donc environ 9 % des échanges commerciaux du Sénégal avec l'Asie, elle-même classée en troisième position des régions partenaires du Sénégal34. C'est peu. C'est modeste.

34 Données en Annexe If, page 151.

Je vais maintenant changer d'échelle et examiner la position chinoise par rapport à certains États, délibérément choisis. La France, les États-unis, le Liban, la RPC, l'Inde, la République de Chine et le Brésil sont ici étudiés en raison de leur particularités historiques (France, États-unis et Liban) et économiques (Inde et Brésil). J'aurai pu ajouter certains États africains tels le Mali, la Côte d'Ivoire par exemple, pour leurs liens historiques et économiques, toujours mais autres, avec le Sénégal, mais ceci n'aurait eu comme effet que d'alourdir l'étude de données non essentielles à la compréhension.

Les graphiques 15, 16, 17, 18, 19 et 20 et les cartes C et D, pages 32 et 33 expriment l'idée de la place de la Chine en comparaison de ces pays.

30

À l'export, elle se classe derrière l'Inde, la France et devant les États-unis, Taiwan, le Liban et le Brésil.

À l'import, elle est toujours en troisième position mais cette fois derrière la France et les États-unis et devant le Brésil, l'Inde, Taiwan et le Liban.

Cette période définie (2000-2005) permet de faire une moyenne des exportations (3,61 %) et importations (7,86 %) sénégalaises par rapport à la Chine continentale. Elle permet par ailleurs une évolution des exportations (négative) et des importations (positive). Par conséquent, le Sénégal exporte de moins en moins et importe de plus en plus vers et envers la République Populaire de Chine.

Je ne détaillerai pas plus ces graphiques, mais il faut remarquer dans, l'Évolution des exportations sénégalaises en millions de francs CFA par pays étudié, que les pays sont scindés en deux groupes : le groupe à évolution positive comprenant les États-unis d'Amérique, l'Inde et la République de Chine et le groupe à évolution négative où la France, le Liban, la Chine et le Brésil importent moins de produits sénégalais.

Sur la figure Évolution des importations sénégalaises en millions de francs CFA par pays étudié, aucune distinction hormis de par l'importance de ces importations, ne peut être faite. Le Sénégal importe beaucoup et de façon croissante et exporte peu, de façon discontinue, selon ses partenaires.

De même, je peux démontrer à l'échelle régionale les rapports économiques entretenus avec le Sénégal (cartes E et F pages 36 et 37). L'Europe ainsi que l'Afrique sortent du lot respectivement avec 37,2 % et 32,8 % pour les exportations et 63,8 % et 18 % pour les importations. A l'export, l'Asie en troisième position importe 18,5 % du total des exportations (en millions de FCFA) et devance l'Afrique à l'import avec 18,6 %. Les Amériques, l'Océanie et « Autre pays » sont de moindre importance. Le lecteur pourra par ailleurs apprécier l'évolution des échanges commerciaux sur les deux cartes. Concernant les importations, l'Asie double son volume de 1996 à 2005.

Ayant je l'espère éclairci le lecteur par ces données, il convient de synthétiser cela.

Premièrement, la balance commerciale Sénégalaise est déficitaire, comme la majorité des États d'ailleurs, les États-unis y compris. Sur le graphique 21, le Sénégal est seulement bénéficiaire avec Taiwan (au troisième trimestre 2006) et de 150 millions de FCFA soit environ 230 000 euros. Sur une échelle-temps plus grande (graphique 22), entre 2000 et 2005, seuls l'Inde et le Liban dans une moindre mesure apportent une balance commerciale positive au Sénégal. La conclusion est simple : l'Inde importe des phosphates (Deuxième partie Chapitre II, page 109) et ne vend que très peu au Sénégal. Le Liban de par sa communauté présente au Sénégal, achète certains produits

finis. Les autres partenaires exportent beaucoup, importent peu. La Chine plus précisément, exporte une quantité non négligeable de thé, de textile, de matériaux de construction pour ne citer que ces exemples. Ses importations sénégalaises (pêche et tissus) ne comblent pas l'excédent (Annexe Ib, page 147). Sur la période 2000-2005, elle importe pour 0,48 % des exportations totales du Sénégal et exporte pour 3,11 %. Pour l'Asie, elle dépasse les 15 % dans les importations sénégalaises mais est à environ 2 % pour les exportations vers ce continent économique. Si certains secteurs ressortent, la pêche, le textile, il n'en reste pas moins que le poids chinois sur l'économie de l'État d'Afrique de l'Ouest est ailleurs.

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Ayant visualiser la place de la Chine dans l'économie sénégalaise, je vais décrire les secteurs importants rentrant en ligne de compte dans leurs relations commerciales : la pêche et ses produits halieutiques, le textile, les matériaux de construction, les marchandises made in China et les grands projets gouvernementaux.

Pénétration chinoise dans les secteurs économiques sénégalais : cas de la pêche

Le secteur de la pêche au Sénégal est d'une importance capitale. Ce secteur participe à hauteur de 21,7 % des recettes d'exportations ou 165 milliards de FCFA, en 2005.

La pêche artisanale permet à des milliers de foyers de se nourrir, de vivre tout simplement35 : la population active dans cette activité est de 103 843 dont 96 030 hommes. Environ 15 % de la population active sénégalaise vit de la pêche.

Il faut par conséquent distinguer la pêche artisanale de la pêche industrielle, soit, comme dans tous les pays à l'échelle monde. La pêche artisanale donc concentre 5 000 pirogues et 89 % des débarquements de la pêche maritime globale. Il faut savoir qu'en parallèle de la raréfaction des ressources halieutiques, le parc piroguier s'est vu amputé de 48 % : de 10 707 pirogues en 1997, il est passé à 5615 en 2005. Les quantités débarquées représentent paradoxalement 406 248 tonnes en 2005 contre 394 996 en 2004. Les principaux produits sont les poissons, les mollusques et les crustacés.

Ce secteur crée de l'emploi, occupé par les hommes sur les pirogues (voir photo ci-dessous) et féminin pour la transformation des produits. 58 % des produits alimentaires halieutiques sont consommés au Sénégal. Les 42 % restants sont exportés en Afrique de l'Ouest à 97 %, en Europe pour 2 %. Le reste en Asie36.

Le poisson, fait partie intégrante de la culture et de l'alimentation sénégalaise. Le Thieb bou Djen, plat local très bon marché préparé à base de riz et de poisson grillé en est l'exemple. La viande, de bonne ou mauvaise qualité étant onéreuse, le poisson est le plat indispensable à la santé (apport de protéines), restant accessible à la majorité. Si la pêche artisanale correspond à l'ensemble des débarquements de la pêche maritime Sénégalaise, je ne vais pas négliger la pêche industrielle, d'autant que c'est ce secteur qui m'importe dans l'étude.

35 Selon la source ci-dessous [36].

36 Situation Économique et Sociale du Sénégal Édition 2005, Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD).

Preuve de l'importance de cette activité, le village de pêcheurs en contrebas du palais présidentiel, auprès de l'Océanium, sur le Plateau dakarois. Le 29 février 2007.

La pêche industrielle au Sénégal représentait en 2005 138 navires, 36 097 débarquements. Elle est strictement implantée à Dakar et inclut des armateurs étrangers. Selon la Situation Économique et Sociale du Sénégal de 2005, « elle ravitaille le frigorifique du port, et les usines de transformation. La pêche chalutière, la pêche thonière et la pêche sardinière constituent les trois composantes de la pêche industrielle. Elles ont débarqué en 2005, 50 900 tonnes avec une hausse de 12,8% par rapport à l'année 2004. ».

La pêche chalutière assure 71 % des débarquements, 2 % pour la pêche sardinière et 27 % pour la thonière. Les exportations de produits halieutiques sont de 118 712 tonnes en 2005 (+ 1,1 % par rapport à 2004) pour une valeur de 165,14 milliards de FCFA (environ 250 millions d'euros). L'Europe importe à 66 %, l'Afrique, 25 % et l'Asie 7 % (+ 5,5 % par rapport à 2004) sont les principaux clients. L'Asie importe pour 0,006 tonnes donc 6 kilos, soit environ 4 milliards de FCFA (ou environ 6 millions d'euros) en 2005.

Quelle est la place de la Chine dans ces statistiques ? Il est difficile de le savoir. Les seuls chiffres plausibles sont 16 375 972 FCFA de l'annexe Ib « Poissons plats (Pleuronectides, Bothides, Cynoglossides, Soleides, Scophthalmides et Citharides) ». Selon une autre source, en Annexe Ic, page 148, le total en 2005 des exportations sénégalaises (halieutiques) vers la Chine serait de 561 998 679 millions de FCFA. Ce chiffre plus vraisemblable se rapprocherait de la vérité.

Mais la Chine n'est pas seulement importatrice, elle participe activement au développement du secteur de la pêche au Sénégal, et bien sûr, à l'exploitation de ses ressources. À ce sujet, le numéro 204 de l'hebdomadaire La Documentation Africaine, du 26 octobre 1976, annonce déjà cet enjeu37.

37 En annexe entretiens, page 182.

Les sociétés Sénégal Pêche et Sénégal Armement « sont deux sociétés de droit sénégalaises qui ont des partenaires Chinois. 51 % du capital est détenu par le privé sénégalais. »38. Ces entreprises détenues à 49 % par des capitaux chinois (filiales de l'entreprise d'État China National Fisheries Cooperation (CIFC), premier groupe chinois de pêche) exercent depuis les années 195039. Sous contrôle japonais et dirigée par une famille Italienne, ces sociétés Sénégal Pêche et Sénégal Armement sont revendues aux Coréens au milieu des années 1970, la cause étant le coût de la main d'oeuvre. Les Japonais deviennent négociants et vendent les navires aux Coréens, moins exigeants en terme de salaires. En 1984, les Coréens peu compétitifs et détruisant les ressources halieutiques du Sénégal par surexploitation des fonds marins, revendent les entreprises aux Chinois qui désirent investir en Afrique du fait de la raréfaction des ressources sur la façade maritime chinoise (Mer de Chine Méridionale). Ces derniers prisent un certain poisson jaune devenu introuvable en Asie du Sud-Est. Selon M. Yin : « un besoin intérieur, une opportunité extérieure ». Fin 1984, la première flottille chinoise (pavillons de complaisance40) débarque à Dakar mais étendant leurs zones de pêche jusqu'en Guinée Bissau, ils se font notoirement remarquer et accusent certaines critiques.

Cette année, le président de la société Africamer (qui ne m'aura jamais accordé d'entretien malgré mes nombreuses relances) El Hadji Daouda Faye, actuel ministre des Sports41, ne paie qu'une fois sur cinq la société codétenue par les Chinois, d'où une accumulation de dettes (10 milliards de FCFA) envers cette dernière. S'ensuit une crise sociale, où environ 2000 emplois sont directement remis en cause, comme en témoigne la presse locale42.

Heureusement, la bonne gestion de Sénégal Pêche et Armement permet la sauvegarde des salaires, donnant aux dirigeants chinois une image positive (65 % des créances sont abandonnées, le reste dans les années suivantes). Actuellement, la société possède 14 chalutiers glaciers et 12 chalutiers congélateurs dont la moitié naviguent.

Plus simplement, une entité (Sénégal Armement, premier armateur au Sénégal) exploite et l'autre (Sénégal Pêche) transforme (c'est l'une des plus grandes unités de transformation de poisson dans ce pays). Elles se distinguent par leurs activités élargies, permettant de la pêche au conditionnement, d'exporter les produits selon les normes internationales (norme du froid). D'ailleurs, la transformation sur place occasionnant de la valeur ajoutée et surtout, exportant au

38 Entretien avec Monsieur Dougoutigui Coulibaly, secrétaire général du Groupement des Armateurs et des Industriels de la Pêche au Sénégal (GAIPES).

39 Historique selon Monsieur Yin, entre autres, propriétaire du restaurant La Noix d'Or à Dakar (cf carte 0 page 180 et l'annexe entretiens page 161). Il travailla à Sénégal Pêche.

40 Bateaux immatriculés au Sénégal pour avoir accès aux eaux territoriales sénégalaises.

41 Confirmation sur le site du Ministère des sports, www.sports.gouv.sn

42 Presse et citations page 182.

minimum à 80 % (par rapport au C.A.) permet d'obtenir le statut de l'entreprise franche. Une réserve cependant, Sénégal Armement ne bénéficie pas d'exonérations (portant sur les avantages fiscaux et douaniers).

Toujours selon M. Yin, Africa Sea Food, dirigée par un certain « Tian », eut le projet de créer une usine spécialisée dans les sardinelles, financée par la Banque Mondiale. L'usine sitôt construite fut fermée du fait de contentieux à propos de la caisse de recouvrement. La presse locale accusa la « mafia chinoise » de profiter des aides.

Toutefois, trois années après la reprise par les actionnaires chinois, Sénégal Pêche devient le leader du secteur et se permet de doubler son chiffre d'affaires par rapport à Africamer. En 1999, année exceptionnelle s'il en est, 45 millions de FCFA sont comptabilisés grâce à « l'année du poulpe »43 (généralement l'entreprise est plutôt proche des 25 millions de chiffre d'affaires). En 1999 toujours, la société emploie 2000 employés dont une quinzaine de Chinois originaires de la province du Henan.

En complément, je citerai la Direction de la Protection et de la Surveillance des Pêches, en annexe, page 182.

Afin de conclure sur le secteur de la pêche, je citerai certains faits et anecdotes intéressantes. Aujourd'hui, le dépôt de bilan à Africamer est imminent. Malgré une démarche auprès du président Wade et une aide financière gouvernementale, l'entreprise stagne. La cause : ces années de détournements imputables aux dirigeants sénégalais. La pêcherie frigorifiée n'est plus rentable. Elle aussi est en crise.

Un cas pourrait être approfondi, celui de Dakar Marine. Cette société devant être privatisée, les Chinois postulaient au rachat. Principaux clients, techniciens de cette entreprise et des navires, ils étaient légitimes. Pourtant, la France ou plutôt le secteur privé français refusa de céder les parts, de crainte de voir ce secteur accaparé par les gestionnaires asiatiques. C'est finalement des fonds portugais qui reprirent l'activité, preuve de conflits d'intérêts et de pouvoirs dans ce secteur précieux du Sénégal.

Il faut enfin noter la présence des entrepreneurs chinois et de leurs employés durant cette période, 1984 à de nos jours, malgré l'arrêt des relations bilatérales. Des Chinois combattus par le GAIPES, mais plus soucieux de l'environnement que les exploitants précédents (Japonais et Coréens) et créant de la valeur ajoutée, créant des emplois44, donc, attirant la bienveillance.

43 Confirmée par Monsieur Coulibaly.

44 Entretien avec M. Coulibaly : voir l'annexe entretiens, page 174.

Le transit Asie-Afrique

Le secteur maritime sénégalais ne se limite pas à la seule pêche. Un point sur lequel il faut se pencher est le transit international, notamment d'Asie vers l'Afrique de l'Ouest45. Ce transit fait débat chez les responsables sénégalais. C'est par ce moyen et donc par les conteneurs que sont déchargés les produits made in China destinés au marché sénégalais.

Un exemple précis est la société China Shipping Container Lines Shenzen Co., Ltd Dongguan Branch (CSCL), dirigée à Dakar par Sogui Diop. Cette société créée dans les années 1970 et qui exerce la manutention, la consigne et le transit possède 70 navires, dont un accostant tous les quinze jours à Dakar (mais aussi en Côte d'Ivoire, au Ghana et au Nigéria). Les produits selon Monsieur Diop, sont du « divers », « par exemple de l'habillement pour l'import et du coton, sel et poisson à l'export ». Le textile est caractéristique des produits made in China vendus à Dakar. CSCL est le seul pavillon chinois au Sénégal. Les Chinois de Chine, je dois le préciser, pragmatiques et ambitieux, voient un nombre croissant de conteneurs appareillés dans les ports de Shanghai46 (le plus grand et le plus exploité en RPC) à destination de l'Afrique et donc de l'Afrique de l'Ouest : ils en tirent les conséquences et s'installent directement à l'arrivée, ici Dakar. Pourquoi laisser des parts de marchés aux concurrents français, espagnols ou panaméens ? D'autant que la nouvelle voie maritime du Nord, passant par le Nord du Canada sera un gain de temps sans précédents dans les échanges maritimes internationaux. S'il faut encore quelques années et certaines infrastructures pour voir aboutir ce projet rêvé par tous les commerciaux asiatiques et européens, cette perspective est également intéressante pour l'Afrique de l'Ouest.

45 Une nouvelle « ligne maritime Tanger-Cotonou via Casablanca, Las Palmas, Dakar, Abidjan et Lomé permettra de désenclaver le continent ». Elle va « intercepter l'ensemble du fret qui va en Afrique », selon Taoufik Benjebara, le directeur général du groupe marocain Comanav. « En ligne de mire, les ports espagnols de Barcelone et Valence, où arrive une majorité des bateaux venant d'Asie [...] en assurant la liaison entre la ligne africaine et ses différents ports, nous allons croiser les deux autoroutes maritimes du monde et ainsi ouvrir le continent ». « Les opérateurs chinois cherchaient un nouvel armateur » car le fret Asie-Afique est en augmentation de 15 % par an.

Jeune Afrique du 4 au 10 février 2007, N° 2404, p. 72.

46 Voir carte G, page 43.

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Le secteur du textile, autre domaine économique à forte concurrence

Un autre secteur où la Chine et ses expatriés détiennent un rôle économique est le textile.

Le textile représente 8 % des exportations totales sénégalaises (en Chine)47 et une part non négligeable des importations, difficile à estimer. Le textile qui au Sénégal est surtout le vêtement, l'habillement, est entré depuis l'apparition du textile en provenance de la Chine dans une crise structurelle. Car c'est bien une évolution du marché qui caractérise cette crise économique. Toutes les usines (il y en a 8, deux fois plus il y a vingt ans) sont en déficit. Pourtant, et c'est le comble en quelque sorte : ce sont les Sénégalais qui importèrent les premiers ces habits à prix défiant toute concurrence locale.

Visitant des entrepôts et unités d'assemblages, lorsque je demandais de quel pays était originaire le tissu, tous me répondaient le Mali ou le Sénégal. Pourtant, les inscriptions indiquant la provenance du textile parlent d'elles-mêmes (voir photo).

Cartons made in (the people's republic of) China déposés derrière un atelier d'assemblage

(pantalons et chemises), proche du marché Sandaga, Plateau, Dakar.

Le 28 février 2007.

47 L'impact de l'émergence chinoise et indienne en Afrique, Étude de cas sur le Sénégal, Eric Hazard, Lotje De Vries, Mamadou Alimou Barry, Alexis Aka Anouan, Enda Prospectives Dialogues Politiques, 2007

L'industrie locale est donc très affectée. Pour preuve, les déclarations du secrétaire de la Nouvelle Société du Textile Sénégalais (NSTS), Monsieur Diongue48. Il déclare lors d'un entretien, à propos de cette concurrence : « c'est de la concurrence déloyale ! Au niveau de la main d'oeuvre, de l'électricité, des marges bénéficiaires, des ingrédients, et cætera ! A cause d'eux nos activités sont gelées ! Ce n'est pas un coût analytique, les prix et marges sont fixés. ». Lorsque je lui demande par quels moyens les fournisseurs chinois se permettent de vendre à des prix défiant toute concurrence, il rétorque : « ils se concertent avec le gouvernement ! En plus ils engagent des prisonniers condamnés aux travaux forcés ! ».

Certes, Monsieur Diongue possède un avis tranché. Mais il n'est pas le seul (Chapitre I de la Deuxième Partie, page 84).

Le secteur du textile au Sénégal n'est pas composé de la seule industrie. La confection artisanale et la friperie rentrent en ligne de compte. La confection par les artisans résiste mieux : les couturiers et tailleurs (estimés à 30 000), satisfont à une demande particulière : les fêtes religieuses (et coutumières) ainsi qu'à la pratique récurrente des Sénégalais à ce corps de métier, pour confectionner les habits traditionnels (et les renforcer, le textile acheté restant de qualité très moyenne). Les artisans « eux ne sont pas réellement révoltés [de la concurrence chinoise], ils sont mécontents de la façon de faire des commerçants en général : avec leurs marges notamment. Ah oui, en plus, ils ne signent pas [made in Senegal] à la demande des commerçants, pour qu'ils signent made in Italy par exemple ! ». Momar Ndao, président national de l'Association des Consommateurs du Sénégal (ASCOSEN) explique donc que les artisans sénégalais, peu touchés, protestent contre tous les commerçants sénégalais qui se permettent de confortables marges au détriment de ces producteurs et, qu'en signant ceci, ils dénaturent leur travail afin de toucher une plus large clientèle car « selon les moeurs, les meilleurs produits viennent toujours de l'extérieur ! ». La friperie quant à elle est directement affectée.

La friperie est le textile vendu sur les marchés locaux. Elle est de fait directement en concurrence avec les produits chinois, de qualité et à prix bas : « le commerce des produits textiles chinois pourrait bien se substituer totalement ou en très grande partie à cette activité commerciale. ». A ma question portant sur la présence positive ou négative des commerçants chinois, Momar Ndao répond : « avant on achetait dans des friperies, aujourd'hui pour 1000 francs, on habille un enfant. Au Sénégal, c'est spécifique, pour les femmes, il vaut mieux pouvoir changer de vêtements que de garder un habit longtemps : si une femme met toujours les mêmes vêtements, elle sera mal vue. Donc, elles préfèrent beaucoup de produits peu chers qu'un de qualité cher ! ».

48 Voir l'annexe entretiens pour les transcriptions des entretiens réalisés lors de l'étude de terrain effectuée durant le mois de Février 2007, pages 161 à 179.

Vous l'aurez compris, la manière de se vêtir, la fréquence à laquelle la gente féminine porte ses habits déterminent le statut social de la femme sénégalaise. La qualité devrait donc être un argument majeur à l'achat. Mais c'est le paraître qui compte. Il n'y a pas de réflexe consommateur sur le long terme, « le consommateur sénégalais n'a pas de démarche logique, scientifique. Pour les textiles, on peut acheter un tissu de basse qualité mais bien le coudre chez le tailleur. ». Enfin, en est t'il de même dans la sous-région ? « Non, le Mauritanien est peu sédentaire. L'homme a toujours une robe blanche et il ne change que les chemises, contrairement aux Sénégalais qui se changent tous les jours. En Mauritanie, l'habit à moins d'importance, ici, on est plus coquets, on suit une certaine mode. ».

L'article annexé, page 183 de Malick Ndaw du Sud Quotidien est quant à lui très critique (mais réaliste d'après mes observations).

Une donnée intéressante est celle des prix à la consommation. « Habillement et chaussures » est à la baisse (-5,9 % de 2003 à 2005), cette baisse étant directement imputable aux fournisseurs et commerçants chinois. Plus précisément, l'inflation cumulée entre Décembre 2005 et Décembre 2004 est de -13,7 % pour les « tissus pour habillement », -9,1 % pour les « vêtements pour enfants et bébé », -4,5 % pour les « chaussures pour hommes » et 0 % pour celles des femmes. Tous ces produits sont vendus par l'intermédiaire des fournisseurs chinois, commerçants chinois, Sénégalais et Sénégalais d'origine libanaise, et, les bana-bana : ce sont des vendeurs ambulants, où la gente féminine prédomine. Elles achètent aux commerçants chinois ou libanais des produits qu'elles revendront dans les quartiers périphériques et dans le centre (Plateau) de Dakar. M'entretenant avec le président de l'Union Nationale des Commerçants et Industriels du Sénégal (UNACOIS), Moustapha Sakho, il déclare en parlant des bana-bana : « on ne trouve plus de bonnes ! Elles viennent travailler une journée et l'autre elles vont acheter sur le boulevard [du général de Gaulle, à forte implantation de commerçants chinois] pour tel prix et revendent dans les quartiers. »

L'influence positive (baisse du coût de la vie) des produits made in China se ressent fortement ici, avec une interrogation concernant les « chaussures pour femmes » cependant. Ces chaussures ont envahi le marché intérieur du Sénégal. On les trouve partout et en grosse quantité (voir photo). Comment est-ce possible une inflation à 0 % ? Ce chiffre perturbe, à mon sens, la qualité des données fournies par l'ANSD.

Un autre chiffre, cette fois dans la logique de ce que j 'ai observé, est celui des « articles de bijouterie, de joaillerie et d'horlogerie » : l'inflation négative (- 4,2 %) respecte mon raisonnement49. Mais, le secteur du textile ne serait plus un investissement rentable pour les Chinois comme le confirme Monsieur Yin : « le textile ça ne marche plus. ».

49 Op. cit. [36], p. 38.

Le témoignage de son épouse, Mme Yin, précis et en connaissance de cause car elle travaille dans ce secteur depuis cinq années, apporte certains éléments attrayants (voir l'annexe entretiens, page 162). Elle produit en Chine et exporte au Sénégal. Elle ne produit pas en Afrique car le tissage est réalisé dans les mêmes conditions qu'en Afrique de l'Ouest. Il existerait environ trente chaînes de montage pour la wax (tissu traditionnel représentant moins de 10 % du marché sénégalais) en Chine, dont la production est exportée au Mali, en Côte d'Ivoire ou au Nigéria : et non au Sénégal, car la wax est le signe qualitatif, d'où des tarifs plus élevés. De plus, le marché sénégalais est moins important que dans ces pays susnommés.

Mais si les usines chinoises produisent et copient, elles n'inventent pas : les dessins, figurés... ne sont que reproduits en Asie. Mais le savoir-faire chinois est identique, notamment pour le batik (technique de teinture du tissu). Où sont situées les fabriques ? Mme yin apporte un élément de réponse : « dans la province de Shandong [Nord-Est] où il y a une longue histoire du textile ».

Ce marché serait saturé, la rentabilité ne serait plus assurée. Qu'en disent les professionnels du secteur ? Mme Yin, spécialiste en la matière (ils sont trois Chinois au Sénégal à importer et vendre), répond : « avant 12 yards [unité de mesure] c'était 9500 [15 €] aujourd'hui c'est 7000 [10 €], il n'y a plus de bénéfices pour personne. Je suis la première à avoir importé de Chine la wax et j'ai donc fait baisser les prix. Les Sénégalais veulent toujours moins 100 francs [CFA] mais avant [l'arrivée des Chinois] c'était plus cher, et en plus ils payent le tailleur pour 4000 francs [6 €] ! Au Mali, ils font la différence mais pas ici, ils ne paient pas pour la qualité. Ici ils veulent des prix bas donc la qualité est basse et on change les produits. En Chine, c'est la fabrique du monde, les produits sont importés, transformés et exportés, pas vendus dans le marché intérieur, c'est juste pour la main d'oeuvre ».

Une question importante est celle de la vente. Au Sénégal, les commerçants ou devrais- je dire, les détaillants, vendent au détail, au mieux, en semi-gros. Elle, vend toujours en gros, par conteneurs entiers. Quelques clients lui suffisent afin de récupérer ses crédits. Et fait-elle crédit justement ? « Non, comme ils n'épargnent pas, je ne fais pas d'avances, il faut être clair dès le début. Par exemple si une femme est enceinte, elle ne l'est pas d'hier ! Par contre, pour les maladies c'est de l'imprévu, donc je fais des avances sur salaire. ». Il y a trois Chinois dans le textile au Sénégal.

Comme je la sollicite sur le contexte économique local et sa représentation des Sénégalais, elle rétorque « ici, il y a un problème immobilier, c'est trop libéral, en plus il n'y a pas d'industries, de ressources contre l'inflation générale, donc... Il y a toujours des problèmes d'argent, ici, il n'y a rien, il faut tout importer, donc le Sénégal doit toujours de l'argent, il investit donc la balance commerciale...Le droits de douanes sont élevés donc les produits importés ne sont pas réexportés vers la Gambie [Banjul] qui est un port franc, ou Cotonou [Bénin]. Pourtant, le prix

du transport [Asie-Afrique] n'est pas cher, c'est moins de 10 % du prix total [...] ici, la productivité est faible, en Chine, ils travaillent huit heures avec juste cinq minutes de pause toilettes. Ici, il faut trois fois trente minutes pour la prière, ils font la sieste, ils ne travaillent pas le week-end... ».

En complément, l'extrait de l'article de Sylvie Bredeloup et Brigitte Bertoncello (annexe presse et citations, page 183).

Plus largement, je reviendrai sur l'ensemble des produits made in China à la fin de ce chapitre.

Marché aux chaussures destinées aux femmes, centre de Dakar. Les chaussures fabriquées en
Chine occupent l'ensemble du marché sénégalais. La raison, les prix défiant toute concurrence
(notamment française et italienne). Marché Sandaga, Plateau, Dakar. Le 17 février 2007.

Le BTP au Sénégal, de profondes mutations liées à une société chinoise

Le dernier secteur où la Chine et ses représentants sont implantés est le secteur du BTP (Bâtiments et Travaux Publics). Là encore, une étude spécifique devrait être réalisée. Mais le manque de temps et le manque de moyens m'obligent à en tracer seulement les grandes lignes, à en ressortir les principaux points.

Le BTP est en plein essor au Sénégal. La spéculation foncière y est importante. Les Chinois par l'entreprise Henan Chine amènent les prix à la baisse et s'octroient un nombre croissant de marchés. Voici ce qu'il faut retenir.

Depuis le début du conflit larvé Ivoirien, en Décembre 199950, le Sénégal connaît au sein de sa capitale Dakar une spéculation foncière spectaculaire. Quels liens ? La migration des représentations onusiennes et des étudiants ivoiriens au Sénégal s'est doublée d'une brusque augmentation des loyers. Abidjan n'est plus la capitale politique officieuse de l'Afrique de l'Ouest, c'est Dakar, notamment pour les entreprises et organismes officiels francophones. Bien sûr cette spéculation est limitée au centre-ville, c'est-à-dire le Plateau. Quoique, elle touche également le petit quartier de Gibraltar à l'Est du boulevard du général de Gaulle (Carte H, page 53), principal artère pour entrer sur le Plateau, boulevard historique et connu de tous les Sénégalais car c'est la rue où tous les ans est célébrée l'indépendance de la République, jusqu'à l'obélisque (voir photo en point 1.). C'est donc un axe capital, permettant d'accéder au Plateau au Sud donc mais de remonter vers les quartiers résidentiels du Nord (quartiers HLM, Grand Dakar, SICAP, Grand Yoff : Carte O de l'annexe entretiens, page 180).

Gibraltar est un quartier différent des autres (annexe presse et citations, page 184). Leurs commerces se situant à proximité, sous-entendu, sur le boulevard, il est logique de voir cette évolution urbaine. M. Yin apporte quelques éléments de réponse : « [le loyer] était de 50 [FCFA soit 76 €] à 100000 [150 €], aujourd'hui c'est 400000 [600 €] et les magasins de 500 [750 €] à 700000 [1050 €]. ». Momar Ndao également : « oui, en moyenne c'est 20 % d'augmentation par an ! Cela dépend de la demande. ». La question qui est posée est combien de temps les Chinois et Sénégalais pourront supporter cette inflation immobilière ?

Le BTP est donc en plein essor. Ses coûts sont revus à la baisse depuis l'apparition des Chinois par l'intermédiaire de l'entreprise Henan Chine (China Henan International Cooperation Group Co.). Comme son appellation l'indique, elle est originaire de la province du Henan (Carte G, page 43). C'est une filiale sénégalaise de l'entreprise d'État chinoise Chico. C'est une « entreprise privée de droit sénégalais appartenant à 100 pourcent à la société mère chinoise »51. Arrivée en 1984 (années d'apparition des Chinois dans le secteur de la pêche) au Sénégal pour construire le stade de l'Amitié (renommé stade Léopold Sédar Senghor en 2001) et ses parkings en 1992, elle a également construit l'Ambassade de Chine et l'Agence Nationale de la Banque Centrale des États d'Afrique de l'Ouest (BCEAO).

50 En Décembre 1999, un putsch à l'encontre du président Henri-Konan Bédié est organisé. Commence un vide politique où le général Robert Gueï puis Laurent Gbagbo dirigent le pays. L'élection de ce dernier, contestée par l'opposition et notamment par Alassane Ouattara, accusé de non-ivoirité, est encore remise en cause. Conflit larvé, aux relents ethniques, nationalistes et xénophobes envers les États voisins et leurs populations (surtout le Burkina Faso), cela résume grossièrement ce litige. Bien sûr, le décès d'Houphouët-Boigny en Décembre 1993 marque certainement le début de cette paralysie politique Ivoirienne.

51 Historique selon l'étude citée en note de bas de page [47], page 44, et mes connaissances acquises durant l'étude de terrain.

De grandes réalisations donc (voir photos ci-dessous). Les dernières réalisations sont l'autoroute à péage qui doit permettre à Dakar de réguler les flux de circulation, un chantier d'alimentation d'eau de Dakar et la réhabilitation de la voie ferrée Dakar-Thiès. Pour l'autoroute, elle s'est associée à l'entreprise Jean Lefebvre Sénégal (Henan Chine possède les compétences dans les ponts et viaducs, J. L. Sénégal, devenue depuis Talix Group, dans les chaussées).

Durant la dizaine d'années où le Sénégal et la RPC n'entretenaient plus de relations, elle est tout de même restée (dans les locaux de l'Ambassade de Chine), sans toutefois remporter les contrats. Alors comment fait-elle pour proposer des tarifs aussi bas et remporter les appels d'offres ? Premièrement, elle recoure exclusivement à des machines chinoises, moins onéreuses que celles d'origine européenne. Les ingénieurs et ouvriers ont donc un accès rapide aux pièces de rechange, et à l'utilisation même (ce qui ne peut être le cas pour les employés sénégalais). L'entreprise emploie et travaille avec deux équipes : une de jour, une de nuit, ce qui, il est logique, augmente la productivité et de fait, diminue les délais de chantiers. Enfin, et c'est lié, les techniques étant chinoises, elle emploie des techniciens chinois, dont les salaires sont égaux aux ouvriers sénégalais.

Je proposerai, pour compléter, la question suivante : le gouvernement du Sénégal cherche certes les prix les plus accessibles, mais ne cherche t-il pas à favoriser certaines entreprises, liées à certains États ?

La Chine par ses entreprises est relativement bien implantée au Sénégal, pour preuve ce récapitulatif (page suivante).

Le pont de Médina Ndiatbé relie l'île à Morphil aux autres localités de la région de SaintLouis52). La boucle de Dakar53 est un réseau de ligne électrique, par la société China National Machinery & Equipement Import & Export Corporation (CMEC). Intranet 2 et l'équipement des zones rurales en téléphonie fixe avec l'opérateur leader au Sénégal la Sonatel (Intranet du gouvernement étendu aux ambassades, sous-préfectures, préfectures et consulats.

Certaines réalisations sont directement financées par Pékin (le théâtre, la boucle de Dakar et Intranet 2 sans omettre le stade de Dakar, l'hôpital Silence...).

52 Annexe Ig, page 152.

53 Selon le rapport produit par la mission économique française au Sénégal, ce projet ne fut soumis à aucun appel d'offre, faisant débat dans le milieu d'affaires français et au détriment de l'entreprise Areva. Ceci est révélateur. C'est aussi un délit d'initiés. Concernant la centrale électrique au charbon, le même rapport déclare « les experts chinois sont en effet sceptiques sur l'opportunité de fournir une technologie si polluante car cela pourrait nuire à l'image de la Chine dans la région et les coûts de transport du charbon, d'installation et de fonctionnement de la technologie de dépollution rendent le projet peu rentable pour le Sénégal. ».

En résumé, plus de quarante projets, pour une enveloppe financière globale d'environ mille milliard de FCFA ou approximativement 1 milliard et demi d'euros, ont été concrétisés (pour une vision plus synthétisée, se référer à la carte B, page 16).

Réalisations

Coûts

Société

Grand théâtre national

18,5 milliards de FCF
ou 28 millions d'euros

 

Autoroute Malick Sy-Diamnadio

23 milliards ou

35 millions d'euros

Henan Chine

Pont de Médina Ndiatbé

7 milliards de FCFA,

plus de 10 millions d'euros

 

Boucle de Dakar

35 milliards de FCFA, 53 millions d'euros

CMEC

Intranet 2 et l'équipement des zones rurales en téléphonie fixe

55 milliards de FCFA, 84 millions d'euros

Huawei Technology

Centrale de charbon (puissance de 250 Méga Watt)

175 milliards de FCFA, 167 millions d'euros

Metallurgical Construction Corporation

Réseau téléphonique en zones rurales

18,5 milliards de FCFA, soit 28 millions d'euros

Huawei

Usine de lubrifiants

 
 

Plate-forme de services aux entreprises (pétrole)

10 milliards de FCFA, plus de 15 millions d'euros

 

Raffinerie (cinq millions de tonnes)

250 milliards de FCFA ou environ 380 millions d'euros

 
 

Mais la Chine qui malgré ces réalisations, est encore modeste en comparaison de la France, tente d'activer ses relais diplomatiques pour s'introduire dans le plus grand nombre de secteurs économiques. L'accord de coopération agricole, d'un montant de 37,5 milliards de FCFA (57 millions d'euros), le traitement douanier préférentiel, les sociétés de bâtiment et d'architecture, les sociétés King Long United Automotiv Industry (bus, sans oublier Espace Auto concessionnaire d'automobiles chinoises) et Prima (télévisions) démontrent les perspectives chinoises. Ces derniers jours (Avril-Mai 2007), une mission d'experts procèdent à des études pour la réfection des onze stades régionaux et au mois de Juillet 2007 démarreront les travaux du stade omnisport

de Pikine (Est de Dakar)54. Mais la compétition entre sociétés chinoises va permettre à l'État sénégalais de casser les prix car la CGC (China Geo-engineering Corporation) serait en passe de s'installer sur le territoire sénégalais où elle a d'ores et déjà réalisé des conduites d'eau sur 12 km : c'est une concurrente directe d'Henan Chine. Ces sociétés peuvent enfin profiter de l'expérience acquise dans ces pays africains : l'Afrique est un territoire expérimental pour ces futures grandes multinationales.

www.atepa.com www.senegal.free.fr

L 'Agence Nationale de la BCEAO (boulevard du général de Gaulle) à Dakar

et le stade Léopold Sédar Senghor (route de Yoff dans le quartier des Parcelles assainies):

deux réalisations chinoises au Sénégal

.

La pêche, le textile et le BTP sont les principaux secteurs économiques où la Chine et ses représentants sont implantés au Sénégal. Mais plus que ces derniers, ce sont les produits et marchandises originaires de Chine qui forment l'essentiel du pied a terre chinois dans la République d'Afrique de l'Ouest.

54 Le Soleil, http://www.lesoleil.sn/article.php3?id article=24247

53

Les produits made in China

La liste des marchandises issues du pays de l'Asie du Sud-Est est longue et en perpétuelle évolution. J'ai (en Annexe 1h, page 153) listé les produits relevés. J'ai tenté un classement de ceux qui apparaissent régulièrement, de ceux qui sont les plus recherchés et vendus. Ces articles sont proposés à la vente selon un ordre hiérarchique et décroissant. En haut de cette pyramide (carte I, page 55) je propose les fournisseurs et exportateurs chinois installés en RPC. Les importateurs chinois, sénégalais et libanais font transiter ces produits par conteneurs vers le Sénégal. A l'arrivée, les grossistes revendent en gros et semi gros aux détaillants. Eux-mêmes, les commerçants, échangent avec les bana-bana qui parcourront les rues de Dakar (voir photo ci- dessous). Les chalands pourront enfin négocier leurs achats une fois utilisés pour monnayer les marchandises d'occasions à certains vendeurs établis sur les trottoirs, ne proposant que ces produits d'occasion. Voici l'évolution des fabrications d'origine chinoise, les made in China. Les photos en Annexe 1h suite, page 154, représentent ces articles.

Femmes sénégalaises négociant les marchandises chinoises (échoppe du boulevard de

Gaulle) qu'elles revendront quelques heures ou quelques jours plus tard dans les rues et
quartiers de Dakar.

Le 15 février 2007.

Des faits sont indispensables à signaler tels : l'emploi systématique de jeunes hommes sénégalais servant de traducteurs et donc de vendeurs dans les commerces chinois55 (voir photo suivante). Souvent seuls, ils peuvent selon la taille de la boutique être jusqu'à trois. M'étant entretenu avec eux, ils déclarent pour la majorité aimer travailler avec les commerçants originaires d'Asie. Certains avouent être mieux payés (jusqu'à 50 000 FCFA mensuel - 76 euros, correspondant au SMIC sénégalais), d'autres autant que leurs confrères travaillant chez les Libanais (salaire se rapprochant du SMIC : un commerçant libanais affirme les payer jusqu'à 100 000 FCFA, 150 euros). Quelques uns d'entre eux diront tout de même qu'il est plus difficile d'oeuvrer pour eux, étant donné le volume horaire travaillé et le sens particulier qu'accordent ces commerçants au mot travail, différent dans les moeurs sénégalaises.

Également, la lutte au niveau de la Direction des Douanes contre la contrefaçon56. Un exemple est la pile. La Sigelec (Société industrielle de générateurs électriques) est en Mars 2007 au bord du gouffre financier. 300 emplois sont en jeu. Les piles contrefaites ont petit à petit grignoté

55 Ils sont employés pour faire la jonction commerciale entre les clients sénégalais et le propriétaire chinois. Ils vendent, assurent la sécurité et la surveillance de la boutique et parfois assurent les livraisons.

56 Annexe Ii, page 155.

ce marché. La cause : les importateurs sénégalais qui fabriquent en Chine de fausses piles. La conséquence : un tiers de production en moins et une main d'oeuvre remise en cause et soucieuse de son avenir au sein de cette société. Contrefaçon et fraude favorisent l'économie informelle.

Il n'y a pas que les piles. Canton (ou Guangzhou, capitale de la province du Guangdong, Sud-Est de la RPC) est la ville la plus africaine de Chine. Des milliers d'immigrants originaires de l'Afrique francophone, notamment, s'y sont installés. Textile, loueurs de DVD, ils sont intégrés. Les Chinois ont désormais adopté ces « diables noirs », à tel point que certains se reconvertissent dans la coiffure afro. Le système est le même qu'au Sénégal, à l'opposé : « les patrons sont africains, les vendeuses chinoises : « Tous mes clients sont africains. Ils ont davantage confiance si les vendeurs sont chinois », dit le jeune patron d'Africa Best Company, vente en gros de maillots d'équipes de basket américaines. ». De même, « pas la peine de parler mandarin, les calculettes remplacent les palabres » 57.

Il faut somme toute comprendre que l'économie informelle, ou « populaire58 » qui représenterait de 40 à 70 % de l'économie dite formelle, permet à des millions de foyers de vivre. Les commerçants chinois et leurs produits à bas prix permettent de créer des emplois directs (traducteurs-vendeurs) et surtout indirects (bana-bana, vendeurs installés devant la boutique, vendeurs de produits d'occasion : ils octroient un second salaire, féminin en majorité) et enfin amènent les prix à la baisse des biens de consommation courante et indispensables. À leur sujet (les bana-bana), il faut savoir qu'en décembre 2004, l'État sénégalais, dans le cadre de la promotion de la mobilité urbaine, a chassé les commerçants ambulants, ou bana-bana, du rond-point Petersen (gare ferroviaire)59.

Pour conclure, je vais mentionner certaines phrases, recueillies lors des entretiens, qui résument parfaitement certaines idées : « grâce à la concentration humaine, les produits sont pas chers et tout le monde est équipé [comprendre en Chine]. [...] C'est certain qu'ils sont de mauvaise qualité mais que veux-tu, les Sénégalais achètent et demandent des qualités toujours moins chers, alors les Chinois fournissent » ; « Comme je dis toujours, à Noël, tous les enfants peuvent avoir un cadeau, même s'il dure deux jours ! » 60.

Il est flagrant que ces consommateurs à revenus modestes accèdent avec ces produits à la société de consommation et plus largement à la mondialisation. Il est enfin également incontestable que Dakar et ses habitants, toute proportion gardée bien entendu, se sinisent.

57 Libération du 3 novembre 2006.

58 « Économie populaire » selon Oussynou Niang de l'UNACOIS-Def.

59 Voir l'annexe des citations, page 184.

60 Monsieur Yin et Monsieur Papa Nall Fall, président de la commission économique et financière (du Conseil National du Patronat) et responsable au Conseil de la République pour les affaires économiques et sociales.

Traducteurs-vendeurs sénégalais travaillant pour les Chinois propriétaires des commerces

situés sur le boulevard de Gaulle. Le 15 février 2007.

Les grands travaux de Abdoulaye Wade

L'ultime point abordé dans ce premier chapitre et cette partie économique est les grands travaux de l'ère61 Abdoulaye Wade. Le 10 juillet 2000 (date essentielle pour le Sénégal), le décret n° 2003-562 fixe « les règles d'organisation et de fonctionnement de l'Agence nationale chargée de la Promotion de l'Investissement et des Grands travaux (APIX) ».

Cette agence62 devient le guichet unique pour tout investissement étranger (centralisation des pouvoirs et moyens). Huit grands projets sont proposés et à l'étude : le nouvel aéroport international, l'autoroute à péage, la cité des affaires de l'Afrique de l'Ouest, le chemin de fer à écartement standard, le port du futur, le port minéralier de Bargny, la réhabilitation du port de Saint-Louis et l'exploitation des mines de fer du Sénégal Oriental (se reporter en annexe IIn page 158)

Ces projets amènent directement à diverses réflexions. Désenclavement de la capitale, rayonnement culturel mais aussi et bien sûr des financements considérables de ces possibles éléphants blancs... Qui va produire ces grands travaux est bien la question essentielle. Certains d'entre eux retiennent l'attention.

61 Élu en 2000 et réélu en 2007.

62 Annexe Ij, page 155.

Le nouvel aéroport international de Diass (Est de Dakar) doit déconcentrer la capitale. L'actuel aéroport Léopold Sédar Senghor se trouve au Nord-Ouest de la cité63. Un aéroport exige des structures adaptées : une empreinte au sol suffisante et des voies de communication correspondantes. Si des réserves émanent de l'opposition socialiste dont le leader est Ousmane Tanor Dieng (rentabilité d'un tel projet alors que l'aéroport actuel est déjà peu productif), je pense pour ma part que ce n'est pas totalement inutile et vain : gain de dizaines d'hectares reconvertibles en logements et désenclavement du Nord-Ouest de la capitale, si l'autoroute devant relier Diass à Dakar est réalisée dans de bonnes conditions. La directrice générale de l'APIX, Mme Aminata Niane64, en parlant du Sénégal, veut « faire de notre pays une zone géopolitique touristique en Afrique de l'Ouest »65 . Mais le journal Wal Fadjri rapporte des faits très intéressants66.

Cette affaire de corruption, fréquente au Sénégal (je peux ajouter indulgence inconvenante et clanisme), n'est pas isolée. Déjà, au commencement des travaux de l'autoroute à péage, le consortium Henan Chine et Jean Lefebvre Sénégal arrêtent les travaux suite à la révélation de l'affaire de Thiès : dans le cadre de la réhabilitation de Thiès, ville située à 70 km à l'Est de Dakar, de gargantuesques chantiers sont ouverts. L'enveloppe consentie par le président de la république, Maître Wade, est de 20 milliards de FCFA, plus de 30 millions d'euros. Idrissa Seck, maire de Thiès et premier ministre de l'époque, en 2004, doit rénover sa cité pour accueillir la fête de l'indépendance délocalisée selon les voeux du chef d'État. I. Seck détournera 26 milliards de FCFA (près de 40 millions d'euros). Il sera condamné par la Haute Cour de Justice pour atteinte à la défense nationale et à la sûreté de l'État. Mais c'est bien le Sénégal et sa classe politique qui en sortent perdants. S'en suit une atmosphère de doutes et de scepticisme quant aux autres chantiers.

Ce ne sont pas les seules mésaventures qui atteignent la Chine et ses Hommes installés au Sénégal, l'affaire dite des passeports sénégalais en est la preuve. Le 31 juillet 1998, le corps d'une Chinoise de 32 ans est découvert le long des berges de la Seine à Bonnières (Yvelines). Elle est enveloppée dans du tissu et des larges bandes de Scotch, à la manière d'une momie. L'autopsie révèle qu'elle est décédée de neuf coups de couteaux avant d'être égorgée. En octobre 1998, à Colombes (Hauts-de-Seine), une Chinoise de 4 ans est retrouvée dans les mêmes circonstances. L'analyse ADN révèle le lien de parenté entre ces deux victimes. La gendarmerie nationale découvre que deux jours auparavant la découverte de la mère,

63 L'aéroport étudie la possibilité d'une ligne directe Dakar-Beijing. Les Chinois sont donc obligés de transiter par Paris, Madrid ou Milan afin de se diriger vers Dakar. La ligne Shanghai-Dakar via Paris Charles de Gaulle semblerait la plus usitée.

64 Que j'ai tenté en vain de rencontrer.

65 L'Observateur du 21 décembre 2006.

66 Se reporter en annexe, page 184.

un promeneur avait repérer un sac rose contenant des documents en langue chinoise, une carte de Sécurité sociale, des idéogrammes porte-bonheur et un numéro de téléphone mobile. Ce numéro appartient à un habitant du « Chinatown » parisien dont l'appartement est loué par un couple, ayant une fille, et dont les murs ont été nettoyés. Ce sont donc la mère et la fille retrouvées dans la Seine. L'agence immobilière a photocopié leurs passeports, sénégalais. L'affaire judiciaire devient une affaire d'État car Dakar, lors de la rétrocession de Hong Kong à la Chine, en juillet 1997, crée un organisme « destiné à inciter des Chinois à investir au Sénégal », le Fonds de Développement Économique et Social, FODES). Pour investir, ils doivent, une fois à Dakar, recevoir un « passeport de service sénégalais » et régler « 20 000 dollars par personne ou par couple et 5 000 par enfant ». « Le FODES va brasser des centaines de milliers de dollars, [car] nombre de résidents cherchent à tout prix des papiers étrangers, pour échapper à l'emprise de Pékin [...] mais une partie - on évoque 600 000 dollars - se serait évaporée entre Hongkong et Dakar, provoquant une affaire d'État au Sénégal ». L'article67 conclu « la mort de Mary et Linda Chen est- elle directement liée à ces passeports ? [...] deux pistes : soit Boyson Wong et sa famille n'auraient pas remboursé l'argent avancé par la mafia chinoise pour l'achat des précieux papiers, soit ils étaient venus en France pour monter des « affaires » qui auraient empiété sur les activités d'une bande rivale. ».

L'état des lieux que je présente ici (cf carte B, page 16) est autant que je puisse le faire complet et détaillé. La principale entrave à la réalisation de ce premier chapitre est le manque et le sérieux des chiffres, données et informations recueillies. S'il est fréquent d'entendre et lire « le principal problème (en Afrique) est la fiabilité des chiffres », c'est malheureusement un a priori vérifiable dans mon cas.

Ces partenariats diplomatiques et économiques ne pouvant se réaliser sans les Hommes, je vais à présent décrire cette « diaspora » chinoise présente dans cet État de l'Afrique Subsaharienne qu'est le Sénégal68.

67 L'express du 16 janvier 2003.

68 Je dois préciser que certains éléments du premier chapitre seront repris et approfondis dans les chapitres et parties suivantes.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo