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La guerre dans la "heimskringla" de snorri sturluson

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par Simon Galli
ENS-LSH - M1 Histoire et archéologie des mondes chrétiens et musulmans 2008
  

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Rejeter la violence

Ce que nous venons de voir ne doit cependant pas laisser croire que, dans la Heimskringla, la pratique de la violence va de soi et qu'elle est universellement acceptée et réclamée. Le portrait d'Óláf le Gros comme roi-brigand par l'évêque Sigurð, que nous avons déjà évoqué, doit déjà nous en faire douter. Le voici dans son intégralité :

« Une grande multitude est maintenant assemblée ici, si grande qu'il n'y a guère de chances de jamais voir une plus grande troupe d'hommes nés ici, dans ce pauvre pays. Et cette grande troupe devrait vous [le « conseil » auquel Sigurð s'adresse] soutenir fermement. Il y en aura suffisamment besoin, si cet Óláf persiste à vouloir vous affronter. Déjà dans sa jeunesse, il s'habitua à voler et tuer des hommes, et en faisant ainsi voyagea loin et longtemps. Puis, finalement, il se tourna vers ce pays et commença par s'attirer l'inimitié des meilleurs et plus puissants des hommes, [dont] le roi Knút [le Grand], que tous sont par devoir tenus de servir. Il prit possession de ce pays qui lui est tributaire, et se comporta de même avec Óláf de Suède ; et il chassa le jarl Svein et le jarl Hákon de leurs propriétés patrimoniales. Mais le traitement le plus cruel fut celui que reçut sa propre parenté, lorsqu'il chassa tous les rois des provinces de l'Uppland ; quoique cela était sans doute justifié dans une certaine mesure, puisqu'ils avaient auparavant renoncé à leur fidélité envers le roi Knút et abandonné leur allégeance envers lui, tout en soutenant cet Óláf dans tous ses mauvais desseins. Après quoi leur amitié prit fin, comme l'on pouvait s'y attendre. Il les mutila, et s'appropria leurs terres, et détruit ainsi toutes les races princières du pays. Et vous savez probablement comment, par la suite, il traita les lendir menn : les plus éminents furent tués, tandis que beaucoup devaient fuir le pays à cause de lui. De plus, il alla partout, jusqu'aux recoins de ce pays, avec des hordes de brigands, incendia la campagne, et tua et vola les habitants. Qui, en vérité, parmi les hommes de marque présents ici, n'a pas une vengeance à tirer de lui pour les grandes pertes qu'il lui a infligées ? À présent, il vient avec une armée d'étrangers, dont beaucoup sont des gens de la forêt, des bandits de grand chemin, ou autres brigands. Pensez-vous qu'il sera enclin à vous bien traiter à présent, alors qu'il vient avec cette racaille, tandis que [auparavant] il a commis de telles déprédations alors que tous ceux qui l'accompagnaient le lui déconseillaient ? Je considère qu'il est sage de vous souvenir des mots du roi Knút, de ce qu'il vous a conseillé de faire si Óláf tentait de reconquérir le pays, de comment vous devriez maintenir la liberté que le roi Knút vous a promise : il vous a demandé de résister et de chasser de telles bandes de brigands. À présent, il est temps pour vous de leur tenir tête et d'abattre les mécréants pour l'aigle et le loup [afin qu'ils s'en nourrissent], laissant chaque homme là où il est tué, à moins que vous préfériez traîner leurs corps dans les bois ou les amas de cailloux. Que nul ne soit assez hardi pour les amener dans les églises, car ils ne sont qu'un ramassis de vikings et de malfaiteurs. » 3

Il apparaît immédiatement que ce n'est pas la violence en général qui est rejetée et condamnée, mais
celle de l'autre, dépeinte comme monstrueuse, tandis qu'est simultanément justifiée la violence que l'on

1 Ibid, pp. 618-619 ( HHarð. ch.55).

2 Ibid, p. 773 ( HHerð. ch.8).

3 Ibid, p. 505 (OH ch.218).

va faire subir à l'autre, et qui est pourtant extrême - allant jusqu'à refuser une sépulture aux cadavres. De telles ambivalences ne quittent jamais la Heimskringla, comme, là encore, ce que nous avons dit précédemment sur l'idéal de paix l'avait suggéré. Fondamentalement, elles se résument, à mon sens, à ceci : la violence est promptement proposée et couramment utilisée dans tout conflit 1, et cependant elle reste lourde de sens, elle ne se banalise pas pleinement, ni lorsqu'elle est proposée, ni surtout lorsqu'elle est, d'une manière ou d'une autre, condamnée. Voici un autre récit qui, je pense, en donnera un exemple éclatant ; il fait en quelque sorte pendant au discours de l'évêque Sigurð, car il a lieu après la bataille de Stiklestad, et a pour acteurs le roi Magnús le Bon, fils d'Óláf le Gros, le vaincu de Stiklestad, et Kálf Árnason, l'un des principaux opposants à Óláf, qui faisait partie de ses adversaires lors de la bataille, mais qui, ensuite, a participé à un retournement des principaux lendir menn en faveur de Magnús, qui est ainsi amené au pouvoir. Malgré cette nouvelle alliance entre le fils du vaincu et les vainqueurs, la mémoire de la bataille est encore vivace :

Peu de temps après, le roi Magnús se trouvait à un banquet à Haug, dans le Veradalr. [...] À cette époque, les choses avaient évolué de telle sorte que le roi se comportait froidement avec Kálf et honorait Einar [Þambarskelfir] le plus. Le roi dit à Einar : « Nous irons, tous les deux, à Stiklestad aujourd'hui. Je veux voir les vestiges de ce qui s'y passa. »

Einar répondit : « Ce n'est pas moi qui peux te le raconter. Que Kálf, ton père adoptif, aille avec toi. Il sera capable de te dire ce qui s'est passé là-bas. »

Ensuite, une fois les tables enlevées, le roi se prépara à partir. Il dit à Kálf : « Je désire que tu ailles avec moi à Stiklestad. » Kálf répondit qu'il n'y était pas obligé. Alors le roi se leva et dit d'un ton où pointait la colère : « Tu iras, Kálf ! ». Alors il quitta la salle.

Kálf s'habilla rapidement et dit à son serviteur : « Tu vas aller à Egg et dire à mes huskarlar d'apporter tous mes biens à bord du navire avant le coucher du soleil. »

Le roi chevaucha jusqu'à Stiklestad, et Kálf avec lui. Ils mirent pied à terre et allèrent au lieu où

la bataille avait été livrée. Alors le roi dit à Kálf : « Où est l'endroit auquel tomba le roi ? »

Kálf répondit, montrant l'endroit avec la hampe de sa lance. « Ici il était lorsqu'il tomba », dit-il. Le roi dit : « Et où étais-tu alors, Kálf ? »

Il répondit : « Ici, où je me tiens à présent. »

Le roi dit, et son visage était rouge sang : « En ce cas, ta hache a pu l'atteindre. »

Kálf répondit : « Ma hache ne l'atteignit pas. » 2

Après cet échange dramatique, Kálf, sentant bien le vent tourner, fuit la Norvège, tandis que Magnús « infligea de dures punitions à ceux qui avaient combattu contre le roi Óláf dans cette bataille. Il en exila certains, à certains il prit de grandes sommes d'argent, et pour d'autres encore, il fit abattre leur bétail » 3. Ces actions brisent le consensus par lequel les vainqueurs de Stiklestad avaient amené Magnús au pouvoir, et la rébellion menace d'éclater dans certaines parties du pays, de telle sorte que « les amis du roi » choisissent Sigvat le scalde, l'un des principaux fidèles d'Óláf le Gros, pour prévenir Magnús du danger qu'il court à procéder ainsi. Sigvat s'acquitte de sa tâche par un poème, les Bersoglivísur, qui exhorte Magnús à respecter les lois et à maintenir la paix 4. Snorri affirme alors que Magnús, écoutant ces conseils et consultant « les plus sages des hommes », établit un recueil de lois dit Grágás (« oie grise »). Intéressante suite de réactions et de contre-réactions à la violence, pour en arriver enfin au rétablissement d'une certaine stabilité... Il n'empêche qu'entre-temps, Magnús le Bon a pu venger Stiklestad. Et de son côté, Einar Þambarskelfir, qui n'avait pas, lui, participé à la bataille de Stiklestad, semble avoir fort bien manoeuvré pour éliminer, grâce au sang de saint Óláf, son concurrent, Kálf.

Pourquoi cet affrontement de passions - et de stratégies - autour des actes de violence ? Chez les
boendr, qui déclarent que « il [Magnús] risque bien de connaître le même sort que son père et d'autres
chefs, que nous avons tués lorsque nous nous sommes lassés de leurs excès et de leur irrespect des

1 SVERRE H. BAGGE, Society and Politics in Snorri Sturluson's Heimskringla, cit., p. 92.

2 SNORRI STURLUSON, Heimskringla. History of the Kings of Norway, cit., pp. 550-551 (MG ch.14).

3 Ibid, p. 552 (MG ch.15).

4 Ibid, pp. 552-554 (MG ch.16).

lois », l'on retrouve l'argument légal, joint intimement à la perspective de violence, que nous avons déjà discuté ; mais les punitions infligées par Magnús, de même que certains vers des Bersoglivísur - « jamais l'on ne vit un héros / piller en son propre pays » - font aussi bien voir qu'il s'agit, en même temps que de droit, de bétail et d'argent. Mais quelles peuvent être les raisons de Magnús, premier à rompre l'équilibre ? Venger son père, peut-être, mais en agissant contre quelqu'un qui est tout de même son père adoptif ; ou encore affirmer son autorité, après avoir été porté sur le trône par les anciens ennemis d'Óláf le Gros - tuer les pères politiques, en quelque sorte, en vengeant le père biologique ?

Je ne désire pas m'aventurer trop loin dans de telles conjectures ; elle me fournit cependant une bonne occasion de souligner que l'étude de la Heimskringla, comme d'ailleurs, serais-je tenté de dire, toute étude historique, requiert une certaine dose de casuistique et une certaine défiance envers les tendances essentialistes ; comme le suggèrent bien les exemples de l'évêque Sigurð et de Magnús le Bon, et d'autres encore que nous avons cités précédemment, le point de vue, la situation d'un locuteur- acteur sont déterminants. Si l'on tient à sortir de ce particularisme - qui est pourtant, en soi, un trait caractéristique notable - nous en sommes réduits à des observations fort générales ; et en premier lieu, à l'idée qu'à nouveau, la violence est un point d'équilibre précaire, un pivot, une pierre d'achoppement, comme elle l'est dans les discours sur le prince idéal, ce qui n'est d'ailleurs guère surprenant. À nouveau, la distinction entre « idéal » et « réalité » se trouve réduite, ce qui s'explique autant par le fait que les « réalités » décrites par un auteur ne peuvent en aucun cas échapper entièrement à ses valeurs, et plus largement à celles du groupe auquel il appartient, que par le fait que les « idéaux » ne sont pas des concepts éthérés, flottant à des lieues au-dessus des basses « réalités », mais qu'il s'agit de deux éléments qui se répondent sans cesse et se construisent l'un avec l'autre, ou l'un contre l'autre. La Heimskringla illustre fort bien cela, à mon sens, au vu de la manière dont elle entremêle sans cesse divers motifs, « concrets » et « symboliques », de manière inextricable.

Quant à expliquer, en termes généraux du moins, pourquoi la violence est un pivot dans les débats et les actes - ces deux éléments étant tout aussi liés - il me semble que les Bersoglivísur de Sigvat, justement, suggèrent bien la réponse : la violence est un élément de déséquilibre, en ceci qu'elle remet potentiellement en cause un certain nombre de liens sociaux. Il peut s'agir de liens entre les personnes : entre le roi et les boendr, comme le soulignent les Bersoglivísur, mais aussi entre parents, comme le montre la querelle entre Kálf Árnason et son fils adoptif, Magnús le Bon, ou l'épisode au cours duquel Harald le Sévère et son fils Magnús « en vinrent presque aux mains » 1. Il me semble inutile d'accumuler les exemples : il n'est pas, dans la Heimskringla, de lien qui ne puisse potentiellement être défait en raison de la violence, ni de relation qui rende la violence impensable. Mais outre les liens entre personnes, ce sont les droits, et notamment la propriété, que la violence menace, comme le montre là encore la querelle entre Magnús le Bon et les boendr, et les Bersoglivísur.

À ces observations, qui peuvent sembler excessivement banales, il faut apporter quelques précisions. Premièrement, il n'y a pas, à mon sens, de différence fondamentale, de ce point de vue, entre une guerre que nous appellerions « civile » et une expédition lointaine. Bien sûr, piller en Afrique, comme le fait Harald le Sévère, risque peu d'amener des querelles en Norvège. Mais notre définition d'une guerre civile est fortement liée au concept de nation, d'entité nationale unifiée ; or, l'existence d'une telle entité apparaît problématique dans la Heimskringla. Certes, Snorri parle sans cesse de « la Norvège » et des « Norvégiens ». Mais il est clair, si l'on suit son récit, que « la Norvège » est loin d'être une entité infailliblement définie : le meilleur exemple en est Harald à la Belle Chevelure, qui pille et massacre en « Norvège » justement pour unifier celle-ci - selon Snorri - puis, une fois cette Norvège construite, interdit tout pillage à l'intérieur de ce nouveau territoire. Pourtant, à ce sujet, Snorri, lorsqu'il résume le règne d'Óláf le Gros et ses actions les plus notables, dit : « Il avait été coutumier en Norvège que les fils des lendir menn ou les puissants boendr s'embarquent sur un

1 Ibid, pp. 638-639 ( HHarð. ch.72).

vaisseau de guerre et acquièrent des biens par le pillage, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays [utanlands og innanlands]. Mais Óláf, après être devenu roi, apporta la paix en abolissant tout pillage à l'intérieur du pays. » 1 À mon avis, s'il y a un sens à donner à ces interdictions répétées, c'est qu'il n'y a rien d'universellement défini comme « l'intérieur du pays » ; il n'y a pas de relations nationales significatives dans les conflits de la Heimskringla, seulement des relations personnelles 2, et avec elles, des définitions personnelles - et concurrentes - de ce qui peut être « l'intérieur » et « l'extérieur ». Ainsi, Óláf le Gros ne ferait que défendre son propre domaine, face aux pratiques d'autres grands qui n'ont pas la même conception des territoires. Ce n'est pas ce que décrit Snorri, qui présente plutôt l'action d'Óláf le Gros comme celle d'un roi de paix et de justice - encore que l'on peut douter qu'il croie lui-même à cette image 3 - mais il me semble que la saga de Harald à la Belle Chevelure, elle, le suggère bien.

Plus globalement, un certain nombre de catégories en apparence bien définies - comme par exemple la parenté - sont d'un usage irrégulier : parfois elles sont invoquées, parfois non, et le contexte précis semble alors jouer un grand rôle. En voici un bon exemple, dans ce passage où Svein Úlfsson accuse son allié Harald le Sévère de vouloir rompre l'accord passé entre eux pour s'opposer au roi Magnús le Bon :

Alors Svein dit : « Je croirai que ta bannière a cette vertu [d'apporter la victoire à celui qui la porte] si tu livres trois batailles contre le roi Magnús, ton parent, et remportes à chaque fois la victoire. »

Harald répondit assez vivement : « Je suis conscient de la parenté que nous partageons, Magnús et moi, sans que tu aies besoin de me la rappeler ; et je dirais qu'il serait plus convenable que nous [Magnús et moi] nous rencontrions autrement qu'en tant qu'ennemis. »

Svein changea de couleur et dit : « Certains disent, Harald, que tu es connu pour ne suivre, dans un accord, que la partie qui convient le mieux à tes intérêts. » 4

L'accusation de Svein ne semble pas tout à fait infondée : la déclaration de Harald vient immédiatement après l'évocation d'un accord de partage du pouvoir entre Harald et Magnús, tandis qu'auparavant, la parenté entre Magnús et Harald ne semblait avoir aucunement gêné ce dernier dans ses campagnes contre son parent.

Si ce sont les relations personnelles - manipulées dans un sens ou dans l'autre - qui comptent avant tout, il y a, bien entendu, peu de chances d'endommager un quelconque lien social en pillant des cités en Afrique du Nord ; mais il ne faut pas pour autant croire que les relations entre personnes s'arrêtent aux frontières de la Norvège. Ainsi, si une guerre entre le roi de Norvège et le roi de Danemark a potentiellement moins de chances de rompre des liens sociaux qu'une guerre intra-norvégienne, cette possibilité est loin d'être nulle, et ces dommages peuvent être profonds, qu'ils soient directs 5, ou indirects, comme lorsque Knút le Grand fomente des troubles intérieurs en Norvège dans le cadre de sa lutte avec Óláf le Gros 6, ou lorsque Þorgný le logsogumaðr menace son roi de violences, au nom des boendr, s'il refuse de faire la paix avec Óláf le Gros et de s'allier personnellement à lui par un mariage 7. N'oublions pas non plus la rhétorique de l'évêque Sigurð, qui, aussi spécieuse puisse-t-elle sembler, fait bien le lien entre les lointaines expéditions de pillage faites par Óláf le Gros dans sa

1 Ibid, p. 475 (OH ch.181).

2 SVERRE H. BAGGE, Society and Politics in Snorri Sturluson's Heimskringla, cit., p. 75.

3 Ibid, p. 145.

4 SNORRI STURLUSON, Heimskringla. History of the Kings of Norway, cit., p. 593 ( HHarð. ch.21).

5 L'on peut par exemple considérer la manière dont le duc Rognvald du Gautland, magnat suédois se trouvant en position frontalière au cous du conflit entre Óláf le Gros de Norvège et le roi Óláf de Suède, tente constamment de maintenir de bonnes relations avec Óláf le Gros, qui est aussi le parent de sa femme, et lui sert même d'allié intérieur : Ibid, pp. 298 (OH ch.67) ; pp. 301-302 (OH ch.69-70) ; pp. 316-318 (OH ch.78-79).

6 Ibid, p. 451 (OH ch.161).

7 Intervention liée aussi aux manoeuvres du duc Rognvald et de Bjorn le Maréchal, envoyé par Óláf le Gros pour amener une paix avec le roi de Suède. Ibid, pp. 319-321 (OH ch.80).

jeunesse, et ses déprédations à « l'intérieur du pays » après qu'il fut devenu roi 1.

Enfin, la pratique de la violence a ceci de notable que, tout en étant potentiellement destructrice de liens sociaux, elle sollicite ces derniers. Je veux dire par là que, s'il est possible de faire la guerre contre un parent, il est également possible - et sans doute plus courant - de faire la guerre aux côtés d'un parent 2. La pratique de la violence est donc, par excellence peut-être, un moment où le lien social est mis en actes, où il se manifeste, et, potentiellement, s'entretient. En voici un exemple fort parlant, extrait de la lettre que le roi Ingi Haraldsson est censé avoir envoyée, à trois ans, à son frère Sigurð, âgé de cinq ans, pour lui demander de participer avec lui à la lutte contre Sigurð Slembidjakn et Magnús l'Aveugle :

« À présent, nous considérons que moi et mes amis sommes plus proches que toi et tes amis des difficultés et dangers qui nous menacent tous les deux. À présent, sois donc assez bon pour me rejoindre aussi vite, et avec une armée aussi grande, que tu le peux ; et restons ensemble quoi qu'il arrive. À présent, il est notre excellent ami à tous deux, celui qui exprime l'avis que nous deux devrions toujours être en bon accord et nous tenir côte-à-côte en toute affaire. Mais si tu tardes à faire cela et refuses encore de venir malgré mon message pressant, comme tu l'as fait jusqu'ici, alors prépare-toi à me voir marcher contre toi avec une armée, et Dieu décidera entre nous ; car nous ne supporterons pas plus longtemps d'avoir à supporter de si grandes dépenses pour entretenir une armée, ce qui est ici nécessaire en raison des incursions adverses, tandis que tu reçois la moitié de toutes les taxes et autres revenus de Norvège. Que la paix de Dieu soit avec toi ! » 3

Là encore, l'on remarquera que la question financière n'est jamais loin ; mais cela ne retire rien à ce que nous disions sur le lien social, car, là encore, il n'y a aucune raison pour que celui-ci soit un principe éthéré, distinct des « basses » considérations d'argent. Cela ne change rien non plus à l'idée générale de la missive : « si tu es mon allié et mon frère, prouve-le en me soutenant militairement ! Et si tu refuses, c'est moi qui marcherai contre toi ! ». Admirable exemple de la manière dont la guerre peut solliciter le lien social : face à cette sollicitation, soit le lien cède, soit il tient et est confirmé, pour un temps du moins, comme c'est le cas entre Ingi et Sigurð.

1 Ibid, pp. 505-507 (OH ch.218).

2 Pour une discussion nuancée de cet aspect, cf. SVERRE H. BAGGE, Society and Politics in Snorri Sturluson's Heimskringla, cit., pp. 115-116.

3 SNORRI STURLUSON, Heimskringla. History of the Kings of Norway, cit., p. 744 (Ingi ch.8).

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