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La guerre dans la "heimskringla" de snorri sturluson

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par Simon Galli
ENS-LSH - M1 Histoire et archéologie des mondes chrétiens et musulmans 2008
  

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Problèmes conceptuels et lexicaux

Les « mots de guerre » de Snorri

L'un des éléments déterminants de toute étude historique, qu'elle porte ou non sur la guerre, est de décider du vocabulaire que l'on utilisera, des concepts avec lesquels l'on traitera la question que l'on pose, et surtout des limites que l'on établira entre eux ; en bref, de savoir comment l'on découpera sa réflexion, comment on l'organisera. Pour ce qui est de la guerre dans la Scandinavie altimédiévale, une étude, même courte et fort partielle, de l'historiographie montre à quel point ces questions sont importantes.

Ainsi, il n'est pas inintéressant de scruter de plus près les termes utilisés par Régis Boyer, qui a joué en France un rôle important dans cette réaction historiographique que j'évoquais en introduction, réaction aux vues romantiques, ou apparentées au mouvement Völkish, des Scandinaves comme surhommes et guerriers invincibles. Il parle de « dilemme [:] guerriers ou commerçants », qui « reprend vigueur, ici, en fonction de certaines opinions autorisées. Celle de G. Dumézil, par exemple, qui était convaincu qu'à partir du module indo-européen, les sociétés germaniques avaient évolué dans le sens militaire ». Idée qu'il met en question, ou plutôt renverse : « Si les Scandinaves semblent particulièrement doués pour l'organisation, faut-il en situer la raison dans le domaine militaire, social (les notions de service et de fraternité-camaraderie jurée) ou commercial ? J'ai déjà répondu [...] que l'évolution allait dans le sens commerce-guerre, et non l'inverse. » 1 Guerre ou commerce, donc : deux mondes séparés...

Plus près de notre sujet, S. Bagge, dans son ouvrage Society and Politics in Snorri Sturluson 's Heimskringla, dont j'ai déjà dit combien il était remarquable et intéressant pour l'étude de la Heimskringla, parle, à la fin de son chapitre sur les conflits, de deux « moyens de succès » (« means to success ») : « la guerre » et « la diplomatie ». « Le succès militaire est donc principalement un moyen d'acquérir du soutien politique », écrit-il. « Quelle importance a-t-il par rapport aux autres moyens ? La question peut être posée ainsi, dans les termes traditionnels des miroirs princiers contemporains : est-il plus important pour le prince d'être craint, ou d'être aimé ? » 2 Là encore, une bipartition.

Il y a enfin la solution évidente, traditionnelle en quelque sorte : s'en tenir, lorsque l'on prétend étudier la guerre, au champ habituel de l'histoire militaire, c'est-à-dire aux batailles, et éventuellement à l'organisation des troupes, aux vestiges d'ouvrages défensifs, aux doctrines stratégiques... Mais justement, et c'est heureux pour l'histoire militaire, elle a tendu, ces derniers temps, à s'ouvrir de plus en plus, à intégrer des éléments de plus en plus éloignés, en apparence du moins, de ce lieu évident, trop évident, de la guerre qu'est le champ de bataille. La contrepartie étant, pour reprendre l'expression de François Dosse, une histoire (militaire) en miettes. Mais, pour cette raison, il me semble nécessaire de manifester une certaine méfiance envers toute partition trop nette. Bien sûr, cette méfiance a ses limites, étant donné que l'on ne peut guère parler, ou écrire, sans faire appel à des

1 RÉGIS BOYER, Les Vikings : histoire et civilisation, cit., p. 93.

2 SVERRE H. BAGGE, Society and Politics in Snorri Sturluson's Heimskringla, cit., p. 97.

concepts, à des catégories, donc à des distinctions sémantiques qui sont toujours, presque fatalement, plus ou moins inadéquates. Et, si nous prenons une étude telle que celle de S. Bagge, que l'extrait que j'en ai cité ne laisse surtout pas croire qu'elle tombe dans un essentialisme primaire ; loin de là. S. Bagge nous suggère d'ailleurs une clef par laquelle il est toujours, ce me semble, opportun de passer pour tenter de résoudre ces problèmes conceptuels : le vocabulaire contemporain.

L'on aura remarqué que je me suis refusé, depuis le début de cette étude, à définir exactement ce que j'entendais par « guerre », et que j'ai employé des termes aussi vagues que « pratique de la violence », « actes guerriers »... Ce qui est une manière facile de contourner le problème. Mais je propose d'essayer à présent de le résoudre ; et, s'il peut paraître étrange de justifier une méthode à la fin d'un raisonnement, je procède ainsi parce qu'il me semble que la solution à ce problème conceptuel - que désigner par le mot de « guerre » - est un point d'arrivée, non un point de départ, comme je l'ai dit en introduction.

Nous avons longuement parlé, ci-dessus, de toutes sortes d'actes, de pratiques, de concepts liés de manière plus ou moins claire à la violence. Mais quels sont les mots que Snorri lui-même utilise pour parler de violence, pour parler de guerre ? Voilà la question à laquelle il faut apporter une réponse si nous voulons avoir quelqu'idée de ce qu'est la guerre pour Snorri, et de quoi il faudrait la distinguer - du commerce, de la diplomatie, de la paix ? Or la réponse à cette question, à mon sens, est toujours traversée du même paradigme : ce ne sont pas à des éléments isolés que nous avons affaire, mais à des mécanismes complexes, multiples, variables et fluides.

Le vieil-islandais, que l'on désigne couramment sous le nom de « vieux norrois », n'est pourtant qu'un sous-ensemble de cette langue norroise qui, elle-même, appartient à la famille des langues germaniques. Comme l'allemand d'aujourd'hui, le vieil-islandais est une langue agglutinante, qui forme une partie importante de son vocabulaire par combinaison de mots existants. Dans cette langue, l'un des mots qui pourrait se rapprocher de notre concept de « guerre », et qui est utilisé assez couramment par Snorri, est celui d'ófriðr, littéralement « non-paix » 1. Le terme peut entrer dans divers mots composés qui en détaillent le sens et surtout le concrétisent, ainsi de celui, également utilisé par Snorri, d'ófriðarmönnum (littéralement : « hommes de la non-paix » ; ennemis). Mais le terme d'ófriðr n'est utilisé que trente-huit fois dans le texte de la Heimskringla, ce qui est peu dans un ouvrage d'environ 260 000 mots et qui comprend autant de récits de combats.

Plus encore que sa fréquence, il est important de noter son usage : celui-ci est très variable, et s'éloigne parfois nettement de ce que nous avons l'habitude d'appeler « guerre ». Il lui arrive certes d'en être proche ; par exemple, les habitants de Konungahella, voyant une flotte faire voile vers la ville, croient d'abord qu'il s'agit du roi de Danemark, et qu'il n'a pas d'intentions hostiles, mais comprennent ensuite qu'il s'agit de pirates wendes : « alors ils virent immédiatement que cela signifiait qu'il y aurait ófriðr [sáu þá þegar að ófriður var] » 2. Snorri dit aussi d'Erling Skakki qu'il « était un excellent homme de guerre en cas d'ófriðr [hermaður hinn mesti ef ófriður var] » 3. Cependant, le terme apparaît également dans la bouche d'Harald le Sévère, au cours de son invasion de l'Angleterre aux côtés du jarl Tostig ; alors qu'il a déjà mené bien des actions hostiles, vaincu les jarlar Morkere et Wæltheow, pris la ville de York, Harald aperçoit au loin une grande armée qui approche. Il déclare alors : « Décidons à présent d'un bon et habile plan, car nous ne pouvons nous cacher [à nous-mêmes] qu'il y aura ófriðr, car il s'agit sans doute du roi [d'Angleterre] lui-même » 4. Snorri utilise toujours le même terme pour mentionner que les troubles causés par le meurtre d'Einar Þambarskelfir par Harald le Sévère 5 se calment : « alors l'ófriðr et l'agitation diminuèrent là-bas [dans le Trøndelag] [Settist þá niður þessi

1 RICHARD CLEASBY; GUDBRAND VIGFÚSSON, An Icelandic-English dictionary, cit., p. 659.

2 SNORRI STURLUSON, Heimskringla. History of the Kings of Norway, cit., p. 726 (MB.HG ch.10).

3 Ibid, p. 816 (ME ch.37).

4 Ibid, p. 652 ( HHárð. ch.88).

5 Ibid, p. 611 ( HHarð. ch.44).

ófriður og agi] » 1. Or, au sujet de ces troubles, Snorri avait auparavant dit : « Après la mort d'Einar, le roi Harald fut si fortement détesté pour cet acte que la seule raison pour laquelle les intendants du roi et les boendr ne l'attaquèrent pas ni ne lui livrèrent bataille [eigi atferð og héldu bardaga við hann] fut l'absence d'un chef pour lever l'étendard de l'armée des boendr » 2 ; et, dans la bouche d'Harald, ils sont décrits comme un « tumulte » [þys] 3. Enfin, ófriðr est surtout très utilisé par Snorri lorsqu'il évoque, sans les détailler, des troubles, des hostilités, un état de conflit entre deux personnes ou dans une certaine région 4.

Le terme d'ófriðr n'est donc pas du tout équivalent à ce que nous pouvons entendre quand nous parlons de « guerre entre tel ou tel pays » - ou de ce que Thucydide, par exemple, désigne dès les premiers mots de son ouvrage : « Cette histoire de la guerre entre les Péloponnésiens et les Athéniens [polemon tôn Peloponnêsiôn kai Athênaiôn] est l'oeuvre de Thucydide d'Athènes » 5. Il peut certes s'en rapprocher, mais les confondre mènerait à un grave contre-sens. Faut-il parler de « guerre » au sujet du mécontentement des habitants du Trøndelag envers Harald le Sévère, certes grave, mais qui n'en vient pas aux actes, ou au sujet des projets de vengeance non réalisés du roi Harald Gormsson ? Faudrait-il attendre que le même Harald le Sévère voie approcher l'armée du roi adverse et prononce le mot d'ófriðr pour considérer qu'il y a « guerre », alors que Harald a déjà livré plusieurs batailles, sans que Snorri fasse mention d'ófriðr ? De telles questions peuvent sembler ergoter excessivement sur les mots, mais je pense pourtant qu'il faut être particulièrement attentif que, derrière des mots aussi communs, et évidents pour nous, que celui de « guerre » se cachent des constructions conceptuelles - et historiques - qui ne correspondent pas forcément, loin de là, au vocabulaire et aux conceptions d'un autre auteur. Et l'étude de cas amène rapidement à douter de l'évidence des mots, ainsi que des frontières sémantiques que nous faisons passer entre tel terme et tel autre terme.

À nouveau, une rapide comparaison avec Thucydide peut, je pense, être éclairante : ce qu'il appelle « la guerre entre les Péloponnésiens et les Athéniens », et que nous dénommons « guerre du Péloponnèse », est, à lire Thucydide lui-même, une suite de rencontres, de conflits locaux, de jeux d'alliances, et globalement d'hostilités entrecoupées de trêves, soit forcées - à cause de l'hiver - soit convenues, notamment la paix de Nicias. Mais Thucydide, pour un certain nombre de raisons, analyse l'ensemble comme étant un seul conflit, conception dont nous avons hérité. Or, une telle méthode est bien différente de celle de Snorri. Snorri ne délimite jamais de périodes ou d'ensembles historiques ; il est, de ce point de vue, très descriptif. L'expédition d'Harald le Sévère en Angleterre en est un bon exemple : Snorri parle de la requête du jarl Tostig, qui demande à Harald « de l'aider à recouvrer son royaume en Angleterre » 6 ; du désir d'Harald « d'acquérir la possession de ce royaume » 7 ; de la levée ordonnée par Harald 8 ; du voyage et du débarquement en Angleterre, après quoi Harald « commença immédiatement à ravager [la région] et à se soumettre le pays [herjaði þegar og lagði landið undir sig] » 9 ; puis des diverses rencontres et actions qui aboutissent, enfin, à la défaite de Harald à la bataille de Stamford Bridge. Jamais Snorri n'utilise une expression qui s'approcherait de « la guerre entre la Norvège et l'Angleterre » - ce n'est d'ailleurs pas de cela qu'il s'agit - ou de « guerre entre

1 Ibid, p. 614 ( HHárð. ch.47).

2 Ibid, p. 612 ( HHarð. ch.44).

3 Ibid, p. 612 ( HHarð. ch.45).

4 Voir par exemple : « Après cela, il y eut encore ófriðr entre le roi Ingjald et le roi Granmar », Ibid, pp. 40 (Yngl. ch.38) ; « il y avait de nombreuses déprédations commises par des vikings dans cette province, et beaucoup d'ófriðr à l'intérieur des terres en Gautland, du temps du roi Eirík Emundarson », p. 83 ( HHárf. ch.28) ; « [Le roi Harald Gormsson] était fort en colère contre le roi Hákon [le Bon], qui avait mené des raids dans son pays, et la rumeur courut que le roi danois prendrait sa revanche ; mais rien n'en ressortit sur le moment. Mais lorsque Gunnhild et ses fils apprirent qu'il y avait ófriðr entre le Danemark et la Norvège [...] », p. 103 (HG ch.10).

5 THUCYDIDE, La Guerre du Péloponnèse, Gallimard, Paris, 2000, p. 35.

6 SNORRI STURLUSON, Heimskringla. History of the Kings of Norway, cit., p. 644 ( HHarð. ch.79).

7 SNORRI STURLUSON, Heimskringla. History of the Kings of Norway, cit.

8 Ibid, p. 645 ( HHarð. ch.79).

9 Ibid, p. 647 ( HHarð. ch.83).

Harald le Sévère et Harold Godwinson ». Pour nous, pourtant, il s'agit assez clairement d'une guerre. Mais, comme nous l'avons vu, il est dans la Heimskringla d'autres cas où il est beaucoup plus difficile de décider.

En dehors de ce terme assez vague - pour nous du moins - d'ófriðr, Snorri, lorsqu'il détaille les diverses actions guerrières qui peuplent la Heimskringla, utilise des mots plus ou moins descriptifs, mais toujours, en tout cas, trop précis pour correspondre à notre concept de « guerre ». Parmi le vocabulaire de Snorri, l'un des mots les plus importants, car très courant, est le verbe herja : « piller, dépouiller, ravager, prendre par force », qui peut aussi s'utiliser dans une expression telle que herja mönnum til Kristindóms : « forcer des hommes à [se convertir à] la chrétienté » 1. Sous des formes diverses, ce verbe est utilisé 173 fois par Snorri ; notablement plus fréquemment, donc, qu'ófriðr. Dans la Heimskringla, ce verbe peut désigner un certain nombre de choses, d'une expédition punitive entreprise par un roi contre une région rebelle 2 aux pratiques d'un viking en mer Baltique 3. Lorsqu'il est mis dans la bouche de quelqu'un, il semble souvent avoir un sens négatif 4 ; là encore, le discours de l'évêque Sigurð est un exemple remarquable, quoiqu'extrême : « si cet Óláf persiste à vouloir herja contre vous [ef Ólafur þessi ætlar enn eigi af að láta að herja á yður] ». Néanmoins, Sigurð semble préférer d'autres termes pour son portrait en noir d'Óláf le Gros : « voler et tuer des hommes [ræna og drepa menn] », « [il] parcourut le pays avec des hordes de brigands, incendia la campagne, et tua et vola les habitants [farið um land þetta með ránsflokkum, brennt héruðin en drepið og rænt fólkið] »... De plus, la poésie scaldique utilise aussi herja, ainsi dans ces vers de Þjóðólf : « le vif timonier [c'est-à- dire : le roi] nous dit de herja - / voilà du tumulte - en Danemark [Snar bað hilmir herja, / hér er skark, í Danmörku] » 5. Snorri détaille assez rarement en quoi consiste, exactement, l'action de herja, et lorsqu'il le fait, ce n'est rien qui ne s'écarte du résumé accusateur de Sigurð : incendier, tuer, voler. L'idée générale semble être de désigner le fait d'infliger des dommages volontaires dans une région, pour des raisons qui peuvent varier, alors que l'on traverse cette région avec une armée. Comme nous pouvons l'imaginer, les occasions n'en manquent pas, et, par sa forte présence, herja exprime clairement un aspect courant de la guerre. Néanmoins, bien des actions guerrières peuvent se faire sans herja, comme par exemple les « raids commando » ; et Óláf le Gros rejette, dans certaines circonstances, cette pratique. Peu avant Stiklestad, nous le voyons avancer pour cela des raisons idéologiques, dans un discours qui correspond bien à son image de roi bientôt saint 6 ; mais il est un autre exemple dans lequel Óláf ordonne à ses troupes de s'abstenir de piller pour des raisons, apparemment plus prosaïques, de temps 7.

Nous trouvons surtout dans herja le mot herr, dont nous avons déjà vu la possible polysémie - « foule, peuple, armée » - dont la présence est également très importante dans la Heimskringla, tant par lui-même - 446 occurrences - que par les nombreux mots auxquels il fournit une racine, à l'image d'herja. Il indique ainsi une troisième manière, qui semble être la plus courante chez Snorri, de désigner une activité guerrière : par association d'un acte avec un substantif désignant quelque chose qui s'utilise lorsque l'on fait la guerre. Les expressions telles que fara með her, « faire route avec une armée », ou koma með her, « venir avec une armée », assez courantes, illustrent bien ce procédé. D'Óðinn, il est dit : « lorsqu'il était dans une armée [þá er hann var í her], il montrait à ses ennemis un aspect terrible » 8 : « être dans une armée » - je traduis ici littéralement - exprime donc bien ici, semble-t-il, l'idée générale de « faire la guerre ». La racine her- permet également d'associer à un autre substantif une valeur guerrière : ainsi de herskip ou hermaðr, littéralement « navire d'armée » et

1 RICHARD CLEASBY; GUDBRAND VIGFÚSSON, An Icelandic-English dictionary, cit., p. 258.

2 SNORRI STURLUSON, Heimskringla. History of the Kings of Norway, cit., p. 112 (HG ch.18).

3 Ibid, p. 79 ( HHárf. ch.24).

4 Voir également le passage de la saga de Hákon le Bon que nous venons de citer, Ibid, p. 112 (HG ch.18).

5 Ibid, p. 571 (MG ch.33).

6 Ibid, p. 496 (OH ch.205).

7 Ibid, pp. 467-468 (OH ch.176).

8 Ibid, p. 10 (Yngl. ch.6).

« homme d'armée », que nous traduirions, bien sûr, par « vaisseau de guerre, homme de guerre ». Cette racine est un puissant moyen sémantique d'association à une activité guerrière, comme le montre par exemple le terme de herferð, « expédition guerrière » (ferð signifiant « voyage). Notons au passage qu'il n'est pas de mot pour désigner quelqu'un qui ferait de la guerre son métier, ni, semble- t-il, de personne qui soit dans ce cas. Si l'on est un hermaðr, alors l'on est « combattant », plus ou moins temporairement, mais il s'agit d'une occupation ponctuelle, d'une capacité, non pas d'un titre ou d'un statut. Certains statuts impliquent une fonction guerrière (hirðsmaðr, huskarl) mais ne s'y résument pas.

De plus, malgré l'importante fréquence du mot herr, les mêmes limites s'appliquent toujours, et il est dans la Heimskringla des actions guerrières qui se font sans herr : soit que l'idée d'armée n'y soit pas nécessaire - comme pour les expéditions vikings ou les « raids commando » ; soit que le terme de herr soit remplacé par un synonyme. À cet effet peut notamment intervenir le terme, bien plus courant encore - plus de mille occurrences - de lið ou liði ; mais, comme herr, il est, en théorie, polysémique. En fait, Snorri semble réserver herr et lið aux usages clairement en rapport avec la guerre, préférant fjölmenni - « foule » - pour désigner un groupe de gens qui ne sont pas clairement organisés dans un but guerrier, comme par exemple les Norvégiens qui fuient vers l'Islande suite à la prise de pouvoir d'Harald à la Belle Chevelure 1. Cependant, fjölmenni peut également apparaître dans des contextes ambigus : « Ragnfröð déplaça sa flotte vers le sud, doublant le cap Stað, car il craignait les troupes terrestres [landher] et qu'elles se joignent au jarl Hákon [Sigurðarson]. [...] Il eut avec lui un grand fjölmenni cet hiver. Et lorsque le printemps vint, il convoqua un leiðangr et rassembla un grand lið. » 2 Cet exemple montre bien le lien - mais aussi les possibles nuances - entre ces termes 3...

Étudier tous les mots en rapport avec la guerre utilisés par Snorri serait trop long, et le raisonnement étymologique ou sémantique ne doit pas, je pense, être poussé trop loin, car la sur-interprétation est aisée. Mais voici ce qu'il faut, à mon sens, retenir comme idées générales : premièrement, que pour associer quelque chose - une personne, un objet, et surtout un acte ou une suite d'actes - avec la guerre, Snorri n'utilise pas de concept synthétique et se suffisant à lui-même, comme nous pouvons le faire en disant « il fit la guerre » ou « ce fut la guerre » ; l'utilisation d'ófriðr peut être comparable - « il y avait ófriðr entre le Danemark et la Norvège » - mais n'équivaut pas à ce que nous appelons la guerre, et surtout, est peu courante chez Snorri. Beaucoup plus courante est l'association à un acte de guerre (comme herja) ou à un objet ou moyen de guerre (comme herr, lið, leiðangr...). En conséquence, il y a un champ lexical de la guerre, mais pas de concept qui l'unifie, pas de mot, justement, pour dire qu'il s'agit du vocabulaire de la « guerre », ou de la « violence ». Cela indique, à mon sens, une idée beaucoup plus concrète que conceptuelle de la guerre : « faire la guerre » c'est en fait « marcher avec une armée », ou « piller une région », ou encore « incendier et tuer », en utilisant « une armée », « des vaisseaux de guerre » ; c'est encore, si l'on traduit littéralement certaines expressions, « tenir un jour-de-bataille [halda bardaga] » 4, « être un grand homme-de-jour-de-bataille [mikill bardagamaðr] » 5, « être avide-de-meurtre [morðfíkinn] » 6, « être un homme-de-combat [vígamaðr] » 7 ... Cela suppose aussi, et c'est là le deuxième point important, que l'association à la « guerre », ou à la « violence », peut prendre bien des formes, et peut être assez aisée, ou ambiguë, beaucoup plus, en tout cas, que si nous étions en présence d'une entité bien définie - « la guerre », d'un acte univoque - « faire la guerre », d'un corps clairement constitué et organisé - « l'armée ».

1 Ibid, p. 76 ( HHárf. ch.19).

2 Ibid, p. 157 (OT ch.17).

3 Cf. également Ibid, pp. 260 (OH ch.22) et pp. 417-418 (OH ch.138).

4 Ibid, p. 373 (OH ch.112).

5 Ibid, p. 670 (MB ch.4).

6 Ibid, p. 157 (OT ch.18).

7 Voir, par exemple, cet intéressant portrait du prêtre Þangbrand : « C'était un homme très arrogant et un vígamaðr [donc : « prompt à la violence, au meurtre »], mais en-dehors de cela, un bon clerc et un homme vaillant [maður vaskur] ». Ibid, p. 209 (OT ch.73).

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984