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La guerre dans la "heimskringla" de snorri sturluson

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par Simon Galli
ENS-LSH - M1 Histoire et archéologie des mondes chrétiens et musulmans 2008
  

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Possibilités conceptuelles

Figure 2 : opposition-exclusion

C'est avec ces observations en tête que je propose à présent de tenter de déterminer quelles partitions conceptuelles adopter pour considérer « la guerre » dans la Heimskringla. La première possibilité, la plus intuitive, celle que suggèrent les passages que nous avons cités plus haut, est celle d'une opposition entre « la guerre » et « la paix », ou « le commerce », ou encore « la diplomatie » - possibilités rassemblées ici (figure 2) dans l'ensemble « paix ». Entre ces deux ensembles, il y aurait opposition et exclusion mutuelles - la guerre est la non-paix, la paix est la non-guerre.

Figure 3 : opposition-
inclusion réciproque

Une deuxième possibilité qui correspond également à l'idée d'une bipartition, mais d'une bipartition
moins nette, reviendrait à figurer « la guerre » et « la paix » comme deux
ensembles encore unifiés, encore s'opposant, mais s'entrecroisant
néanmoins en partie (figure 3). L'existence de cette zone frontalière serait
justifiée par divers cas difficilement classables : ainsi, si nous adoptons
une bipartition entre « guerre » et « diplomatie », où ranger, par
exemple, l'acte de Hálfdan le Noir, qui, après la mort du père de sa
femme Ragnhild, le roi Harald, puis de Harald, fils de Hálfdan et de
Ragnhild, que le roi Harald avait nommé son successeur, « fit route vers
le nord jusqu'à Sogn avec une grande troupe [ferð sína með miklu liði]. Il
y fut bien reçu. Il réclama le royaume en tant qu'héritier de son fils, et
aucune résistance ne fut faite à cela » 1. Hálfdan en appelle à son droit...
mais avec « une grande troupe » à ses côtés, ce qui ressemble fortement à ce que l'on aurait appelé, au
XIXè siècle, la « diplomatie de la canonnière » 2. Quant à opposer « guerre » et « commerce », la
Heimskringla offre un magnifique exemple d'expédition commerciale vers le Jamtaland (la Permie)
qui se transforme, une fois la trêve conclue avec les habitants expirée, en expédition de pillage 3. Nous
pourrions certes considérer qu'il s'agit là de deux moments distincts, et y voir un exemple de
l'« évolution commerce-guerre » dont parle R. Boyer ; mais il faut également considérer qu'à la fin de
l'expédition, Þórir le Chien, qui en est partie prenante, tue l'un de ses associés, Karli, homme du roi
Óláf le Gros et l'une des personnes impliquées dans la mort d'Ásbjorn Selsbani, que Þórir, comme
nous le savons, avait reçu pour mission de venger. Et Snorri suggère, dès le début, que Þórir, sous
prétexte de participer à l'expédition aux côtés de Karli, compte bien trouver par là un moyen de lui
nuire, et fait d'ailleurs en sorte d'avoir une force nettement plus importante que celle de ses associés 4.
L'expédition entre ainsi dans l'histoire de la longue hostilité entre le roi Óláf le Gros et certains des
plus grands magnats norvégiens - ce qui explique d'ailleurs qu'elle soit autant détaillée par Snorri.
Autres éléments qui brouillent la frontière entre « guerre » et « commerce » : la pratique assez
répandue, que nous avons déjà évoquée, de collecter des renseignements auprès des marchands de
passage, et la stratégie qui en découle, mise en place par Erling Skakki, qui interdit tout départ de
navire marchand du port de Bergen, où il se trouve avec son armée, dans le double but d'éviter la
diffusion d'informations et de faire en sorte que l'ennemi ne puisse avoir accès aux marchandises
transportées par les navires ; puis, plus tard, il lève son interdiction, causant un départ en masse de
navires, mais non sans avoir fait en sorte qu'ils répandront à leur insu de fausses rumeurs et
tromperont ainsi son adversaire 5. Grâce à cette stratégie, Erling prend la flotte de Hákon aux Larges

1 Ibid, p. 53 (HS ch.3).

2 Pour un exemple de réflexion conceptuelle sur la diplomatie de la cannonière, l'on peut consulter ROBERT MANDEL,
«The Effectiveness of Gunboat Diplomacy», International Studies Quarterly, vol. 30, 1, 1986 (accessible via JSTOR).

3 SNORRI STURLUSON, Heimskringla. History of the Kings of Norway, cit., pp. 403-408 (OH ch.133).

4 Ibid, p. 403 (OH ch.133).

5 Ibid, p. 793 (ME ch.5).

Épaules par surprise, vainc Hákon et le tue 1. Exemple remarquable où la guerre joue contre le commerce, mais se sert - et donc intègre - également ce même commerce.

Figure 4 : opposition-inclusion
unidirectionnelle

Une troisième possibilité serait de considérer que « la paix », et avec elle des relations entre individus telles que « le commerce », « la diplomatie », ou encore « l'amour », est l'état normal d'une société, que la guerre vient perturber, mais sans jamais l'oblitérer entièrement, car elle intégrerait des éléments qui lui seraient extérieurs et appartiendrait à l'état « normal » de la société. Ce serait une manière de concilier ce que nous avons vu sur l'intervention de structures qui ne sont pas exclusivement « guerrières » dans « la guerre », avec cette idée que peut sembler contenir le terme d'ófriðr, la « non-paix », les troubles. D'où un schéma d'opposition, toujours, entre deux entités, mais où l'une inclut une partie de l'autre (figure 4). Une telle idée permettrait également d'expliquer pourquoi les guerres scandinaves altimédiévales ne sont jamais des « guerres totales », mais intègrent, comme nous le verrons bientôt, un certain nombre d'éléments modérateurs. Cependant, cette idée a plusieurs défauts : d'une part, je l'ai dit, le terme d'ófriðr me semble trop peu présent chez Snorri - et trop polysémique - pour que l'on puisse se fonder beaucoup sur lui ; d'autre part, c'est oublier ce que nous avons vu sur les deux faces que semble posséder la sollicitation du lien social par la guerre - remise en cause ou renforcement.

Figure 5 : combinaison-subordination

Chacune de ces trois possibilités a ses qualités, mais toutes restent, à mon sens, insatisfaisantes ; et, pour aller plus loin, la réponse réside, je pense, dans le fractionnement de chaque entité, et surtout de « la guerre », en plusieurs parties constitutives qui ne sont pas unies de manière fixe et nette au sein d'un même concept, et ceci, afin de rejoindre nos précédentes observations sur le vocabulaire de la « guerre » chez Snorri. La première solution en ce sens est de s'appuyer sur l'observation de S. Bagge : « Le succès militaire est donc principalement un moyen d'acquérir du soutien politique. Quelle importance a- t-il par rapport aux autres moyens ? » 2 Nous avons nous- même beaucoup insisté sur la notion de « démonstration » au cours de notre étude, et avons plusieurs fois suggéré que la guerre n'est pas faite « pour elle-même » dans la Heimskringla - ce qui serait d'ailleurs bien surprenant - mais est bien, comme le dit S. Bagge, un « moyen de succès » parmi d'autres, succès qui passe, selon moi, le plus souvent par la démonstration. Si, donc, nous nous plaçons dans la perspective d'un locuteur-acteur, de quelqu'un qui met en place une stratégie pour acquérir du pouvoir, nous avons à notre disposition une série de « moyens de succès » fort divers, comme par exemple la générosité, le pillage d'une région, la mise en valeur d'exploits guerriers personnels, la mise

1 Ibid, pp. 795-796 (ME ch.7).

2 Ibid, p. 97.

en valeur d'une oeuvre de bâtisseur, etc. Ces moyens pourraient certes se ranger, grâce à une étude globale de la Heimskringla et à l'établissement de tendances générales, en groupes : « moyens de paix » et « moyens de guerre », ou plutôt, pour reprendre la bipartition que S. Bagge fonde sur les miroirs princiers, « moyens de se faire aimer » et « moyens de se faire craindre ». Il est cependant bien entendu que c'est nous qui construisons ces ensembles à partir de notre lecture et de notre interprétation de Snorri, et non Snorri qui les explicite ; je pense, de plus, que nous serons toujours confrontés à certains cas, limites certes, mais importants à considérer, où il est fort difficile de décider de l'appartenance à un groupe ou à l'autre - par exemple l'« expédition diplomatique » de Hálfdan le Noir 1, par laquelle il semble se faire craindre et aimer à la fois, quoique l'amour y joue peut-être un rôle plus important que la crainte. Le point important de ce schéma, cependant, est que de telles distinctions sont finalement secondaires par rapport au facteur explicatif principal qu'est l'objectif des diverses stratégies construites : la démonstration, et au-delà, comme le dit S. Bagge, le succès. Il y a donc combinaison et subordination (figure 5).

Figure 6 : combinaison-perception

Mais, justement, en procédant ainsi, nous interprétons, nous créons une grille de lecture, nous établissons des tendances générales, ce qui est à la fois nécessaire et problématique. C'est pourquoi je pense qu'il est nécessaire d'envisager une dernière possibilité afin de tenter de prendre en compte le point de vue d'un individu se trouvant dans une situation particulière à un moment précis. Il se trouve face à un certain nombre d'éléments perçus, qui appartiennent, plus ou moins nettement, au domaine de la « paix » ou à celui de la « guerre ». De ce point de vue, la Heimskringla semble faire, le plus souvent, une étrange dichotomie : lorsque certains se plaignent de troubles ou de problèmes, comme nous avons vu Þorgný le logsogumaðr 2 ou les boendr de Vík le faire 3, ce n'est souvent pas en référence à un acte ou une expérience précise ; par contre, lorsque Snorri rapporte, par exemple, le ravage d'une région, il est rare que ceux qui l'ont subi s'expriment par la suite sur le fait. L'important est qu'il s'agit, en tout cas, de perceptions : ce qui est « vraiment » arrivé est secondaire. Certes, certains éléments paraissent fort peu équivoques, comme d'incendier les habitations d'une région ; mais par ailleurs, nous avons vu quels enjeux peuvent peser sur la perception - et la description - d'un élément. Et ceci, soit après coup, comme dans le cas de la bataille de Stiklestad, entre défense contre un meneur de brigands dans le discours de l'évêque Sigurð, et rébellion contre un roi juste et saint dans la position adoptée par Magnús le Bon ; soit même, et c'est peut-être le plus important, sur le moment. C'est pourquoi, dans le schéma ci-contre, j'ai jugé utile d'utiliser non plus deux ou trois types de figurés, mais une palette plus large, figurant une palette plus large encore de nuances entre les éléments que les individus, les locuteurs-acteurs qui sont en même temps spectateurs, peuvent tenter de tirer vers divers extrêmes du nuancier, avec plus ou moins de facilité et de possibilités, selon les éléments qui sont à leur disposition. L'exemple à considérer, pour comprendre l'utilité de ce modèle à nuances de gris, est le dialogue entre Óláf le Gros et Erling Skjálgsson lorsque ce dernier vient, avec une importante troupe, libérer Ásbjorn Selsbani 4. Óláf, dès le début, tire assez clairement la description de la situation du côté de la « guerre » en parlant d'« armée [her] », de « troupe [lið] », d'« intimider », et plus généralement en suggérant qu'Erling est

1 Ibid, p. 53 (HS ch.3).

2 Ibid, p. 299 (OH ch.68).

3 Ibid, pp. 320-321 (OH ch.80).

4 Ibid, pp. 385-386 (OH ch.120).

de toute façon venu imposer sa volonté par la force, et que c'est hypocrisie de sa part que de prétendre vouloir trouver un accord avec lui, Óláf. Discours qui est cohérent avec la position d'un roi voyant l'un des plus puissants magnats de son royaume agir contre lui. Erling, lui, dans un premier temps, refuse cette interprétation, insiste sur sa volonté d'être réconcilié avec le roi Óláf, et prétend s'en remettre à sa décision. Par contre, dans un second temps, face à l'hostilité que lui montre toujours Óláf, Erling en vient lui aussi à des paroles menaçantes et à un registre d'affrontement entre lui et Óláf. Ici nous voyons toute la complexité de la tâche : décider de ce qui est « guerre » et de ce qui est « paix » - ou « diplomatie » - signifie défendre son point de vue d'une situation contre d'autres ; c'est un enjeu, non seulement personnel et conceptuel, mais aussi politique.

Un dernier mot, cependant : aucune des possibilités envisagées n'est, je pense, fondamentalement incorrecte, et aucune d'entre elles n'apporte de solution complète et définitive. Là aussi, tout est question de point de vue : le degré de pertinence de l'un ou l'autre de ces modèles dépend, d'une part du passage étudié, d'autre part de ce que nous cherchons, nous, lecteurs de la Heimskringla. Du point de vue du sens général de l'oeuvre, la figure 5, bâtie principalement autour des observations de S. Bagge, est sans doute la plus satisfaisante ; mais elle peut ne pas convenir à l'analyse de certains cas, qu'il me semble trop aisé de classer simplement comme « hors-norme ». De même, si la figure 6 correspond fort bien au dialogue entre Óláf le Gros et Erling Skakki, ou aux « enjeux de mémoire » autour de la bataille de Stiklestad, situations où plusieurs points de vue se font concurrence, d'autres modèles, y compris la figure 2, peuvent convenir à la lecture d'autres discours, par exemple les Bersoglivísur, qui se rapprochent assez d'un miroir princier, et disent en substance à Magnús le Bon : « tu causes des dommages et pratiques la violence dans ton propre pays, ce qui est mal ; un roi devrait plutôt maintenir les lois, assurer la paix et la prospérité » 1. Mais les Bersoglivísur, comme tout discours, sont elles-mêmes issues d'une situation particulière, et d'un individu.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe