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L'enseignement spécial, des "anormaux d'école" aux "anormaux d'emploi"

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par Sharon Geczynski
Université Libre de Bruxelles - Diplôme d'études spécialisées en Sciences du Travail 2003
  

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L'ENSEIGNEMENT SPECIAL, DES « ANORMAUX D'ECOLE »
AUX « ANORMAUX D'EMPLOI ».

INTRODUCTION GENERALE

L'enseignement special est presente par les specialistes et acteurs de terrain (enseignants, directeurs d'ecoles et psychologues) comme une structure composee de petites classes permettant une meilleure prise en charge des enfants dits en difficulte scolaire. Certains enfants, qui au debut de leur parcours scolaire, n'atteignent pas le niveau exige, sont orientes vers cette filiere. Theoriquement, il s'agit de donner la possibilite a ces enfants de

« se remettre a niveau », de « rattraper leur retard » afin de reintegrer l'enseignement general a la fin de l'enseignement primaire.

Les parents ne desirent pas, au depart, inscrire leur(s) enfant(s)1 dans ce type d'enseignement perçu comme une ecole pour «handicapes mentaux ».

Les professionnels de l'enseignement special les rassurent par l'explication des objectifs de cette filiere et surtout par l'assurance que leur(s) enfant(s), grace a une meilleure prise en charge, pourra rejoindre l'enseignement general et avoir les memes chances que les autres d'acceder a une formation qui mene a un metier.

Pourtant des recherches ont mis en evidence les incoherences du discours scientifique par rapport aux « anormau x d'ecole », les aberrations des tests de depistage des « deficients legers » et surtout la difficulte de cerner la notion « d'inadaptation scolaire ». Tantot type 1 (arrieration mentale legere ), tant+t type 3 (troubles caracteriels, troubles de la personnalite) ou encore type 8 (troubles instrumentau x), c'est a l'issue d'un test multidisciplinaire que ces enfants obtiendront l'attestation qui determinera leur type de handicap intellectuel et leur type de carriere scolaire et professionnelle.

L'emergence du phenomene de l'enfance intellectuellement deficiente est liee a l'instauration de la scolarite obligatoire, ayant revele la presence dans le milieu scolaire d'un certain nombre d'eleves qui « suivent » pas.

1 Certaines familles de milieux populaires comptent parfois plusieurs de leurs enfants dans cette filiere.

Cette epoque, a la charniere du 19eme siecle et du 20eme siecle, est egalement une periode de mutations economiques, la naissance de « la grande entreprise » rendant urgente la connaissance de techniques et la formation de travailleurs. Elle offre a l'analyse une masse considerable de documents oil les fonctions sociales des institutions s'e xpriment sans ambages. La science et la morale sont indissociables dans une perspective qui fait de la« Grande Entreprise » l'incarnation du progres. Du besoin de creer « une filiere a part » pour les « anormaux d'ecoles », autrement dit les debiles legers « educables », va naitre le projet de l'enseignement special.

Ce projet va prendre de l'ampleur parce qu'il est intimement lie a la conception de l'epoque selon laquelle les pauvres ne sont plus ces indigents a qui il faut offrir la charite mais des personnes qu'il faut eduquer, civiliser et surtout contrOler pour eviter qu'ils soient nuisibles a la societe.

L'institution de l'obligation scolaire, en donnant acces a l'ecole aux couches les plus defavorisees de la societe, qui reveler une « espece d'ecolier » qui ne profitent pas de l'enseignement qui est dispense dans les classes primaires. Dans les ecoles, les instituteurs, habitues a un public homogene, sont confrontes a des enfants qui sont « refractaires au regime scolaire ordinaire », dont nombre d'entre eu x ont, a leurs yeu x, herites de l' « amoralite » du milieu duquel ils sont issus. Afin de regler ce probleme et de ne pas « contaminer » les eleves de « bonne famille », ils font appel aux pouvoirs publics, qui, a leur tour, font appel a des specialistes dont la figure emblematique est Alfred BINET (voire encadre sur l'importance de l'ceuvre d'Alfred BINET p. 14).

Alfred BINET et son collaborateur Theodore SIMON vont voir l'echec scolaire comme un symptOme de deficience intellectuelle et les enfants comme le contingent dans lequel pourront etre recrutes les « anormaux d'ecoles » necessitant un enseignement specialise. Leur travail marquera les developpements ulterieurs de l'enseignement special et deviendra une reference en la matiere.

Dans un contexte oil le contrOle social est la priorite des pouvoirs publics, Alfred BINET apparait comme un progressiste car malgre le conservatisme de ses contemporains, il prone l'educabilite de ceu x qu'il qualifie d' « anormau x d'ecole ». Ce n'est pourtant que cinquante ans plus tard, apres l'e xplosion scolaire qui suit la fin de la deu xieme guerre mondiale, que ses conceptions seront finalement mises en pratique.

aujourd'hui. Les echecs scolaires tendent encore a etre systematiquement interpretes comme des symptomes de perturbations psychologiques.

Sous le couvert d'une « neutralite scientifique », l'arsenal medico-
psychologique contribue a occulter l'origine sociale des enfants orientes vers l'enseignement special.

Cette recherche se propose de mettre en relations les discours fondateurs des classes pour « anormaux d'ecole » et ceux des professionnels de l'enseignement special aujourd'hui afin de nous interroger sur les fondements ideologiques de la notion de debilite legere.

Nous nous interrogerons sur les criteres qui president a l'orientation des enfants vers l'enseignement special.

L'evaluation de la gravite d'une inadaptation revelee par le milieu scolaire est pleine d'ambiguites, d'autant plus que la plus grande partie de l'enseignement special est constitue d'enfants dits « debiles legers » -- deficients intellectuels, caracteriels et troubles instrumentaux -- a l'intelligence dite normale.

Nous nous efforcerons de repondre aux questions suivantes :

Quelles significations donne t-on a l'inadaptation scolaire ? Sur quelles bases ces enfants sont-ils catégorisés "débiles légers"? Quelles pratiques met-on en ceuvre pour remédier a ces "inadaptations scolaires" ? L'enseignement spécial correspond t-il a leurs besoins ou renforce t-il la discrimination dont ils ont déjà été l'objet dans l'enseignement ordinaire? Cet enseignement va t-il permettre a ces « inadaptés » de « rattraper leur retard » pour réintégrer l'enseignement général et avoir les memes chances que d'autres d'accéder a un métier? Quelles sont les procédures de décisions ? Quelle est la marge de manceuvre des parents? Quelle est le devenir de ces enfants?

PRESENTATION DE LA DEMARCHE

L'enquete a debute alors que nous participions a un projet de recherche sur le parcours scolaire des enfants issus des quartiers populaires a l'initiative de l'INSTITUT DE LA VIE. Une des activites de cette association concernait les populations defavorisees, et plus particulierement les meres et leurs enfants, dans une perspective de lutte contre l'e xclusion sociale.

Le Centre d'accueil2de cette association, cadre convivial a l'image des Maisons Vertes de Francoise Dolto, est situe dans un quartier dit « difficile » de l'agglomeration bruxelloise et les femmes qui le frequentent habitent le quartier et sont en grande partie issues de l'immigration turque et marocaine. Ce lieu propose une rencontre et un partage d'e xperiences de femmes, autour d'interets communs et un espace oil les enfants, en bas age, peuvent jouer avec d'autres sous les regards de leurs meres.

L'appropriation du lieu par les femmes et les enfants ainsi que la longue presence sur le terrain d'une des animatrices, avaient reussi a creer un climat de confiance. Le parcours scolaire des enfants s'est revele etre une des preoccupations majeures de ces femmes qui, pour la plupart d'entre elles, connaissent peu le fonctionnement du systeme scolaire, ses differentes filieres et ses debouches. Rapidement, nous nous sommes heurtes a la problematique de l'enseignement special. Notre etonnement fut grand lorsque plusieurs femmes evoquerent leur desarroi face a la precocite de l'orientation de leurs enfants (en Pre ou 2eme primaires) vers une filiere d'obedience medicopsychologique, l'enseignement special.

Suite a plusieurs entretiens avec des meres d'enfants inscrits dans cette filiere, nous avons tente de cerner sa problematique en interrogeant des directrices d'ecoles speciales3 afin d'une part de lui donner plus de transparence et d'autre part de repondre aux interrogations de ces femmes.

2 Nous en profitons ici pour remercier toutes les femmes qui frequentaient le Centre, sans lesquelles nous n'aurions peut-être jamais eu connaissance de cette problematique et avec lesquelles nous avons eu des echanges chaleureu x et riches d'un savoir qui ne s'apprend pas dans les livres. Sans oublier d'autres femmes de caractere, les membres de l'INSTITUT DE LA VIE qui nous ont permis de realiser ces entretiens : Fanny Gashugi, Oumnya Salhy, et Sarah Deutsch (Secretaire Generale de l'IV).

3 Notons ici que le projet de recherche-action depose, nous savions qu'il s'ecoulerait un certain laps de temps avant l'obtention d'une reponse. Nous avons decide de continuer nos investigations en dehors des activites de l'association.

La realisation d'un memoire tombait a point nomme.

Nous avons circonscrit notre enquete aux ecoles speciales accueillant les enfants consideres comme debiles legers d'une commune de l'agglomeration bru xelloise4. Ces ecoles sont au nombre de trois. L'une accueillant les enfants de type 1 (arrieration mentale legere) et 3 (troubles caracteriels, troubles de la personnalite) et les deux autres les enfants de type 1 et de type 8 (troubles instrumentau x) ; l'une de ces deux ecoles faisant partie du reseau Libre et l'autre du reseau Officiel.

L'enquete concerne la debilite legere dans laquelle s'inscrit les trois types que nous venons d'evoquer et qui se distinguent, dans la classification de l'enseignement special, par leurs recours au quotient intellectuel.

Les autres « types » sont constitues d'enfants diagnostiques avant leur entree a l'ecole et dont les donnees d'ordre medicales attestent d'un handicap, mental ou physique, d'une gravite telle qu'ils necessitent une structure d'apprentissage adaptee5.

Nous avons accorde une importance particuliere aux enfants de type 8 car, pour ces derniers, la legislation n'organise pas d'enseignement secondaire. Leur intelligence etant consideree comme « normale », ils sont senses reintegrer l'enseignement general soit en cours de cycle primaire, soit a l'entree des etudes secondaires.

La premiere partie de ce travail, « Aux fondements de l'enseignement special : les anormaux d'école », ebauche le conte xte ideologique de la naissance de la filiere d'enseignement special. La deuxieme partie, « Des méres confrontees a l'enseignement special », est consacree a l'analyse d'un entretien effectue aupres d'une des femmes dont quatre des cinq enfants ont ete orientes vers l'enseignement special. Ce temoignage nous a paru particulierement representatif des inquietudes des meres face a l'enseignement special.

Et enfin, la troisieme partie, « Le discours de l'enseignement special » vise a repondre aux interrogations des familles concernant l'organisation, les conditions de l'orientation, les structures et les remediations proposees par cette filiere et leurs effets.

4 Pour des raisons ethiques, nous avons eviter de nommer la commune afin que l'identite des directrices ainsi que celle des familles restent dans l'anonymat

5 Il s'agit des aveugles, sourds-muets, enfants hospitalises et handicapes physiques et egalement des handicapes mentau x severes.

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