UNIVERSITE DE LIMOGES
FACULTE DE DROIT ET DES SCIENCES ECONOMIQUES DE
LIMOGES
PROGRAMME UNIVERSITE PAR SATELLITE
AGENCE UNIVERSITAIRE DE LA FRANCOPHONIE
(AUF)
MASTER DROIT INTERNATIONAL ET COMPARE DE
L'ENVIRONNEMENT
Formation à distance, Campus Numérique
« ENVIDROIT »
LA JURISPRUDENCE DE L'ORGANE DE REGLEMENT
DES
DIFFERNDS DE L'ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE
ET
PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT
Mémoire présenté par Yda Alexis
NAGALO
Sous la direction du Professeur AHADZI Koffi-Nonou
Maître de Conférences en Droit Public
Président de l'Université de Lomé
(TOGO)
Août 2010
A ma mère et ma grande soeur qui ont toujours
été là pour moi, et qui m'ont donné un magnifique
modèle de labeur et de persévérance. J'espère
qu'elles trouveront dans ce travail toute ma reconnaissance et tout mon
amour.
DEDICACE
REMERCIEMENTS
Je voudrais exprimer toute ma gratitude au Professeur AHADZI
Nonou-Koffi pour la diligence avec laquelle ses conseils ont toujours
été formulés.
J'exprime toute ma reconnaissance à Monsieur SANFO
Seydou et son épouse pour m'avoir fait confiance et m'ont permis de
faire de cette formation une réalité.
A Dimitri LOMPO, à Adama TOU, à Norbert KOHOUN,
à Fidèle BOGNOUNOU, Angèle KONANE, à Haoua KI,
à Alexis SANOU, Etienne NEYA, j'exprime de tout coeur mes sentiments de
reconnaissance pour le soutien moral et matériel qu'ils m'ont
apporté pour la rédaction de ce mémoire.
J'exprime toute ma reconnaissance à Jonas KAMBOU,
à Moise KOHOUN, et à Arsène KONATE pour leurs
précieux conseils et la disponibilité à lire ce
mémoire.
A tous les collègues de la formation DICE de la
promotion 2009-2010 et à toute l'administration du CNF-AUF, pour le
cadre offert et la compréhension pendant les moments de rédaction
de ce mémoire.
A Jonas, Rosalie, Francis et à toute la Jeunesse de
l'Eglise Centrale de l'Alliance Chrétienne de Ouagadougou, trouvez ici,
l'expression de ma profonde gratitude pour vos appuis multiformes.
Que Dieu vous bénisse !
LISTE DES ABBREVIATIONS
ACP
Afrique, Caraïbes, Pacifique
AEM
Accords Environnementaux Multilatéraux
AMC
Accords Multilatéraux Commerciaux
CIJ Cour International de Justice
CJCE
Cour de justice des Communautés Européennes
DET
Dispositif d'Exclusion des Tortures
ESB
Encéphalopathie Spongiforme Bovine
GATT
General Agreement on Tariffs and Trade
GS
Groupe Spécial
O A
Organe
d'Appel
OMS
Organisation Mondiale de la Santé
ORD
Organe de Règlement des
Différends
OTC
Obstacles techniques au Commerce
PED Pays en Développement
PMA Pays les Moins Avancés
PMP Produit et Méthode de production
SPS Sanitaire et Phytosanitaire
SRD
Système de Règlement des
Différends
WTO World Trade Organization
PERIODIQUES
AFDI
Annuaire Français de Droit International
JDI
Journal de Droit
International
JWT
Journal of World
Trade
RGDIP
Revue Général de Droit International
Public
RIDE Revue International de Droit Economique
INTRODUCTION GENERALE
Le commerce international a un impact sur l'environnement en
raison de l'expansion rapide et massive des échanges. A la faveur de la
libéralisation des échanges et de la réduction des
coûts de transport, le volume du commerce mondial a été
multiplié par 27 entre 1950 et 2006. Cette croissance du commerce
international contribue à la détérioration de
l'environnement. Le transport des marchandises provoque 25% du dioxyde de
carbone dans le monde. Il est également un moyen de pollution des mers
par la pratique du dégazage et des effets néfastes des
marées noires sur l'environnement1(*). En Afrique, le commerce sauvage des espèces de
la faune et de la flore contribue une réduction de la
biodiversité.
Pour faire face à cette problématique, les Etats
ont élaboré dans le cadre de la coopération internationale
des règles conventionnelles pour la protection de l'environnement.
Conscients des effets du commerce sur l'environnement et de l'urgence de sa
protection ont mis en place dans le cadre du Droit International
Environnemental (DIE) des règles de restriction au commerce. Ce qui
semble restreindre la portée des Accords Multilatéraux
Commerciaux (AMC) qui prône la levée des restrictions au commerce
international.
Le droit international de l'environnement et le droit
commercial international semble dans de telles conditions évoluer dans
des logiques différentes voire contradictoires2(*) par moment. Le premier promeut
la protection de l'environnement contre toutes les formes de dégradation
tandis que le second oeuvre à la libéralisation du commerce
international par la suppression de tous les obstacles à la libre
circulation des marchandises et des services. Il en est de même sur le
plan conceptuel, où le rapport commerce/environnement varie selon que
l'on se place sous l'angle commercial ou environnemental. Les défenseurs
de la libéralisation du commerce postulent que l'élimination des
barrières accroitrait les revenus et permettrait ainsi de lutter plus
efficacement contre la dégradation de l'environnement. Quant aux
environnementalistes, ils estiment que la libéralisation du commerce est
de nature à accentuer la dégradation de l'environnement en raison
des ponctions effectuées sur les ressources naturelles.
Malgré ces différences conceptuelles, il existe
néanmoins sur le plan juridique des dispositions qui tendent à
rapprocher le commerce international et la protection de l'environnement. Cette
relation commerce/environnement connait une résonance
particulière avec l'application du droit international sur le commerce.
Le droit international du commerce est né sous
l'instigation du GATT en 1947 et s'est renforcé sous les accords de
Marrakech qui ont abouti à la création de l'Organisation Mondiale
du Commerce (OMC)3(*) le 15
avril 1994. Cette institution assure la gestion du système commercial
multilatéral et sert de cadre pour la tenue des négociations
commerciales multilatérales et des missions spécifiques
d'administration. A ce titre, elle est chargée entre autre de
gérer l'administration de l'Organe de Règlement des
Différends ORD4(*).
L'ORD est un mécanisme, interétatique, qui est
chargé de régler les différends qui naissent entre les
États à l'occasion de l'application de mesures nationales qui
établissent des restrictions au commerce international. Son
fonctionnement et ses missions sont définis par un mémorandum
d'accord sur les règles et procédures de règlements des
différends annexé à l'accord de Marrakech5(*). Il se singularise comme le
principal accord des négociations de l'Uruguay round et le seul
mécanisme de règlement des différends prévus par
une organisation international à vocation économique. Pour
autant, l'ORD n'est pas une juridiction6(*) commerciale internationale. Mais la doctrine s'accorde
à reconnaître que « l'ORD et les groupes spéciaux
sont des quasi-juridictions en juridictionnalisation
progressive »7(*)
. C'est un mécanisme transversal placé sous le contrôle du
conseil général de l'OMC où les décisions sont
prises par consensus négatif afin d'éliminer les vétos
antérieurs qui bloquaient l'adoption des recommandations sous le GATT.
Ce mémorandum prévoit une série de procédures
utilisables par les parties pour demander à tout moment le
règlement de leur différend. Mais l'accord insiste de
manière particulière sur la procédure des groupes
spéciaux qui semble occuper la primauté par rapport aux autres
procédures jugées plus politiques8(*). Ces groupes spéciaux connaissent un tel
succès qu'on pourrait penser qu'ils sont en passe d'effacer les autres
mécanismes de résolution des litiges au sein de l'OMC. Leurs
succès tiennent d'une part à la procédure et d'autre part
à la quantité des plaintes déposées devant l'ORD.
D'un point de vue procédural, le nouveau mécanisme a traduit les
exigences propres au domaine des affaires en optant pour une procédure
dont la célérité est reconnue. La durée de l'examen
d'une affaire sans appel est contenue en douze (12) mois9(*). En cas d'appel, le rapport doit
être rendu en quinze (15) mois. Sur le plan quantitatif, l'ORD est le
mécanisme le plus sollicité au niveau international. Il connait
en moyenne trente (30) à quarante (40) affaires par an. En douze ans
d'existence, il a été saisi de 381 plaintes, tranchant ainsi plus
de différends que la CIJ depuis sa création ou pendant les
cinquante années d'existence du GATT de 1947. Depuis l'adoption du
mémorandum jusqu'au 31 décembre 2009, l'ORD a enregistré
exactement 402 différends.
Ces faits traduisent la confiance des États et le
succès des réformes entreprises dans le cadre de l'Uruguay Round
dans le mécanisme de règlements des différends de
l'OMC.
Délimitation du sujet :
dans ce présent mémoire, il s'agira pour nous d'apprécier
l'apport de la jurisprudence de l'ORD de l'OMC dans la protection de
l'environnement10(*).
Comment à l'occasion du règlement d'un litige à incidence
environnementale, l'ORD se comporte-t-il dans le sens de la promotion et de la
protection de l'environnement ?
Notre étude se limitera à une analyse des
rapports des organes de l'ORD (groupes spéciaux et Organe d'appel),
leurs démarches et leurs comportements quand ils doivent statuer sur un
sujet portant sur la protection de l'environnement.
Intérêts du
sujet : l'intérêt premier de notre sujet est
théorique. A travers cette étude, notre objectif est de
pénétrer l'univers complexe du droit de l'OMC et ainsi permettre
une compréhension plus aisée du mécanisme du
règlement des différends à l'occasion de la
résolution d'un litige relatif à l'environnement. Il s'agit aussi
de montrer par ce travail que la relation commerce/environnement constitue un
sujet d'actualité qui permet de briser les cloisons entre ces deux
domaines de manière à créer le plus possible une
cohérence entre les mesures commerciales et les mesures
environnementales.
Le second intérêt se rapporte à
l'accroissement important des affaires portant sur des questions
environnementales et qui a pu faire dire à Mme Sandrine
Maljean-dubois11(*)
que : « les hypothèses de conflits se multiplient,
jusqu'à se concrétiser par des contentieux soumis aux
procédures de règlements des différends de
l'OMC ». Par exemple, sur plus de 300 différends12(*) soumis à l'ORD au
1er janvier 2004, les 2/3 ont été
réglées à l'amiable et seulement 1/3 ont donné lieu
à un rapport d'un groupe spécial ; 70% de ces affaires
soumises à un groupe spécial ont été portées
devant l'Organe d'Appel. Précisément P. MONNIER13(*) affirme que ¼ des
rapports de cet organe traite de questions environnementales. La jurisprudence
de l'ORD relativement aux questions environnementales se retrouve dans la
fourchette de 1/3 des différends contre 2/3 pour les mesures
contestées en rapport avec les barrières non tarifaires,
notamment les normes techniques, et avec les barrières sanitaires et
phytosanitaires. Ce sont là des matières qui touchent le plus
à la protection de l'environnement et à la santé
humaine.
Jusqu'à présent l'ORD n'a pas été
confronté à un conflit opposant directement les règles du
droit de l'OMC et les AEM. Les différends qui ont pour le moment
été portés devant l'ORD sont relatifs à la
confrontation de principes du Droit International de l'Environnement (DIE), en
l'occurrence le principe de précaution, avec les règles et
principes applicables en matière commerciale.
Formulation du problème :
l'argument selon lequel la jurisprudence de l'OMC est peu
soucieuse de la protection de l'environnement trouve sa logique dans le fait
que l'ORD ne statue pas sur le contenu des règles environnementales
élaborées à l'extérieur de l'OMC. En effet, le
mécanisme de règlement des différends permet de
vérifier la conformité des mesures prises par les Etats dans un
objectif de protection, et de mettre des restrictions au libre échange,
avec les principes de base du système commercial multilatéral,
l'accès au marché et la non-discrimination. La protection de
l'environnement rime parfois avec protectionnisme. Les organes de l'ORD
vérifient toujours la légalité des mesures prises par les
Etats et qui affectent les rapports commerciaux avec les Etats membres de l'OMC
sur le fondement des sources de droit émanant du système
commercial multilatéral. Comment les institutions du commerce
international [s'agissant de l'ORD] dont la mission est d'appliquer les
règles et principes du droit commercial international sont-elles
à même de prendre en compte les préoccupations de
l'environnement actuel sans faillir à leur mission ? Telle
est la question fondamentale qui va guider notre étude.
Pour ce présent thème, nous allons formuler deux
hypothèses :
- Hypothèse 1 : le mécanisme de
règlement des différends de l'OMC est l'organe gardien de
l'application des principes de la régulation du commerce international.
Il ressort de la jurisprudence de l'OMC, que l'ORD s'est
toujours montré stricte dans l'application des règles
régissant la libéralisation du commerce international. Cependant,
il semble se dégager depuis quelques années une certaine
ouverture de l'ORD aux préoccupations environnementales. Ce qui nous
conduira dans un premier temps à l'examen de l'évolution de l'ORD
dans la protection de l'environnement (1ère partie).
- Hypothèse 2 : il existe une juste
mesure de l'efficacité et du succès du mécanisme de
règlement des différends de l'OMC vis à vis de ces
membres.
Le fonctionnement de l'ORD a révélé des
difficultés liées à la faiblesse de la
sécurité juridique due à des règles
procédurales lacunaires et à la nécessité
d'établir des règles d'articulation entre les AEM et AMC. Aussi,
cette reconnaissance du succès ne doit pas occulter que l'ORD est
jugé être réservé à des Etats
privilégiés, les pays industrialisés et les
« grands » PED ou pays émergents qui
détiennent le monopole de la participation devant l'ORD. Les PMA
brillent par leur absence devant l'ORD. Des raisons structurelles et
conjoncturelles participent à les éloigner de l'utilisation du
mécanisme de règlement des différends de l'OMC. Une
reforme de l'ORD est en conséquence utile pour remédier aux
imperfections liées à l'application du mécanisme
(2ème partie).
1ère PARTIE :
EVOLUTION DE LA JURISPRUDENCE DE L'ORD SUR LA
PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT
Face à l'aggravation des problèmes
environnementaux d'un côté, et à l'expansion des
échanges commerciaux de l'autre, l'OMC est appelée à
établir un délicat équilibre entre commerce et
environnement.
Elle doit prendre en compte les préoccupations de
l'environnement dans les limites possibles.
Restée longtemps campée sur ses positions
libre-échangistes à l'occasion des différends qui lui sont
soumis (Chapitre I), l'OMC s'inscrit progressivement dans une option favorable
à l'environnement (Chapitre II).
CHAPITRE I : LA DEFIANCE DE L'ORD DANS LA
PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT
Le droit de l'OMC fait une application négative des
exceptions quant aux restrictions applicables au commerce international
(Section I) et postule que le principe de précaution, règle
avant-gardiste de la protection de l'environnement et de la santé
humaine, est quasiment vidée de sa substance (Section II).
* 1 Exemple de l'Amoco Cadis et
l'Erika.
* 2 Il existe actuellement près
de 200 accords multilatéraux environnementaux, dont près de 20
contiennent des dispositions contraignantes et restrictives au commerce. Celles
qui connaissent le plus de friction avec le droit de l'OMC sont la convention
sur le commerce international des espèces de la faune et de la flore
sauvages menacées d'extinction (CITES, 1973), le protocole de
Montréal relatif aux substances qui appauvrissent la couche d'ozone
(1987), la convention de Bâle sur le contrôle des mouvements
transfrontières de déchets dangereux et de leur
élimination (1989), le protocole de Carthagène sur le
sécurité biologique (2000) et le protocole de Kyoto pour la
réduction des émissions des gaz à effets de serre.
* 3 L'OMC, à la différence
du GATT, est un traité international, doté de la
personnalité international et une institution international
économique (en complément au FMI et à la Banque Mondiale).
Il se caractérise par un engagement unique sous l'expression anglaise
de « single undertaking ».
* 4 L'on utilisera pour signifier la
même idée, ORD, SRD, ou de façon laconique nous emploierons
la notion de mécanisme.
* 5 Voir Annexe B
* 6 Le qualificatif de l'ORD comme
juridiction est sujette à caution. En effet, C. ROMANO, fait remarquer
que sept (7) conditions sont nécessaires pour qualifier un organe de
juridiction. Une juridiction doit satisfaire aux critères de la
permanence, de la mise en place par un instrument international, de la
qualité des parties devant l'organe considéré, de
l'application du droit international, de la préexistence des
règles de procédure, du caractère obligatoire de la
décision rendue et enfin du critère de la désignation des
juges par une méthode impartiale.
* 7 SANTULLI, (C), « qu'es ce
qu'une juridiction internationale? Des organes répressifs internationaux
à l'ORD », AFDI, 2000, pp. 58-81
* 8 Il s'agit essentiellement de la
conciliation, de l'arbitrage et des bons offices.
* 9 Voir annexe 1
* 10 Le terme l'environnement sera
employé au sens large. Il comprendra les questions liées à
la protection de la santé humaine.
* 11 Maljean-Dubois, (S),
« l'OMC et la protection international de
l'environnement », Commerce et environnement, perspectives pour
l'Afrique de l'Ouest, travaux de l'Atelier UNITAR/AIF sur « commerce
et environnement » pour l'Afrique de l'Ouest, Février 2004, la
Rochelle, France, pp. 99-114, consultable sur elp.unitar.org
p.107
* 12 CARREAU, (D), et JUILLARD, (P), op.
Cit. p. 81
* 13 MONNIER, (P), «
l'environnement dans la jurisprudence de l'OMC », Notes Bleues de
Bercy, 1er - 15 juillet 2000, p. 1
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