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Regards croisés sur une femme confrontée à  l'exercice du pouvoir : Marie Stuart dans les écrits de G. Buchanan et J. Leslie (1561-1587).

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par Mélanie Boué
Université de Provence - Master 1 recherche Histoire 2009
  

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Conclusion :

Durant la période qui s'étend de 1561 à 1587 les représentations littéraires de Marie Stuart évoluent de manière plutôt radicale. Peu après son retour en Ecosse la reine est acclamée par une population qui voit dans son retour une promesse de stabilité. Marie est une Stuart et le peuple attend d'elle qu'elle honore la devise des rois de sa lignée : Nemo me impude lacssit. Personne ne me provoque impunément. Force est de constater que l'attitude de la reine fait mentir cette affirmation. Tout d'abord les poètes de la cour dérogent à la règle traditionnelle des poèmes de bienvenue pour verser dans le genre du speculum principis. Alexander Scott parsème son texte de conseils visant à orienter les prises de décisions royales vers un modèle de concorde. En dépit de ces incartades George Buchanan, promu au rang de principal poète de la cour, fait preuve d'une loyauté sans faille envers la reine durant les six années de son règne. On constate d'ailleurs avec une certaine ironie que son plus fervent adversaire fut d'abord l'un de ses plus fideles auteurs. Pendant les premières années du règne la littérature écossaise reconnaît donc Marie Stuart comme une souveraine légitime et reprend les thèmes abordés par les poètes de la cour des Valois, qui sont sa beauté, sa vivacité d'esprit et sa grande sagesse. Nul ne mentionne sa force et son autorité, qualités que l'on associe d'ordinaire au souverain, mais la présence de Marie Stuart en Ecosse inspire l'espoir plus que les critiques chez les bards écossais.

Cet espoir est balayé par les évènements de 1566 et 1567. L'orientation catholique de la politique de Marie Stuart attise les tensions. Le 2 février 1566 Henri Darnley devenu chevalier de l'ordre de Saint Michel pavoise sur High Street s'égosillant que l'ancienne religion a repris le contrôle du royaume d'Ecosse.195(*) Alors que le Conseil est constitué d'une moitié de protestants et d'une autre moitié catholique, la tension est palpable. La naissance du futur héritier apaise les tensions et rassemble la noblesse autour de la reine mais les évènements futurs réduisent à néant les efforts de réconciliation déployés par Marie Stuart. C'est à ce moment que la littérature écossaise verse dans la calomnie et les thèmes politiques. Si la littérature de début de règne décrit la reine comme une jeune beauté génitrice d'une paix nouvelle, la littérature qui paraît après 1567 se tourne vers des thèmes comme celui de l'Etat et de la nation. L'argumentation tripartite de Buchanan est en effet résolument tournée vers la défense du peuple écossais, ce qui implique de discréditer la reine. A Detectioun of the doings of Mary Queen of Scots s'apparente toutefois plus à une attaque ad feminam qu'à une défense des actes révolutionnaires écossais. Ce pamphlet peut être perçu comme l'oeuvre calomnieuse d'un opportuniste cependant il est aussi un exemple de la manière dont Buchanan a manipulé son lectorat grâce à la rhétorique pour faire de Marie Stuart un personnage dénué de morale, donc coupable. Même si le texte de l'humaniste n'est pas un exemple d'argumentation théorique il est le premier à relater l'histoire de Marie Stuart comme une histoire tragique. De plus, le texte joue sur tous les préjugés qui entourent la sexualité féminine à l'époque moderne : l'appétit sexuel démesuré, la beauté ensorceleuse, etc. En faisant de Marie Stuart une femme adultère et meurtrière, George Buchanan cristallise autour du personnage toutes les pensées misogynes qui contrindiquent le règne féminin.

A partir des années 1570 la diffusion du pamphlet de Buchanan et les complots ourdis par la reine d'Ecosse poussent le royaume d'Angleterre et le royaume de France à prendre partie. Le royaume d'Angleterre manipule ce perfide personnage féminin créé par l'humaniste écossais pour discréditer les prétentions successorales de la reine d'Ecosse mais il est plus étonnant de constater que la patrie d'accueil de Marie Start ne s'engage pas ouvertement contre ces écrits diffamatoires. Le jeu des alliances diplomatiques et la volonté de tenir l'Espagne en échec ne méritaient pas que le roi de France se mette à dos son allié d'outre-Manche. De 1567 à 1587 le sort de la reine d'Ecosse intéresse peu la cour de France et les catholiques français. La défense de la reine déchue est donc dans un premier temps organisée par un seul homme, John Leslie. Toutefois les huguenots s'intéressent au personnage de Marie Stuart après le massacre de la Saint Barthélémy et font de la reine un personnage soumis aux champions du catholicisme que sont les Guise. Finalement, la reine Marie Stuart intéresse d'avantage les auteurs catholiques après que sa mort la promeut au rang de martyr.196(*)

Nous avons tenté de montrer comment le contexte politique et diplomatique du milieu du 16ème siècle a influencé les représentations littéraires de la reine Marie Stuart. George Buchanan et John Leslie ont donné naissance au personnage Marie Stuart. Le premier pamphlet de George Buchanan utilisé sciemment par les Anglais pour discréditer la reine d'Ecosse scelle l'image d'une femme amoureuse, psychologiquement instable et moralement faible. Tandis que De Iure regni apud Scoto écrit en réaction à la déposition de la reine tend à faire de Marie Stuart un tyran dont l'égocentrisme nuit à l'exercice du pouvoir. De ces deux textes naît l'image d'une reine frivole et incapable d'incarner l'autorité. Buchanan fait de Marie Stuart un contre-exemple et fait basculer sa représentation de la reine dans un espace sexualisé voire morbide. A l'inverse John Leslie la décrit comme innocente car ignorante des complots qui se tramaient à Edimbourg. Leslie tente d'en faire une reine digne mais échoue à créer une héroïne. En effet, John Leslie ne souligne aucun faits que Marie Stuart a accompli de son vivant qui témoigne de sa bravoure ou de sa valeur. Il mentionne seulement qu'elle est une mère pour son peuple et qu'elle a toujours agi dans l'intérêt de celui-ci. Si l'on s'en réfère à la définition de l'héroïne que donne Furetière en 1690 : « fille ou femme qui a des vertus de héros, qui a fait quelque action héroïque », on peut affirmer que Marie Stuart n'était pas représentée comme une héroïne de son vivant. Elle ne possédait pas les vertus conformes à son sexe.197(*) La représentation de la reine d'Ecosse forgée par Leslie a donc un impact moindre car elle ne se base pas sur des faits concrets. A contrario George Buchanan se base sur des faits concrets qui sont le meurtre de Darnley et le remariage précipité avec Bothwell. L'humaniste écossais forge quant à lui un exemple à ne pas suivre, une héroïne que l'amour aveugle et qui laisse son pays au bord de la guerre civile.

Nos deux auteurs écossais laissent à la postérité une figure littéraire malléable. Les représentations littéraires de Marie Stuart dans les écrits de Buchanan et de John Leslie représentent l'ébauche du mythe que forgera la postérité. D'un côté le personnage décrit par Buchanan est un premier pas vers la légitimation du tyrannicide, de l'autre la défense de John Leslie offre aux catholiques une figure de martyre en devenir. Marie Stuart, que John Leslie décrit comme une victime du protestantisme, comme une prisonnière pieuse devient une icône que la mort romantique consacre en martyr.

« En ma fin est mon commencement » avait brodé Marie Stuart dans sa prison de Sheffield. Cette formule prophétique rend compte de l'engouement des auteurs catholiques et protestants après la mort de Marie Stuart. Si les représentations littéraires du 16ème siècle donnent naissance à un personnage dont la dualité suscite les passions, l'exécution de Marie Stuart finit de hisser le personnage au rang d'héroïne. Toutefois, puisque Marie Stuart ne semble avoir accompli aucun acte héroïque de son vivant, c'est à la postérité de prouver sa vertu. De là nait l'image de prisonnière exemplaire et très catholique.198(*)

* 195 L'ordre de Saint Michel est l'ordre le plus important dans la chevalerie française.

* 196 Après l'exécution de Marie Stuart la représentation littéraire peut aussi s'accompagner d'une représentation picturale de la reine en martyre. Voir A.5 en annexe.

* 197 Voir DERMENJIAN G., GUILHAUMOU J. et LAPIED M. (dir.), Le Panthéon des femmes, figures et représentations des héroïnes, édition Publisud, 2004, pp. 29-30.

* 198 DERMENJIAN G., GUILHAUMOU J. et LAPIED M. (dir.), op. cit, pp. 36 et 39. Voir aussi l'article de Nicole Cadène, « L'histoire au féminin : la vie de Marie Stuart par Agnès Strickland », Romantisme, n° 115, 2002, p. 41-52. Nicole Cadène décrit comment les historiens français pardonnaient ses fautes à Marie Stuart, comme s'ils avaient eux-mêmes étaient charmés par ses atours. Cependant Agnès Strickland, historienne britannique et tory offre une toute autre vision de Marie Stuart. Son étude exhaustive des sources et sa détermination à prouver que Marie Stuart n'était pas qu'une femme amoureuse la conduisent à montrer que l'exercice du pouvoir féminin est possible et que Marie Stuart était une reine qui savait régner. En témoigne son choix de ne pas accorder la couronne matrimoniale à Darnley pour, selon Strickland, rester maîtresse de son royaume. Cette vision nuance l'image de femme martyre ainsi que celle de femme immorale et adultère.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote