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Les états, les organisations non gouvernementales et la transparence des industries extractives: la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité

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par Paul Elvic J. BATCHOM
Université de Yaoundé II/SOA - Doctorat/Ph.D 2010
  

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Introduction générale :

La fin du monopole étatique est le fait des acteurs de la société civile venant de tous les horizons dire leur droit au chapitre, de même que des firmes multinationales qui ont vu leur importance amplifiée par la mondialisation. Les acteurs privés accentuent ainsi la pression sur le principe de souveraineté et donc, sur l'Etat qui en est le ferment et le fondement. L'ouverture progressive des écluses de la souveraineté et l'irruption des acteurs privés dans les sphères décisionnelles où se structure la marche du monde a fini de donner l'impression de sonner le glas de l'ordre westphalien. De la configuration nouvelle, ont jailli des espaces nouveaux de gouvernance (concept dont l'émergence a également partie liée avec cette fièvre), dans lesquels l'Etat partage la qualité d'acteur avec des entrepreneurs privés en vue d'apporter solution aux problèmes complexes de la mondialisation. A Johannesburg, l'ancien Premier Ministre britannique Tony Blair lança en 2002 l'Extractive Industries Transparency Initiative (EITI), plateforme multi-acteurs consacrée à l'incarnation de la transparence. Espace d'émulation de l'actorat multiple et multiforme, site de transactions complexes, EITI n'est pas moins le théâtre d'une mise en avant de l'éthique dans le capitalisme. Ipso facto, deux concepts cardinaux sont mis en relief : la souveraineté et l'éthique. Comment envisager la mise en oeuvre de l'un alors que le système international est bâti sur la présomption de l'intangibilité de l'autre ? Face à ce dilemme normatif, une déconstruction de la critique politiste de la souveraineté est semble-t-il, le préalable à tout discours. Ce, dans le but de palper la souveraineté sans l'idée-reçue de sa forme absolue qu'impose à la discipline le mythe westphalien qui autorise donc l'idée d'une obsolescence.

A. De la construction d'une problématique : La souveraineté entre absolutisme et obsolescence.

1. Du rapport souveraineté / raison d'Etat

La transparence des industries extractives comme norme promue et défendue par les Etats et les acteurs privés, est confrontée à deux concepts fondamentaux de l'autorité étatique : la souveraineté et la raison d'Etat. A priori, le cousinage des deux concepts ne paraît pas relever de l'évidence et de toute façon, il prendrait fin à la lisière de la différenciation justifiée par le degré d'omnipotence du dépositaire de l'un et de l'autre. Pourtant, leur interconnexion se fonde au carrefour de l'Etat. Trois niveaux d'argumentation permettent de mettre en relief la communauté de sens et d'essence des deux concepts à savoir : le rôle matriciel de la

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 2 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

souveraineté vis-à-vis de la raison d'Etat, l'Etat comme scène que partagent les deux concepts et la communauté de destin de ceux-ci.

a) La souveraineté comme matrice de la raison d'Etat

La souveraineté est l'autorité suprême reconnue à un Etat, et qui le place au dessus de toute autre autorité1. « La politique c'est le pouvoir et le pouvoir c'est la souveraineté » dit Gérard Mairet2. Autrement dit, aucune norme ne s'impose à celui qui est souverain car il est source de norme et norme supérieure. Mieux, les normes issues de sa volonté sont incontestables et définitives. « Une telle conception pense Olivier Beaud, exclut l'intervention d'un tiers que ce soit en amont ou en aval de la décision : en amont, parce que le souverain ne reconnaît aucun droit de veto ou de co-décision à une autorité politique tierce, en aval parce qu'il ne reconnaît pas davantage à une autorité juridictionnelle le soin de contrôler sa décision »3. Au sein de son territoire, l'Etat détient le monopole de la contrainte et donc, est détenteur de la plenitudo potestas. Cela l'exempte de toute norme imposée de l'extérieur comme de l'intérieur car il est dépositaire de la puissance absolue qui peut être perpétuelle ou mortelle. La raison d'Etat découle de la souveraineté. Elle désigne le droit dont dispose un Etat de violer la loi ou la norme « momentanément4 » au nom de la nécessité ou de l'intérêt. Ce n'est pas l' « injure de l'Etat faite à la raison5 » ou bien le prétexte d'établissement d'un régime perpétuel d'exception. C'est l'établissement d'une raison propre à l'Etat, distincte de la morale chrétienne et de la loi naturelle. La raison d'Etat, c'est la distance prise par l'Etat vis-à-vis de Dieu et de la nature ; c'est la construction d'une raison souveraine de l'Etat6. En raison de la nécessité7 qui conditionne la préservation de l'Etat, ce dernier peut

1 Les déclinaisons des dimensions de la souveraineté au cours de cette étude reviendront amplement sur les sens de la souveraineté. Cette acception n'est juste que l'idée centrale des diverses conceptions de la notion de la souveraineté.

2 Mairet Gérard (1997) Le principe de souveraineté, Paris : Gallimard, P. 20.

3 Olivier Beaud pousse la réflexion plus loin en plaçant le souverain au dessus de la constitution qui est pourtant loi fondamentale d'un Etat. Beaud Olivier « Le souverain » Pouvoirs, Revue française d'études constitutionnelles et politiques, n° 67, P.36-37, 1993.

4 Il convient de noter que la violation pérenne de la norme est la négation des fondements de l'Etat moderne car, un homme seul qui viole permanemment les lois est très vite qualifié de tyran et conduit donc l'Etat vers un régime redouté par l'ensemble des théoriciens de l'Etat. Machiavel précise d'ailleurs que c'est la « necessitas » qui suspend le cours de licéité et elle n'est pas perpétuelle. La multitude souveraine qui s'installe durablement dans l'exception fait resurgir l'état de nature hobbesien et conduirait vers le chaos.

5 Parce qu'elle est le droit de l'Etat d'échapper au droit, Gérald Sfez pense qu'elle est l'injure de l'Etat faite à la raison. Sfez Gérald (2000) Les doctrines de la raison d'Etat, Paris : Armand Colin, introduction.

6 D'après Gérard Mairet, le fondement de la souveraineté est cette distance d'avec Dieu et la nature. Si en se distinguant des morales qui en découlent l'Etat se construit une raison, celle-ci et la souveraineté partagerait donc par nature, d'être l'incidence de cette distance.

7 Machiavel parle de « necessitas », Botero parle d'intérêt pour désigner une seule et même chose. Le point de
rupture survient quand il faut dire celui dont l'intérêt est motif d'action. Sfez pense que la nécessité
machiavélienne est centrée sur le prince alors que celle de Botero se focalise sur l'Etat comme communauté

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« momentanément » mettre entre parenthèse les normes dont il est l'instigateur. En fait, la souveraineté confère à l'Etat ce droit, le droit de se soustraire aux normes ; la souveraineté donne à l'Etat sa raison1. Autrement dit, si l'Etat peut se permettre de violer les lois et normes dont il est l'instigateur et celles qui émanent d'autres sources, c'est en raison de sa souveraineté.

b) L'Etat : une scène commune à la souveraineté et à la raison d'Etat

De plus, même si les pré-machiavéliens ont discouru sur des pratiques étatiques qui s'apparentent à la raison d'Etat, ils n'ont pas conceptualisé cette notion. Machiavel a également manqué de fournir à la notion de raison d'Etat une valeur conceptuelle tant il l'a centrée sur le prince nouveau, qui est avant tout soucieux de la quête et de la conservation de son pouvoir que de la conservation de l'Etat. Or, l'essence même de la raison d'Etat, c'est de veiller à la conservation de l'Etat. C'est pour cette raison que l'on reconnaît à Botero le mérite d'avoir conféré à la raison d'Etat une valeur conceptuelle car, il a placé la conservation de l'Etat au centre de la préoccupation de celle-ci. « L'innovation de Botero dit Gérard Sfez, est de conférer à la raison d'Etat un véritable domaine de réalité »2. Il n'y a donc pas de raison d'Etat sans Etat et pas d'Etat sans souveraineté.

La modernité politique est caractérisée par l'affirmation de l'Etat comme modèle d'organisation de la vie sociale. En même temps qu'il se crée autour de son indépendance vis-à-vis de l'Eglise et de la loi naturelle, l'Etat se forge sa raison en vertu de sa souveraineté. L'histoire de la constitution de l'Etat selon Hobbes est celle de l'auto-assujettissement des hommes au souverain en vue de la sécurité. Hobbes apparaît comme le théoricien de la souveraineté en tant que principe intégrateur des hommes et des humeurs disparates, le principe qui crée l'ordre à partir du désordre, le faber de la cohésion au nom de l'initiative de loi qui est sa prérogative première et exclusive. Pas de souveraineté sans raison d'Etat c'est-àdire, une part de secret qui revient au souverain en tant qu'il est source de la norme et la

d'hommes dont il faut assurer la commodité d'existence. Quel que soit l'auteur, l'accord est trouvé : « necessitas legem non habet » Sfez, op. cit.

1 Il y a 40 ans environ, le gouvernement britannique avait vendu à l'armée américaine l'île de Diego Garcia, violant ainsi le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, sans compter les droits des peuples de disposer de leurs terres. Autant de normes sur lesquelles la communauté internationale avec en tête les puissances telles que le Grande Bretagne a bâti le système des Nations Unies. Après plusieurs plaintes et procès qui donnent raison aux populations de ce territoire britannique d'outre-mer (archipel du Chagos), le 22 octobre 2008 la chambre britannique des Lords a estimé que la rétrocession de l'île à ces populations constitue un préjudice à la sécurité internationale. La raison d'Etat a été invoquée par les Lords. Il s'agit d'une violation de certaines normes internationales, au nom d'un intérêt prétendument commun à la société internationale. La négation de la souveraineté à un peuple se justifie par la raison d'Etat d'un pays investi d'une souveraineté qui lui autorise le viol de la norme préétablie.

2 Sfez Gérard op. cit P. 60

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norme même. Pas de raison d'Etat sans souveraineté qui consacre le droit d'échapper au droit, la norme de la violation de la norme.

c) Souveraineté et raison d'Etat : une communauté de destin

Les débats autour de celui dont l'intérêt est cause de violation de la norme sont illustratifs des querelles autour du dépositaire de la souveraineté et, est un autre trait de la parenté des deux concepts. Qui est souverain ; le roi ou le royaume ? L'intérêt qui motive l'activation de la raison d'Etat appartient-il au roi ou au royaume ? La figure machiavélienne du prince dépositaire de la plenitudo potestas colle bien avec l'idée de la souveraineté centralisée, au nom d'une ratio status regis fondée sur le pessimisme anthropologique, la quête d'un intérêt prétendument commun mais privé et la toute puissance de la `necessitas'. Si la souveraineté est dévolue à une personne qui parle au nom de l'Etat, l'on assiste à la confusion de sa raison avec celle de l'Etat. Ainsi, ce sont ses nécessités qui motiveront l'activation de la raison d'Etat. Les deux concepts peuvent donc partager ce trait de parenté gauchisé qu'est l'investissement de la souveraineté et donc, de la raison de l'Etat sur un seul homme. La raison d'Etat machiavélienne est l'illustration du gauchissement de la raison d'Etat et donc de la souveraineté. Par ailleurs, la raison d'Etat parce que tirant sa quiddité de la souveraineté, peut être d'essence fragmentaire et étrangère à l'Etat. Autrement dit, de même que la souveraineté forte d'un seul entraîne le gauchissement des la raison d'Etat, de même l'absence ou la diffusion de la souveraineté sur plusieurs pôles a pour conséquence l'émergence d'une raison d'Etat qui vise la conservation d'Etats autres que celui de son déploiement. A ce propos, l'examen des résolutions de l'Assemblée générale des Nations Unies sur la souveraineté permanente des peuples sur leurs richesses et leurs ressources naturelles est fortement édifiant1. Souveraineté des peuples ou souveraineté des Etats ?

Avant la vague des indépendances des années 1960, lesdites résolutions parlent de souveraineté des peuples et des nations, peut-être pour ne pas tenir en marge les territoires coloniaux qui, nantis de ressources naturelles, n'ont pas qualité de membres des Nations Unies puisque n'étant pas des Etats au sens du droit international. Le peuple n'ayant pas de raison, l'on ne saurait identifier une quelconque raison d'Etat dans ces conditions d'absence d'Etat sinon, celle des Etats colonisateurs qui revendiquaient la souveraineté sur lesdits

1 Notamment la résolution 626 (VII) du 21 décembre 1952 sur le droit d'exploiter librement les richesses et les ressources naturelles et la résolution 1803 (XVII) du 14 décembre 1962 sur la souveraineté permanente sur les ressources naturelles.

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territoires1. Le contexte même de l'adoption de ces résolutions informe sur les enjeux de l'époque. La commission pour la souveraineté permanente sur les ressources naturelles qui est créée par la résolution 1314(XIII) du 12 décembre 1958, est l'expression d'un droit incorporé dans un autre plus général, le « droit des peuples et des nations à disposer d'eux-mêmes ». A partir de 1960, l'accession en vague des territoires à l'indépendance va modifier le vocabulaire onusien sur la souveraineté. Désormais, l'on parle de souveraineté des Etats tout simplement. La résolution 1515 (XV) du 15 décembre 1960 commence d'ailleurs par relever l'adhésion de plusieurs nouveaux membres à l'ONU. Dès lors qu'on a établi que la souveraineté et la raison d'Etat ont une communauté de destin, qu'elles ont comme site commun de déploiement l'Etat et que la première fonde la seconde, il demeure que la question du niveau pertinent de dévolution de la souveraineté et donc du dépositaire de l'intérêt qui est motif d'action semble révélatrice d'une « logique floue ». En effet, si l'on s'évade de la conception rousseauienne de la souveraineté qui en fait un agrégat des puissances individuelles dans le cadre d'une souveraineté populaire, que peut présager la confusion entre la « souveraineté des peuples et des nations sur leurs ressources naturelles » et la souveraineté des Etats membres des Nations Unies ? Manifestement, le lien commun est l'exclusivité de gestion et d'usage des ressources naturelles par les peuples nouvellement indépendants.

De plus, il se dégage l'impression que pour moraliser la raison d'Etat, il faut nécessairement porter des coups à la souveraineté. Giovanni Botero donne raison à Sfez qui pense que : « La raison d'Etat, c'est l'Etat qui se raisonne et passe à la défensive pour se garder »2. En effet, Botero rompt avec Machiavel en inféodant à nouveau la raison d'Etat à la conscience morale. Il oppose l'intérêt public à la nécessité machiavélienne. L'Etat pense - t-il, oeuvre à sa conservation par l'assurance de la paix civile et, la police est ainsi préférée à l'armée qui assure les conquêtes3. L'Etat se conserve ensuite par le bonheur qu'il assure au peuple, bonheur et non commodité d'existence. C'est pourquoi il encourage un mercantilisme4 qui a vocation à enrichir l'Etat par l'industrie et le commerce pour le bonheur des citoyens. Ce faisant, Botero passe de la `légitime offense' machiavélienne à la

1 En effet, ces territoires n'étaient pas des terra nullius et par le principe de succession des Etats, par les traités signés avec les chefs des peuples autochtones, les Etats colonisateurs ont acquis la souveraineté sur ces territoires et donc, les considéraient comme des espaces relevant de leurs autorités respectives.

2 Sfez Gerald, op.cit. P.62

3 La pensée machiavélienne privilégie les conquêtes armées et postule la « légitime offense » alors que Botero met en avant l'exigence de la paix civile et c'est la police pense - t- il qui en est garante.

4 Descendre Romain « Raison d'Etat, puissance et économie. Le mercantilisme de Giovanni Botero » Revue de métaphysique et de morale, n°39, 2003, pp. 311-321.

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légitime défense. Mais, la révolution se trouve aussi dans l'assujettissement de la politique à la morale. Hier, Machiavel a expulsé la morale de la politique, aujourd'hui Botero l'y réintroduit. « Botero dit Sfez, refuse d'attribuer de valeur absolue à la puissance d'Etat et maintient l'idée de la subordination de la raison d'Etat à la conscience et de la puissance d'Etat à l'autorité religieuse »1. Il pense contre Machiavel et Tacite que la morale religieuse est ce qui ne peut être transgressé par la raison d'Etat. L'Etat n'est pas souverain vis-à-vis de l'Eglise. Botero porte ainsi à la souveraineté ses premiers coups car il place l'Etat et sa raison sous la férule de l'Eglise et de la morale. Tout se passe comme si moraliser ou « raisonner la raison d'Etat » est un processus qui fragilise automatiquement la souveraineté et amène à sa reconsidération. Mireille Delmas-Marty dans un ouvrage2 sur la création d'un droit européen, révèle l'incompatibilité de la raison d'Etat raisonnée avec une souveraineté rigide et absolue. En effet, la création d'une Europe des droits de l'homme est l'occasion de la communautarisation des politiques nationales. Ceci implique la cession d'une parcelle de souveraineté nationale au profit d'un niveau supérieur, le niveau régional. Les Etats ainsi engagés dans ce processus de régionalisation doivent abandonner les « clauses échappatoires » qui peuvent servir de refuges à la raison d'Etat pour construire un espace plus grand, un espace intégratif et intégré.

Par ces trois éléments de similitude qui n'en excluent pas d'autres, la souveraineté et la raison d'Etat paraissent sinon interchangeables, du moins consubstantielles. Les fortunes de la souveraineté informent celles de la raison d'Etat.

2. La souveraineté : un concept aux multiples dimensions

L'initiative de transparence des industries extractives (EITI) remet-elle en cause la souveraineté des Etats ? Cette question remet à l'ordre du jour le débat autour de la souveraineté. L'interpellation est ainsi faite quant aux fortunes de la souveraineté dans un monde transformé. Y répondre c'est dire le dessein de positionner cette recherche dans le continuum de la conception dynamique de la souveraineté, se situant entre la rupture et la continuité3 ; ce qui expliquerait alors le rôle nouveau reconnu aux acteurs privés tels que les ONG et les compagnies extractives. En effet, deux écoles s'opposent dans ce débat et

1 Sfez, op.cit P.65.

2 Delmas-Marty Mireille (1989) Raisonner la raison d'Etat : Vers une Europe des droits de l'homme, Paris : PUF.

3 En réalité, la conception dynamique de la souveraineté traduit l'évolution de celle-ci vers un niveau autre que celui des origines. On peut donc avoir une évolution vers l'obsolescence, une évolution vers la démystification, ou encore une évolution vers une perception plus globale qui installerait les frontières des Etats et donc de leurs souverainetés sur les lisières sous-régionales, régionales et même globales. Il s'agit ici d'admettre que le dynamisme de la souveraineté la conduit vers l'évolution, mais la situant dans l'espace heuristiquement riche compris entre la rupture et la continuité.

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s'affrontent autour de la fixité de la souveraineté. L'une prônant l'absolutisme de la souveraineté, se décline en des dimensions mythique, perpétuelle et juridique. L'autre, dynamique, est démontrée par les dimensions obsolète, postmoderne et relative de la souveraineté.

a) La souveraineté comme principe absolu

La conception absolutiste de la souveraineté lui confère un caractère inamovible. Celle-ci procure à la souveraineté une essence, une teneur inchangeable, permanente. Elle fait de la souveraineté une réalité qui justifie les conflits, les cloisons territoriales et abstraites de tout temps. Mais au sein de cette conception, l'on relève trois dimensions d'appréhension : une dimension absolue perpétuelle, une dimension mythique et une dimension juridique.

Dans une ère où la défense des entités territoriales contre les invasions étrangères était au coeur des préoccupations, l'anarchie hobbesienne1faisait planer de la suspicion entre les entités politiques, surtout lorsque les menaces à la stabilité interne provenaient de l'extérieur, dans une Europe en proie aux schismes et autres révolutions. Penser alors la souveraineté comme pouvoir absolu dévolu au souverain, était envisageable non pas que ce fut une réalité absolue mais plus, la fabrication in vitro d'un principe destiné à produire de l'ordre. Un mythe fondateur d'un ordre nouveau2 . Ainsi, Thomas Hobbes dans sa définition de la République annonce déjà sa conception de ce qui plusieurs siècles durant, va structurer la conduite des affaires du monde. Il dit : « Une république est dite être instituée quand une multitude d'hommes s'accordent et conviennent par convention; chacun avec chacun, que, quels que soient l'homme, ou l'assemblée d'hommes auxquels la majorité donnera le droit de présenter la personne de tous, c'est-à-dire d'être leur représentant, chacun, aussi bien celui qui a voté pour que celui qui a voté contre, autorisera toutes les actions et tous les jugements de cet homme, ou assemblée d'hommes, de la même manière que si c'étaient ses propres actions et jugements, afin que les hommes vivent entre eux dans la paix, et qu'ils soient protégés contre

1 Alexander Wendt faisant sa classification des anarchies, parle de trois types: l'anarchie hobbesienne dans laquelle les Etats se considèrent comme ennemis, l'anarchie lockéenne au sein de laquelle les Etats se regardent comme des rivaux et l'anarchie kantienne où les Etats se regardent en amis. Wendt Alexander (1999), Social theory of international politics, Cambridge :Cambridge University Press, chap.6

2 Il faut dire qu'en même temps qu'il est l'un des théoriciens de l'absolutisme, Hobbes est aussi avec Locke l'un des bâtisseurs de la souveraineté en tant qu'elle est mythe fondateur. La création de Léviathan à partir d'une mise en commun des libertés pour la sécurité, rappelle le passage de l'état de nature lockéen au `civil government'. L'histoire regorge de tels mythes qui ont structuré la pensée des hommes car le souci de justifier et donc de légitimer l'Etat en tant que société de vie commune, imposait que l'on construise des mythes explicatifs de la domination d'un ou de quelques-uns sur la multitude. Qui vous a établi au dessus des autres ? La souveraineté en tant que mythe, a donc vocation à préserver le corps social du chaos, de l'anomie.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 8 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

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les autres1 ». La distinction entre `eux' et `nous', la cloison et la méfiance vis-à-vis des ennemis extérieurs vont ériger la souveraineté en sacro-saint principe exorcisant les démons de la déstabilisation. La hantise de l'insécurité a justifié l'omnipotence du souverain sur les sujets.

Quant à Vattel2, sa conception de la souveraineté découle de la nation. Cette dernière est pour lui un corps politique, une société d'hommes unis dans le but de promouvoir leur sécurité mutuelle par la combinaison de leurs forces. Il faut une autorité pour réguler l'action de ces hommes divers vers l'atteinte de l'objectif de sécurité. Cette autorité politique est donc la souveraineté et celui qui en est investi est le souverain. Il complète cette présentation de la souveraineté interne par celle externe en affirmant que toute nation qui se gouverne ellemême, quelle que soit sa forme, sans dépendance vis-à-vis d'un pouvoir étranger est un Etat souverain. Ses droits sont naturellement les mêmes que ceux de tout autre Etat. Cet absolutisme proclamé de la souveraineté tant à l'intérieur qu'à l'extérieur est aussi prôné par Jehan Bodin qui en fait une «puissance perpétuelle »3. Morgenthau la définit ainsi: « Sovereignty is the supreme legal authority of the nation to give and enforce the law within a certain territory and, in consequence independence from the authority of any other nation and equality with it under international law ». Il distingue la souveraineté du roi sur ses sujets de celle de tout Etat vis-à-vis de ses pairs dans le système international. Pour l'une et l'autre, il proclame l'inviolabilité sauf dans le cas des arrangements entre Etats. Toutefois, l'intérêt réside moins dans la distinction et les conditions de perte de la souveraineté que dans sa conception. En effet, la synonymie qu'il établit entre la souveraineté, l'indépendance, l'égalité et l'unanimité, soulève des interrogations quant aux faits de la scène internationale tel que la prévalence d'un hégémon qui impose sa loi à tous. L'indépendance suppose que la souveraineté suprême échoit à la nation sur elle-même et qu'il n'y a pas d'autorité au dessus d'elle. L'égalité met tous les Etats sous le droit international mais jamais les uns sous le couvert des autres et l'unanimité stipule qu'aucune décision ne m'engage sans mon consentement4. L'observation de la scène internationale révèle plutôt la difficulté à parler d'indépendance, d'égalité et d'unanimité dans un monde où prévaut comme le dit Morgenthau lui-même, la quête de puissance. L'on comprend dès lors que les conditions de perte de la

1 Hobbes Thomas (1651) Léviathan. Traité de la matière, de la forme et du pouvoir de la république écclésiatique et civile, traduction de Philippe Folliot (2004), troisième partie, chap. XVIII, P. 14

2 De Vattel Emmerich (1758) The law of Nations or the principles of natural law, Edition mise en ligne sur http://www. uqac.uquebec.ca.index.htm, revue par Paul Tremblay en 2002. Chap.1 section 1-4.

3 Bodin jean (1986) Les six livres de la république, Paris : Fayard.

4 Morgenthau H. J. (1950), Politics among nations; the struggle for power and peace, 6eme Edition, New York: Alfred A. Knopf, P.331-332;

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souveraineté telles qu'il les énonce laissent planer comme un nuage de contradiction si ce n'est l'illustration de la difficulté à cerner ce concept mouvant et évolutif1. En même temps, cette contradiction se renforce par la reconnaissance de l'impact du droit international sur les souverainetés des nations. En effet, si l'auteur assujettit toutes les nations au droit international, il annonce déjà ipso facto inconsciemment, le rôle d'acteurs autres qui peuvent intervenir dans l'initiation de ce droit et dans son exécution. Même en précisant les situations particulières qui favorisent la perte de souveraineté du fait du droit international, il ne semble pas qu'il y ait dans sa logique une césure franche entre la souveraineté absolue qu'il prône et la souveraineté en situation permanente de menace. Toutes deux restent fortement drainées par le souci de la non ingérence.

La souveraineté « morgenthauienne » est révélatrice de la dimension juridique qu'il faut intégrer pour une compréhension totale de la souveraineté en tant qu'elle est absolue. La souveraineté telle que pensée par Morgenthau est essentiellement juridique. Elle est le droit de faire le droit dans un territoire sans influence extérieure, le droit pour un ou quelques-uns de décider souverainement au nom de la multitude. De plus, l'évocation de la souveraineté comme principe juridique peut laisser penser qu'en raison des concepts nouveaux tels que le droit d'ingérence et la responsabilité de protéger, l'essence absolue de la souveraineté céderait la place à l'essence dynamique. Considérant le droit communautaire CEMAC, il se fonde sur le consensualisme des sources juridiques. En clair, le consensualisme et le consentement qui fondent les traités constitutifs d'espaces communautaires atténuent l'effet corrosif des intégrations qui sont alors non pas des tentatives de réduction de la souveraineté, mais la concordance des volontés. Le jus tractatum tel que codifié par la convention de Vienne du 23 mai 1969 reconnaît la souveraineté des Etats qui signent un traité, « c'est-à-dire un acte écrit, né de la concordance des volontés... d'Etats souverains et engendrant des effets ou des obligations juridiques à l'égard de ces Etats2 ». Les obligations juridiques ainsi acceptées ne constituent pas une entorse à la souveraineté des Etats car, « sans doute ayant ainsi accepté de se soumettre à diverses obligations, les Etats membres (d'une organisation sous-régionale ou régionale) avalisent en même temps une certaine restriction à leurs prérogatives internes et internationales. Cependant, ils n'ont fait que valoriser un attribut essentiel de leur

1 Morgenthau pense qu'une nation A perd sa souveraineté si elle permet à B de mettre un veto à sa décision. Une nation A perd également sa souveraineté si son gouvernement n'a plus qu'une existence apparente mais les décisions sont prises par B. Morgenthau, op. cit. p. 334-336.

2 Mouelle Kombi N.E « les aspects juridiques d'une union monétaire : l'exemple de l'Union Monétaire d'Afrique Centrale » Revue Générale de Droit International Public, Juillet-septembre 2001, n°3 P.528 ;

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souveraineté : le jus tractatum 1». L'impression de contradiction que l'on peut percevoir dans ces subtilités du droit, selon qu'il doit s'appliquer en sauvegardant la souveraineté, est renforcée par le dilemme causé par les exigences morales face aux situations de violation du droit international humanitaire.

Alors que le droit international sacralise la souveraineté et fonde sur elle la régulation des Etats en tant que sujets de droit, certains évènements ont démontré un malaise à rester accroché aux mâchoires de l'absolutisme de la souveraineté. Le Rwanda, Srebrenica, le Kosovo ont démontré le dilemme qui naît lorsque le droit fait face à la décrépitude morale dans l'arène internationale. L'article 2(1) de la charte des Nations Unies qui proclame l'égalité souveraine des Etats et son implication qui est la non-ingérence doit-il demeurer inviolé ou bien la communauté internationale doit-elle s'auto-flageller en renonçant aux principes qu'elle s'est forgée ? La résolution 43/131 du 8 décembre 1988 de l'Assemblée Générale de l'ONU portant droit d'ingérence, le rapport de la Commission Internationale de l'Intervention et de la Souveraineté des Etats (CIISE) du 30 septembre 2001 tentent de répondre à la question de Kofi Annan. Ce dernier se demandait comment se comporter devant les situations telles que le Rwanda et Srebrenica, si l'ingérence pose un problème au principe de souveraineté. A cette inquiétude le droit répond par des biais : droit d'ingérence, responsabilité d'intervenir, responsabilité de protéger. Toutefois, devant la position ambiguë du droit qui prévaudra en autorisant une intervention ici et le respect strict de la non-ingérence là-bas, l'on peut penser que la dimension juridique donne encore la part belle à la permanence de la souveraineté.

John Charvet estime que dans un sens relativement superficiel de la souveraineté, les pratiques d'intervention au nom de la protection des droits de l'Homme ont altéré substantiellement la position de l'Etat mais que dans un sens profond de la souveraineté, ces pratiques nouvelles ne marquent pas de changement sur le statut de l'Etat2. C'est une position qui consiste à penser que la souveraineté en tant que principe juridique demeure pertinente et permanente3, deux niveaux d'appréhension voient le jour, posant le problème du niveau

1 Mouelle Kombi N.E «L'intégration régionale en Afrique centrale : entre interétatisme et supranationalisme » in Ben Hammouda, Bekolo-Ebe et Touna Mama L'intégration régionale en Afrique centrale ; bilan et perspectives, Paris : Karthala. P.209. Il s'appuie pour le dire sur l'arrêt de la CPJI du 17 août 1923 au sujet de l'affaire du Vapeur de Wimbledon qui dit : « la faculté de contracter des engagements internationaux est précisément un attribut de la souveraineté de l'Etat ».

2 Charvet John «The idea of state sovereignty and the right of humanitarian intervention» International Political Science Review, vol. 18, n°1, pp. 39-48, (1997).

3 En cela, il rejoint Janice E. Thomson. En effet, celle-ci est sceptique quant à l'érosion de la souveraineté. La
définition de la souveraineté par le `contrôle' (Rule-enforcing) plutôt que par l'autorité' (Rule-making) a
entraîné les analystes interdependantistes à considérer que la souveraineté des Etats est érodée par le fait des

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pertinent de la souveraineté. Toutes les dichotomies trouvent alors un espace d'émulation : souveraineté absolue/souveraineté juridique, souveraineté légale/souveraineté législative, ce d'autant plus que la souveraineté comporte une double exigence. En effet, à l'extérieur, elle suppose la responsabilité de respecter la souveraineté des autres Etats et à l'intérieur, elle implique la responsabilité de protéger les citoyens des abus et autres violations. En somme, la dimension juridique de la souveraineté patauge encore dans l'indécision qui empêche de partir d'une volonté de quadrillage de la scène internationale par un droit international décalé, et la nécessité de s'extirper du manichéisme juridique.

Nathan Klassen affirme dans le sillage de ses précurseurs, l'absolutisme de la souveraineté. Il dit: «sovereignty is an absolute concept and certainly autonomy is a component of sovereignty».1 L'examen des trois dimensions démonstratives du caractère absolu, c'est-à-dire permanent de la souveraineté à l'aune de la transparence des industries extractives comme exigence, révèle en gros l'incompatibilité. Les fondements absolu, mythique et juridique de la souveraineté interdisent précisément toute immixtion dans les affaires internes des Etats. Les ressources extractives d'un pays appartiennent exclusivement à son peuple. La résolution 1803 de l'Assemblée Générale des Nations Unies datée du 14 décembre 1962 proclame la « souveraineté permanente des peuples sur leurs ressources naturelles ». Elle vient compléter la résolution 1314 de la même instance datée du 12 décembre 1958, qui en même temps qu'elle donne des recommandations concernant le respect du droit des peuples et des nations à disposer d'eux-mêmes, crée la « commission pour la souveraineté permanente sur les ressources naturelles ». L'on peut y ajouter la résolution 626 du 21 décembre 1952 énonçant le droit des peuples d'exploiter librement les richesses et les ressources naturelles. L'autorité et la légitimité des dirigeants étant l'émanation des peuples, cette souveraineté des peuples proclamée par le droit international relatif aux ressources naturelles est exercée par les dirigeants. Or, le projet de transparence dans les industries extractives comporte en soi une négation de la rigidité des frontières. De plus, l'hésitation du droit à s'inscrire résolument dans la flexibilité, lui a fait manquer l'occasion d'autoriser l'émulation de telles entreprises car, la mal gouvernance peut aussi être cause d'un génocide silencieux, au même titre que les

divers flux qu'occasionne la globalisation. Or dit-elle, l' « autorité méta-politique » de l'Etat qui lui confère l'ultime décision sur la fabrication des règles et des normes, est le signe que la souveraineté est sauve. Dans l'application des lois, l'Etat peut s'inscrire dans un multilatéralisme qui s'impose avec la globalisation, mais cela n'est en rien le signe de l'érosion de la souveraineté. Thomson J.E « State sovereignty in international Relations: Bridging the gap between theory and empirical research »International Studies Quarterly n°39, pp. 213-233, (1995).

1 Klassen, Nathan (2005) «State autonomy and encryption: an examination of technology's ability to impact state autonomy», Journal of military and strategic studies, 8(1), p.1.

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nettoyages ethniques. Alors l'urgence qui a justifié une codification par le « droit des résolutions » (droit non contraignant au nom du sacro-saint principe de la souveraineté) ici, peut aussi servir de prétexte pour une codification là-bas.

Cependant, le processus d'adoption et d'exécution des résolutions met en exergue les conflits qui existent au sein des Nations Unies. Et, ceux-ci expliquent pour partie la convocation de la souveraineté pour s'opposer à la « puissance du nombre » et à la « puissance matérielle ». Comme le montre Mohammed Bedjaoui, l'accession massive des Etats à l'indépendance dans les années 1960 a favorisé le basculement de la majorité à l'Assemblée générale des Nations Unies. Alors, les résolutions en tant que source de droit vont devenir le théâtre de l'opposition entre le tiers-monde et les pays industrialisés en vue de l'instauration d'un nouvel ordre économique international1. Si le « courant majoritaire » parvient par l'avantage du nombre à faire passer une résolution, le « stagnant minoritaire » possède encore l'arme de l'inexécution si ses intérêts sont menacés. Aussi, peut-on comprendre aisément que les résolutions concernant le « droit des peuples à disposer librement de leurs ressources naturelles » ne soient pas souvent exécutées, en raison de l'intérêt que lesdites ressources représentent pour les nations industrialisées qui, fort des stratagèmes multiples2, s'opposent à l'application stricte de certaines résolutions. Face aux offensives du tiers-monde, la riposte des pays développés pour empêcher l'adoption d'une résolution peut activer l' « arme absolue » de l'inexécution3. La résolution comme espace d'expression des conflits politiques révèle que la souveraineté est souvent convoquée pour préserver les intérêts des Etats au sein des Nations Unies. Ce, d'autant plus qu'au plan international, la volonté de la majorité ne s'impose pas à la minorité à cause précisément de la souveraineté des Etats. En principe, en cas d'exécution des résolutions dans la prééminence du droit sur les intérêts politiques, la souveraineté juridique prônée par ces textes de droit est antinomique de l'étude de la transparence des industries extractives qui ne peut se faire en négligeant les interférences multiples dans les espaces de souveraineté étatique qu'autorise EITI. Ce qui est contraire à l'esprit des résolutions onusiennes sur cette question. Mais, la

1 Bedjaoui Mohammed « Un point de vue du tiers monde sur l'organisation internationale » in Georges AbiSaab (dir.) (1980) Le concept d'organisation internationale, Paris : Unesco, pp. 223-292.

2 Dans le cadre de ce que Mohammed Bedjaoui appelle la riposte des Etats industrialisés, ces derniers utilisent des stratégies telles que le procès de la « majorité automatique » qui est favorisée par le grand nombre des Etats du tiers monde. Ils font prévaloir le phénomène de la clientèle de vote par lequel ils s'assurent les votes de certains Etats du tiers monde en échange d'avantages divers. Ils entretiennent et récupèrent les divergences entre les pays du tiers monde. Ils procèdent aux agressions et déstabilisations politiques de certains Etats comme ce fut le cas au Chili de Salvador Allende. Ils menacent quelques fois de se retirer des organisations internationales (les USA se sont retirer de l'OIT en 1976) pour les paralyser, quand ce n'est pas leur droit de veto qui est activé. Bedjaoui, M. idem, pp. 236-256.

3 Bedjaoui, idem, pp. 262-265.

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puissance matérielle des Etats industrialisés fragilise ce principe, et permet l'immixtion de ceux-ci dans les affaires de ceux-là. Alors, dans les deux cas, il apparaît surtout que le sens conféré à la souveraineté juridique au plan international est incompatible avec la transparence des industries extractives, sous réserve des incursions qu'autorise le refus d'exécution des résolutions, en raison de la puissance dont disposent certains Etats. L'on ne saurait dès lors imaginer la transparence des industries extractives comme initiative impliquant des acteurs privés et étrangers, dans le contexte de la souveraineté absolue.

b) L'approche dynamique de la souveraineté

La seconde conception dite dynamique se fonde sur l'évolution de la souveraineté et, se décline en trois dimensions : la dimension obsolète c'est-à-dire de l'absolutisme vers l'obsolescence, le versant postmoderne qui établit la frontière de la souveraineté au niveau macro et enfin le caractère relatif de la souveraineté.


· De l'obsolescence de la souverainetéLa souveraineté qui est un principe de la modernité politique, aurait connu une fin avec

l'inflation de la violence caractéristique du XXème siècle. Telle est la position de Gérard Mairet1 qui estime que, l'importance de la souveraineté réside dans sa capacité à permettre que la société se conserve et connaisse la sécurité. Même s'il admet que les Etats et les populations n'ont pas pour autant disparu, Mairet en déclarant la fin de l'ère de la souveraineté s'illustre par son positionnement en faveur du déclin de celle-ci, qui aurait connu un âge d'or avec la modernité politique dont elle a constitué un principe matérialisé dans la construction de la territorialité politique des Etats. L'on peut s'interroger cependant sur la disparition totale du principe de souveraineté alors que survit l'Etat dont il est le ferment et le fondement. A côté de cette déclaration de décès, résonne le son de certains auteurs qui comme Krasner s'étonnent de l'emphase mise sur la globalisation. Cette dernière pense-t-il, est vieille et cela implique que des quatre types de souveraineté qu'il distingue2, la « westphalian sovereingty » est une fiction car à aucun moment de l'histoire de l'humanité, il n'y a eu exclusion des sources extérieures d'autorité de jure et de facto. En gros dit-il, le principe de souveraineté comme principe régulateur des relations internationales est une hypocrisie

1 Mairet Gérard (1997) Le principe de souveraineté, histoire et fondement du pouvoir moderne, Paris : Gallimard.

2 Pour définir la souveraineté, Krasner effectue une classification de quatre types de souverainetés. `Domestic sovereignty' comme la structure d'autorité au sein d'un pays, `Vattelian sovereignty', `interdependance sovereignty' et `international legal sovereignty'. Krasner S.D. (1999), « Abiding sovereignty » International political science review, vol. 22, n°3, pp. 231-233.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 14 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

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organisée1. Cette mouvance tend à nier l'existence de la souveraineté, ou à afficher son acte de décès au nom de la mondialisation, vieille réalité qui s'amplifie. La globalisation et les flux divers auraient retourné le monde au point que Badie2 parle de capacité de l'Etat plutôt que souveraineté.

Les analyses de l'interdépendance libérale justifient par ces flux observés aux frontières des Etats, la subversion de la souveraineté. Le rejet de l'interétatisme par Nye et Keohane3 dès les années 1970 et l'affirmation que la politique internationale est plutôt transnationale qu'internationale, sont des éléments qui à la suite des travaux de Arnold Wolfers4, viennent remettre en cause l'accent très souvent mis sur l'Etat et donc, la souveraineté qui en est le principe fondateur. En effet ce courant de pensée suppose que la souveraineté de l'Etat serait érodée par les flux occasionnés par l'interdépendance économique, la démocratie, la technologie ; et de ce fait, que l'Etat a perdu le contrôle sur ses frontières5. Rejettant cette acception, Janice Thompson dit: « Sovereignty is not about state control but about state authority. The question is whether or not the state's ability to make authoritative political decisions has eroded; that is whether ultimate political authority has shifted from state to non-state actors or institutions6» (la souveraineté ne renvoie pas au contrôle étatique mais, à l'autorité de l'Etat. La question est de savoir si oui ou non la capacité de l'Etat à prendre des décisions politiques avec autorité est érodée; c'est-à-dire, si l'autorité politique ultime est passée de l'Etat aux acteurs et institutions non-étatiques). Fondant la souveraineté sur l'autorité plutôt que sur le contrôle qui appelle à contribution d'autres acteurs de la scène internationale, elle rejette l'idée de l'érosion de la souveraineté étatique.

L'économie politique internationale s'appuie sur l'interaction entre le marché et l'Etat pour dire l'obsolescence de la souveraineté parce qu'annonçant le déclin ou le retrait de l'Etat. Dès 1987, Robert Gilpin7 s'interrogeait sur les leviers qui déterminent le fonctionnement du marché et les incidences réciproques des variations dans le fonctionnement de l'Etat et du

1 Krasner S.D Sovereignty: organized hypocrisy op. cit.

2 Badie B. «De la souveraineté à la capacité de l'Etat» in Smouts M.C Les nouvelles relations internationales, pratique et théorie, Paris : Presses de science Po, 1998, pp.37-56.

3 Robert O. Keohane, Joseph S. Nye (Eds), (1972) Transnational relations and world politics, Cambridge: Harvard University Press. Keohane R. Nye J. (1977) Power and interdependence: World politics in transition, Boston: Little Brown.

4 Wolfers Arnold (1962) (Eds) Discord and collaboration: Essays on International Politics, Baltimore: John Hopkins Press.

5 Krasner est sceptique quant à la nouveauté de cette interdépendance car pense-t-il, ces phénomènes sont observables depuis des siècles. Krasner S.D « Approaches to the State : Alternative Conceptions and Historical Dynamics » Comparative Politics, n°16, pp. 223-246 (1984)

6 Thompson Janice « State Sovereignty in International Relations: Bridging the Gap between Theory and Empirical Research» International Studies Quarterly, n°39, pp. 213-233 (1995)

7 Gilpin Robert (1987) The Political Economy of International Relations, Princeton: Princeton University Press.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 15 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

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marché. Même s'il est resté centré sur l'Etat dans son interaction avec le marché, en montrant comment le fonctionnement de l'Etat ne peut minorer les idées économiques tant les deux interagissent1, Gilpin a posé les jalons d'un courant de pensée qui très vite, va remettre en cause la souveraineté des Etats au nom de l'interpénétration avec le marché. Dans leur ouvrage intitulé Triangular diplomacy, John Stopford et Susan Strange2 démontrent que l'on est passé des rivalités par affinité sectorielle (Etats contre Etats, Firmes contre firmes), à l'imbrication des Etats et des marchés pour la production et la distribution des richesses. Le marché cesse d'être l'instrument du politique, pour devenir une autorité propre et statocidaire. Plus tard en 19963 Susan Strange pousse plus loin l'analyse et affirme que: « The impersonal forces of world markets integrated over the postwar period more by private enterprise in finance, industry and trade than by the cooperative decisions of governments, are now more powerful than the state to whom ultimate political authority over society and economy is supposed to belong»4(les forces impersonnelles des marchés mondiaux intégrés pendant la période d'après guerre plus par les entreprises privées de finance, de l'industrie et du commerce que par les décisions de coopération gouvernementale, sont à présent plus puissantes que l'Etat auquel est censé appartenir l'autorité politique ultime sur la société et l'économie). En clair, elle annonce le recul de l'autorité étatique devant le pouvoir des sociétés multinationales et transnationales. Josépha Laroche souscrit totalement à cette logique, elle fustige les travaux du droit international public, des géopoliticiens, de l'école française de l'histoire politique et plus récemment des réalistes qui ont mis un accent « exagéré » sur l'Etat alors que pense-t-elle, la politique internationale n'est plus le lieu d'expression du monopole étatique5. Laroche pense l'Etat en terme d'âge d'or et de déclin. Celui-ci serait entré dans sa phase de déclin qui se traduit par l'échec de sa greffe dans les sociétés autres, les contraintes internes et les défis transnationaux. A l'intérieur, l'Etat fait face aux nationalismes et à l'extérieur, il doit se frotter aux violences transfrontalières et à l'impossibilité de faire face aux flux médiatiques et migratoires. En même temps, la mondialisation aurait favorisé l'émergence de nouveaux intervenants tels que les organisations internationales, les ONG, les firmes transnationales et les individus en réseaux.

1 Quoique Ngaire Woods pense que les idées plus globalement et les idées économiques particulièrement ont été négligées dans la théorie des Relations Internationales. Ngaire Woods « Economics Ideas and International Relations : Beyond Rational Neglect » International Studies Quarterly, n°39, pp. 161-180 (1995)

2 Stopford J. Strange S. (1991) Rival states, rival firms: Competition for world market shares, Cambridge: Cambridge University Press.

3 Strange Susan (1996) The Retreat of the State: The Diffusion of Power in the World Economy, Cambridge: Cambridge University Press.

4 Strange (1996) op. cit. P 4

5 Laroche Josepha (1998) Politique internationale, Paris: LGDJ.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 16 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

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Ces analyses de l'économie politique internationale ont le mérite de faire prendre conscience de la complexité de la politique internationale qui ne saurait être le fait des seuls Etats. De plus, elles rendent raison du rôle souvent ignoré de l'économie dans la structuration de la scène mondiale. Ce faisant, elles postulent le retrait de l'Etat et donc de la souveraineté. Elles permettent de comprendre les logiques qui animent les firmes transnationales qui sont impliquées dans EITI ; elles constituent par ailleurs un apport dans la compréhension du système complexe post-guerre froide et même post-Georgie dans lequel l'économique fait corps avec le politique1. Toutefois, cette tendance à proclamer ex abrupto le déclin de l'Etat génère un certain malaise quand on a en mémoire le rôle que jouent les Etats dans la régulation des systèmes politiques. L'Etat n'est-il pas le dépositaire en dernière instance de l'autorité, c'est-à-dire de ce que Thompson appelle « rule-making » ? Il nous semble donc plus judicieux de postuler qu'un relatif retrait de l'Etat du fait de l'exigence de la mondialisation et l'émergence de nouveaux acteurs ont constitué la toile d'une scène internationale complexe dont la lecture nécessite mieux qu'une posture simpliste à partir d'une école théorique, un cocktail théorique qui soit en soi, le signe de la complexité.


· La post-modernité contre la souveraineté ?

L'école du cosmopolitisme trouve dans cette négation de la souveraineté un terreau favorable pour faire germer ses positions. Au nom de la globalisation, les auteurs tels que Paul Kennedy2 inscrivent leurs travaux dans une indifférence totale du concept de souveraineté. Certes, le fait de ne pas évoquer ce concept ne signifie pas sa négation, mais l'extrême célébration des bienfaits de la globalisation fait penser que les territoires et leur principe fondateur sont devenus impertinents3. Les « socialités post-nationales ou transnationales » se construisent d'ailleurs sur la méconnaissance de l'intégrité identitaire et nationale. La « coprésence partielle » d'un migrant est le fait d'une subversion vis-à-vis de son territoire

1 A titre d'illustration, l'on se souviendra de la crise financière et de son incidence sur les Etats, en même temps que du rôle que tente de jouer l'Etat pour qu'elle soit résorbée. D'autre part, le rôle du géant gazier russe Gazprom dans la crise du gaz entre la Russie et l'Ukraine en janvier 2009 avec des incidences sur les relations entre la fédération russe et l'Union Européenne, rappelle que l'économie joue un rôle non négligeable dans les relations interétatiques.

2 Lire par exemple: Kennedy Paul (2007) « The subversive element in inter-personal relations-cultural border crossings and the third spaces: Skilled migrants at work and the play in the global system » Globalizations, vol. 4, n°3 pp. 355-368.

3 L'on notera toutefois que la globalisation que célèbrent les cosmopolitistes comporte en soi les ingrédients d'une avancée vers le passé. En effet, comme le montrent des auteurs tels que Arjun Appadurai, Christophe Jaffrelot et Alain Dieckhoff, les peurs que suscite la globalisation sont génératrices des sentiments de nationalisme et d'irrédentisme qui peuvent quelquefois déboucher sur des violences. La crainte d'une absorption par le global crée des replis identitaires de nature à renforcer les appartenances primordialistes. Voir par exemple : Appadurai A. (2007) La géographie de la colère : la violence à l'âge de la globalisation, Paris : Payot. Dieckhoff Alain et Jaffrelot Christophe « La résilience du nationalisme face aux régionalismes et à la mondialisation » Critique Internationale n°23, pp. 125-139, avril 2004.

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d'origine et d'un refus d'assimilation totale au pays d'accueil. Les troisièmes espaces de socialité qui en découlent se construisent par ce que Robin Cohen appelle le « troisième paradigme » c'est-à-dire l' « hybridation »1.

La problématique des intégrations sous-régionales et régionales a déplacé la frontière de l'Etat en la superposant sur la frontière des espaces globaux. Souveraine mondialisation irrévérencieuse des territoires, le global comme unité d'analyse du système mondial redonne de la pertinence au paradigme nostalgique de Roland Robertson. Le postmodernisme se particularise par la prétention du dépassement des cadres stato-nationaux. La pertinence de cette posture se mesure à la possibilité de rendre raison de l'action des acteurs transnationaux qui, dans le cadre de l'initiative de transparence des industries extractives, interagissent avec l'Etat. C'est le signe que le national comme niveau d'analyse de la scène politique mondiale est en perte de vitesse au profit du global mais plus fréquemment, du régional. Les politiques des puissances européennes sont dans cette mouvance de régionalisation, l'européanisation des politiques publiques des nations européennes illustre cette quête d'efficacité par la régionalisation. Cependant, l'initiative de transparence des industries extractives est aussi l'occasion de l'affirmation de l'inamovibilité de l'Etat dont la postmodernité2 laissait penser qu'il est obsolète. Badie qui observe le processus d'intégration régionale comme signe de l'irruption du social sur la scène internationale, note tout de même que l'incertitude y est du fait de la réinvention de la puissance étatique par certaines stratégies de survie du système westphalien3. C'est penser avec Justin Rosenberg que la mondialisation comme théorie explicative des phénomènes de la supraterritorialité n'est pas en contradiction avec le système interétatique de Westphalie4. Compris comme le dépassement absolu de la territorialité, l'approche postmoderne de la souveraineté ne permet pas d'analyser avec pertinence les transactions complexes dont l'EITI est le théâtre. Car, elle exclut l'Etat en tant que creuset de la souveraineté du domaine de la pertinence analytique.

1 Robin Cohen pense qu'à côté des paradigmes « primordialiste » et « uniformiste », se trouve le paradigme de l' « hybridation ». Cohen Robin (2007) « Creolization and the cultural globalization: the soft sounds of fugitive power » Globalizations, vol.4, n°3, pp. 369-384.

2 Il faut saisir ici la postmodernité comme l'affirmation du dépassement de l'Etat comme niveau d'analyse des relations internationales et la conviction que les niveaux régional et global sont plus appropriés pour la compréhension de la politique internationale au XXIème siècle. Cette conception n'a évidemment rien à voir avec le sens que Jacques Chevallier confère à la post-modernité c'est à dire, l'exacerbation des dimensions déjà présentes au coeur de la modernité (l'individualisme, la toute puissance de la Raison, la croyance en la vertu de la science...) et l'émergence des potentialités différentes. Autrement dit, Chevallier fait une autopsie de l'Etat plutôt que la sociologie de son fonctionnement dans la politique internationale. Lire Jacques Chevallier (2004) L'Etat post-moderne, Paris : LGDJ, 2ème Edition.

3 Bertrand Badie (2008) Le diplomate et l'inclus, Paris : Fayard, pp. 153-184.

4 Justin Rosenberg, The follies of globalization theory. Polemical essays, London, New York: Verso.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 18 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

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Les expéditions humanitaires dans le cadre d'un droit d'ingérence1 qui autorise les incursions dans les sanctuaires étatiques ont justifié d'une part la négation de la souveraineté, d'autre part l'affirmation de son obsolescence. Autrement dit, cette dimension se situe aux antipodes de la souveraineté comme principe absolu erga omnes. En même temps, transforme le principe de raison d'Etat en lui donnant des assises morales. Autrement dit, un Etat va violer la norme de la non-ingérence au nom de la morale qui exige que soient condamnés les crimes contre l'humanité et autres crimes de guerre. Ce courant, en même temps qu'il nie à la souveraineté quelque pertinence, retient de la raison d'Etat son aspect moral.

La considération des dimensions obsolète et postmoderne2 de la souveraineté explique le déploiement des acteurs privés qui sans égard pour les frontières nationales, se meuvent au gré de leurs intérêts. La mondialisation des espaces et du temps a encouragé une interconnexion des réseaux et des acteurs qui drainent avec eux, les pratiques et les intérêts. La globalisation faut-il le rappeler, trouve sa pertinence dans la négation de la souveraineté en tant que principe fondateur du monde des Etats et de leur fonctionnement sur la sphère internationale. La chute des frontières devant les flux globalisants ouvre la boîte de Pandore des pratiques immorales qui affluent alors sur les sanctuaires nationaux. Toutes ces guerres autour des industries extractives au Liberia, en RDC, en Angola etc... impliquent des acteurs multiples dont l'action s'inscrit dans la transnationalité. L'impact de ces acteurs favorise des enrichissements par le fait de l'exploitation des ressources naturelles en temps de paix comme en temps de guerre. Autrement dit, les dimensions obsolète et postmoderne permettent de comprendre les problématiques développées autour des guerres comme le musellement de la transparence par l'afflux des acteurs multiples du fait de la globalisation. Elles permettent également de comprendre la transparence des industries extractives comme initiative qui implique pleinement les acteurs privés car, l'obsolescence de la souveraineté ou sa suspension

1 Le 8 décembre 1988, le Conseil de Sécurité des Nations Unies adopte la résolution 43/131 portant conditions d'assistance en cas de situation d'urgence. Ainsi naquit sous l'impulsion de la France le droit d'ingérence que Armand Rolin appelle « droit de l'urgence » voir Rolin A. (dir.) (2006) Situations d'urgence et droits fondamentaux,Paris : l'Harmattan. P. 11. Ce droit est un coup dur porté à la souveraineté des Etats mais il faut relever le paradoxe qu'il comporte. En effet, au nom de la souveraineté des peuples dont l'Etat a failli dans la protection des droits, ce qui est la responsabilité interne de la souveraineté, un Etat tiers ou une communauté d'Etats peut violer la souveraineté internationale d'un autre Etat. Cela nous a fait dire plus haut que la dimension juridique de la souveraineté se caractérise par son ambiguïté. A propos du droit d'ingérence, lire par exemple: Zorgbibe Charles (1996) Le droit d'ingérence, Paris : PUF. Bettati Mario (1996) Le droit d'ingérence, mutation de l'ordre international, Paris : Odile Jacob.

2 Il faut saisir la postmodernité ici comme une réalisation incomplète de la « deuxième modernité » de Ulrich Beck. Ce dernier assimile la postmodernité à une abolition des frontières. Or, dans notre perception, la dimension postmoderne de la souveraineté suppose l'extension de la frontière dans laquelle s'exerce la souveraineté aux niveaux sous-régional et régional. Voir Beck Ulrich (1986) La société du risque. Sur la voie d'une autre modernité, Paris : Aubier.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 19 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

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sur les espaces de la globalisation autorise l'épanouissement de tous les acteurs, la démocratisation de la scène mondiale. Mais cette approche est muette sur le rôle que continue de jouer l'Etat dans la régulation de son espace de souveraineté car, elle privilégie les pool de souveraineté ou son absence totale. En fait de démocratisation de la scène mondiale, l'on assiste du fait de la postmodernité, à la contagion de l'anarchie internationale à l'espace interne. Ce contexte en même temps qu'il permet l'euphorie des acteurs transnationaux et privés, réduit l'Etat à un simple statut d'observateur et donc, ne permet pas de rendre compte du rôle de ce dernier dans l'initiative de transparence des industries extractives. En effet, cette dimension de la souveraineté est trop ouverte pour que l'Etat puisse se prévaloir du rôle régulateur qui est le sien dans son espace territorial. L'Etat semble inexistant dans ce contexte et, les subversions externes qui sont le fait des acteurs transnationaux et celles internes qui sont l'ouvrage des entrepreneurs identitaires, dont l'action est fondée sur le repli aux cellules primordialistes, semblent laisser le Léviathan spectateur devant le scénario d'une histoire qu'il a écrite au cours des siècles. Cette dimension est beaucoup trop ouverte pour rendre pertinemment raison de la complexité des interactions que met en scène l'EITI.


· La souveraineté responsable : le choix de la relativité.

Une troisième approche dite relative, appelle donc à la prudence quant à l'appréciation des fortunes de la souveraineté. Les relations internationales contemporaines remettent en cause les radicalismes positionnels à l'égard de la souveraineté. N'est-il- pas excessif d'arguer que la souveraineté est restée la même heri et hodie ? Les mutations observées dans la vie politique internationale ont-elles laissé indifférents les courants théoriques ? Si le contexte, les formes et les acteurs des relations internationales changent, les acceptions que l'on a des principes structurants de celles-ci devraient par un effet de levier, connaître un sort similaire. Dire que la souveraineté n'a jamais existé ou alors qu'elle est prévalente avec la même intensité qu'au temps des seigneuries, c'est tomber dans le double piège du « toujours ainsi » et du « tout est nouveau »1. Une sociologie de la scène internationale révèle que même si la souveraineté est une fiction, c'est une fiction qui produit des effets de réalité. Comment comprendre l'incursion russe dans le territoire géorgien en août 2008 sinon par la volonté de la Russie de préserver son territoire de l'avancée vers l'Est de l'OTAN, et donc par les inquiétudes que procure la soif de souveraineté. Comme le rappelle Helen Thompson, les écoles du libéralisme et du cosmopolitisme n'ont fait aucun cas de la souveraineté. C'est ce

1 Voir Sindjoun Luc «Transformation of International Relations-Between change and continuity: Introduction» International political science review, vol. 22, n°3 p.221, (2001).

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 20 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

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qui justifie son ardeur à la défendre dans un contexte de mondialisation avancée1, preuve que les discours sur la fin de la souveraineté n'éludent pas la réalité de son existence, de sa résistance face aux forces de la transnationalisation. Il devient alors intéressant d'appréhender la scène internationale en terme de systèmes ouverts comme le conseillent Christopher Ansell et Steven Weber2, c'est-à-dire intégrer les exigences actuelles d'ouverture à la nécessité de préserver l'autonomie des sanctuaires territoriaux. C'est ainsi que Bertrand Badie, prenant acte de la rémanence de l'autorité étatique mais en même temps de l'entrée dans l'arène des sociétés3, parle d'un glissement de la souveraineté vers la responsabilité réciproque4. L'heure est donc à la reconnaissance de la nuance dans la considération de la souveraineté en tant que principe. La souveraineté est devenue responsable5, encadrée. C'est dans cet environnement qu'Ariel Colonomos considère que la chute du Mur de Berlin met en ruine l'idée d'une société internationale qui se fonde uniquement sur la puissance et la force. Ces deux facteurs portés par les Etats, seraient désormais en cohabitation avec les valeurs et la morale que véhiculent les nouveaux protagonistes entrés en scène à la faveur de la rupture de la décennie 1990. Toutefois, la morale ainsi invoquée, servirait à la formation des intérêts6. La souveraineté devient ainsi un principe dont la transformation conduit à l'excroissance des acteurs autour des valeurs et de la morale. C'est dans ce continuum que se situe notre étude qui, mettant en scène des acteurs privés en collusion avec les Etats, démontre comment la transparence des industries extractives sert les intérêts multiples des acteurs dans le cadre d'un enchevêtrement des ordres étatique et privé. Le versant moral de l'analyse sous-tend la responsabilité de la souveraineté qui, parce que le sort de l'autre proche ou lointain est l'objet de l'attention des acteurs désormais, se mue en principe relatif, principe de responsabilité.

Ce premier niveau de la problématique qui présente l'orientation vers une approche relative de la souveraineté, permet de faire le constat de la partialité des postures privilégiant le choix

1 Thompson, Helen «The case of external sovereignty» European Journal of International Relations, vol. 12, n°12, pp. 251-274, (2006).

2 Ansell K. C. & Weber S. (1999), «Organizing international politics: Sovereignty and open systems» International political science review, vol.20, n°1, pp. 73-93.

3 Lire par exemple : Badie B. (2009) Le diplomate et l'intrus, l'entrée des sociétés dans l'arène internationale, Paris : Fayard, mais également Badie B. (2002) La diplomatie des droits de l'homme, entre éthique et volonté de puissance, Paris : Fayard. Dans ces deux ouvrages, l'auteur affirme une coexistence des ordres westphalien et privé.

4 Badie B. (1999) Un monde sans souveraineté, les Etats entre ruse et responsabilité, Paris : Fayard. Mais cette idée revient systématiquement dans les travaux de Badie, aussi peut-on lire certains autres de ses travaux à ce sujet.

5 La notion de responsabilité écologique fait partie de ces thématiques nouvelles qui renforcent la co nviction de la mutation de la souveraineté en responsabilité. Au sjuet de la souveraineté qui serait devenue responsable par le fait de la prise en compte des causes écologiques, lire par exemple : Karen Liftin (ed) The greening of sovereignty, London : MIT Press, 1998.

6 Colonomos A. (2005) La morale dans les relations internationales, Paris : Odile Jacob.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 21 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

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de l'absoluité ou de l'obsolescence. Certes, chacune de ces postures comporte quelques éléments de pertinence et dans les faits, l'on peut rencontrer des situations dans lesquelles les Etats, jaloux de leur existence internationale fondée sur la reconnaissance de leur souveraineté, défendent celle-ci comme une réalité absolue et inconditionnelle. L'implication des Etats dans l'initiative ici étudiée, impose une prise en compte de cette réalité. De même, l'excroissance des acteurs privés irrévérencieux de la souveraineté autorise une prise au sérieux de l'allégation d'une obsolescence du principe de souveraineté, qui serait rentré dans le déclin avec notamment la mondialisation et ses phénomènes tels que la globalisation et la banalisation des interactions et de la violence. La souveraineté comme principe structurant des relations internationales, se donne dès lors à voir comme un principe relatif. Telle est la posture qui encadre notre étude.

3. Second niveau de problématisation: la dimension éthique du capitalisme, l'intérêt ou la morale ?

L'inflation discursive sur l'éthique dans les entreprises en général et dans les firmes transnationales en particulier comporte une certaine illusion du fait nouveau. L'emphase mise sur le développement durable en ce qu'il est « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs1 », est une illustration de la rhétorique de la morale dont se sont saisies les entreprises tant dans leurs déploiements transnationaux que nationaux. L' «Agenda 21 » rappelle les principes et les applications de cette logique qui dès le sommet de la Terre de Rio en 1992, est au coeur de l'activité transnationale de certains acteurs. En 2002 à Johannesburg, l'accentuation de cette logique a fini de faire penser que la contagion du virus de la morale dans la production capitaliste a pris l'envergure d'une pandémie. Alors, fait nouveau ou résurgence d'une dialectique tapie dans les fourrés de l'Histoire tout au long des siècles ?

La transparence des industries extractives pose à côté de la problématique de la souveraineté, le problème du rapport du capitalisme à l'éthique. Car, le déploiement de l'activité des firmes transnationales constitue l'illustration parfaite du capitalisme industriel. Mais lorsqu'on en vient à exiger la transparence dans leurs activités, dès lors qu'elles adhèrent à la norme éthique de la transparence, c'est la morale qui en tant qu'elle est le dernier espoir de la stabilisation d'une société qui vogue à vau-l'eau vers le chaos, est invitée dans les structures capitalistes. Au premier abord, le fait paraît surprenant et nouveau mais, la scrutation de

1 C'est ainsi que le rapport Brundtland définit le développement durable. Cette définition comporte en soi l'exigence de moralisation dans l'utilisation des ressources car, elles ne sont pas éternelles.

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l'histoire semble révéler une existence de la conscience éthique dans la pensée de certains théoriciens du capitalisme, quoique d'autres y furent hostiles.

a) Du capitalisme en bref

Il convient d'abord de discourir sur le capitalisme, du moins sur ses grandes lignes. Au-delà de la longue histoire du capital dans les modes humains de production des richesses, le capitalisme en tant que système de production des richesses ne s'est développé qu'au XVème et XVIème siècles. Le capital s'il est indispensable au développement du capitalisme et même s'il prête au système son radical dans la construction lexicale, n'est pas l'unique caractéristique du capitalisme. Comme le fait remarquer Aristote, les cités grecques avaient déjà l'art de ces échanges et procédés qui permettent de créer des richesses à partir d'un capital1. Inscrivant dans le même esprit l'activité économique de type capitaliste dans la préhistoire du capitalisme en tant que système de production élaboré, Jean-marie Albertini et Ahmed Silem disent : « Si les spéculations théoriques et explicatives sont récentes, les prescriptions économiques sont sans doute presque aussi anciennes que l'invention de l'économie. Le code du roi Hammourabi, la sagesse égyptienne ou la Bible comportent des recommandations morales à portée économique2 ». Max Weber livre les grands traits qui à son sens, fondent le capitalisme, dans une taxonomie qui crée une affinité élective entre l'esprit du capitalisme et l'éthique protestante3. Weber estime que le capitalisme se fonde sur

1 Dans son ouvrage La politique, Aristote décrit déjà le passage d'une économie de subsistance à une économie monétaire. Dans ces temps, se situe d'après lui la genèse de la monnaie dont il condamne l'accumulation pour elle-même et la spéculation marchande qui permet son obtention. L'on peut y déceler déjà la présence de la morale qui subrepticement, se glissait dans la pensée de l'auteur. Aristote (1971) La politique, Paris : Gonthier PP.13-35.

2 Albertini J-M et Silem A (1983) Comprendre les théories économiques : petit guide des grands courants, Paris : Seuil p.10

3 En cela, Weber fera face à une opposition virulente de la part des auteurs tels que Albert Hirschmann. En effet, Albert Hirschmann en s'appuyant sur Steward et Montesquieu montre que les intérêts économiques sont peu à peu compris au XVIIIème siècle comme le seul moyen de dompter les passions politiques. Ce faisant, il entend montrer que contrairement à ce qu'affirme Weber, l'esprit capitaliste s'enracine dans le société et ne s'affirme pas uniquement comme un élément exogène qui découle du protestantisme pour irriguer la société entière. Voir Hirschman Albert O. (1977) The passions and interests: political arguments for capitalism before its triumph, Princeton: Princeton University Press. Omar Aktouf, Renée Bédard et Alain Chanlat quant à eux, démontrent que l'éthique catholique peut également être facteur de développement par une adoption et une affinité avec le capitalisme. Prenant l'exemple québécois, ils montrent que l'éthique catholique combinée avec la mentalité rurale ont permis de sortir le Québec de sa position de traîne. Aktouf Omar, Bédard Renée et Chanlat Alain « Management, éthique catholique et esprit du capitalisme : l'exemple québécois » Sociologie du travail, vol.34 n° 1 pp. 83-99. Daniel Bell pense par exemple que : « Au début du capitalisme, le puritanisme et la morale protestante firent échec au libre mouvement de l'économie. On travaillait parce qu'on était créé pour cela et pour accomplir son devoir envers la collectivité. Mais l'éthique protestante fut minée, non pas par le modernisme, mais par le capitalisme lui-même. Le plus grand instrument de destruction de l'éthique protestante fut l'invention du crédit ». Bell D. (1979) Les contradictions culturelles du capitalisme, Paris : PUF, p.31

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la recherche systématique, rationnelle et déculpabilisée du profit1, une grande sobriété face aux plaisirs de la vie et le souci constant d'épargne2. Encore faut-il préciser que cette conception weberienne est la description édulcorée de ce que les temps présents nous révèlent s'agissant du capitalisme. Puisque le capital a précédé le capitalisme, comprendre ce dernier c'est examiner les points qui font sa quiddité. Ce qui fait le capitalisme pense Immanuel Wallerstein3, ce n'est pas le capital puisque les systèmes historiques depuis le néanderthal ont connu sous une forme ou une autre l'accumulation des stocks de richesses. Ce qui fait le capitalisme pense-t-il, c'est que le capital est employé de façon délibérée dans le but premier de son auto-expansion. Deux éléments constituent donc les piliers du système capitaliste : la quête incessante et auto-entretenue de l'accumulation et les relations que le détenteur du capital est amené à établir avec d'autres pour réaliser cette accumulation. L'histoire de ce capitalisme commencerait en Europe à la fin du XVème siècle4.

Les classiques à la suite d'Adam Smith ont poussé plus loin la théorisation sur le libéralisme qui est le substrat du capitalisme, en prônant le « laisser-faire ». Le marché serait ainsi allergique à l'intervention de l'Etat : la dérégulation est devenue le symbole de l'économie capitaliste. C'est dire qu'en plus des éléments qu'énumère Weber, il faut évoquer la dérégulation. Même si l'accumulation de la monnaie, le protectionnisme, l'intervention active de l'Etat ont constitué des mécanismes essentiels pour la transition du capitalisme marchand au capitalisme industriel5, l'assise acquise par la capitalisme au lendemain de la révolution industrielle a permis que, par le fait de l'enrichissement des forces du marché, l'émancipation soit revendiquée et vécue par le secteur mercantile. Le capitalisme est purement rationaliste, il sacralise la recherche du profit qu'il établit comme fin dernière.

Il a fallu que ce laisser-faire conduise à la crise économique de 1929 pour que les théoriciens s'interrogent sur la dérégulation. John Maynard Keynes va publier en 1936, en pleine crise, la Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie. Dans cet ouvrage, il va fustiger le laisser-faire qui conduit le monde vers le précipice. La dernière chance du capitalisme disait-

1 Gilles Dostaler situe cette tendance au sortir de la féodalité car dit-il, « le profit financier et commercial sera le plus puissant levier de la transition de l'ordre féodal à l'ordre capitaliste ». Gilles Dostaler « Transition et pensée économique dans l'histoire » Cahiers de recherche sociologique, vol. 1. septembre 1983. p. 10

2 Max Weber (1967) Ethique protestante et esprit du capitalisme, Paris : Plon

3 Wallerstein I. (1983) Le capitalisme historique Paris : La découverte, traduction de Philippe Steiner et Christian Tutin

4 Wallerstein (1983) op. cit. P19

5 Dostaler Gilles « Transition et pensée économique dans l'histoire » Cahiers de recherche sociologique, Vol. 1 septembre 1983. p. 12

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il, réside dans l'intervention de l'Etat1. En même temps, il réactualisait au sein de l'école capitaliste, le débat entre l'intérêt et la morale. En 1936, il écrivait: « I am sure that the power of vested interest is vastly exaggerated compared with the gradual encroachment of ideas2» (je suis sûr que le pouvoir des intérêts est amplement exagéré par rapport à l'empiètement graduel des idées). Cette allégation trouve de la pertinence, à l'heure où les chefs d'Etats les plus puissants du monde se réunissent à Davos pour se pencher sur les crises financière et économique actuelles, alors que la Chine et la Russie, adoptant un ton goguenard, moquent le capitalisme qui a conduit vers ce chaos financier et économique. L'intervention de l'Etat est requise pour stabiliser l'économie mondiale mais de façon unanime, les Etats réclament la moralisation du système financier et des fleurons de l'économie mondiale. Cette actualité soulève deux questions d'apparence indépendantes mais liées. Celle de la place de l'Etat dans l'économie politique internationale face aux acteurs économiques transnationaux, et le débat éthique dans le capitalisme. En effet, prôner le retrait de l'Etat par la dérégulation qui est au coeur du capitalisme, c'est penser que les firmes transnationales doivent obéir uniquement aux forces du marché, c'est-à-dire qu'elles sont totalement affranchies de la tutelle de l'Etat. Cela fait débat dans la théorie des relations internationales. La seconde question pose le problème de la place de l'éthique dans le capitalisme, alors que la nouvelle économie fait fi de la morale dans le système de production. L'usage du capital de façon déculpabilisée pour la quête du profit, semble ainsi être l'élément fondateur du capitalisme. La morale aristotélicienne fustige pareille pratique car Aristote condamne le prêt à intérêt, le commerce, l'accaparement du surplus matériel. La relation qui lie le détenteur du capital aux autres, dans le processus de production est l'espace pertinent pour scruter les fortunes du débat autour de la prise en compte ou non des valeurs morales dans la poursuite des intérêts privés. En souscrivant à la délimitation spatiotemporelle effectuée par les économistes, et qui situent le développement du capitalisme à partir du XVème siècle en Europe, une visitation des théories capitalistes dans ce qu'elles rendent compte de la place de la morale dans le système de production capitaliste, partira de ces temps qui constituent la fin de l'ère médiévale, au sortir de la féodalité.

1 Notons la similitude avec le temps présent. Le laisser-faire et le retrait de l'Etat que les auteurs de l'économie politique internationale à l'instar de Josépha Laroche célébraient comme la victoire des forces transnationales du marché sur l'Etat, a conduit à une crise dont la cause principale est la poursuite effrénée et cupide du profit. L'Etat est appelé à la rescousse dans plusieurs aires, pour soutenir les secteurs financier et économiques qui se meurent. Les plans de relance sont à la mode dans les pays développés et dans les nouveaux pays industrialisés.

2 Keynes cité par Ngaire Woods; Woods « Economics ideas and international relations: Beyond the rational neglect » International Studies Quarterly (1995) n° 39 p.165.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 25 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

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b) L'instant de la révolution

Le développement du capitalisme s'est opéré au XVème, au sortir du Moyen Age à l'heure du questionnement des valeurs médiévales inspirées du catholicisme romain, valeurs portées notamment par les scolastiques. Les progrès techniques illustrés par l'invention de l'imprimerie en 1440, la Reforme luthérienne qui débuta en 1517 vont constituer les ingrédients d'une « rupture instauratrice ». La propagation des oeuvres antiques et leur exploitation par les sujets, ont conduit au questionnement des valeurs chrétiennes intégrées dans l'habitus des populations. La liberté de ton des penseurs, la défiance vis-à-vis de la morale chrétienne ont favorisé la Renaissance. Avec elle, la Reforme qui toutes deux ont créé les conditions d'un tournant réaliste et le rejet de la morale. C'est dans ce contexte libératoire que parut en janvier 1532 la première édition du Prince de Machiavel, véritable symbole du rejet de la morale.

Le capitalisme qui préexistait à cette époque et qui était essentiellement la production des richesses grâce à la détention du capital, prend une nouvelle ampleur et entraîne des questionnements quant au traitement des oeuvres, les conditions de rentabilité, la justesse du profit et l'exagération de la recherche de l'intérêt. Avec la sortie du Moyen Age, la morale cesse d'être une exigence absolue, un « impératif catégorique » pour les penseurs qui désormais, chercheront à s'en tenir à la « vérité effective des choses » plutôt qu'à la prescription des schèmes de conduite. Désormais, la morale ne constitue plus un cadre de raisonnement qu'il ne faut transgresser. L'on pourrait dire en s'inspirant de Saint Augustin que l'homme du Moyen-âge a l'exigence de l'amour de Dieu jusqu'à l'oubli de soi, l'homme de la Renaissance a l'amour de soi jusqu'à l'oubli de Dieu, celui de la Reforme a créé un interface entre la cité de Dieu et la cité terrestre. L'examen du rapport de l'intérêt qui constitue l'objectif du capitalisme et la morale se fera à partir de cette époque qui inaugure une autre façon de penser et qui abrite le développement du capitalisme.

c) Morale ou éthique ?

Quoique l'on n'en sache toujours peu, la théorie de choix rationnels1 a irradié les champs disciplinaires à profusion des écrits qui mettent en exergue les intérêts comme motivation d'action des acteurs. Le parti pris rationaliste dans la pensée politique et dans les us économiques de ce temps a éclipsé les valeurs morales et donc, l'éthique en tant qu'elle est non pas seulement une réflexion sur les fins ultimes2mais, une « éthique post-métaphysique »

1 Donald P. Green; Ian Shapiro « Choix rationnels et politique : pourquoi en savons-nous toujours aussi peu? » Revue française de science politique, vol. 45, n° 1 p. 96 - 130, 1995.

2 Foulquié Paul (1962) Dictionnaire de la langue philosophique, Paris : Puf, P.237

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au sens de Emmanuel Levinas.1C'est-à-dire, une conception qui va au-delà de la contemplation des « choses premières », des fondations, des axiomes. Considérer l'éthique dans son rapport aux choses serait alors plus intéressant puisque cela implique la considération de son impact sur la matérialité. C'est en cela que le pseudo-débat sur la différence entre morale et éthique trouve un dénouement car, comme le dit Patrick Pharo, « il est sans doute inutile de durcir artificiellement l'opposition entre l'éthique et la morale ou encore la moralité2 » puisque cette inflexion sémantique du langage n'abrase pas la réalité de la rencontre des deux termes au carrefour de l'agir moral, c'est-à-dire que le discours savant n'empêche pas quand on parle de morale ou d'éthique, de percevoir la mêmété au rebours de la stigmatisation de l'immoralité. Dans son Ethique Spinoza nous livre un véritable discours sur la morale3. Ayant démontré l'absoluité de l'existence de Dieu, il consacre sa réflexion à une explication des sentiments qui doivent animer l'homme vis-à-vis de Dieu. Il s'agit d'une opposition entre le Bonum et le Malum, qui révèle en filigrane l'idée de morale. Et pourtant, il traite bien de l'éthique. Seule la morale ou l'éthique permet à l'homme d'échapper à l'esclavage c'est à dire « l'impuissance de l'homme à gouverner et à contenir ses sentiments ». A son sens, l'éthique correspondrait à la morale et vice-versa.

L'étymologie des deux termes renforce cette conviction et milite en faveur de leur utilisation confuse pour traduire la mêmété de leur signification. Comme le fait remarquer Paul Ricoeur,4 rien dans l'étymologie ou dans l'histoire de l'emploi des termes n'impose une distinction entre les deux. En effet, l'un (la morale) vient du latin mores et l'autre (l'éthique) découle du grec ethiqué ; tous deux renvoient cependant à l'idée de moeurs. Peut-être une gradation arbitraire peut paraître bienséante, supposant une distinction qui s'alimente du caractère optatif de l'éthique et de la connotation impérative de la morale. La pensée de la morale kantienne peut donner du crédit à pareille distinction, pour gloser sur la primauté de l'un sur l'autre. Dans la conception aristotélicienne, l'éthique a une perspective téléologique, visant une fin (telos) telle est l'esprit de l'Ethique à Nicomaque et dans la conception kantienne déclinée dans Critique de la raison pratique, la morale est définie par son caractère d'obligation. Vu sous ces aspects, l'on pourrait alors parler des deux concepts comme une opposition entre Aristote et Kant.

1 Cité par Damian Byers et Carl Rhodes « Ethics, alterity, and organizational justice » Business Ethics, vol.16, n°3, p. 240, juillet 1997.

2 Pharo Patrick « Ethique et sociologie. Perspective actuelles de la sociologie morale » L'Année sociologique, vol. 54, n° 2, p. 324, 2004.

3 Spinoza (1961) Ethique, Paris : PUF

4 Ricoeur P. (1990) Ethique et morale : soi-même comme un autre, Paris : Le Seuil p.200-201

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Dans cette étude, les deux termes seront usités de façon interchangeable, renvoyant tantôt à la déontologie, tantôt à la téléologie1. Une confusion délibérée des sens qui vise à relever d'une part le caractère « juste et bon » de la transparence, dans une perspective qui nie le relativisme moral et d'autre part, l'aspect normatif de la morale qui régule les conduites (la norme régulatrice au sens de Sikkink et Finnemore). Mais la morale est relative. Blaise Pascal disait : « on ne voit rien de juste ou d'injuste qui ne change de qualité en changeant de climat2 ». La morale est universelle, selon la tradition kantienne et même si l'on peut considérer que l'éthique quelques fois prend la connotation de l'application parcellaire de la morale dans des domaines précis3, il vaut mieux les employer confusément, en gardant l'attention figée sur l'incidence normative qu'elles impliquent. Sans insister sur la « circularité sceptique » que peut induire le relativisme moral, à savoir qu'il n'y a aucune morale absolument valide ; cela entraînant l'incapacité de fonder une morale valide, nous considérons l'exigence de transparence dans les industries extractives comme une morale qui impose une éthique comportementale de la part des Etats et des compagnies extractives. Autrement dit, la transparence devient un comportement éthique qui s'impose aux acteurs comme norme morale. C'est donner raison à Ricoeur qui pense que la visée éthique doit passer par le crible de la norme4. C'est dire à quel point la mêmété constitue à notre sens le trait premier qui caractérise les deux termes.

d) Morale et capitalisme : la place de l'éthique dans l'économie politique5capitaliste L'emprise de la raison sur les comportements ressort des traits caractéristiques de la modernité et même de la post-modernité politique, dans laquelle à croire Jacques Chevalier6, le sacre de la raison et l'individualisation poussée de la société ont conduit le monde vers la configuration d'une «société anonyme », (zweckverband) selon le mot de Ulrich Beck. La théorie économique abreuvée à la source du capitalisme, a marginalisé très souvent la morale,

1 Nous serons d'ailleurs ce faisant, resté fidèle à la plupart des travaux des philosophes de la morale qui pensent que les deux termes sont d'égale signification. L'on trouvera de temps à autre des gradations de primeur, mais au fond, l'idée semble être celle de la confusion de sens. Telle est la position par exemple de Anne Fagot-Largeault « Les problèmes du relativisme moral » in Changeux J.P (dir.) (1997) Une même éthique pour tous ? Paris : Odile Jacob pp. 41- 58, également de Emmanuel Levinas (1981) Ethique et infini, paris : Fayard.

2 Pascal B. (1995) Pensées, Paris : Gallimard, p. 230

3 Ce que Paul Ricoeur appelle les meta-éthiques qui sont du domaine de l' « éthique postérieure » par opposition à l' « éthique antérieure » qui s'apparentant à la morale, transcende les microcosmes des secteurs d'activité. Les éthiques professionnelles correspondent alors à des manifestations de l' « éthique postérieure ». Paul Ricoeur (1990) op.cit

4 Ricoeur (1990) op. cit ; p. 201.

5 Ici, l'économie politique est perçue comme le science qui étudie la production et la distribution des richesses dans la société, il s'agit de la science fondée en 1616 par Antoine Montchrestien dans son Traité d'économie politique paru la même année. Elle surplombe les multiples écoles qui se développent en son sein.

6 Chevalier Jacques (2004) L'Etat post-moderne, Paris : LGDJ.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 28 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

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donnant raison à Ngaire Woods1 qui dénonce la négligence des constructions idéelles et même idéalistes dans la structuration des relations internationales. Procédant à une marginalisation volontaire des théories marxistes et socialistes qui n'évoquent le capitalisme que pour le dénoncer et le fustiger, nous allons chercher la trace de la morale dans le capitalisme, et ausculter les fortunes qui lui sont réservées.


· Le mercantilisme ou l'emprise de l'Etat sur l'économie

Dans le contexte d'émergence du mouvement de vigueur contre les idées morales au sortir de la féodalité, le désir d'émancipation à l'égard de l'Eglise et des conceptions médiévales de la primauté du surnaturel a consacré l'absoluité de l'Etat et de la richesse. Le mercantilisme vit le jour dans ces temps, prônant la grandeur de l'Etat par l'enrichissement des sujets. Cet enrichissement advient à la faveur de l'excédant des exportations. C'est un courant de pensée qui s'oppose à l'idée machiavélienne selon laquelle « dans un gouvernement bien organisé, l'Etat doit être riche et les citoyens pauvres ». Au contraire, la prospérité du commerce d'une nation entraîne l'expansion de la puissance politique du souverain. L'enrichissement devient la fin ultime de l'Etat incarné en ses dirigeants qui veulent renforcer sa souveraineté. Deux auteurs symbolisent cette école : John Hales et Antoine Montchrestien.

John Hales a écrit en 1549 le Discours sur la prospérité de ce royaume d'Angleterre. Il met en avant l'intérêt de l'Etat et l'enrichissement comme la vraie fin de la vie humaine. Pour lui, la solidarité des intérêts économiques sert de lien entre les individus et la République, ce lien est plutôt de nature économique que politique ou sociale. On retrouve pareille conception chez Giovanni Botero pour qui l'enjeu n'est plus le pouvoir du prince mais la puissance de l'Etat, sa capacité à se maintenir, à maintenir sa « domination et seigneurie ». Ainsi, la population devient un enjeu de pouvoir : un Etat doit être peuplé, sa population doit être riche, son organisation spatiale doit favoriser les échanges2. Mais lui, il privilégie l'usage de ce lien à des fins politiques.

Antoine Montchrestien a écrit en 1616 un Traité d'économie politique dans lequel il fait l'apologie du travail qui seul, sert à produire des richesses. Ce faisant, il adopte un ton laudatif vis-à-vis du désir de profit. L'Etat pense-t-il, doit s'occuper à stimuler la production et les échanges. Comme le dit en résumé Henri Denis : « Les mercantilistes font de la richesse la fin

1 Ngaire Woods « Economic ideas and international relations: Beyond the rational neglect » International Studies Quarterly, n° 39, pp. 161-180, 1995.

2 Voir à ce sujet la thèse de Romain Descendre « L'état du monde. Raison d'état et géopolitique chez Giovanni Botero (1544- 1617).

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de la vie sociale. Mais ils n'entendent pas attaquer de front l'idée de la primauté de l'Etat1. Au contraire, ils s'efforcent de montrer qu'une telle conception est en parfaite harmonie avec celle qui voit dans la puissance de l'Etat le but suprême de l'activité humaine2». En plus de l'emphase mise sur le désir de profit matériel qui entraîne l'abandon de la morale, le mercantilisme place l'Etat au centre de l'enjeu et, ipso facto, se positionne dans cet espace de l'économie politique qui affirme la centralité de l'Etat3.

Cette école rappelle fort à propos le réalisme dans ce qu'il met l'intérêt de l'Etat au centre des préoccupations des dirigeants. Le chapitre XVII du Prince4 met en scène la nécessitas qui ne s'encombre pas de la morale, pour la préservation de l'intérêt de l'Etat. La tradition réaliste s'est construite autour de quatre piliers dont l'un est l'intérêt comme mobile de l'action. Dans une société mondiale où le rapport de force et les désirs de puissance sont informés par l'instinct de survie car l'anarchie hobbesienne étant l'atmosphère générale, les Etats sont uniquement mus par leurs intérêts. Et, ces intérêts n'ont pas de limites. Le second principe du réalisme de Hans Morgenthau dit: « The main signpost that helps political realism to find its way through the landscape of international politics is the concept of interest defined in terms of power5 » (le principal indicateur qui aide le réalisme politique à trouver son chemin à travers le paysage de la politique internationale est le concept d'intérêt défini en terme de puissance). Cette conception rationaliste du monde implique que l'Etat qui est reconnu comme le seul acteur utilisera les autres secteurs de la vie nationale pour la poursuite de ses intérêts. C'est ainsi que, l'économie sera un instrument de puissance. Toutefois, comme le souligne Ngaire Woods, « realists do not suggest that ideas play absolutely no role in international relations. Empirically, they admit that states virtually always express and justify their policies in idealistic ways or in ways suggesting that they are guided by particular sets of ideas6» (les realistes ne disent pas que les idées ne jouent absolument aucun rôle dans les

1 Ce point de vue est contesté par Jean-Marie Albertini et Ahmed Salem qui disent : « En considérant l'enrichissement comme une fin louable, les mercantilistes furent les premiers à véritablement autonomiser l'économie » Albertini et Salem (1983) Comprendre les théories économiques : Petit guide des grands courants, Paris : Le Seuil p. 13.

2 Denis Henri (1966) Histoire de la pensée économique, Paris : PUF, p.108.

3 Montchrestien est présenté comme le fondateur de l'économie politique avec son Traité d'économie politique publié en 1616. Mais, Henri Denis dit de Pierre le Pesant seigneur de Boisguillebert qu'il est selon lui le véritable fondateur de l'économie politique parce qu'il fut le premier à concevoir la loi qui, naturelle, régit la totalité de la sphère des échanges et de la production sans qu'elle soit l'émanation d'une puissance étatique. Ce point de vue rejoint la position de Susan Strange et Josépha Laroche qui pensent que l'économie politique se fonde sur le vacuum laissé par l'Etat en déclin et la prépondérance des acteurs économiques internationaux.

4 Machiavel, N (1980) Le prince, Paris: Flammarion pp 137-140.

5 Morgenthau H. J. (1985) Politics among nations: The struggles of power and peace, 6eme Ed. New York: Alfred A. Knopf p.5

6 Ngaire Woods, op. cit. p.164

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relations internationales. De façon empirique, ils admettent que les Etats expriment et justifient toujours virtuellemnt leurs politiques de manière idéaliste ou d'une façon qui laisse penser qu'ils sont guidés par certaines idées). A cet égard, Morgenthau pense que même si le réalisme politique est au fait du sens moral des actions politiques, il considère que les principes moraux ne peuvent pas être appliqués en l'état, c'est-à-dire dans leur formulation abstraite et immédiate mais qu'ils doivent être filtrés selon les circonstances de temps et de lieu1.

Une projection de notre étude dans le sillage du mercantilisme permettrait de rendre raison du rôle que les Etats font jouer aux firmes multinationales, faisant fi des préoccupations morales pour la maximisation de leurs intérêts définis en terme de richesse et de prestige. Mais, s'en tenir à cette école conduirait à la négligence d'un pan important de l'étude qui seul, peut expliquer la liberté de ton et d'action de certaines firmes et organisations non gouvernementales. Le mercantilisme est ainsi une explication partielle de la transaction entre les acteurs de cette étude ainsi que des motifs d'entrée en lien social qui les mettent en branle.


· Le libéralisme ou l'enrichissement en l'absence de l'Etat et de la morale

Le postulat de base du libéralisme est que les mécanismes naturels gouvernent l'ensemble de la vie économique2. Ainsi, la liberté des échanges est la condition nécessaire et suffisante de l'ordre économique. C'est dire que le libéralisme rejette le cloisonnement. Citant Sir Dudley North dans Discourse upon trade, Henri Denis dit : « Du point de vue du commerce, le monde entier n'est qu'une seule nation ou qu'un seul peuple au sein duquel les nations sont comme des personnes. Il n'appartient en aucun cas à la loi de fixer les prix dans le commerce car, leurs niveaux doivent se fixer et se fixent eux-mêmes3». Cela renvoie à l'idée d'économiemonde chère à Immanuel Wallerstein. En effet, quoiqu'en ne souscrivant pas à l'idée de la dérégulation économique4, il conçoit le monde comme un système intégré. En plus de rejeter l'autorité étatique, le libéralisme abhorre la morale. Quelques courants au sein de l'école libérale permettent de s'en rendre compte.

La physiocratie. Il s'agit d'un courant de pensée économique qui relève de la philosophie
politique. La physiocratie s'appuie sur l'idée que la nature toute entière est un ordre voulu par

1 Telle est la teneur du quatrième principe du réalisme de Morgenthau. Morgenthau op. cit. p. 12.

2 Ce que Pierre Rosanvallon place au principe du règne des procédures anonymes et impersonnelles qui fondent l'utopie du capitalisme. Rosanvallon P (1979) Le capitalisme utopique, Paris : Le Seuil.

3 Denis (1966) op. cit. p.141.

4 Il dit notamment: «Un second mythe idéologique a pris place à côté de celui de l'autonomie du marché vis-à-vis de l'Etat : celui de la souveraineté étatique. L'Etat moderne n'a jamais constitué une entité politique entièrement autonome », c'est pourquoi il pense le monde comme une économie-monde. Wallerstein (1983) Le capitalisme historique Paris : La découverte p. 55-58.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 31 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

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Dieu. C'est un ordre intangible et connaissable. L'un des penseurs de cette école est François Quesnay qui publia en 1747 l'Essai sur l'économie animale. D'après Quesnay, la science est matérialiste puisqu'elle combine des notions qui ont leur origine dans la matière ; il associe matérialisme et spiritualisme. C'est pourquoi les physiocrates sont souvent taxés de philosophes économiques mais, leur adhésion aux idées morales véhiculées par la foi n'a pas réussi à les éloigner du matérialisme utilitariste. A ce propos, Denis dit : « Pour Quesnay, il est au moins un domaine qui ne relève à aucun degré de la morale, c'est le domaine économique... le droit naturel d'après les physiocrates est donc le droit de jouir de sa vie et d'exercer ses facultés1».

Le libéralisme d'Adam Smith. Qualifié de « patriarche de l'école classique2 » de la pensée économique, Adam Smith est le véritable théoricien de la dérégulation et des grands traits du capitalisme dans ce qu'il a d'utilitariste. Et pourtant, si l'on évoque très souvent son ouvrage intitulé Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, généralement appelé la richesse des nations, et publié en 1776, l'on occulte souvent celui qui l'a précédé (La théorie des sentiments moraux, 1759) et qui est un traité sur l'éthique.

En effet, Adam Smith qui aurait eu dans les premières années de ses humanités la tentation d'intégrer les Ordres, avait un très grand attrait pour la morale. En 1752, il obtint une chaire de philosophie morale à Glasgow et c'est tout naturellement qu'il se penche d'abord sur les questions morales3. Dans la théorie des sentiments moraux, il esquisse sa philosophie morale. L'homme agit toujours pour se procurer un plaisir ou éviter la douleur cela conduit à une interrogation : Si l'homme agit uniquement guidé par son intérêt personnel, comment expliquer l'existence du sentiment du devoir ? Tandis qu'à cette question les moralistes répondent arguant que l'obligation morale est une manifestation de l'action de Dieu qui commande de faire le bien et d'éviter le mal, Smith rejette cette idée lorsqu'il est confronté au problème de la coexistence des mobiles égoïstes et désintéressés. Il estime que l'homme est porté dans son action non seulement par son intérêt, mais également par le jugement que les autres portent sur lui. La sympathie pense-t-il, est le catalyseur de l'agir moral de l'homme. Toutefois, il procède à une dichotomie qui oppose les classes moyennes et inférieures aux hautes classes. Les premières se caractérisent à son avis par la conviction que la route du mérite est celle de la fortune (chance) d'où l'attrait pour la vertu, tandis que pour la seconde catégorie, la route de la fortune c'est l'adresse et la flatterie ce qui conduit vers l'intérêt

1 Denis, op.cit. p.158-159.

2 Soule George (1952) Qu'est ce que l'économie politique? Paris : Nouveaux Horizons, p.57.

3 Soule op.cit p.60.

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égoïste. Il dit : « Les amants de la fortune abandonnent trop souvent la route de la vertu pour parvenir à la position qu'ils envient, car malheureusement, la route de la fortune et celle de la vertu sont souvent opposées l'une de l'autre »1.

Au contraire des physiocrates, Smith reconnaît le problème de la justice sociale mais il défend une position libérale qui consiste à penser que la liberté dans la poursuite de la richesse est la condition nécessaire de tout progrès. Les injustices engendrées ce faisant, ne seraient pas aussi considérables et inacceptables qu'on pourrait l'imaginer. Même s'il admet par ailleurs que les satisfactions morales sont plus importantes que les satisfactions matérielles2, il se fait tout de même le chantre de l'utilitarisme . C'est l'aspect de sa pensée le plus connu qu'il a d'ailleurs promu car, il s'attaque vivement au christianisme traditionnel qui prône le mépris du monde. Le second Smith qui apparaît dans la richesse des nations, est une transfiguration de l'homme de la théorie des sentiments moraux. L'histoire a surtout retenu de lui son apport à la déshumanisation du mode de production capitaliste, car l'agrégation des principes smithiens avec l'individualisme exacerbé des Lumières sous l'onction de la révolution industrielle a donné naissance à un capitalisme florissant mais froid. L'on peut donc penser que même si les premières années de la vie de penseur d'Adam Smith furent illuminées par un éclair moral et éthique, sa pensée a considérablement servi de substrat à la propagation du capitalisme moderne.

Cette pensée smithienne est impropre à la démonstration de notre étude car, d'une part, elle met hors jeu l'Etat dont la participation n'est guère souhaitée dans la structuration des mécanismes de production et d'échange, et d'autre part parce qu'elle interdit l'entrée en lien social au motif d'une quête de l'éthique. Ainsi, la transparence des industries extractives en tant que transactions entre les Etats, les ONG et les compagnies extractives, ne peut être pensée sous le prisme de l'éthique si l'on s'en tient au libéralisme d'Adam Smith. Toutefois, elle explique l'activité rationnelle de quête de profit des acteurs en tant qu'entrepreneurs économiques qui ne subissent pas les restrictions imposées par la souveraineté étatique, et qui ne tiennent aucun cas de la morale ou mieux, l'instrumentalise froidement pour la quête de

1 Smith A. Théorie des sentiments moraux, p. 109 cité par Denis op. cit. p. 185.

2 Il dit : « Pour tout ce qui constitue le véritable bonheur, les déshérités ne sont en rien inférieurs à ceux qui paraissent placés au-dessus d'eux. Tous les rangs de la société sont au même niveau, quant au bien-être du corps et à la sérénité de l'âme et le mendiant qui se chauffe au soleil le long d'une haie, possède ordinairement cette paix et cette tranquillité que les rois poursuivent toujours ». Il conseillera donc à l'homme comme but à son activité, à la fois la conquête de la richesse et de la sagesse. (Théorie des sentiments moraux p.341 cité par Denis op.cit. p. 187).

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 33 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

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l'intérêt. La pensée libérale d'Adam Smith constitue donc une explication partielle de notre étude.

La pensée neo-classique du capitalisme. Elle reforme la théorie du libéralisme classique en y réinjectant des idées morales. Deux auteurs issues des écoles de Vienne1 et de Lausanne illustrent cette reforme du libéralisme.

Par l'opposition de l'utilité sociale à l'avantage privé, Friedrich von Wieser nie l'individualisme au profit de la collectivité. Denis dit de lui : « La véritable originalité de Wieser tient au fait qu'il reconnaît très ouvertement qu'à côté de l'individu l'Etat existe et joue un rôle dans l'économie or, l'Etat pense-t-il, ne cherche pas à rendre maxima des satisfactions individuelles ; mais il recherche l'utilité sociale2 ». C'est à cette utilité sociale que Wieser donne le nom de `valeur naturelle'. C'est une tâche politique que de rechercher cette utilité. Autrement dit, il rejette la dérégulation et l'immoralité qu'elle comporte. Non pas que l'Etat soit moral en soi mais, dans la quête d'utilité sociale, l'on soupçonne l'idée de justice. John Maynard Keynes va prôner la réintroduction de l'Etat dans l'économie politique en 1936 dans Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie, en pleine crise car il aura constaté que cette dérive vers l'anonymat et l'impersonnel constituait un passeport vers le chaos. Dans ce retrait de l'Etat en faveur des règles de procédures anonymes et impersonnelles, se trouve l'utopie du capitalisme3.

Léon Walras qui appartient à l'école de Lausanne a publié en 1874 Eléments d'économie politique pure. Il se déclare partisan de la justice sociale, mais en même temps, il a une confiance absolue dans les vertus du libre-marché. Il pense qu'il faut édifier une doctrine capable de concilier le libéralisme qui assure l'expansion de la production avec le socialisme qui veut réaliser la justice. Cela étant possible si l'on distingue ce qui relève de la science de ce qui relève de la morale. A son avis, si la science économique dit pourquoi la concurrence est le seul moyen d'assurer le développement, la morale dit quand et comment l'on doit intervenir pour rendre juste la répartition de cette richesse.

Il s'agit là, d'un courant qui peut à plus d'un titre constituer un substrat pertinent à notre étude. D'abord parce qu'il autorise l'Etat à intervenir pour créer un équilibre social, ensuite parce qu'il tient compte de la morale et donc de l'éthique dans les relations de production et de distribution des richesses. Certes, l'allusion à la morale peut constituer une « tentation

1 Précisément la seconde génération de l'école de Vienne formée par les auteurs tels que Friedrich Von Wieser et E. Von Böhm-Bawerk. La première génération est celle du fondateur Carl Menger qui vécut entre 1840 et 1921.

2 Denis (1966) op. cit. p.512

3 Rosanvallon P. (1979) Le capitalisme utopique : histoire de l'idée du marché, Paris : Le Seuil.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 34 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

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éthique » qui laisse dubitatif, au regard des « équilibres aujourd'hui vacillants entre les moyens déployés et les finalités humaines1 ». Parce qu'il autorise l'intervention de l'Etat, nous allons comprendre le rôle des Etats dans la régulation normative des industries extractives. Et parce qu'il tolère la morale, la transparence en tant que norme éthique n'est pas incongrue dans la triangulaire entre des Etats qui veillent à son implémentation, des ONG qui constituent peu ou prou des garantes de la morale, et des firmes qui n'ont guère de choix que de se plier à l'éthique pour des questions d'opportunisme et de survie dans la longue durée. Notre étude se situera donc dans le sillage du courant néo-classique du capitalisme, car comme ce dernier courant, elle admet l'importance de la morale dans les relations de production et de distribution des richesses. La tendance à la moralisation du capitalisme est dans l'air du temps. Les voix en faveur de sa mutation mettent en exergue la nécessité de prise en compte du péril de la planète qui subit de plus en plus des changements climatiques et, les ressources naturelles étant des biens non renouvelables, il convient de les ménager en adoptant une éthique responsable. Ainsi, comme le pensent Alain Chaveau et Jean-Jacques Rosé : « Si les firmes n'intègrent pas rapidement les principes de responsabilité sociale et du développement durable, le risque est grand que la société leur retire ce que les anglo-saxons appellent `licence to operate'. Car une partie de la société remet brutalement en cause le système capitaliste2». C'est dire que l'environnement et la pauvreté que porte l'idée de développement durable s'invitent dans le système capitaliste. Peut-être le capitalisme est-il à un moment critique de son évolution et, sa survie passe par sa mutation qui tiendra forcément compte des dimensions morales3 dans le système de production et de distribution des richesses.

Les théories économiques relevant du mercantilisme mettent l'accent sur la place trop importante de l'Etat dans les rapports de production et de distribution des richesses. De plus, elles expulsent la morale du processus capitaliste. Elles permettent donc à la limite, de restituer la présence et l'importance des Etats dans l'initiative de transparence des industries extractives. Mais, par le fait même de leur exclusion de la morale et du « trop d'Etat » qu'elles autorisent, elles deviennent des outils impropres à la démonstration totale de notre étude. Le libéralisme quant à lui, expulse en même temps que l'Etat mais également la morale des processus de production capitaliste. Ce double rejet permet de voir à l'oeuvre les forces

1 Salmon Anne (2007) La tentation éthique du capitalisme, Paris : La découverte.

2 Chaveau A. et Rosé J.J (2003) L'entreprise responsable : développement durable, responsabilité sociale de l'entreprise, éthique, Paris : Edition d'Organisation, Introduction.

3 Même si André Comte-Sponville pense que le capitalisme est amoral par essence. Voir Comte-Sponville A. (2009) Le capitalisme est -il moral ? Paris : Albin Michel.

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impersonnelles de production et l'émulation libre des acteurs privés mais, interdit tout discours qui mettrait ensemble la quête du profit, la morale et un rôle important attribué à l'Etat. Or, tels sont les éléments qui particularisent notre étude, à savoir que la production capitaliste n'est pas antinomique de la présence de l'Etat et de la morale. Le libéralisme permet pour ainsi dire, de rendre compte de façon partielle de la réalité de l'EITI. Aussi, avons-nous trouvé dans l'école néo-classique du libéralisme, une pensée favorable qui permet de rendre raison de ce que la transparence des industries extractives est non pas le rejet des principes capitalistes, mais une mutation dans les pratiques qui met fin à l'exclusion systématique de la morale et de l'Etat dans la praxéologie capitaliste. C'est pourquoi cette étude qui porte sur la transparence des industries extractives, idée qui voit le jour précisément lors du sommet de Johannesburg où l'on a longuement préconisé la prise en compte des impératifs de développement durable et de respect de l'environnement, rappelant l'esprit du sommet de la Terre de Rio de Janeiro, a l'ambition de se pencher sur la « tentation éthique » du capitalisme, pour en examiner les contours, les motifs et la réalité. Elle a l'ambition de démontrer que les impératifs éthiques ne s'opposent pas essentiellement aux intérêts qui fondent l'esprit du capitalisme.

4. La question de recherche

La littérature sur les industries extractives est relativement rare et quand elle a existé, elle a circonscrit divers centres d'intérêt qui tendent à faire des industries extractives la clé algébrique explicative des phénomènes sociaux néfastes.

Le rôle des industries extractives en tant que générateur et essence des conflits armés a été relevé dans une certaine littérature, notamment par William Reno1 et Paul Collier2...Au principe et au coeur des conflits armés, les industries extractives occupent une place jadis ignorée en raison du trop grand relief mis sur les dommages et autres ravages causés par la confrontation armée. Désormais, le conflit armé n'est plus seulement la rupture, l'effondrement d'un système de vie ataraxique mais, l'initiation d'un autre système fondé sur l'accumulation en temps de guerre. Les conflits cessent d'être justifiés par les seules quêtes de pouvoir politique ou la résurgence des haines ancestrales, mais aussi par la captation des rentes matérielles que génèrent les industries extractives.

1 Lire notamment Reno William «Shadow states and the political economy of civil wars » in Berdals &Malone (2002) Greed and Grievance, Boulder &London: Lynne Rienner Publisher pp.43-68

2 Collier Paul « Doing Well out of War » in Berdal &Malone op. cit. pp.91-111, Collier P. (2000) «Economics causes of civil conflict and their implications for policy» The World Bank, Washington.

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Dans le cadre des « shadow states1 » où la corruption est un mode de gouvernement, le renflouement des comptes personnels des dirigeants permet de satisfaire aux attentes des « cronies » et de s'attacher leur soutien ; condition essentielle pour ces régimes souvent sans ancrage de légitimité populaire. L'immensité des revenus générés par le secteur des industries extractives constitue de ce point de vue une aubaine pour les dirigeants2. Ils peuvent ainsi s'armer contre les menaces internes de subversion, et s'assurer la clientèle nécessaire à la pérennité aux affaires3. Au nom d'une souveraineté et d'une raison d'Etat gauchisées, les industries extractives servent à consolider la perversion de l'intérêt de l'Etat. Cette littérature n'a pas mis en relief ces aspects et donc, a raté l'occasion de souligner l'émasculation de l'intérêt de l'Etat au nom de l'intérêt des princes de type machiavélien.

D'autre part, paradoxalement, les ressources du sous-sol ont contribué à la production de certains types d'Etat, aires privilégiées des fléaux tels que la faim, la corruption, la guerre etc. Ce phénomène que Terry Lynn Karl4 appelle « paradoxe d'abondance », est fabriqué par les entrepreneurs de la misère, et a nourri les écrits des auteurs intrigués par le rôle des industries extractives dans la fabrication des aires de pauvreté dans le monde. Les Etats entretiennent avec les industries extractives une intimité qui encourage la collusion des intérêts et l'opacité. En cela réside certainement l'explication du « paradoxe d'abondance » en tant qu'il est l'exclamation devant la distance entre la munificence des sous-sols de certains pays et leur niveau de développement. Ce centre d'intérêt implique un autre qui lui est consécutif.

En effet, si la collusion des intérêts de certains groupes au sein de l'Etat avec les industries extractives a engendré l'effilochement du tissu sécuritaire des Etats, comme le démontrent Nain Kuma5 et Philippe Copinschi6, la réponse de l'Etat a été d'y ouvrir un espace de participation pour les acteurs privés. Le lien social autour des industries extractives est ainsi étudié dans sa faculté à juguler l'insécurité et rendre possible la poursuite de l'exploitation

1 Par cette expression, William Reno désigne un type d'Etat informel qui est le produit d'un gouvernement personnalisé, habituellement construit derrière la façade d'une souveraineté de droit. Il s'appuie sur des réseaux personnels construits par les dirigeants et qui fonctionne comme un Etat à l'ombre des institutions formelles. Voir Reno W. « Shadow States and the Political Economy of Civil War » in Berdal & Malone, op.cit pp. 43-68.

2 Cela a le mérite d'accentuer ce que Paul Collier appelle « the natural resources trap » voir Collier P. (2007) Bottom billion : why the poorest countries are failing and what can be done about it, Oxford : Oxford University Press pp. 38-52.

3 Lire notamment Heilbrunn John R. « Dictators, oil and corruption in Africa » communication présentée lors de la réunion annuelle de l'American Political Science Association, Chicago, 1-4 septembre 2004.

4 Karl T. L. (1997) op. cit.

5 Nain Kuma Vivian (2003) « Oil exploitation and the state sovereignty of African states : The example of Cameroon and Nigeria, an international perspective » Thèse de doctorat de troisième cycle présentée à l'IRIC.

6 Copinschi Philippe «compagnies pétrolières, ONG et producteurs des normes sécuritaires dans les pays pétroliers du golfe de Guinée » in Bagayoko-Penone N. & Hours Bernard (dir.) Etats, ONG et producteurs des normes sécuritaires dans les pays du sud, Paris, l'Harmattan, 2005.

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pacifique des ressources. Il ne met pas en scène la transparence comme jeu normal dans le fonctionnement de l'Etat. Mieux, la problématique de l'invitation des acteurs privés dans l'intimité du «consensus opaque », lieu des agapes entre l'Etat et les industries extractives, serait le symptôme du « syndrome de Monaco », c'est-à-dire l'organisation d'une minorité enrichie par les industries extractives dans ce cas, pour se prémunir des assauts de la majorité qui n'en tire aucun avantage1. Puissent l'implication des acteurs privés et l'incantation de la transparence dans ce centre d'intérêt ne pas être cause d'illusion d'optique.

Par ailleurs, les industries extractives sont au centre des enjeux de pouvoir qui mettent en scène les puissances étrangères sur des théâtres d'action éloignés de leurs aires territoriales. Cet aspect a été relevé par Douglas Yates2. En effet, il fait le constat de la rivalité entre deux puissances dans l'espace du Golfe de Guinée. D'une part la France qui se prévaut d'une longue histoire dans l'exploitation du pétrole de la région, et d'autre part les USA qui venant relativement tardivement dans cette zone, vont forcément bousculer les acquis français pour se faire de la place. Mais au-delà de la rivalité franco-américaine, l'on assiste aussi à un véritable « scramble » vers le pétrole africain, avec le cortège de maux que cela entraîne sur le plan de la gouvernance et, qui facilite l'accaparement de l'industrie pétrolière africaine par des firmes étrangères. La cause de ce monopole réside-t-elle dans les facteurs historiques tels que l'esclavage, le colonialisme ? Ou plutôt dans la prévalence du néocolonialisme, la vigueur des multinationales ou alors dans la personnalité des dirigeants et la spécificité des modes de gouvernement dans cette région ? Telles sont les questions auxquelles Douglas Yates essaie de trouver des réponses.

Tout se passe comme si dans la recherche de l'explication de ces faits sociaux que sont les conflits, le sous-développement et la pérennité au pouvoir, les auteurs se sont bornés à recueillir la première couche explicative. En effet, si tous ces domaines font problème, c'est moins parce que les industries extractives sont porteuses de damnation que parce qu'elles sont gérées de façon opaque. Il faut certainement remonter plus loin dans la généalogie des causalités pour comprendre qu'au principe de ces problématiques se trouve le déficit de transparence. Même lorsque Ariel Susan Aaronson3 se penche sur la problématique de la transparence, c'est d'abord pour évaluer l'évolution de son implémentation par l'EITI et les

1 Lire à ce sujet Marc-Antoine Perousse de Montclos « Les entreprises para-privées de coercition : de nouveaux mercenaires ? Pétrole et sécurité privée au Nigeria : un complexe multiforme à l'épreuve du `syndrome de Monaco' » Cultures et Conflits, n°52 4/2003 pp.117-138.

2 Yates Douglas « Oil and the Franco-American Rivalry in Africa » papier présenté lors du colloque L'Afrique, les Etats-Unis et la France Bordeaux, 22-24 mai 1997.

3 Ariel Susan Aaronson « Oil and public interest » mise en ligne sur http:/ www.eitransparency.org et consulté le 16 juillet 2008.

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industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
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conditions de sa faisabilité. De fait, la transparence des industries extractives per se a manqué de susciter l'intérêt d'une problématisation, d'abord en tant qu'objet d'une initiative supranationale qui se déploie au sein des territoires étatiques, ensuite en tant que première couche explicative d'épiphénomènes mais aussi comme une juxtaposition des intérêts capitalistes avec l'éthique ou la morale. Cette étude vise à combler ces manques.

A l'image de la diplomatie des droits de l'homme1, la transparence des industries extractives dément-elle la substitution du cynisme réaliste par la morale, l'ordre des Etats par les acteurs privés ? Autrement dit, comment la transparence des industries extractives en tant que valeur morale, participe-t-elle à la formation des intérêts dans le cadre d'un enchevêtrement des ordres étatique et privé ? Plus globalement, comment passe-t-on de l'affirmation forte de la souveraineté des Etats notamment par la résolution 1803, à une affirmation plus relative et relationnelle illustrée par la résolution du 11 septembre 2008, qui renforce la transparence dans les industries extractives? Comment la cohabitation de l'intérêt qui est au fondement du système capitaliste et de la morale fait-t-elle sens ? Comment envisager la promotion d'une norme morale au sein d'un secteur d'activité capitaliste ? Comment comprendre la matité actuelle de la souveraineté des Etats, au regard de la problématique de la transparence des industries extractives ?

5. Triple réalité à l'ère de la souveraineté relative: le triangle heuristique La transformation de la souveraineté que met en scène la transparence des industries extractives révèle au détour de la multiplication des acteurs, une dramatisation congénitale et consubstantielle de la morale dans la politique mondiale. Dire que la souveraineté s'est mutée en responsabilité, c'est avancer l'hypothèse de l'enchevêtrement des ordres westphalien et privé. En effet, au nom de la responsabilité qui impose la prise au sérieux du sort de l'autre, les transactions collusives entre l'Etat et les acteurs privés dans la recherche des solutions aux problèmes deviennent un phénomène normal, et donc autorisent l'enchevêtrement des ordres. C'est d'autre part, expliquer la présence de la morale dans la politique mondiale par cette transformation de la souveraineté en responsabilité. En effet, parce que devenue responsable, la souveraineté autorise au-delà des irrévérences vis-à-vis des territoires, le « souci » de ce qui advient de l'autre proche ou lointain2. C'est là le fondement de l'ingérence moralisante et moralisatrice dans les espaces des autres Etats. Dans ce contexte, l'émulation des acteurs nonterritoriaux paraît moins condamnable car, la souveraineté est devenue relative, les différents

1 Badie B. La diplomatie des droits de l'homme. Entre éthique et volonté de puissance, Paris : Fayard, 2002.

2 Voir à ce sujet Badie Bertrand (1999) Un monde sans souveraineté. Les Etats entre ruse et responsabilité, Paris : Fayard.

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acteurs sont omnibulés plus par le sort de l'homme que par l'espace fin de la souveraineté qui demande révérence. Mieux encore, certains Etats au nom de la responsabilité qu'ils ont de produire de la sécurité et du bien-être à leurs populations, devant leur faillite à ces devoirs, autorisent le dépassement de leurs souverainetés par des acteurs tels que les institutions internationales, les organisations régionales et même d'autres Etats pour leur accorder un soutien, et implorent les investissements des firmes étrangères pour créer des emplois et des richesses1. La littérature réaliste a accordé une grande importance au rôle de l'Etat dans les relations internationales2. C'est lui qui crée des richesses et les alloue aux sujets, il est garant de la sécurité et l'unique source d'autorité. Mais, l'école réaliste s'appuie sur deux éléments qui sont d'un apport précieux dans cette étude : la centralité de l'acteur étatique et l'anarchie. Si cette centralité est de moins en moins évidente eu égard à la concurrence des acteurs privés, il demeure que même les domaines que l'on semblait lier à l'émergence des acteurs de type ONG comme la morale qui leur confère leur domaine de légitimité, sont le lieu du déploiement de l'actorat étatique. En effet, deux réalités apparaissent proéminentes dans notre étude et en cela, elle s'inscrit dans la suite d'une sociologie des relations internationales qui seule, permet de dépasser le schéma weberien pour lui associer une lecture durkheimienne3. Il s'agit premièrement de la coexistence de l'ordre étatique avec l'ordre privé qui encourage l'irruption du social. Le social est donc présent dans la politique mondiale par le biais des acteurs sociaux et des problématiques sociales qui échappent au seul domaine de la diplomatie étatique4. C'est à cette seule condition que les acteurs privés en tant qu'illustration de l'irruption de la société dans l'arène internationale peuvent être compris comme pertinents5. Une fois que ce préalable a été établi, l'on comprend dès lors que l'Etat et les acteurs privés soient inscrits dans des transactions collusives dans le cadre de la transparence des industries extractives. La seconde réalité est celle de la présence de la morale dans la politique mondiale.

La présence de la morale dans la politique mondiale n'est pas antinomique de l'actorat étatique. Primo facie, parce que la morale est bien présente, peut-être quelque fois de façon

1 Badie B. idem, p.109.

2 Dario Battistella rappelle à ce propos la centralité de l'Etat comme l'un des quatre points saillants de la littérature réaliste. Battistella, théorie des relations internationales, op. cit. p. 114. Au sujet de la place centrale accordée à l'Etat dans les relations internationales, voir également Henry Kissinger, Diplomatie, Paris : Fayard, 1996 ; Hans J. Morgenthau, Politics among nations, op. cit. ; Arnold Wolfers, Discord and collaboration, Baltimore : The Johns Hopkins University Press, 1962. Le dilemme aronien se fonde précisement sur la centralité que Raymond Aron a attribuée à l'Etat dans les relations internationales mais, un Etat dont il reconnaissait le retrait progressif par le fait des acteurs privés.

3 A la suite des travaux de Bertrand Badie.

4 Bertrand Badie (2009) Le diplomate et l'intrus (l'entrée des sociétés dans l'arène internationale), Paris : Fayard

5 Voir à ce sujet Bertrand Badie (2009) Le diplomate et l'intrus op. cit.

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ambiguë dans les régimes internationaux des droits de l'homme, la justice internationale, les interventions humanitaires et désormais aussi, dans la promotion de la transparence des industries extractives. Ensuite, parce que dans le déploiement de la morale, l'Etat joue aussi sa partition dans le cadre d'une morale concurrentielle1. La définition et la conception de cette morale peuvent faire l'objet de débat, mais il existe des valeurs partagées ancrées dans le droit naturel, les codex organiques et fondateurs de la communauté internationale et les textes fondateurs des grandes religions. C'est ainsi que Canto-Sperber2 s'insurge à la fois contre le « relativisme fataliste » et l'unilatéralisme moral, le second étant au fondement de l'action des Etats inscrits dans une « quête trompeuse d'universel » aux relents impérialistes3. Ces deux réalités informent et induisent une troisième qui est bien dramatisée par Ariel Colonomos à savoir que, les attitudes morales et les récits éthiques des acteurs ainsi rendus pertinents par la souveraineté responsable, participent à la formation de leurs intérêts4. Ainsi, au carrefour d'une triangulaire5 formée par les Etats, les ONG et les firmes multinationales des industries extractives, la démonstration de la souveraineté relative devient l'occasion de dire la réalité d'une morale dans les relations internationales, mais une « morale réaliste6 ». Notre étude se situe donc au carrefour de deux problématiques interconnectées. La question d'une transformation de la souveraineté comporte de façon consubstantielle, celle de la place de la morale dans les relations de production et donc, dans relations internationales contemporaines. Nous situons notre analyse dans l'espace complexe dans lequel le discours sur les fortunes de la souveraineté en ces temps de mondialisation prend inévitablement en compte la question morale. Puisque notre étude porte sur un objet qui a partie liée avec la production capitaliste, il s'agit de faire un lien entre la souveraineté responsable et son incidence morale dans un secteur d'activité capitaliste.

B. Les hypothèses

1. Hypothèse principale

Nous postulons que la transformation de la souveraineté à l'oeuvre dans le cadre de l'EITI traduit la dynamique de l'Etat impliqué dans des transactions collusives avec les ONG et les firmes multinationales ; elle relève des logiques d'adaptation aux contraintes nées de la

1 Monique Canto-Sperber (2005) Le bien, la guerre et la terreur, pou r une morale internationale. Paris : Plon.

2 Canto-Sperber, op. cit.

3 Badie, B. (2002) La diplomatie des droits de l'homme, op. cit. Chapitre 2.

4 Ariel Colonomos (2005) La morale dans les relations internationales, Paris : Odile Jacob.

5 A la suite de Badie B., «Realism under Praise, or a Requiem? The paradigmatic debate in International Relations » International Political Science Review, vol. 22, n°3, (2001), p. 256

6 Voir Alexander Wendt, Social theory of international politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1999.

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complexité croissante de la politique internationale : la souveraineté apparaît alors comme une configuration mouvante.

2. Les hypothèses secondaires

La transparence des industries extractives constitue une occasion de l'affirmation concurrente et complémentaire de l'Etat et d'autres acteurs tels que les ONG et les firmes transnationales, qui sont devenus incontournables dans l'économie politique internationale. C'est également un champ d'expression de la complexité des transactions entre les différents acteurs de la scène internationale ; complexité dans les liens et complexité dans les motivations d'action et d'interaction. A côté d'un ordre fondé sur les Etats et qui demeure pertinent, les acteurs privés ont gagné la scène, et il ne s'agit point d'une substitution des ordres, mais selon l'idée de Badie1, d'une juxtaposition au sein de laquelle a lieu la mise en index des questions morales. Cependant, il apparaît que les valeurs et questions morales ainsi soulevées, participent à la formation des intérêts des acteurs ; l'attitude éthique des acteurs dissimule quelques fois des visées de puissance et d'intérêt2. Tout ceci se fait à la faveur de la transformation de la souveraineté qui est devenue une configuration mouvante, une souveraineté responsable. Les transactions qui s'opèrent dans le cadre de cette triangulaire3 complexe s'illustrent selon et dans deux schémas. Le premier qui a la forme d'un triangle pour restituer l'aspect triangulaire de la structure d'interactions, présente les trois pôles d'autorité à l'oeuvre dans EITI. Il s'agit notamment des Etats, des ONG et des firmes qui sont cependant, en interactions les uns avec les autres. D'où les flèches qui sur les côtés, indiquent dans la figure 1 ci-dessous les deux sens de l'interaction. Ce premier schéma est cependant une démonstration partielle des interactions, parce qu'il a surtout vocation à dire la nature triangulaire des relations autour de la transparence des industries extractives. C'est pourquoi, la seconde figure qui a l'aspect d'ensembles, met en scène la complexité tant dans les transactions que dans les motivations d'entrée en lien social. Elle montre d'une part comment chaque acteur est en transaction avec les autres, y compris ses alter ego : elle complète donc la triangulaire. Par ailleurs, elle rend compte du comportement moral ou utilitaire des acteurs,

1 Badie démontre par exemple que, si les acteurs privés qui gagnent la scène se meuvent dans l'ignorance de l'ordre étatique, leur action est vouée à la catastrophe. L'action humanitaire a connu une ascension irrésistible qui se serait avérée en catastrophe dès lors qu'elle a voulu se départir des Etats. Un nouvel ordre humanitaire se fonde donc à son avis sur le retour de l'Etat, autant dire une cohabitation des deux ordres. Badie B. La diplomatie des droits de l'homme, Paris : Fayard, 2002, partie III surtout.

2 A l'image de Ariel Colonomos qui pense que les valeurs morales jouent un rôle dans la formation des intérêts. Voir Colonomos Ariel (2005) La morale des relations internationales, Paris : Odile Jacob.

3 Nous parlons de triangulaire parce que par l'expression « industries extractives », nous entendons les compagnies extractives, ce qui correspond mieux à la définition des industries extractives que nous retenons et qui est en conformité avec la conception du Livre Source EITI.

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selon qu'ils sont motivés par l'intérêt ou la morale mais, dit également la fébrilité de la conviction dans l'usage de la morale. Rien n'interdit d'en faire usage par pur utilitarisme. Ces explications ressortent des schémas qui suivent :

Les

ONG

Les Etats

Les industries extractives

Figure 1: la triangulaire complexe autour de la transparence des industries extractives

Firmes

Etats

ONG

Etats ONG Firmes

Intérêt

Morale

Utilitaire

Ethique

Acteurs Acteurs Motivation d'action Issue d'action

Figure 2: les transactions complexes au sein de EITI

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