WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Les états, les organisations non gouvernementales et la transparence des industries extractives: la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité

( Télécharger le fichier original )
par Paul Elvic J. BATCHOM
Université de Yaoundé II/SOA - Doctorat/Ph.D 2010
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

B. Les firmes multinationales des industries extractives : signe particulier de

l' « actorness» éprouvé des sociétés multinationales.

L'importance des industries extractives dans les stocks d'IDE et le rôle international de celles-ci dans les fléaux tels que les conflits, la dégradation de l'environnement, le renforcement des régimes autoritaires etc., sont des éléments en faveur de l'actorat des multinationales des industries extractives dans la politique mondiale. Tout en précisant que les

1 Gilpin Robert « Three models of the future » in Bergsten Fred C and Krause B. Lawrence (eds.) (1975) World Politics and International Economics. Washington DC: The Brookings Institution, p.38

2 Voir Bernaz Nadia et Morin Jean François « L'ONU et les STN : la nécessité d'une collaboration opérationnelle en matière de droits sociaux internationaux » in Boisson de Chazournes et Rostane Mehdi op. cit. pp. 61-83

3 D'autres regroupements ont pris au séreux l'impact potentiel des STN sur le fonctionnement des affaires du monde et leur ont crée des cadre d'émulation. Ainsi, le conseil d'administration de l'OIT a approuvé la Déclaration de principe tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale en 1977 et en 1998, la Sous commission pour la promotion des droits de l'homme de l'ONU mit sur pieds un groupe de travail sur les sociétés transnationales alors que plus tôt en 1976, le conseil de l'OCDE adopta les principes directeurs à l'intention des entreprises multinationales.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

multinationales en général peuvent par ces mêmes éléments de comportementalité démontrer leur actorat, il convient de percevoir dans le choix de cette ligne argumentaire le signe de l'arbitraire. La découverte du pétrole dans les dernières décennies du XIXème siècle et les avancées technologiques ont donné lieu à l'exploitation des hydrocarbures, rejoignant ainsi l'extraction des métaux métalliques qui lui préexistait. L'activité fut verticale dans les premières années de l'ère post-coloniale mais surtout dans les temps précoloniaux, avec des firmes des métropoles qui investissaient les aires de la colonialité afin de pourvoir leurs pays en ressources nécessaires pour la survie et l'expansion de leurs industries. De ce fait, dans la première moitié du XXème siècle, le flux des IDE générés par l'activité extractive était principalement dirigé vers les pays en développement. Si cette réalité révèle que les firmes des industries extractives sont inscrites dans la transnationalité depuis très longtemps, la vigueur pensons-nous de ce secteur s'est décuplée avec la mondialisation économique qui draine avec elle la compétitivité, l'impératif de rendement et l'émergence des multinationales des pays en développement dès le début des années 1980 dans un contexte de ressources en progressive disparition. Une évolution qui tout en n'étant pas une révolution, constitue avec l'ancienneté de l'activité transnationale des firmes des industries extractives des arguments en faveur de l'affirmation de l'actorat de ces dernières.

La création de l'OPEP lors de la conférence de Bagdad tenue du 10 au 14 septembre 1960 et les nationalisations des industries extractives dans les années 1970 c'est-à-dire au lendemain des indépendances ont semblé ralentir l'activité du secteur. Par exemple, les IDE des EtatsUnis dans le secteur seraient tombés sous la barre de 40% en 1970 contre 50% au début du siècle. L'examen des multinationales des industries extractives dans les années 1990 permet de dire l'importance de cette catégorie d'acteur dans la politique internationale. Ce, au travers de leur poids dans la mondialisation et donc sur l'échiquier économique international mais également par l'examen des effets pervers de ladite mondialisation traduits par les économies de guerre, la transnationalisation de la violence et les interférences dans les architectures politiques des Etats étrangers en majorité faibles.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

1. L'apport du sous-sol dans la mondialisation économique

Au premier trimestre 2009, AREVA avait un chiffre d'affaire de 3.003 milliards d'Euros soit environ 8% d'augmentation1. Ce détail peut sembler vide de sens si l'on minore le rôle pivot des industries extractives dans les économies des pays en développement et de plus, il ne s'agit que d'un chiffre mais, d'un chiffre révélateur du poids des intérêts de ce secteur dans l'économie mondiale. L'égrenage du chapelet des chiffres significatifs des industries extractives serait ardu et délicat, tant les fluctuations des cours mondiaux se caractérisent par leur instabilité. L'idée de ce paragraphe est que, de par leur poids dans les investissements étrangers, les multinationales des industries extractives constituent des éléments incontournables dans la production et la distribution du pouvoir dans la politique mondiale2ce, d'autant plus que la richesse de certaines aires géographiques en ressources extractives en fait des espaces privilégiés de politique des ressources.

1Information prélevée dans le site de la compagnie : areva.com/servlet/home-fr.html, visité le 29 avril 2009. Dans cette rubrique des chiffres, l'on peut noter que le 20 mars 2007, le conseil d'administration de la filiale gabonaise du groupe pétrolier français Total a annoncé que son résultat net s'était élevé à 326,4 millions de dollars en 2006, contre 316,8 millions l'année précédente. En revanche, les volumes extraits diminuent : la production de pétrole brut des champs opérés par Total Gabon a atteint 30,9millions de barils en 2006, contre 35,7 millions en 2005. La part de production liée aux participations de Total Gabon s'est élevée en 2006 à 24,4 millions de barils, contre 28,1 millions de barils en 2005, soit environ 28% de la production nationale gabonaise. Le chiffre d'affaire s'est élevé de 1,279 milliard de dollars, en augmentation de 138,4 millions par rapport à 2005, soit une progression de 12,1%. (Jeune Afrique N°2411 du 25 au 31 mars 2007 P 92). Le conseil d'administration de la compagnie minière de l'Ogooué (Comilog), filiale du groupe français Eramet affiche des résultats en hausse de 8% pour 2006. Plus de 3,2 millions de tonnes d minerais et d'aggloméré ont été produites pour un chiffre d'affaires de 447,4 milliards de FCFA et un résultat net d'exploitation de 34 milliards de FCFA contre 32 milliards en 2005. (Jeune Afrique N°2423 du 17 au 23 juin 2007 P.77)

2 Au Zimbabwe par exemple, même si les mines d'or ne représentent que 4,5% du PIB et 5% de l'emploi, elles contribuent pour 72% aux recettes en devises. (Jeune Afrique N°2411 du 25 au 31 mars 2007 P. 92)

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Tableau 6 : position africaine dans la teneur en certaines ressources du sous-sol en 2006

Bauxite

9%

Fer
4%

Plomb

3%

Zinc

4%

Nickel

7,5%

Manganèse 39%

Cuivre 5%

Cobalt

57%

Guinée

(89,0%)

Sierra
Leone

(0,7%)

Ghana

(0,4%)

Af. Sud

(71%)

Mauritani e

(19,9)

Egypte

(4,7%)

Maroc

(39,5%)

Af. sud

(39,4)

Namibie

(13,4%)

Maroc

(39,5%)

Namibie

(29%)

Af. Sud

(12%)

Af. sud

(50,0%)

Botswana

(39,0%)

Zimbabwe

(9,7%)

Af. sud

(52,0%)

Gabon

(32,0%)

Ghana

(14,9)

Zambie

(63,0%)

RDC

(14,5%)

Af. sud

(10,3%)

RD Congo

(67,0%)

Zambie

(28,0%)

Maroc

(3,5%)

Or 21%

Uranium 16%

Phosphate 31%

Diamant 46%

Afrique du sud

(52,0%)

Ghana

(16,0%)

Mali

(9,4%)

Tanzanie

(9,2%)

Guinée

(2,8%)

Zimbabwe

(1,8%)

Côte d'ivoire

(1,6%)

Soudan

(<1%)

R.D Congo

(<1%)

Burundi

(<1%)

Niger

(45,5%)

Namibie

(44,7%)

Afrique du sud

(9,7%)

Maroc

(60,0%)

Tunisie

(17,3%)

Egypte

(5,7%)

Afrique du sud

(5,4%)

Sénégal

(3,0%)

Botswana

(35,3%)

RD Congo

(33,5%)

Afrique du sud

(17,5%)

Angola

(7,7%)

Namibie

(2,1%)

 

Source : Jeune Afrique n°2431-2432 du 12 au 25 août 2007 p.117.

La prolifération des Etats-rentiers a obscurci le potentiel de développement des industries extractives. En effet, le lien entre l'instauration d'un système de rentes matérielles au sein d'un Etat est difficile sans la détention des moyens de redistribution. Dans la plupart des pays riches en ressources extractives, les revenus tirés de la commercialisation de ces ressources constituent des facteurs d'institutionnalisation de la pratique de la rente. Du coup, le potentiel de développement des industries extractives se mute en facteur de malédiction. Mick Moore1 impute en partie cette réalité au fait d'escompter assurer un développement par les revenues liés aux taxes. Il estime que les Etats qui dépendent beaucoup des revenus non liés aux taxes ont une meilleure probabilité à devenir démocratiques et responsables que s'ils deviennent des « taxe-states ». Cependant, cette position mérite quelque nuance car, ce n'est point la seule présence des ressources en soi qui favorise l'absence de la démocratie. Peut-on penser que l'absence des revenus pétroliers ou autres dans un Etat fortement institutionnalisé explique mieux que la force des institutions, la démocratie et la responsabilité ? Que dira-t-on alors des Etats que l'on présente comme des bons exemples de démocratie tel que le Botswana, le Ghana, l'Afrique du sud et le Liberia et plus loin, l'Azerbaïdjan et qui ont des sous-sol

1 Moore Mick « Revenues state formation and the quality of governance in developing countries» International Political Science Review, vol. 25, n°3, pp. 297-319.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 162 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

munificents ? Même si l'on peut entrevoir la tare principale de ces Etats qui ont centré leur développement sur la manne que constituent les revenus pétroliers et miniers, il faut penser que l'examen des dérives que drainent les multinationales des industries extractives vont faire l'objet d'une attention particulière dans le paragraphe suivant, et que pour l'instant, l'intérêt porté sur l'apport de cette branche du secteur primaire dans l'économie mondiale peut être difficile à inventorier en raison de l'enchevêtrement des secteurs de production et de l'interdépendance des branches d'activité. Aussi, allons-nous nous limiter à l'examen du poids de l'IDE des industries extractives dans les IDE globaux des multinationales dans le monde pour penser l'affirmation des multinationales de ce secteur comme des acteurs pertinents de la scène internationale. Et, à ce propos, les chiffres de la CNUCED dans le rapport sur les investissements dans le monde publié en 2007 constituent le substrat de cette démonstration. D'après ce document, le stock des investissements directs étrangers du secteur des industries extractives a été estimé en 2005 à 755 milliards de dollars US. Les Etats-Unis par exemple auraient participé à hauteur de 71% dans ce chiffre, pour leurs investissements dans les hydrocarbures et 36% dans les mines. Mais l'émergence d'une forme d'IDE en provenance des pays en développement, fait notable depuis le début des années 1980, a boosté les chiffres avec l'Inde qui a injecté 19% de ses IDE dans l'acquisition des STN des industries extractives à l'étranger. En 2003, la Chine a contribué à hauteur de 48% dans l'IDE des pays émergents, 33% et 14% respectivement en 2004 et 2005 soit pour la dernière année 1 milliard de dollars. La Corée du sud a lancé des projets dans les STN du secteur minier, allant de 141 en fin 2003 à 218 en fin 2006 ( de 0,5 milliard à 2,1 milliards $).

Tableau 7 : poids de l'IDE des industries extractives dans l'IDE du secteur primaire sortant 1990 et 2005 (en millions de dollars)

Secteur
primaire

1990

2005

 

PVD

Monde

Pays
développés

PVD

Monde

Agriculture,
chasse,
sylviculture
et pêche

5.245

319

5564

4257

1575

5918

Mines,
carrières et
pétrole

156.319

1.900

158.217

577.362

33.791

610.176

Secteur
primaire
non spécifié

-

-

-

2.474

-

2.474

Total

161.564

2.219

163.783

584.093

33.365

618.569

 

Source : conçu à partir des données de la WIR 2007 de la CNUCED.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Tableau 8 : poids de l'IDE des industries extractives dans l'IDE du secteur primaire entrant 1990 et 2005 (en millions de dollars)

Secteur
primaire

1990

2005

 

PVD

Monde

Pays
développés

PVD

Monde

Agriculture,
chasse,
sylviculture
et pêche

-6

602

597

457

1.855

2.437

Mines,
carrières et
pétrole

8.985

3.237

12.221

68.758

14.988

88.643

Secteur
primaire
non spécifié

37

-

-

-131

-

-131

Total

9.016

3.839

12.855

69.084

16.843

90.949

 

Source : Conçu à partir des données de la WIR 2007 de la CNUCED.

Le constat qui se dégage est celui du différentiel très élevé entre les IDE des mines, carrières et pétrole qui échoient à la branche des industries extractives et les autres branches du secteur et l'incidence économique peut faire l'objet d'une analyse autonome mais, lorsqu'on soupçonne le poids des IDE et leur importance dans la relance de certaines économies en panne de croissance, il apparaît que l'importance des industries extractives leur confère une autorité dans la politique mondiale.

Le World Investment Report 2007 montre de façon globale que l'importance relative des STN varie selon les industries extractives. Dans le secteur des métaux, 23 des 25 premiers producteurs en 2005 étaient des STN privées, deux seulement étaient des sociétés d'État. Dans le secteur du pétrole et du gaz, la plus grande partie des 50 premiers producteurs étaient des entreprises à capitaux publics majoritaires. Pour l'essentiel, la production était contrôlée par des entreprises d'État de pays en développement et de pays en transition. Par exemple, en 2005, la production de la Saudi Aramco (Arabie saoudite) était plus de deux fois supérieure à celle du premier producteur privé de pétrole et de gaz, ExxonMobil (États-Unis).Le Rapport met également en lumière l'émergence de nouvelles STN dans le secteur des industries extractives. Si les entreprises privées restent les plus grandes sociétés en termes d'actifs étrangers, un certain nombre d'entreprises de pays en développement, en particulier dans l'industrie du pétrole et du gaz, se hissent rapidement au niveau mondial. La production

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

étrangère combinée des sept plus grandes entreprises d'État CNOOC, CNPC, Sinopec (Chine), Lukoil (Russie), ONGC (Inde), Petrobras (Brésil) et Petronas (Malaisie) dépassait les 528 millions de barils équivalent pétrole en 2005, contre seulement 22 millions dix ans auparavant. L'expansion de leurs activités à l'étranger est en partie alimentée par la hausse de la demande dans les pays asiatiques à forte croissance.

Toutefois, cette position privilégiée qui traduit la qualité d'acteur confirmé des multinationales des industries extractives ne va pas sans déviances dès lors qu'on considère que la possession des facteurs de puissance dans la politique internationale confère une légitimité dans la revendication d'un rôle (éthique ou non) dans la définition des contours des affaires du monde.

2. Du syndrome hollandais au syndrome de Monaco : les impacts sociaux et sécuritaires de l'activité extractive dans un monde globalisé.

Le grief politique dans certains Etats a partie liée avec la présence des multinationales des industries extractives. Mieux, les évènements tels que l'épisode de l'Exxon Valdez qui échoua sur la côte de l'Alaska le 23 mars 1989 ou encore le naufrage de l'Erika au large de la Bretagne le 12 décembre 1999, catastrophes écologiques ayant entraîné des réactions politiques de la part des gouvernements1, ont démontré que les multinationales des industries extractives ont un potentiel de nuisance avéré qui est consubstantiel au fait de leur actorat. Leur responsabilité par le syndrome hollandais dans le retard économique de certains Etats et l'image du syndrome de Monaco2 pour dire leur action corrosive sur les tissus sécuritaires des

1 À la suite de l'accident de L'EXXON VALDEZ en 1989, les États-Unis, insatisfaits de la faiblesse des normes internationales sur la prévention de la pollution par les navires, ont adopté en 1990 le "Oil Pollution Act" (OPA 90). Par cette loi, ils ont imposé unilatéralement des exigences de double coque tant pour les pétroliers neufs que pour ceux existants, par le biais de limites d'âge (à partir de 2005 entre 23 et 30 ans) et d'échéances (2010 et 2015) pour l'abandon des pétroliers à simple coque. Face à la mesure unilatérale des Américains, l'Organisation maritime internationale (OMI ) a dû suivre et a établi en 1992 des normes de double coque dans la convention internationale sur la prévention de la pollution par les navires (MARPOL). Cette convention exige que tous les pétroliers d'un port en lourd égal ou supérieur à 600 tonnes TPL, livrés à partir de juillet 1996, soient construits avec une double coque ou une conception équivalente. Il n'y a donc plus de pétroliers à coque simple de cette taille construits après cette date. Pour les pétroliers à simple coque d'un port en lourd égal ou supérieur à 20.000 tonnes TPL, livrés avant le 6 juillet 1996, cette convention internationale exige qu'ils se conforment aux normes double coque au plus tard à l'âge de 25 ou 30 ans, selon qu'ils ont ou non des citernes à ballast séparé.

2 Perousse de Montclos explique par cette expression le fait pour les multinationales des industries extractives de
créer des poches sécuritaires avec l'aide des sociétés privées afin de protéger leurs installations et leur personnel
et familles des agents. Voir Marc-Antoine Perousse de Montclos « Les entreprises para-privées de coercition : de

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Etats, sont porteurs de l'idée que cette catégorie d'acteur manifeste son actorness également lisible au travers des fléaux dont elle est l'instigatrice ou l'essence de la pérennisation.

Le spectre s'étalant du syndrome hollandais au syndrome de Monaco balaie au passage les corruptions endémiques et les soutiens ouverts ou larvés aux régimes autoritaires, ainsi que la paupérisation des populations qui passe quelques fois par la destruction de leur environnement vital1. Ainsi, la liste très longue des pays qui comme le Gabon et l'Angola2 ont une histoire longue d'exploitation pétrolière mais qui ont généré des millions de dollars de bénéfices aux compagnies et dont les populations demeurent dans l'ornière des quotidiennetés creuses, est l'élément matériel d'une réalité qui fait date : le « paradoxe d'abondance 3». La responsabilité des multinationales est très engagée dans la fabrication de cette pathologie propre à certains Etats miniers et pétroliers. En effet, la dépendance poussée de certains pays vis-à-vis des revenus pétroliers et miniers comporte un chapelet de conséquences que les multinationales du secteur n'hésitent pas souvent à exacerber, en raison de la quête dépersonnalisée du profit. Selon la typologie de Mick Moore, l'on peut noter entre autres conséquences de cette hyper-dépendance : l'autonomie des dirigeants vis-à-vis des citoyens qui n'ont plus besoin forcement de payer les taxes et dont l'on peut acheter aisément la conscience. L'intervention extérieure est le second ordre de conséquence et coupe également le peuple de ses dirigeants. Ensuite vient le coupism et counter coupism4, l'absence de transparence dans la gestion des biens publics, l'absence d'une bureaucratie publique effective et enfin l'absence de la conscience du bien public5. Toutes choses qui fragilisent le climat et pour lesquelles les multinationales sont souvent des architectes ou les maîtres d'oeuvre. Par ces fenêtres de pratique qu'encouragent les multinationales, l'Etat en Afrique

nouveaux mercenaires ? Pétrole et sécurité privée au Nigeria : un complexe multiforme à l'épreuve du `syndrome de Monaco' » Cultures et Conflits, n°52 4/2003 pp.117-138

1 Newmont Mining Corporation qui exploite la mine d'or d'Ahafo à 300km d'Accra au Ghana est accusée d'avoir causé de sérieux dommages environnementaux sur la région, polluant les rivières voisines et ayant intoxiqué les populations. La même compagnie exploitait la mine de Cajamarca au Pérou. L'aventure s'est là aussi achevée en 2006 par des protestations des populations riveraines qui lui reprochaient la pollution au mercure de leurs rivières. Lire à ce propos : Labarthe G. (2007) L'or africain, pillages, trafics et commerce international, Marseille : Agone, p.45. L'on se souviendra aussi des ravages de la Royal Dutch Shell dans le Delta du Niger.

2 Ces deux Etats ont des histoires pétrolières et minières très tumultueuses, faites des affaires Elf qui dramatisent les trafics d'armes en direction de l'Angola dans les années 1990 par Arcadi Gaydamack avec la couverture des dirigeants de Elf Aquitaine, notamment Loïc le Floch-Prigent, mais également des dossiers de la juge française Eva Joly au sujet des biens des présidents Bongo et Sassou Nguesso qui sont le produit de l'usage privé des revenus du pétrole des deux Etats.

3 Karl Lynn T. (1997) The paradox of plenty: oil boom and petro-state. Berkeley, London & Los Angeles : University of California Press

4 La logique des coups d'Etat et contre coups d'Etat

5 Moore Mick, art. cit. pp. 306-307

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

notamment peine à se sortir du sous-développement car le rôle des firmes dans la fabrication des régimes néopatrimoniaux est une des causes premières de la panne de décollage économique.

De même, leur main de velours1 derrière les conflits sanglants et même génocidaires (le cas du Darfour et du Rwanda) déclenche et entretient les conflits ce, en raison des rivalités facilitées par la rareté des ressources et l'envol du cours de certains minerais d'utilité stratégique. L'occurrence de la guerre civile au Congo Brazzaville dans les années 1990 ne fut pas uniquement le fait des appétits politiques insatiables d'une certaine élite, mais aussi un clivage par élites interposées pour le contrôle des ressources pétrolières du pays, surtout que la perspective de la mise en production des sites de Nkossa et Kitchina attisait les convoitises. Le Niger est un autre théâtre de ces rivalités2 qui se fondent sur la supposition d'un droit aux ressources stratégiques des anciennes colonies d'Afrique au nom de la particularité de l'histoire coloniale. En 1971, la France commence à exploiter la mine d'uranium d'Arlit dans l'extrême nord du Niger. Pour les français ce site est stratégique car, son uranium à haute teneur est indispensable à leur programme électro-nucléaire et à leur production d'armements. La nouveauté aujourd'hui réside dans le déferlement de nouvelles sociétés étrangères qui prospectent le sous-sol nigérien, des compagnies australiennes, canadiennes mais surtout la China Nuclear Engineering and Construction Corporation (CNECC). En 2006, cette dernière décroche un permis sur le site de Téguidan Tessoumt qui dispose de réserves estimées à 12.000 tonnes d'uranium et dont le début de l'exploitation est prévu pour 2010. AREVA a obtenu un permis sur le nouveau site d'Imouraren qui a 80.000 tonnes de réserves mais il n'est plus le seul et de plus, la convention pluriannuelle qui le lie au Niger a expiré le 31

1 Quelques fois, la violence a été le fait direct des multinationales. Le 28 mai 1998, après une fin de non recevoir opposée à la requête du Concerned Ilaje Citizen (CIC) qui réclamait des réparations pour les dommages causés par Chevron sur leur environnement, 121 jeunes de la communauté Ilaje se sont rendus sur la plateforme de Parabe une propriété de Chevron dans l'Etat de Ondo afin de requérir un dialogue avec les dirigeants locaux de la compagnie. En réaction, des forces de sécurité héliportées par des appareils de la compagnies ont chargé le groupe de manifestants ; bilan : deux jeunes tués, 30 blessés graves et 11 arrêtés qui vont subir des tortures pendant leur détention dans un camp militaire. La juge Susan Illston saisie de l'affaire va dire pour souligner la responsabilité de Chevron: « Chevron Nigeria Limited (CNL) personnel were directly involved in the attacks; CNL transported GCF (Nigerian security forces), CNL paid the GSF; and CNL knew that GSF were prone to use excessive force ». ERAction, n° 08, July-October 2007. p.2

2 Au sujet des rivalités sur les questions pétrolières et minières entre la France et d'autres puissances telles que les Etats-Unis en Afrique, on peut lire : Yates Douglas « Oil and Franco-American rivalry in Africa » papier présenté lors du colloque l'Afrique, les Etats-Unis et la France, Bordeaux,22-24 mai 1997 ; Henrotin J. dir. (2004) Au risque du chaos : leçons politiques et stratégiques de la guerre d'Irak, Paris : Armand Collin ; Bagayoko Penone-Niagalé « France/Etats-Unis : le clash des stratégies ? » Diplomate-Magazine, n°11, nov/dec. 2004. Mais lire surtout : Lestrange Cédric, Paillard Christophe-Alexandre et Zelenko Pierre (2005) Géopolitique du pétrole : un nouveau marché, de nouveaux risques, des nouveaux mondes, Paris : Edition Technip.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

décembre 20071. Depuis 2006, Niamey veut renégocier le prix de vente de son minerai à la hausse. C'est dans ce contexte que la rébellion touarègue du MNJ (Mouvement des Nigériens pour la Justice) éclate en février 2007. L'on notera au passage le silence de la France et d'Areva lors du coup d'Etat du jeudi 18 février 2010 par lequel des militaires conduits par le chef d'escadron Salou Djibo ont fait main basse sur le pouvoir à Niamey et mis aux arrêts le président Tandja et son gouvernement. L'uranium nigérien était vendu en 2008 à Areva à 27.300 FCFA le kilogramme alors qu'il se vend sur le marché mondial à 122.000FCFA2. Le Niger a d'ailleurs engagé une politique de diversification de ses partenaires, en accordant un nouveau permis de prospection et d'exploitation de l'uranium à une société chinoise dans la région d'Azelik. Ce nouveau site uranifère a été accordé à une société commune sinonigérienne, la SOMINA (Société des mines d'Azelik), créée en juin 2007. Le permis d'Azelik comprend deux études, la première sur les impacts de l'exploitation de l'uranium sur l'environnement et la seconde sur la faisabilité et la rentabilité du gisement. La SOMINA espère pouvoir produire 700 tonnes d'uranium par an à partir de 2009 sur ce gisement. De plus, la compagnie indienne Taurian Resources a elle aussi reçu un permis d'exploitation dans une zone de 3000 km2 dans la région d'Arlit. Cette diversification somme toute légitime des partenaires d'exploitation peut être si ça ne l'est pas encore, source d'exacerbation des tensions dans la région touarègue et servir de prétexte pour encenser la rébellion du MNJ. Elle peut également justifier l'instabilité politique au Niger en 2010 ce, en conjugaison avec des facteurs strictement internes qui relèvent de la volonté du président Mamadou Tandja de s'éterniser au pouvoir en prorogeant son mandat jusqu'en 2012 à la suite de la dissolution du conseil constitutionnel.

Dans ces cas, il s'est agi de rivalités entre les firmes étrangères, dans cette querelle ancienne qui oppose la France et ses firmes qui pensent se prévaloir d'une préemption de pré carré d'une part et les firmes américaines engagées avec leur gouvernement dans une logique de diversification des sources énergétiques. Mais aussi de la volonté française de préserver son pré carré inviolé devant l'incursion des compagnies étrangères en quête de ressources

1 En janvier 2009, les dirigeants de AREVA et le gouvernement du président Mamadou Tandja ont conclu un nouvel accord pour l'exploitation d'une mine géante à Imouraren dans le nord du pays. Lors de sa visite au Niger le 27 mars de la même année, le président Nicolas Sarkozy a taxé cet accord de partenariat « gagnantgagnant » ce qui laisse supposer que les termes de l'accord sont plus justes pour les deux Etats.

2 Jeune Afrique n°2430 du 5 au 11 août 2007 P.37

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

dont regorge le continent africain. La prépondérance des entreprises chinoises1 dans l'exploitation du pétrole soudanais a rendu le climat lourd entre le gouvernement de Omar El Béchir et les puissances occidentales qui indiquent sa responsabilité dans le génocide des darfouri2. Le lancement d'un mandat d'arrêt contre lui le mercredi 4 mars 2009 s'expliquerait en partie par les rivalités de puissances autour des énormes ressources pétrolières soudanaises. C'est penser que le puissant lobby des multinationales a prévalu auprès du procureur Luis Moreno-Ocampo de la CPI. En effet, le pétrole soudanais permet de voir à l'oeuvre les principes du « consensus de Beijing ». Il s'agit du pendant chinois du « consensus de Washington », et consiste en une approche diplomatique qui prête une grande importance à la non-ingérence de la Chine dans les affaires internes d'un Etat riche en ressources extractives. La Chine ne prête pas attention aux considérations de l'Occident sur certains Etats, et axe sa coopération avec ses partenaires nantis de matières premières, sur un développement qui privilégie les infrastructures, l'économie et moins de considérations civiques. L'illustration de cette politique est le « troc » entre le gouvernement chinois et la RDC au sujet des contrats obtenus par Pékin contre la construction des infrastructures en 2008. Cette approche a séduit le président Omar El Béchir qui, n'ayant pas les faveurs de l'Occident qui lui reproche d'être responsable du génocide du Darfour, a cédé nombre de puits de pétrole à la CNPC3. Sur les sept blocs qui sont en production, six sont en coproduction entre la CNPC et les sociétés d'Etat Sudapet pour le Nord et Nilepet pour le Sud. La Chine tirerait 5% de son pétrole du Soudan d'après un rapport de Global Witness4. De fait donc, les principes et les avantages de la Chine au Soudan sont de nature à plomber davantage les chances de l'Occident d'obtenir du président Omar Béchir par la pression, les concessions escomptées. L'émission d'un mandat d'arrêt à son endroit fait suite à une procédure qui depuis le 14 juillet 2008, fait pendre au dessus du président soudanais la menace d'une poursuite par la CPI. Le procureur

1 La plus grosse compagnie pétrolière chinoise, CNPC est entrée en discussion avec le gouvernement soudanais au premier semestre 2007 pour l'exploitation du pétrole et du gaz dans le nord du pays, près de la mer rouge. CNPC s'est alliée pour l'occasion avec la compagnie nationale indonésienne PT Pertamina. Les deux sociétés espéraient obtenir une concession pour vingt six ans. Et ce, alors que les occidentaux mettent la pression sur la Chine pour qu'elle réduise ses investissements au Soudan en raison de la crise du Darfour. Ce signe parmi tant d'autres du climat de rivalité au Soudan illustre le rôle central des multinationales des industries extractives dans les conflits et les rivalités potentiellement conflictogènes dans certains Etats. Jeune Afrique n°2426 du 8 au 14 juillet 2007 p.11

2 Ce cas comme beaucoup d'autres, valide l'hypothèse de la survenue d'un conflit dans les conditions de l'abondance des ressources extractives. Lire à ce sujet Indra de Soysa « The resource curse : Are civil wars driven by rapacity or paucity ? » in Mats Berdal et David S. Malone op. cit. pp.113-135 ; mais également les contribution de Virgina Gamba et Richard Cornwell intitulé « Arms, elts and resources in the Angolan civil war » in Berdal et Malone op.cit. pp. 157-171 et David Keen « Incentives and disincentives for violence » in Berdal et Malone op. cit. pp.19-41.

3 Notamment les blocs 1,2, 3, 4, 6 et 7, soit six des sept blocs en production.

4 Voir le rapport «Fueling Mistrust» de Global Witness publié en septembre 2009.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 169 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Luis Moreno Ocampo avait ce même jour, réclamé un mandat d'arrêt contre le président Béchir pour « crime contre l'humanité », « crime de guerre et génocide ». Un jour plus tard, il demandait son inculpation. Et le jeudi 12 février 2009 les juges de la chambre préliminaire de la CPI ont donc consenti à émettre ce mandat d'arrêt international. Le chef d'accusation de « crime de génocide » sera rajouté en février 2010 à la liste des reproches faits au président Béchir.

La longévité au pouvoir n'est pas le seul fait de la redistribution par des systèmes néopatrimoniaux bien rodés qui en plus de produire le sous-développement1, permettent à leurs concepteurs de se pérenniser aux affaires. Elle repose aussi sur un consensus dans le cadre d'un cartel de gouvernement ou par l'outil répressif qui fait planer l'épée de la violence politique au dessus des têtes de l'opposition. Le virage pris avec la fin de la Guerre Froide dans l'ingénierie politique dans certains Etats faibles dramatise une rupture dans la continuité, une rupforme (rupture + reforme) en quelque sorte. En effet, dans les temps de la Guerre Froide, les enchères hautes de la ressource stratégique concédaient une légitimité extérieure mais capitale aux dirigeants desdits Etats et l'idée de l'épuisement de cette ressource a conduit les ateliers politiques à fabriquer une ressource qui s'inspire de la défunte : la légitimité pourvue par les multinationales dans un contexte de mondialisation des espaces et des marchés. Comme le démontre William Reno2, le facteur exogène dans la fabrication des élites et warlords dans la politique africaine se traduit par les alliances et mésalliances avec les principales firmes dont les ressources permettent d'accéder au pouvoir et d'asseoir son autorité. Le prix à payer s'est avéré très élevé pour les populations en RDC, en Sierra Leone et au Libéria. Quoiqu'il en soit, la complexité de ces systèmes qui échappent à l'explication facile et simpliste de la répression ou de la cooptation3, a besoin du soutien des multinationales des industries extractives en exercice dans les pays. Ce qui a laissé penser à une certaine opinion africaine dans les années 1990 que les dirigeants africains du pré carré français étaient une fabrication de Elf Aquitaine. De toute évidence, le rôle des

1 Médard Jean François « The underdeveloped stat in Africa: political clientelism or neopatrimonialism? » in Clapham Christopher (ed.), (1982) Private patronage and public power: political clientelism and the modern state. London: Frances Printer, pp. 161-189.

2 William Reno (1998), Warlords politics and African states. London & Boulder: Lynne Rienner Publishers

3 Magaloni Beatriz « Credible power-sharing and the longevity of authoritarian rule » Comparative Political Studies, vol. 41, n°4/5 (2008) pp. 715-741

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

multinationales des industries extractives est central dans le rythme des démocratisations, en Afrique notamment1.

En somme, tandis que l'école libérale considère que les multinationales sont des facteurs pour le développement des peuples2, car créatrices des richesses dans ces espaces lointains de leur déploiement, l'école de la dependencia3 qui impute aux multinationales le sousdéveloppement des Etats, trouve des éléments argumentaires propices dans le rapport des industries extractives avec les Etats de leurs opérations tant l'issue est la paupérisation4. Ce, au travers de la dégradation de l'environnement qui hypothèque les activités génératrices de richesses des populations ou les collusions par le haut des élites avec les intérêts pétroliers et miniers pour la constitution d'une « bourgeoisie compradore » dont l'opulence tutoie l'indigence des populations. Toutes choses qui font penser que considérer que si dolor gravis, brevis5 serait une attitude vicieuse car, les dommages se transmettent à des générations dans le temps long, la pauvreté dans ces espaces de vie devient par le génie conjugué des élites et des multinationales, quelle qu'en soit la forme, un manmade product6. L'évocation des impacts néfastes des multinationales des industries extractives dans la politique internationale n'est pas le signe d'une volonté de procès moral auquel elles seraient ici soumises, elle est uniquement un récital des éléments dont l'examen révèle l'affirmation de la qualité d'acteur et ipso facto, leur potentiel souverainicidaire qui laisserait penser à la fin du principe fondateur du paradigme westphalien. L'affirmation des multinationales des industries extractives va avec son impact soupçonné ou avéré sur la souveraineté. Il ne faudrait cependant pas céder à

1 Voir les travaux de Cyril Obi pour le cas de la démocratisation au Nigeria et les multinationales, notamment, Obi Cyril « Is petroleum `oiling' or obstructing democratic struggles in Nigeria ? » communication présentée à l'Assemblée générale du CODESRIA à Yaoundé, 7-11 décembre 2008.

2 Voir à ce sujet les travaux de John Dunning et Rajneesh Narula; notamment: Narula, Rajneesh et Johnn H. Dunning « Industrial development, globalizations and multinational enterprises: new realities for developing countries » Oxford Development Studies, n° 28, vol. 2, pp. 141-167 (2000), Narula Rajneesh (1996) Multinational Investment and economic structure: globalization and competitiveness, London and New York: Routledge. Dunning John (1993) Multinational Enterprise and the global economy, Wokingham and Reading: Addison-Wesley.

3 Lire par exemple: Richard J. Barnet et Ronald E. Muller (1975) Global reach: the power of multinational corporations, London : Jonathan Cape.

4 Au point que certains auteurs se demandent si les pays en développement doivent renoncer à l'extraction des mines. Ce serait certainement excessif mais l'interrogation traduit le malaise que peut ressentir un esprit bien pensant devant les infortunes des populations des Etats miniers et pétroliers. Lire par exemple à ce sujet : Graham A. Davis et John E. Tilton « Should developping countries renounce mining ? A perspective on the debate » working paper daté de décembre 2002. Mais également le rapport de Abi Diamond, Kato Lambrechts et Simon Chase «Undermining development ? Copper mining in Zambia » SCIAF, Christian AID et ACTSA, octobre 2007. « A rich seam: who benefit from rising commodity prices », Christian AID, janvier 2007.

5 « Si la douleur est forte, elle est brève »

6 L'on peut lire à ce sujet Ronald E. Müller « Poverty is the product » Foreign Affairs, n°3 (1973-1974) pp. 71- 102

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 171 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

la tentation dépendantiste, et oublier que les multinationales ne remettent pas uniquement en cause la souveraineté par leur impact négatif sur le développement des Etats. Comme le démontre le paradigme du développement par l'investissement (IDP) cher à John Dunning1, l'école libérale met en exergue le potentiel et l'apport des multinationales dans le développement des peuples, en raison des IDE qu'elles drainent, de l'expertise qu'elles transfèrent et des recettes et taxes qu'elles génèrent dans les Etats de leur implantation. Dans les deux sens donc, qu'il s'agisse de l'apport bénéfique ou maléfique, les multinationales démontrent la transformation de la souveraineté, par le fait de leur qualité d'acteur confirmé. Le cas précis de leur émulation dans l'initiative de transparence des industries extractives joue cette double partition d'affirmation de l'actorat et de pression sur la souveraineté.

Paragraphe II : Praxis des multinationales dans l'initiative de transparence des industries extractive : crise éthologique ?

Après l'examen du monde global des multinationales puis celui des multinationales des industries extractives, ce paragraphe a vocation à scruter l'action des industries extractives en tant qu'acteurs et non branche d'activité dans l'EITI. A propos de cette distinction, le Livre source apporte un élément d'arbitrage avec la définition qu'il confère aux industries extractives. Il dit dans son glossaire: «les industries extractives sont celles qui s'occupent de localiser et d'enlever les ressources naturelles épuisables situées dans la croûte terrestre ou à proximité de celle-ci ». Voilà qui tranche tout débat sur la contenance sémantique de cette notion qui peut être polysémique et, qui légitime la précision faite plus haut sur l'utilisation de la notion d'industries extractives comme acteur mouvant et non comme une branche d'activité figée du secteur primaire. Cette catégorie d'acteur est cardinale dans l'initiative de transparence des industries extractives car, les « transactions collusives » qui ont souvent caractérisé les relations entre celle-ci et l'Etat, tendent à évoluer vers une redéfinition des rôles. Crise éthologique ou revisitation des fondements stratégiques des industries extractives? Il est peut-être trop tôt pour y répondre mais, quoiqu'il en soit, par le fait de cette ouverture des écluses de l'opacité qui semble informer la praxis des industries extractives, l'on perçoit la confirmation des acteurs privés et donc, la relativité de la souveraineté qui autorise et est expliquée cet état de fait.

1 John Dunning, op. cit.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 172 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Toutefois, l'on peut se targuer de dire péremptoirement que cette transformation n'est pas le signe d'une attitude statocidaire car, tout comme les organisations de la société civile qui agissent dans le cadre des Etats par autorisation ou par déclaration, les industries extractives sont soit créées par les Etats, soit autorisées dans leur exercice par ce dernier1. D'ailleurs, l'on peut soupçonner derrière les travaux de Ronald Müller2 que les multinationales et donc les industries extractives sont des agents par volonté ou par destination d'une diplomatie publique. En effet, l'histoire rappelle (et en cela lui donne raison) que la célèbre compagnie des Indes occidentales a joué un rôle déterminant en lieu et place de la Couronne britannique pour l'assujettissement de cette partie du globe à l'empire britannique3.

Cela dit, la transparence des industries extractives en tant que tribune d'expression de l'actorat des industries extractives, dramatise deux niveaux de pertinence : les industries extractives comme actants dans le scénario de la transparence au plan international (A) et celles-ci dans la matérialisation de la transparence au niveau des Etats (B).

1 La loi camerounaise n°665/PJL/AN du 9 décembre 1999 portant code pétrolier dit en ses articles 3 et 4 : « Les gisements ou accumulations naturelles d'Hydrocarbures que recèle le sol ou le sous-sol du Territoire Camerounais, découverts ou non, sont et demeurent la propriété exclusive de l'Etat. Aux fins des Opérations Pétrolières, l'Etat exerce sur l'ensemble du Territoire Camerounais, des droits souverains. Une personne physique ou morale y compris les propriétaires du sol, ne peut entreprendre des Opérations Pétrolières que si elle a été préalablement autorisée à le faire ». Le décret d'application n°2000/465 du 30 juin 2000 dudit code pétrolier prévoit que les demandes d'autorisation de prospection, de recherche, d'exploitation provisoire et d'exploitation sont adressées au ministre chargé des hydrocarbures (art. 8, 15, 24 et 27). De même, l'article 8 alinéa 2 de la loi n°001-2001 du 16 avril 2001 portant code minier de la République du Cameroun dit : « Toute personne physique ou morale désirant exercer une activité minière doit, au préalable, obtenir un permis de reconnaissance ou un titre minier, délivré dans les conditions fixées par la présente loi ». Au Tchad, la Loi N°011/PR/1995 du 20 juin 1995 portant code minier rappelle que les richesses du sous-sol tchadien sont la propriété de l'Etat c'est pourquoi, « Sous réserve d'exceptions prévues au Code Minier, l'État peut accorder sur le territoire de la République du Tchad à une ou plusieurs personnes physiques de nationalité tchadienne ou étrangère ou à une ou plusieurs sociétés de droit tchadien ou étranger, dûment qualifiées selon le Code Minier, le droit d'entreprendre et de conduire les activités qu'il régit. L'exercice de ce droit est toutefois sujet à l'obtention de l'un ou plusieurs des titres ou autorisations... » (art.7). Au Gabon, la Loi n°14/74 du 21 janvier 1975 portant réglementation des activités de recherche et d'exploitation pétrolière sur le territoire de la République Gabonaise dit en son article 1er : « Les activités de recherche et d'exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux sur le territoire national sont soumises aux dispositions de la présente loi et des textes pris pour son application ». Pour les pays de l'UEMOA, le Règlement n°18/2003/CM/UEMOA du 23 décembre 2003 portant code minier communautaire dit en son article 10 : « L'occupation des terrains nécessaires à l'activité de prospection, de recherche ou d'exploitation de substances minérales et aux industries qui s'y rattachent ainsi que les relations entre les propriétaires du sol et autres occupants et les détenteurs de titres miniers s'effectuent, en l'absence de textes communautaires, selon les conditions et modalités établies par la réglementation nationale de chaque Etat membre ».

2 Lire notamment Müller E. Ronald et Barnet Richard J., (1975) Global reach: The power of the multinational corporations. London: Jonathan Cape, chap. 4 « Corporate diplomacy and national loyalty »

3 L'on a également le cas du Cameroun dont les traités de création furent signés entre deux maisons commerciales allemandes et les chefs Duala. En effet, les 11 et 12 juillet 1884, Jim Ekwala de Deido, Ndum'a Lobe (Bell) et Dika Mpondo (Akwa) signèrent avec les maisons commerciales Woermann et Jantzen & Thormählen les traités qui conféraient la première souveraineté du territoire dit Cameroons à l'Allemagne. Lire à ce sujet, Owona Adalbert (1996) La naissance du Cameroun 1884-1914. Pars : l'Harmattan, pp. 30-39.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

A. L'affirmation actorielle des industries extractives dans l'écriture d'un

scénario de la transparence au sein de l'EITI : le niveau international Le discours sur la participation actorielle des industries extractives dans EITI met en relief deux niveaux d'expression de l'actorat. D'une part, il y a l'engagement international et de l'autre, la participation au plan national. Ces niveaux dégagent deux caractéristiques qui méritent d'être soulignées. En effet, au plan international les industries extractives participent de façon volontaire, contribuant ainsi à la réussite de la mise en oeuvre alors que leur implication au plan national peut être exigée par l'Etat qui est responsable de la réussite du processus.

Les industries extractives sont une composante incontournable dans la mise en oeuvre de la transparence. Le Livre Source prévoit que les entreprises des industries extractives ont la possibilité d'appuyer le développement et le perfectionnement de l'EITI par la réalisation de certaines actions. Le moment fondateur de la participation internationale d'une industrie extractive à l'initiative est la déclaration d'adhésion. De façon claire et sans équivoque, la firme doit annoncer sa détermination à soutenir la mise en oeuvre de la transparence. Elle doit ensuite confier la responsabilité stratégique de EITI à un haut cadre en même temps qu'elle désigne un coordonnateur chargé de l'initiative. C'est ainsi que, après avoir adhéré à l'initiative le 17 juin 2003 c'est-à-dire lors de la conférence fondatrice, le groupe nucléaire français AREVA a désigné M. Olivier Loubière, déontologue du groupe comme responsable stratégique1 de EITI tandis que M. Yves Dufour le directeur de la communication et des relations externes de la Business Unit Mines s'est vu confié la charge de coordonner la participation de la compagnie à EITI. Le 1er février 2007, J. J. Mulva le président de Conocco Phillips a adressé une lettre à M. Peter Eigen pour lui signifier l'adhésion de sa compagnie aux principes EITI. Par la même occasion, il l'informait de la désignation de M. Don Duncan, comme responsable stratégique de l'implémentation des critères de l'initiative pour le compte de l'entreprise.

Les industries extractives manifestent également leur soutien à l'initiative par leur participation aux réunions internationales. Les tableaux ci-après donnent un aperçu de la présence des compagnies membres du conseil d'administration aux réunions dudit conseil et à l'International Advisory Group (IAG).

1 Quelques responsables stratégiques EITI des compagnies : M. Graham Baxter (BP), M. Edward Bickham (Anglo American), M. John Kelly (Exxon Mobil), M. Pedro E. Aguirre (PEMEX), M. Mike Wilkinson (Shell), M. Stuart Brooks (Chevron), M. Jean François Lassalle (TOTAL), M. Milas Evangelista de Sousa, (Petrobras) etc.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Tableau 9 : Indication de la participation des compagnies extractives aux réunions de l'international Advisory Group (IAG)

26/8/2005 (Londres)

21/10/2005 (Washington)

16/02/2006 (Abuja)

05/04/2006 (Bakou)

20/06/2006 (Londres)

BP

BP

Petrobras

BP

BP

Anglo American

Chevron

BP

Anglo American

Petrobras

Chevron

Petrobras

Chevron

Chevron

Anglo American

SOFAZ

Anglo American

 

Petrobras

Chevron

 

Tableau 10 : Indication de la participation des compagnies extractives à quelques réunions du conseil d'administration EITI

7/12/2006 (New York)

11/04/2007(Berlin)

27/09/2007(Oslo)

Petrobras

Petrobras

Petrobras

Chevron

Chevron

Chevron

BP

BP

BP

Anglo American

Anglo American

Anglo American

PEMEX

PEMEX

PEMEX

ExxonMobil

ExxonMobil

ExxonMobil

Shell

Shell

Shell

ICMM*

ICMM

ICMM

 
 

TOTAL

 
 

AREVA

 

*ICMM : L' International Council on Mining and Metals représente les industries extractives minières dans le conseil d'administration.

Source : Conçu à partir des minutes des conseils d'administration de EITI.

Ensuite, la participation des industries extractives à l'initiative se lit par l'insertion de leur soutien dans leurs rapports sur la responsabilité sociale des entreprises. La mode actuelle est à la publication des rapports sur la viabilité internationale ou la responsabilité d'entreprise. L'intégration par chaque compagnie d'un résumé de sa contribution à EITI dans l'un de ces rapports constitue la cinquième marque de son soutien à l'initiative1. Les compagnies peuvent

1 Puisque les compagnies publient des rapports de fiabilité internationale et de responsabilité sociale au rythme annuel, il serait donc particulièrement fastidieux de restituer ici la totalité des quintessences des contributions des industries extractives telles que mentionnées dans leurs rapports respectifs. Toutefois, pour avoir un aperçu nous évoquons l'extrait que BHP Billiton a consacré à sa contribution à EITI dans son Sustainability Report 2005. Il y est dit: « BHP Billiton continues to support the EITI, and we are committed to working with our host governments that participate in this process and develop systems to report these payments. The government of Trinidad and Tobago is actively committed to implementing the EITI, and our petroleum asset in this country will report its payments in its annual site-based sustainability report In May 2005, the Peruvian Ministry of Energy and Mines issued a declaration marking Peru's launch of the EITI. BHP Billiton will work with the

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 175 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

participer au financement de la transparence par une contribution financière directe à l'effort de la mise en oeuvre. Au total, la participation des industries extractives à l'initiative au plan international est le fait d'une quarantaine de compagnies extractives1.

Le processus de validation de la participation des industries extractives au processus se fait sur la base des points autour desquels se greffe leur implication à l'initiative. Le guide de validation mis sur pied aux fins de vérification de la conformité de l'action des parties prenantes, en rapport avec les prévisions du Livre Source, comporte cinq (05) niveaux de validation. Il s'agit tour à tour de mesurer l'adhésion des compagnies au processus par la conformité quant à la publication d'une déclaration d'adhésion, la publicisation des informations de soutien des compagnies et l'implication au processus par la désignation des responsables EITI et la présence aux conférences et réunions internationales.

Encadré : Déclarations de soutien de Royal Dutch Shell

Pour Shell, contribuer au développement durable signifie aider à répondre aux besoins énergétiques croissants dans le monde de manière économiquement, écologiquement et socialement responsable. En bref, d'aider à garantir un avenir énergétique responsable. Bien qu'il soit important de répondre à la demande en énergie de manière responsable, il est tout aussi important de s'assurer que les revenus associés à l'exploitation des hydrocarbures profitent aux citoyens des pays riches en ressources naturelles. Malgré la volatilité des prix des ressources énergétiques, ces derniers sont néanmoins plus élevés que par le passé, ce qui représente une bonne opportunité pour les gouvernements d'utiliser ces fonds afin d'accroître l'accès à la santé, l'éducation et aux mesures de réduction de la pauvreté. La pertinence de l'ITIE par rapport aux entreprises souhaitant contribuer au développement de la société en générale repose sur le fait que la publication des paiements versés aux gouvernements permet au public d'accéder aux informations, ce qui peut déboucher sur une discussion informée sur l'utilisation des revenus issus des ressources naturelles. Soutenir l'ITIE transforme la responsabilité des entreprises d'une théorie générale à une pratique spécifique, ce qui s'avère être une contribution très précieuse au développement durable.

 

government of Peru to advance the initiative. The chart above presents relevant BHP Billiton payments on a regional basis». Il faut que les rapports des compagnies révèlent par ces aspects de leur contribution à la mise en oeuvre de l'initiative leur soutien à EITI.

1 Il s'agit en septembre 2009 des compagnies suivantes : Alcoa, Anglo American, AngloGold Ashanti, Arcelor Mittal, Areva, Barrick Gold, BG Group, BHP Billiton, BP, Chevron Corporation, ConocoPhilips, DeBeers, Eni, ExxonMobil, Freeport-McMoRan Copper & Gold, GDF Suez, Gold Fields, Hess Corporation, Lihir Gold, Norsk Hydro, Katanga Mining Limited, Lonmin, Marathon, Mitsubishi Materials, Newmont, Nippon Mining & Metals, Oxus Gold, Oz Minerals, Pemex, Petrobras, Repsol YPF, Rio Tinto, Santos, Shell, Statoil Hydro, Sumitomo Metal Mining, Talisman Energy, Teck Cominco, TOTAL, Vale, Woodside, Xstrata.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 176 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Quoique certains Etats y voient une incursion dans le champ de leur souveraineté, l'on peut penser que la mollesse de l'agir international des compagnies est informée par le souci de respecter précisément cette « compétence des compétences » des Etats. En effet, le sentiment de cette recherche de neutralité est conforté par la participation déclaratoire c'est-à-dire uniquement discursive des responsables stratégiques au niveau le plus élevé de l'initiative. Certes, cette présence fut-elle silencieuse constitue un quitus pour les compagnies engagées au niveau national, afin qu'elles se livrent au jeu de la transparence mais la nécessité d'une participation au niveau national n'est pas uniquement la recherche d'une pleine transparence par la scrutation des comptes des entreprises étatiques, il s'agit aussi de s'assurer que les compagnies s'impliquent dans les aires de leurs opérations.

B. Les industries extractives dans la matérialisation de la transparence

dans les cadres stato-nationaux : le niveau interne

La participation des industries extractives à l'échelle des Etats pose d'entrée de jeu un imbroglio définitionnel. Pour des besoins d'effectivité de la transparence, les entreprises d'Etat sont invitées à s'impliquer de manière active au processus de mise en oeuvre de l'initiative. C'est ainsi que, des entreprises telles que la Société Nationale des Hydrocarbures du Cameroun (SNH), la State Oil Company of Azerbaijan Republic (SOCAR) et la Société Nationale des Pétroles du Congo (SNPC) par exemple sont comptées au nombre des entreprises engagées dans EITI. Et cela a le mérite de semer le flou sur la tâche consistant à définir les industries extractives. Peut-on compter au nombre de celles-ci des entreprises qui représentent uniquement les intérêts de leurs Etats1 dans les projets d'exploitation et sans réelle capacité d'autonomisation ? En réalité, mis à part ce type d'entreprise, la totalité des compagnies minières et pétrolières en exercice dans le pays EITI sont multinationales. Cet état de fait confère de la pertinence à l'option de définition ici faite, en établissant une conflation de sens entre les industries extractives et les firmes multinationales. De plus, le phénomène des filiales qui a une forte prévalence dans cette branche d'activité, autorise ce

1 A titre d'exemple, l'on a la Société Nationale des Hydrocarbures (SNH) au Cameroun qui dispose de parts dans les multinationales en exercice au Cameroun avec, 20% des parts de Total E&P Cameroun, 20% de PECTEN Cameroun, 20% des parts de PERENCO Cameroun et 20% de Mobil Producing Cameroon Inc. Cela n'en fait pas pour autant une multinationale puisqu `elle ne dispose pas d'activités hors du cadre national et n'extrait pas des produits du sous-sol indépendamment de sa présence partielle dans les filiales des multinationales étrangères implantées au Cameroun.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

parti pris sémantique car, en raison de l'absence des capitaux colossaux qu'exige l'activité extractive, eu égard au fait que certaines fois l'investissement dans l'exploration peut s'avérer contre-productif et du fait de la technologie spécifique nécessaire, les pays nantis des ressources extractives se tournent presque spontanément vers les grandes firmes multinationales. Celles-ci, créent des sociétés de droit local ou établissent des filiales dans le but de la proximité vis-à-vis du champ des opérations1. Le schéma ci-après illustre cette pratique autour de l'exploitation du gisement de gaz de Aguaytia au Pérou par un consortium d'entreprises étrangères qui ont regroupé leurs actions au sein du grupo Energetico Aguaytia ; une société de droit péruvien créée à cet effet.

Figure 4 : Le regroupement d'entreprises autour du gisement de Aguaytia au Pérou

Duke Energy Company International

Scudder Latin
American Power Fund

The Maple Gas Corporation

El Paso Energy International Company

Pennsylvania
Power &Global
Light

Dynergy

Grupo Energetico Aguaytia

Source : Conçu à partir des données du site www.aguaytia.com visité le 13 mai 2009

Le soutien des industries extractives révèle par le fait des filiales et des sociétés ad hoc que l'imbrication des choses du « dedans » avec celles du « dehors » atteint toutes les branches d'activité. Si par le soutien international une firme des industries extractives affirme son actorat international, la création des sociétés de droit local pour défendre ses intérêts constitue

1 La plupart des grandes firmes multinationales des industries extractives ont des filiales dans les pays riches en ressources où elles exercent. Quelques exemples : l'on parlera de TOTAL Cameroun, TOTAL Gabon, GeovicCameroun, Shell-Gabon, Vaalco-Gabon, Amerada Hess-Gabon, ...Et s'agissant des sociétés de droit local, l'on peut évoquer la Compagnie Industrielle et Commerciale des Mines du Gabon (CICMG) qui est une société de droit gabonais créée par les entreprises chinoises Xuzhou Huayan et Ningbo Huaneng Kuangye. Au Cameroun, la compagnie Sundance Resources Limited a mis sur pied la société Cam Iron SA dont elle détient 90% des parts contre 10% appartenant à des privés camerounais. Cette création vise à l'exploitation du gisement de fer de Mbalam dans le Sud-Est du pays.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 178 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

en même temps qu'une double subversion de la souveraineté par le bas et par le haut, mais davantage elle brouille les cartes de lecture des acteurs en scène. Sans compter qu'il s'agit peut-être d'un subterfuge pour contourner les législations locales qui se voudraient plus rigides à l'encontre des sociétés étrangères. Aussi, l'on retrouvera les mêmes multinationales qui soutiennent l'initiative au double plan national et international. Cette complexification des relations sociales et de l'actorat donne du sens à l'idée de la relativité de la souveraineté car, jamais l'Etat n'a été aussi fragilisé dans l'expression de son autorité qu'en ces temps où il doit composer avec des acteurs qui favorisent un enchevêtrement des espaces et des secteurs. Peutêtre qu'il faudrait lire la scène internationale comme un espace d'émulation des contraires, le site par excellence de la démonstration du primat de la mesure aristotélicienne sur le fanatisme des positions figées. Peut-être faut-il plutôt que d'opposer le requiem à l'éloge Grotius à Hobbes1, se dire que la lecture de la scène internationale dans tous les aspects de sa quiddité passe par l'intégration des deux postures. Alors, l'on aura rendu totalement raison de la souveraineté qui est, mais qui s'est muée parce que devenue relative.

Dès lors que cette précision sur le contenu sémantique des industries extractives a été faite, l'on peut désormais s'atteler à ausculter l'affirmation de leur actorat en tant que partie prenante de l'EITI. La transaction collusive entre les Etats et les industries extractives, met en scène le rapport du politique à l'économie tant dans les Etats d'origine des firmes que dans les Etats riches en ressources. Elle dramatise par ailleurs l'impact des firmes sur les Etats de leur déploiement. Cependant, par-delà les niveaux de collusion qui peuvent justifier au plan national des explications sous le prisme des paradigmes porteurs de l'affectio des descripteurs des impacts sur le développement, impacts aussi bien bénéfiques que maléfiques pour les Etats, le temps de l'analyse de cet aspect de la complexité qui transparaît dans les transactions est à venir. Pour l'heure, le temps est à l'examen de l'affirmation de la qualité d'acteur des industries extractives selon qu'elles participent au jeu de la transparence. Par ce fait même, elles démontrent leur pertinence car, qu'est ce qu'être acteur sinon faire preuve d'autonomie et disposer d'une marge de manoeuvre importante qui confère la capacité d'influence sur le comportement des choses et des êtres ; et dans le cas d'espèce, pouvoir déterminer la comportementalité des Etats et des organisations de la société civile dans le cadre de la triangulaire complexe.

1 Badie B. «Realism under praise or a requiem? The paradigmatic debate in international relations» International Political Science Review, vol. 22, n°3, pp. 253-260.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 179 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Il existe des canons de participation dans la mise en oeuvre de la transparence des industries extractives au niveau des Etats. Si le soutien au plan international descend sur les Etats telle une nuée venant du ciel, le niveau national permet une lecture des acteurs infra-étatiques dans l'affirmation de leur actorat. C'est donc d'une subversion de la souveraineté ou d'une démonstration de la souveraineté relative par le bas qu'il s'agit. Ce d'autant plus que, l'Etat est souverain dans la gestion des revenus de son sous-sol. L'une des différences entre la participation internationale et celle nationale réside dans cette opposition des sentiers d'incursion dans le champ de la souveraineté. Le propos marxiste autour de la fabrication des poches de pauvreté par les multinationales1 privilégie la lecture transnationale de la domination du centre par le truchement des multinationales. D'ailleurs autant Marx que Adam Smith ont souligné la vocation transnationale du capital qui ne se laisse pas confiner dans l'exiguïté d'un Etat. Il faut aller vers les contrées lointaines acquérir les ressources nécessaires au fonctionnement de l'industrie et conquérir les marchés utiles à l'écoulement de la production. La dissemblance apparaît donc non pas dans le cursus operatum du capital mais dans l'appréciation des impacts de son usage. Cela dit, au plan national il s'agit de permettre au conciliateur d'avoir un droit de regard sur les comptes de l'Etat autant que sur ceux des compagnies pour dissoudre les liens jadis fameux de la collusion entre ces deux acteurs.

La participation des industries extractives au processus de mise en oeuvre de la transparence commence au plan national par leur présence au sein des comités de mise en oeuvre. Quoique le Livre Source ait omis au nombre de ses critères, de préciser l'impératif de la présence des industries extractives, oubli volontaire peut-être si l'on part du postulat de la collusion entre l'Etat et les industries extractives, les quatre conditions d'accessibilité au statut de candidat supposent qu'au préalable un comité multi-parties prenantes a été mis sur pied et intègre des représentants des industries extractives. Ainsi, au Cameroun, le décret n° 2005/2176/PM du 16 juin 2005 portant création, organisation et fonctionnement du comité de suivi de la mise en oeuvre des principes de l'initiative de transparence des industries extractives prévoit dans son article 3 que les industries extractives seront représentées par : TOTAL Cameroun, PECTEN Cameroun, PERENCO Cameroun et GEOVIC Cameroun2. Au

1 L'on peut lire à ce propos les travaux de Ronald Müller, notamment : Müller R. « Poverty is the product », art.cit., Barnett J. Richard, Müller E. Ronald « Engines of development ? » in Barnett J. Richard, Müller E. Ronald (1975) Global reach : The power of multinational corporations, London : Jonathan Cape, pp.148-184.

2 Ce n'est point un effet de mode si les compagnies très connues dans le champ international sont ici suivies du
nom des pays dans le cadre de leur soutien à l'initiative, c'est précisément pour faire le distinguo entre les
compagnies et leurs filiales localisées. Cette précision vise à marteler une fois encore le caractère éminemment

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Gabon, TOTAL Gabon et Marathon représentent le secteur pétrolier dans le Groupe d'Intérêt tandis que Comilog y siège au titre de son appartenance au secteur minier. Au Pérou, les compagnies Southern Copper Corporation et Xstrata Copper pour le secteur minier et Aguaytía Energy del Perú S.R.L. et Repsol Exploración Perú Sucursal del Perú pour les hydrocarbures siègent au sein de la Commission de Travail qui veille à la mise en oeuvre des principes de la transparence1. La Mauritanie a prévu dans le décret n° 29-2006_/modifiant certaines dispositions du décret 2006-001 du 13 Janvier 2006 portant création, organisation et fonctionnement du comité national de l'initiative sur la transparence des industries extractives, que les industries extractives seraient représentées par deux sociétés pétrolières et une compagnie minière.

La réussite du processus est intimement liée à la franchise qui conduirait autant les Etats que les compagnies à ouvrir leurs comptes au conciliateur. Il faut cependant dire que EITI est située à l'espace médian dans la chaîne de production des ressources extractives. Les industries extractives et les Etats ne sont interpellés que dans le but d'examiner les revenus et les paiements issus de l'exploitation et dans certains cas de l'exploration. Autant dire qu'en terme d'efficacité, l'on peut émettre des réserves quant à la matérialisation de la transparence au terme du processus, dès lors que les contrats signés entre les Etats et les compagnies continuent d'être marqués du sceau de la confidentialité2. De plus, quand bien même la

transnational des compagnies engagées dans l'initiative. Ainsi, excuser la marginalisation volontaire des structures étatiques qui comme le SOFAZ et SOCAR en Azerbaïdjan, la SNH et la SONARA au Cameroun, la SOGARA et PETROGABON au Gabon, la Société Mauritanienne des Hydrocarbures (SMH) ne constituent point en notre sens des industries extractives. D'ailleurs, la loi Camerounaise organisant le comité de suivi de la mise en oeuvre classe la SNH et la SONARA dans la rubrique des institutions gouvernementales plutôt que parmi les industries extractives. Il en est ainsi systématiquement dans tous les textes créateurs et organisateurs des comités de suivi de la mise en oeuvre. Au Congo par exemple, la Congolaise de Raffinerie (CORAF) et la Société Nationale des Pétroles du Congo (SNPC) ne figurent pas au nombre des partenaires privés que sont dans le cas d'espèce : ENI Congo, Morel & Prom Congo, Chevron Congo, CONGOREP et SOCO. Mieux encore, la SNPC est classée au milieu des représentants de l'administration centrale.

1 Il faut dire que l'engagement du Pérou dans la mise en oeuvre des critères de EITI s'inscrit dans le sillage de la loi n° 27806 sur la transparence et l'accès aux informations publiques du samedi 3 août 2002. La constitution de la Commission de Travail du Pérou pour la mise en oeuvre de EITI peut être consultée sur le site web de EITI Pérou : http://www.minem.gob.pe/eiti/inicio integrantes.asp. Par ailleurs, au Pérou la commission de travail classe la Sociedad Nacional de Minería, Petróleo y Energía parmi les industries extractives, cela pouvant se comprendre par la nécessité de l'examiner pour que soit parfaite la transparence. Mais, dans l'échelonnement à l'intérieur de la catégorie industries extractives au sein de la Commission, cette société est classée seule à côté des autres qui sont regroupées par secteur. Ainsi, on a les compagnies Southern Copper Corporation et Xstrata Copper pour le secteur minier et Aguaytía Energy del Perú S.R.L. et Repsol Exploración Perú Sucursal del Perú pour les hydrocarbures.

2 D'ailleurs, s'agissant de la réalité de la transparence comme issue du processus, l'Azerbaïdjan a atteint le statut
de conformité, ce qui suppose que les conditions de transparence sont remplies dans les transactions entre l'Etat

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 181 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

transparence serait effective, la traçabilité qu'est censée produire l'initiative exclurait EITI qui se contenterait depuis un banc de touche, d'apprécier l'immersion ou non des revenus des industries extractives dans les abysses de la corruption.

Du reste, les revenus mis en index dans le processus sont générés par les compagnies et en cela, leur implication paraît être la condition sine qua non à la réussite de l'initiative. Il s'agit dans le cadre de leur exercice d'un ensemble de taxes et paiements que chaque compagnie doit verser à l'Etat qui abrite les ressources. A titre d'exemple, au Cameroun la conciliation des données a pris en compte les flux financiers suivants :

· Les enlèvements de l'huile en volume et en valeur pour une quote-part de l'Etat ;

· La redevance minière proportionnelle ;

· Des droits fixes ;

· Des redevances superficiaires annuelles ;

· La redevance proportionnelle à la production en volume et en valeur ;

· Des bonus de signature ;

· Des bonus de production ;

· Les prélèvements pétroliers additionnels ;

· Des impôts sur les bénéfices des sociétés ;

· Des redevances de la SNH et autres bénéfices.

Eu égard à l'importance des compagnies dans l'initiative, il est superflu de mentionner que leur implication totale dans le jeu de la transparence est la condition du succès du processus. Cependant, les compagnies dramatisent des fortunes diverses dans leur participation à la mise en oeuvre des principes et critères EITI. Le tableau ci-dessous rend compte du rapport que certaines entreprises du pétrole et du gaz ont avec la transparence.

Azéri et les compagnies y opérant. Le Cameroun a failli atteindre le même statut lors de la conférence de Doha au Qatar, puisque remplissant de facto les conditions requises mais l'évidence de l'imperfection de la transparence dans les industries extractives au Cameroun crève les yeux. Les évaluateurs de la pertinence de l'initiative auront matière à réfléchir ; l'observation stricte des critères de l'EITI est-elle synonyme de transparence effective ?

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Tableau 11 : Classement des entreprises pétrolières et gazières selon leur degré de transparence

Entreprises

Transparence en matière de paiements de revenus

Divulgation complémentaire

Lutte contre la corruption et dénonciations des mauvaises pratiques

Total général

pondéré

classement

Talisman Energy*

27,4%

34,4%

7,1%

68,9%

1

TransAtlantic Petroleum

9,8%

34,4%

0,0%

44,2%

2

Shell*

13,7%

6,6%

8,6%

28,9%

3

Chevron
Texaco*

6,4%

15,2%

7,1%

28,7%

4

Nexen Inc

0,0%

18,5%

8,6%

27,1%

5

BP*

7,8%

9,3%

10,0%

27,1%

6

Statoil*

7,8%

10,6%

7,1%

25,6%

7

Exxon Mobil*

3,9%

12,7%

7,1%

23,8%

8

Unocal Corporation

0,0%

15,9%

7,1%

23,0%

9

Paladin Resources

0,0%

21,2%

0,0%

21,2%

10

Lion Energy

5,9%

10,6%

4,3%

20,7%

11

Norsk Hydro*

0,0%

13,2%

7,1%

20 ;4%

12

Amerada Hess

0,0%

10,6%

8,6%

19,2%

13

Conoco
Philips*

0,0%

11,9%

7,1%

19,1%

14

Eni SpA*

0,0%

9,9%

8,6%

18,5%

15

Devon Energy

0,0%

10,6%

7,1%

19,1%

16

Santos Limited

0,0%

15,9%

0,0%

15,9%

17

Woodside* Petroleum

0,0%

10,6%

4,3%

14,9%

18

Repsol YPF*

2,0%

6,6%

4,3%

12,9

19

Premier Oil

0,0%

10,6%

10,6%

1,4%

20

Total*

2,9%

3,7%

2,9%

9,5%

21

CNPC

0,0%

5,3%

0,0%

5,3%

22

Lukoil

0,0%

5,3%

0,0%

5,3%

22

PetroChina

0,0%

2,6%

0,0%

2,6%

24

Petronas

0,0%

2,6%

0,0%

2,6%

24

* l'Astérix indique que la compagnie est partie prenante dans la mise en oeuvre de EITI au niveau international

Source : le rapport Dépasser la rhétorique, mesurer la transparence des revenus : les performances des entreprises dans l'industrie du pétrole et du gaz, p.22.

Au total, les industries extractives et les organisations de la société civile, aux deux niveaux
de leur émulation, c'est-à-dire les niveaux national et international, manifestent la pluralité

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 183 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

qui est désormais une des caractéristiques de la scène internationale. Sans rentrer dans les débats d'une autre époque qui faisaient étalage d'une joute oratoire autour de la solitude ou de la magnitude de l'acteur étatique, le temps présent selon qu'il est fondateur et talweg de cette étude, rend compte de la coalescence d'acteurs dans la politique internationale. D'ailleurs, l'appellation « politique internationale » qui prend séance en lieu et place des « relations internationales »1 n'est pas une maladresse mais, le signe de la diversité des acteurs. L'Etat n'est plus le seul acteur des relations internationales et c'est ce qui justifie le passage à la politique internationale. Cela n'est pas nouveau et, même la posture de cette étude n'est pas nouvelle (le but n'est pas d'inventer le silex), le fait de l'initiative qui cristallise notre attention est un aspect de l'originalité mais également une contribution à la démonstration de la complexité. Au-delà de la complexité, c'est en réalité la relativité de la souveraineté qui constitue le point focal de ce propos. Par l'examen de l'Initiative de Transparence des Industries Extractives, l'intention d'assimiler la multiplication des acteurs à un premier argument explicatif de la relativité de la souveraineté a pris corps.

En effet, de plus en plus de problèmes exigent pour leur résolution des configurations qui mettent en relief le défi de la coopération de l'Etat avec les systèmes sociaux. Ce défi était déjà perçu en 1985 par Karl-Heinz Röder2 et, même si l'auteur parlait en son temps plus globalement dans une perspective qui oppose les Etats selon les aires de développement, la réalité de l'émergence et de l'affirmation de l'actorat privé est une évidence. Par le truchement de cette initiative, il convenait de mettre l'emphase sur cela par la mise en relief d'un espace de démonstration. Non pas pour une acquiescientia in se ipso, mais parce que l'affirmation de la relativité de la souveraineté et la démonstration de cette allégation, toutes deux passeront par un examen serré d'un espace qui est un laboratoire in vivo. Que la démultiplication des acteurs qu'illustre cette partie soit, non pas le signe d'un désordre qui crédibiliserait les thèses déclinistes, mais le premier niveau de l'explication d'une souveraineté relative. Les transactions qui s'opèrent au sein de cette initiative, tout en

1 Ce faisant, nous nous inscrivons dans la foulée des auteurs qui comme Kenneth Waltz, percevait dès la fin des années 1970 les changements dans le jeu international. De la théorie des relations internationales, il passait à une théorie de la politique internationale afin de rendre raison des relations internationales comme des relations intergentes plutôt que comme des relations exclusivement interétatiques. Progressivement, la théorie va s'approprier cette réalité et désormais, il paraît plus pertinent de parler de politique internationale c'est-à-dire de conflictualité, de rivalité et de gouvernement des conduites à l'échelle planétaire et ce, du fait de tous les acteurs car même l'individu seul devient un acteur déterminant du jeu mondial. Lire Kenneth Waltz (1979) Theory of international politics. Massachusetts: Addison-Wesley.

2 Röder Karl-Heinz « A challenge to cooperation between states of different social systems» International Political Science Review, vol. 6, n° 1, pp. 35-43 (1985)

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

démontrant de façon corrélative l'usure de l'opposition de l'éthique et de l'intérêt, constituent le second niveau de la démonstration. Si l'interrogation sur la fin de la souveraineté planait au dessus de la coalescence des acteurs, l'affirmation de sa rémanence prend pied sur les multiples transactions qu'impose la mondialisation des problèmes et des menaces.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Transactions complexes dans l'initiative de

transparence des industries extractives autour du

couple Intérêt-Ethique : les fruits de la morale au

sein d'EITI.

DEUXIEME PARTIE :

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 186 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Deux idées coulent dans la veine de cette partie. D'une part, la complexité des transactions qui caractérisent les relations entre les Etats, les organisations de la société civile et les industries extractives traduit la relativité de la souveraineté qui, parce que molle désormais, autorise l'entremêlement à l'interface de la statolité et de la non gouvernementalité, des connexions multiples. Toutes ces transactions se font dans la dramatisation d'un comportement éthique construit sur la transparence des industries extractives, une des problématiques de la mondialisation. D'autre part, la présomption de l'extranéité de la morale en politique internationale s'essouffle dans cette étude qui privilégie la coexistence pacifique et consubstantielle entre les intérêts et la morale. Tout comme les intérêts ne sont pas res non grata dans les monastères, de même, la morale peut pertinemment s'exercer et a d'ailleurs prise sur le domaine du politique.

Comment penser la transparence des industries extractives comme exigence défendue par les Etats sans garder en mémoire l'essence utilitaire de la démarche étatique ? Ce serait d'autre part, proprement faire preuve de surdi-cécité intellectuelle que d'occulter au motif de la recherche de l'objectivité en sciences sociales, la part de morale que revêt la norme de la transparence. La commisération des Etats et des acteurs privés vis-à-vis des peuplés damnés des Etats pauvres mais riches en ressources extractives, peut aussi bien relever d'un spectacle de l'altérité, qu'être la traduction d'une « éthique de responsabilité » ou mieux, d'une « éthique de la responsabilité convaincue 1». Qu'importe, le résultat étant dans les deux cas une circularité sceptique qui explique qu'en dernière analyse, l'intérêt sourdra de la morale et vice-versa. L'analyse en vaut la peine. Après, le contenu sémantique à attribuer à la norme dépendra des postures et des rentes de situations2.

1 Cela découle de l'idée qu'en réalité, une éthique pour l'éthique est presque inexistante. L'éthique de conviction en tant qu'éthique du révolutionnaire ou du sermonneur qui agit sans égard pour les conséquences de ses actes ne s'oppose pas diamétralement à l'éthique de responsabilité. Weber dit d'ailleurs à ce propos que «non pas l'éthique de responsabilité soit identique à l'absence de conviction, et l'thique de conviction identique à l'absence de reponsabilité ». Weber Max Le savant et le politique, Paris : La découverte (traduction et préface de Catherine Colliot-Thérène), 2003, p. 192.

2 Comme le démontrent Kees Van Kersberger et Bertjan Verbeek, les normes internationales ont suscité de l'intérêt dans la théorie internationale dans le processus de leur adoption mais après, leur implémentation est rendue caduque par la saillie de sens que les acteurs leurs assignent à tous les niveaux de l'actorité. La transparence des industries extractives n'échappe pas à cette réalité. D'ailleurs pensons-nous, ce flou sémantique ex post, ce fourre-tout sémiologique encadre tous les enjeux qu'y défendent les parties prenantes. C'est de plus le pilier autour duquel est bâtie la structure utilitaire des acteurs. Lire Kersberger Kees Van et Verbeek Bertjan « The politics of international norms: subsidiarity and the imperfect competence regime of the European Union » European Journal of International Relations, vol. 13, n°2, pp. 217-238 (2007).

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 187 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

La première partie a démontré la pertinence des acteurs qui constituent les angles de la triangulaire complexe et la cohabitation des ordres westphalien et privés comme fait de sens. Celle-ci pour sa part, n'est pas l'expression de la sympathie pour la « morisophie1 », elle se veut le signe d'une froide analyse des enjeux qui structurent le jeu des acteurs impliqués dans l'initiative de transparence des industries extractives. Elle n'est nullement un jugement de valeur porté à l'endroit des protagonistes de la transparence. L'on n'assiste pas à une crise du positivisme, encore moins à un retour vers la subjectivité. La crise économique actuelle, parce que crise c'est-à-dire krisis du grec (c'est-à-dire « tournant » et « danger ou opportunité » du Mandarin), est l'occasion de transcender les peurs de la taxonomie qui classerait dans une catégorie néo-communiste les dénonciateurs de la marginalisation de la morale dans le projet de la mondialisation libérale. En tant que homo academicus, le chercheur a l'obligation de restituer sans la tordre, la réalité scientifique. Et la « neutralité axiologique » ne s'éclipse pas devant l'envergure de la dérive utilitaire, elle permet a contrario de palper sans laisser transparaître l'ascendant spirituel et les considérations métaphysiques du chercheur, la chose scientifique selon qu'elle est finie mais reliée à l'Infinie dont elle est issue. La déconnexion des deux ordres (fini et Infini) tout en justifiant la valse des immoralités, est au principe du recul éthique. Là réside (et cette idée fait du chemin en ces temps de crise des représentations capitalistes), la source de l'apparence étique de l'éthique. Sans s'inscrire dans une philosophie morale de la politique selon l'ordre de l'évêque d'Hippone, en prescrivant l'amour de Dieu jusqu'à l'oubli de soi, l'on doit considérer que les relations internationales ne sont pas simplement intimement reliées à la morale2mais que la morale parce qu'elle peut informer l'action des protagonistes pour des finalités multiples et variées, mérite que l'on y accorde de l'intérêt. Ne pas se laisser cependant distraire par les acteurs qui parlent horresco referens des misères du monde car, le malheur des uns peut constituer la source d'enrichissement des autres3. Dans cette partie, l'éthique et l'intérêt seront donc en dialogue. Le but n'est nullement

1 Science des moeurs d'après le socialiste utopique français Charles Fourier.

2 Giesen Klaus-Gerd (1992) L'éthique des relations internationales : les théories anglo-américaines contemporaines. Bruxelles : Bruylant.

3 A ce sujet, le cas `Bernard Kouchner' est très édifiant. Après avoir mené une intense activité sur le champ humanitaire et écrit des ouvrages dans lesquels il dessinait les grandes orientations de sa philosophie, entre autre Le malheur des autres paru aux éditions Odile Jacob en 1991 ..., il a engrangé un grand capital symbolique qui lui a valu d'être : Secrétaire d'Etat chargé de l'Insertion sociale (1988), Secrétaire d'Etat chargé de l'Action humanitaire (de 1988 à 1992), Ministre de la Santé et de l'Action humanitaire (de 1992 à 1993), Secrétaire d'Etat chargé de la Santé (de 1997 à 1999), Ministre délégué chargé de la Santé (de 2001 à 2002) et depuis mai 2007, il est ministre français des affaires étrangères. Mais il aura manifestement aussi dans ses « combats humanitaires », engrangé du capital financier. Lire au sujet des conflits d'intérêt qui font de Bernard Kouchner un « cheval blanc » selon Pierre Péan : Pierre Péan (2009). Le monde selon K. Paris : Fayard.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 188 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

de faire porter aux manipulateurs de la morale pour des buts utilitaires, des cornes rouges du chapeau de Basile mais, de dire pourquoi les acteurs entrent en lien social dans le cadre de l'initiative qui nous intéresse et ce faisant, montrer comment la souveraineté est définitivement relative. En effet, la relativité de la souveraineté se fonde sur deux élements consubstantiels : le fait multiactoriel qui autorise les transactions collusives et la prise en compte du sort des autres dans un élan moral qui induit l'érosion de la souveraineté des Etats. Ceteris paribus, cette partie est d'abord un second niveau de démonstration de la relativité de la souveraineté, relativité qui transparaît derrière les transactions « innocentes » et collusives mais également les interactions saines entre les acteurs dont la première partie a eu le souci de dire l'affirmation et l'affermissement. Aussi, la structure binaire de la partie présente-t-elle un premier chapitre qui rend raison du caractère moral de la transparence des industries extractives qui, phénomène construit sur la corde sensible de la morale, a la prétention de remédier à une mal gouvernance d'un « bien commun de l'humanité ». Mais à la réalité, la rhétorique de la transparence des industries extractives sert de fondement aux intérêts des acteurs en présence, selon la logique défendue par Ariel Colonomos1. Telle est la substance du deuxième chapitre de cette partie. Le signe que la morale joue un rôle dans les relations internationale mais, un rôle qui met en droit de penser que le cynisme des Etats et la morale ne sont point antinomiques mais complémentaires.

1 Colonomos A, La morale dans les relations internationales, op. cit.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Chapitre 3 : Souveraineté et mondialisation des risques et menaces : A la recherche d'une éthique de conviction dans les transactions au sein de EITI.

Les ressources extractives qui sont des biens territorialement situés et dont la souveraineté pleine et entière est réservée aux Etats, seraient-elles devenues des biens communs1 ? Les impacts de leur exploitation abusive et désordonnée peuvent affecter la planète entière par la pollution des écosystèmes, les conflits déstabilisateurs pour des régions et, par effet d'engrenage, entraîner une expansion des menaces telles que l'émigration, les épidémies, la circulation des armes légères et de petits calibres et l'exportation des conflits. Pour répondre à ces menaces globales, la souveraineté a cessé d'être un principe inaliénable pour devenir une réalité molle qui s'adapte aux contextes.

La complexité des relations entre les différents acteurs de la scène internationale, les anciens et les nouveaux promus, est le trait et le fait de la post-modernité politique. A un monde d'Etats, a succédé un monde d'acteurs2. Aujourd'hui, l'évocation de la pensée de John Burton qui présentait le monde comme une toile d'araignée est porteuse de pertinence. L'excroissance des réseaux transnationaux trouve là une matrice et une ambroisie pour faire et alimenter les dieux que célèbre la complexité transnationale. Le contexte qui fonde cette globalisation des espaces, pratiques et mouvements est le creuset d'où naissent des espaces multi-acteurs dont les transactions à coloration éthique sont frappées doublement du sceau de la complexité (complexité de par les interactions qui lient les acteurs mais également complexité dans la formulation des motivations d'action). Autrement dit, complexité dans la distinction du dicere et du facere. Où se situe donc la ligne de démarcation entre l'éthique pour l'éthique dans l'énonciation des mobiles de transaction et l'éthique intéressée ?

1 Au sens de Josépha Laroche, les biens communs ou global commons sont qualifiés ainsi parce qu'ils ne peuvent faire l'objet d'aucune appropriation étatique, sont donc reconnus comme patrimoine commun et en appellent à des techniques de gestion collective. Toutefois, la question se pose parce que les ressources extractives qui sont a contrario situées et sont du ressort des Etats en raison des multiples résolutions onusiennes qui disent la souveraineté des peuples sur leurs ressources naturelles. En même temps les risques que crée leur exploitation anarchique et désordonnée, affectent l'ensemble du globe. Peut-être faudra-t-il élargir la compréhension des global commons. Au sujet de sa compréhension des biens communs, lire Josépha Laroche, La politique internationale, op. cit. p. 411. On peut également lire Badie B. et Smouts M.C. (1999) Le retournement du monde, Paris : Presses de la FNSP. Chapitre 6 qui porte sur « l'émergence des biens communs ».

2 Non pas que le monde d'Etat a disparu, mais le monde d'acteurs suppose la fin de l'unicité et de l'unilatéralité et est porteur de multilatéralité et est une superposition d'un monde statocentrique avec un monde multicentrique selon l'allégation de James Rosenau. Et sur le plan des centres d'intérêt, le statocentrisme partage désormais la scène avec l'homocentrisme c'est-à-dire que les acteurs multiples agissent aussi bien pour les Etats que pour le bien être, le développement, la paix et la sécurité des individus, de l'homme.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 190 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Sören Kierkegaard permet avec ses trois ordres d'y voir plus clair. En effet, la distinction qu'il fait entre les ordres éthique et religieux par les figures d'Abraham et d'Agamemnon, indique le chemin. Appelés tous deux à sacrifier les fruits de leur virilité, Abraham était prêt à offrir Isaac et Agamemnon sacrifia Iphigénie aux dieux pour que le vent se lève et la flotte grecque puisse repartir. A priori, dans un cas de figure, la relation particulière entre Abraham et son Dieu motiva son presque acte tandis que dans l'autre, Agamemnon se fit un héros du devoir. L'un posa un acte religieux, tandis que l'autre commis un sacrifice éthique, c'est-àdire susceptible de rendement. Ces deux faces de l'éthique révèlent à terme, la circularité éthique qui épuise la pertinence du « désintéressement » cher à Kant.

Ce chapitre commence par exalter la pratique d'une éthique «naïve » des acteurs, une éthique de conviction selon la typologie weberienne, dans le contexte complexe de la postmodernité et de la mondialité des risques et des menaces (section II). Mais auparavant, nourrie de la conviction de l'affirmation de la multi-actorité, ce chapitre se veut porteur de l'idée de complexité qui, avec la multi-actorité, offre à l'hypothèse de la souveraineté relative son domaine de pertinence. Aussi, la complexité immanente à cette initiative et typique des espaces de la gouvernance globale (donc de morale), va-t-elle bénéficier de la première attention (section I). Car, en réalité, elle fixe le cadre dans lequel s'enchâssent les multiples interactions dont l'on subodore la senteur dans le déploiement des éthiques des acteurs. D'une manière générale, ce chapitre met en scène la transparence des industries extractives comme une des questions éthiques qui inondent la mondialisation. Mais comme le montre l'entame de la première section, il s'agit d'une construction qui obéit à une mode politique de la construction des domaines de pertinence et d'urgence en cette ère complexe de l'enchevêtrement des ordres privé et westphalien.

Section 1 : Complexité des transactions dans l'éthique à l'ère de la mondialisation.

Cette section s'attele à démontrer la transformation de la souveraineté comme une conséquence de la mondialisation. De plus, elle soutient l'idée que la résolution des problèmes nés de la globalisation passe inéluctablement par l'adoption d'un comportement éthique dans le cadre d'une synergie des acteurs qui implique des transactions complexes entre les acteurs d'une scène trinitaire et de plus en plus multi-acteurs.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Paragraphe I : La problématique de la transparence des industries extractives : un aspect de la construction morale des problèmes de la mondialisation

Dire que les problèmes de cette époque ne peuvent être résolus dans le cadre des autarcies éliminatoires serait un truisme. Cependant, lorsqu'on s'est rendu à l'évidence de l'impératif d'une interdépendance normative sur des questions amplifiées et vulgarisées par la mondialisation, la question de la souveraineté se pose. Pas tant parce qu'elle serait un problème exogène, mais précisément parce que la mondialisation des problèmes et des risques appelle une réponse mondialisée qui s'inscrit donc forcement au-delà des logiques territoriales. C'est l'impression d'un international sans territoire1 qui s'en dégage. Dans cet environnement complexifié, des phénomènes d'importance mineure ou circonscrite se sont transformés en problèmes publics, par l'alchimie des jeux d'acteurs, des stratégies de légitimation des statuts et l'ouverture de la société.

A. De la construction sociale d'une problématique de la transparence des industries extractives

La prise au sérieux d'un problème dans le contexte de la diversité des acteurs est conditionnée par des facteurs qui illustrent une construction publique des phénomènes sociaux. L'on peut considérer que l'intrusion des acteurs privés dans la scène jadis animée par les seuls Etats perturbe l'inscription des problèmes dans les agendas publics. De plus, les critères d'inscription des problèmes cessent d'être exclusifs de la morale car, les acteurs privés fondent pour beaucoup leur légitimité sur les valeurs défendues. En même temps, il apparaît que les instances de dénonciation et de résolution des problèmes jugés pertinents ne s'accommodent plus de l'unilatéralisme. Mieux, pour avoir plus de chance d'être entendue, l'action doit se mener dans le cadre des espaces institutionnellement plus solides. La transparence des industries extractives révèle à la lumière de la culture des problèmes publics que EITI abrite une problématique construite. Cela s'affirme par des éléments de convergence autour de l'historicité, de la propriété concurrentielle, de la responsabilité...qui proviennent des fondamentaux que Gusfield assignent à la transformation d'un phénomène social en problème public2.

1 Cette situation entraînerait la mise en cause de la conception des relations internationales fondées sur les liens interétatiques. Toutefois pense Marcel Merle, faut-il encore prouver cette disparition. Lire Marcel Merle « Un système international sans territoire ? » Cultures et Conflits, n°21-22, pp.289-309 (1996).

2 Gusfield Joseph (2009) La culture des problèmes publics. L'alcool au volant : la production d'un ordre symbolique, Paris : Economica.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

« Tous les problèmes sociaux ne deviennent pas nécessairement des problèmes publics. Ils ne deviennent pas des enjeux de conflits ou de controverses dans les arènes de l'action publique1». Cette affirmation de Gusfield comporte une certaine pertinence qui élimine également du domaine de la durabilité et de la solidité institutionnelle, certaines tentatives engagées dans la stigmatisation des pratiques de l'opacité. Aussi, peut-on penser que le processus de mutation d'un problème social en problème public obéit entre autre à un tropisme culturel qui sert de substrat aux déterminants. Tropisme culturel par opposition au déterminisme structurel qui explique le temps long des comportements moulés par les lois et institutions2. Pour cela, il faut prendre au sérieux des notions telles que la propriété, la responsabilité, la rhétorique et le rituel qui sont les signes de la mise en branle d'une ascendance culturelle qui se donne à voir dans l'élection de certains problèmes à des moments donnés comme des problèmes dignes de faire l'objet d'une action publique. Dans ce processus, les acteurs rivalisent d'adresse et d'initiatives pour que soient portées dans le domaine du pertinent les causes qu'ils estiment dignes d'intérêt. Comme le dit Gusfield, « sans à la fois une croyance cognitive dans la possibilité de l'altérer et un jugement moral portant sur son caractère, un phénomène n'est pas un problème3 ». Appliqué au problème de l'opacité, la conviction que la transparence est la panacée qui dépouille de leur essence les problèmes liés aux industries extractives, le jugement moral porté sur la pratique constituent les stimuli de l'action pour une inscription du problème dans la préoccupation internationale. Pour cela, il faut un instigateur de cette dynamique et une mise en scène de la propriété. Ainsi, il est par exemple légitime que Transparency International ou bien Open Society parlent de la transparence des industries extractives, plutôt qu'une organisation telle que la Croix Rouge. Les ONG dévouées à la transparence et aux questions de développement se sont donc investies dans la dénonciation de l'opacité. Les rapports alarmistes de Global Witness au sujet des incidences de l'opacité en Angola, au Congo et autres sont le signe de cette logique. En réaction à cette appropriation de la cause de la transparence par les ONG, certains Etats ont nié et continuent de penser que la question de la transparence n'est pas une urgence face à certains problèmes jugés prioritaires. Ainsi peut-on analyser le refus de certains pays riches en ressources extractives à adhérer à EITI. La propriété et la dénégation sont donc affaire de pouvoir et d'autorité.

1 Gusfield, idem, p. 5.

2 Gusfield considère que de cette distinction surgit le binôme Rhétorique et Rituel. L'un relevant de la culture comme manière de percevoir et l'autre, de la structure comme matrice des agir. Joseph Gusfield, idem.

3 Gusfield, idem, p. 10.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Ainsi, il s'agit de penser que la propriété concurrentielle autour de EITII est signe de la construction d'une pertinence du problème de la reddition des comptes. En effet, en saisissant la propriété comme « la capacité à créer ou à orienter la définition publique d'un problème1 », l'on peut penser que la problématique de la reddition des comptes selon qu'elle fait sens au regard des initiatives diverses entreprises, laisse penser à un champ de la morale concurrentielle. Ainsi, cette dernière en tant que problème public est « une arène de conflit dans laquelle un ensemble de groupes et d'institutions, y compris des administrations publiques, rivalisent pour acquérir les titres de propriété de problèmes publics2 ». EITI n'est pas la seule initiative engagée pour la transparence des industries extractives. Les plaintes introduites en France contre les présidents Sassou, Bongo et Obiang Nguema au sujet des « biens mal acquis », sont en partie une dénonciation de la gestion non transparente des revenus des industries extractives dans leurs pays respectifs. En 2007, une plainte déposée par Transparency International contre les chefs d'Etats ci-dessus cités avait été classée sans suite. Une seconde introduite plus tard, a été jugée recevable par la juge Françoise Desset du pôle financier de Paris en mai 2009. Il s'agit d'une initiative contre l'opacité et, au-delà du fait que les instigateurs de cette action sont membres de la coalition internationale PWYP, c'est la marque d'une concurrence normative mais davantage, le signe qu'il existe d'autres espaces d'exigence d'une reddition des comptes. Les campagnes de Global Witness en Angola pour mettre à nu les pratiques d'opacité qui ont favorisé l'extension de la guerre civile dans ce pays3, sont également des initiatives visant à encourager plus de transparence dans la gestion des industries extractives. L'Association pour les Droits de l'Homme d'Espagne a saisi la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples en 2008, sur la base de l'article 55 de la charte africaine des droits de l'homme et des peuples, afin qu'elle reconnaisse la spoliation systématique des richesses du peuple équato-guinéen par le clan Nguema/Mongomo. Fondé sur les révélations du rapport Money laundering and foreign corruption : Enforcement and effectiveness of the Patriot Act, case study involving Riggs Bank, d'une sous-commission de la commission des affaires gouvernementales du Sénat américain publié le 15 juillet 2004, et qui révèle des transactions suspectes du clan Nguema

1 Gusfield Joseph La culture des problèmes publics. op. cit. pp.10-11.

2 Gusfield, idem, p. 16.

3 Voir notamment le rapport «A crude awakening. The role of the oil and banking industries in the Angolan civil war and plundering of the state assets», Global Witness, 1999.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 194 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

en direction de l'Espagne, l'organisation non gouvernementale APDHE a introduit une plainte le 22 octobre 2008 auprès du juge Baltasar Garzon1.

L'action pionnière de l'Eglise catholique dans les Etats du Golfe de Guinée est également à souligner dans la perspective de la propriété concurrentielle. En effet, en se fondant sur la doctrine sociale de l'Eglise, les conférences épiscopales du Congo et du Cameroun et les commissions nationales Justice et Paix ont lancé dans les années 1990 des campagnes pour demander que la transparence se fasse autour de la gestion des revenus du pétrole dans la sous-région Afrique centrale. Ainsi, dans une lettre pastorale « Le Congo a faim et soif » de 1998, l'Eglise catholique a posé pour la première fois, la question de la transparence dans la gestion du revenus des hydrocarbures au Congo. C'est dans le continuum de cet engagement que la conférence épiscopale sur le pétrole fut organisée en juin 2002 à Brazzaville au Congo. La conférence demandait que le Parlement congolais votât une loi de gestion des revenus sur le modèle tchadien2. Du 11 au 20 février 2003, une délégation congolaise composée de la Conférence épiscopale, de l'Eglise évangélique, de la commission Justice et Paix et de l'observatoire des droits de l'homme séjourna à Paris, et rencontra la direction de TotalFinaElf pour l'interpeller sur le besoin d'une meilleure gestion des revenus pétroliers3.

Cependant, toutes les initiatives ne connaissent pas la solidité institutionnelle d'EITI. Aussi, lorsque la construction du phénomène de l'opacité en problème public retient l'attention, est-il mieux indiqué de prendre comme référence une initiative qui s'affirme par son caractère institutionnalisé. Toutefois, toutes les initiatives entreprises sur la question de la transparence des industries extractives obéissent plus ou moins au schéma de construction du problème esquissé par Joseph Gusfield4, et qui sert de modèle à la transformation de l'opacité en problème inscrit au centre des stratégies des acteurs, dans le monde complexe de la cohabitation des ordres westphalien et privé. Quand cela a été dit, l'on doit donc se rappeler que EITI est une plateforme dévouée à la résolution du problème de l'opacité. Comment comprendre que cette pratique qui a prise sur la réalité des Etats depuis des décennies, soit devenue un problème auquel est consacré une initiative ? L'idée de ce paragraphe est de dire

1 http://www.justiceinitiative.org/db/resources2?res id=104098

2 Voir le rapport « Le pétrole du Congo-Brazzaville. Pour qui coule l'or noir ? » Commission Episcopale Justice et Paix, en collaboration avec Secours Catholique, Caritas/France, la CIMADE et CRS, 2003.

3 Voir «Transparency: A christian concern. Catholic social teaching and the case for transparent and accountable practices in extractive industries», a position paper of CIDSE, Pax Christi International and Caritas France, September 2003.

4 Gusfield Joseph La culture des problèmes publics op. cit.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

que EITI est une manifestation de la fabrication de certains problèmes en domaines de pertinence dans le vaste espace de la scène internationale, processus lors duquel la culture et la morale jouent un rôle déterminant. La transparence n'est donc pas une initiative ex nihilo.

Le second élément dans la transformation du problème est la responsabilité. La responsabilité causale incombe à celui qui est à l'origine du problème. Il s'agit dans le cas des industries extractives, du travail de dénonciation des dérives opacitaires des Etats et des firmes extractives. Mais, à ces catégories incombe également la responsabilité politique car, cette dernière répond à la question Que doit-on faire ? La structure et le fonctionnement de EITI indiquent que la responsabilité causale étant le fait des Etats et des firmes, la responsabilité politique est également de leur ressort. L'atmosphère générale est baignée par une perspective culturelle de l'action sociale. En effet, comme le pense John G. Ruggie pour dire que les idées et valeurs informent la conduite propre d'un Etat, la culture de l'hégémon actuel informe les actions des acteurs qui lui sont affiliés1. A la différence de certaines autres initiatives dévouées à la cause de la transparence dans les industries extractives, EITI se caractérise par sa forte structure institutionnelle qui est le signe de la réussite de la transformation de l'opacité en problème public. Cependant, toutes ces initiatives ont en partage une dimension morale. Cette dernière est ce qui permet de qualifier de pénible une situation et donc, qui justifie le déploiement des stratégies et des acteurs pour la solution. La dimension morale de EITI explique par-delà les éléments démonstratifs de la métamorphose d'un problème social en problème public, que la prise en compte d'un problème comme digne de faire l'objet d'une politique publique doit beaucoup à l'activation de la morale. Initialement porté par les ONG, le projet moral inscrit dans la transparence des industries extractives est devenu le théâtre d'une concurrence morale2. Autant les Etats que les firmes sont devenus en plus des ONG, des défenseurs d'une morale de la transparence dans les industries extractives. L'on peut donc penser que le projet initial des ONG a réussi à mobiliser les énergies autour de cette question devenue problème public. C'est le signe que les questions morales ont prise sur le réel de la politique internationale, elles sont prises au sérieux selon qu'une ingénierie particulière déployée par les entrepreneurs moraux réussit à les faire inscrire dans l'ordre des problèmes dignes d'action. L'objectif de ce chapitre étant de dire l'essence morale de la transparence des industries extractives, essence qui justifie son

1 Ruggie J.G. Constructing the world polity. Essays on international institutionalization, op. cit. chapitre 4.

2 Au sujet de la concurrence morale dans les relations internationales, voir Monique Canto-Sperber, (2005) Le bien, la guerre et la terreur. Pour une morale internationale. Paris : Plon, pp. 117-133.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

inscription dans l'agenda des préoccupations des acteurs réunis au sein des deux ordres interconnectés, l'on peut penser que cette essence morale est construite et son exhibition est déterminante dans la transformation de ce phénomène en problème public.

Au demeurant, il existe des niveaux différents de transparence. La transparence en tant que concept dément l'universalisme. Si la mesure de la transparence au sein de EITI se fait à l'aune des rapports de conciliation, il existe bien une préhistoire de la transparence. Comme le démontre le cas du Cameroun, les sociétés d'Etats telles que la Société Nationale des Hydrocarbures (SNH) ont rendu publiques certaines données avant 2003. Cependant, la réduction de la transparence à l'affichage des chiffres dans la revue de la société laisse quelques doutes sur la fiabilité. Cela peut justifier la réticence de la société civile à prendre au sérieux ces données. D'abord, parce qu'elles sont l'émanation de la SNH et indiquent simplement la participation de la SNH au budget de l'Etat. Ensuite, parce qu'elles ne peuvent que difficilement être confrontées aux chiffres des auditeurs. Cependant, il s'agit bien d'un premier effort de transparence. La Société Nationale des Pétroles du Congo (SNPC) a une certaine tradition d'audits avec le cabinet KPMG. Celle-ci a d'ailleurs justifié les réticences de ce pays à adhérer à EITI, au motif qu'il faisait déjà preuve de transparence en exigeant des audits à la SPNC. Certaines autres sociétés d'Etat comme le State Oil Fund of Azerbaijan (SOFAZ) ont un système d'audits internes qui précède le lancement de EITI. La RDC quant à elle s'est attaquée à la partie la plus problématique de la chaîne des industries extractives à savoir les contrats, en lançant le 11 juin 2007 l'audit d'une soixantaine de contrats. L'examen minutieux de ces contrats incriminés1 montre que d'énormes avantages fiscaux ont été consentis aux sociétés minières. La cession de permis miniers aux privés n'est pas condamnables en soi mais ces permis ont été sous-évalués, voire jamais payés, grâce à des complicités au sein de l'appareil de l'Etat. Une commission d'une trentaine d'experts a été chargée de mener à bien des audits. L'examen s'est fait au cas par cas et des propositions seront faites « en vue de corriger les déséquilibres constatés ». Les résultats de ces audits ont pu révéler de sérieuses poches d'opacité. 35 experts appuyés par la Fondation Carter et la banque Rothschild ont passé au crible à partir de juin 2007 tous les contrats miniers concédés par l'Etat congolais. Il en découle que « le patrimoine national (Gécamines, Minière de

1 Le Central African Mining & Exploration Company (CAMEC) dirigé par l'homme d'affaire zimbabwéen Billy Rautenbach, s'est vu retirer sa licence d'exploitation de mines de cuivre du Katanga par les autorités congolaises. La CAMEC fait partie des entreprises ayant conclu un accord de joint-venture avec la Gécamines, un des contrats qui font actuellement l'objet d'un contrôle pointilleux de la part de l'administration.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Bakwanga, office des mines d'or de Kilo Moto) a été bradé, avec la complicité des plus hautes autorités ». Sur un total de 61 contrats examinés, pas un seul n'est conforme. La commission a suggéré la renégociation ou l'amendement de trente-huit d'entre eux et l'annulation pure et simple de vingt-trois autres1. De grands noms furent épinglés comme De Beers, BHP Billiton, Mindev, Lunding Holdings, Anvil Mining ou encore East China

Corporation2. Il s'agit d'une autre forme de transparence que l'on recherche par les audits non plus des revenus, mais des contrats afin de rompre un pan d'opacité qui prévaut généralement entre l'Etat et les firmes3.

Aussi, si dans la perception de Gusfield les problèmes publics ont une histoire, cela étant le révélateur de l'évolution temporelle des phénomènes, l'on peut également considérer que l'objectivation de la reddition des comptes à un moment donné procède de la construction des problèmes. En somme, l'antériorité des efforts de transparence observés dans certains pays, la concurrence notée dans la propriété des problèmes publics ainsi que le rapport de force au sujet de la responsabilité politique et causale de l'opacité dénotent d'une entreprise de construction c'est-à-dire de constitution d'un domaine de pertinence autour de la reddition des comptes, ce qui est un préalable à son inscription dans l'agenda politique international. Dès lors que la reddition des comptes se présente comme un problème, elle admet pour sa résolution un déploiement des acteurs et apparaît dans son aspect moral.

B. La création des espaces trinitaires : une exigence d'efficacité et d'efficience4

L'initiative de transparence des industries extractives est un espace multi-acteurs de la gouvernance mondiale. A ce titre, elle répond aux schémas trinitaires qui caractérisent les espaces de la gouvernance mondiale. Il s'agit cependant d'une situation imposée par la relativisation de la souveraineté en même temps qu'elle en est l'incidence, mais également un corollaire de l'irruption des valeurs éthiques sur la scène internationale consécutive à la célébration de l'individu à côté des Etats.

1 Jeune Afrique n° 2444 du 11 au 17 novembre 2007, p.71

2 Les deux premières compagnies sont parties prenantes de EITI.

3 Jeune Afrique n° 2423 du 17 au 23 juin 2007, p.17

4 Cette quête d'efficience et d'efficacité n'est pas antinomique de la capacité politico-militaire des Etats. Au contraire, il y a coexistence entre les deux réalités. L'efficacité ne fait pas ombrage à la légitimité des Etats comme le pense James Rosenau, l'on est en présence de deux ordres pertinents qui se chevauchement et coproduisent les normes internationales. A propos de l'éclipse de la légitimité étatique devant l'impératif de l'efficacité, lire : Rosenau J. Turbulence in world politics, op. cit.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

1. Souveraineté et gouvernance globale : A propos des espaces de gouvernance La « révolution copernicienne » qui s'est opérée lors du déplacement du centre de gravité, de l'Etat à l'individu1 et qui est consubstantielle à l'éthique comme pratique dans l'ordre international car, intégrant les valeurs planétaires au traitement étatique des politiques, a favorisé la naissance des espaces de gouvernance pour réprimer la gouvernabilité2. Les « impératifs éthiques » imposent la création des espaces d'émulation des acteurs privés et de concertation entre les acteurs de tous les bords. Toutefois, au rebours de la pensée du professeur Mouelle Kombi, les ordres westphalien et post-genevois ne s'opposent ni ne s'étalent dans la linéarité mais, ils cohabitent et participent également à la complexification des relations collusives entre les acteurs.

L'éthique est devenue une modalité incontournable de la politique mondiale car, les fondements moraux en même temps que les sources morales de la légitimité des ONG au sein des espaces de gouvernance ne sauraient être ignorées. Il existe une co-détermination entre d'une part les espaces triangulaires de la gouvernance et d'autre part, la pratique de l'éthique internationale. La prise en compte de l'individu et de sa destinée, la finitude de l'être et la philosophie humaniste qui ont présidé à la célébration du droit international humanitaire, constituent des facteurs abrasifs de la rigidité stato-territoriale de la souveraineté comme principe structurant de l'ordre westphalien. Quelque part, l'éclosion de l'ordre post-genevois qui a consacré le droit de l'individu, tendance qui a jailli avec l'esprit des Lumières, porte les ingrédients pour une gouvernance qui prenne en compte la diversité des acteurs. Il met donc de plus en plus à la confluence des bornes de compétence actorielle particulière des zones de convergence objectives qui en appellent à une synthèse des pratiques, à une mollesse des positions du fait du marchandage des statuts et à une hybridation des visées, objectifs et conduites. La souveraineté propre à l'Etat cède du terrain devant l'urgence d'une coproduction internationale de l'éthique. De même, les impératifs réalistes de la « realpolitik » s'émancipent de la rigueur pour opérer sur le spectre de la puissance, un centrage propre à favoriser la cohabitation génératrice de complexité.

1 Mouelle Kombi « Ethique et souveraineté dans l'ordre juridique international », art. cit. pp. 39-44.

2 La gouvernabilité suppose au sens de Michel Foucauld et à sa suite de Jean François Bayart, le gouvernement des conduites. Elle comporte une certaine dose de condescendance de l'Etat vis-à-vis des autres acteurs. Au contraire, la gouvernance intègre les autres acteurs et les responsabilise dans la conduite des politiques.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Au rebours des espaces traditionnels onusiens qui sont le reflet d'un méta-droit1, supranational qui s'impose aux Etats, EITI est un espace triangulaire qui a deux théâtres. La réalité là-bas étant réflexive ici, les niveaux supranational et national constituent deux espaces triangulaires où, les Etats, les sociétés civiles et le marché forment un espace intégré pour l'implémentation de la transparence.

La double phénoménologie matérielle et actorielle est à l'image de la souveraineté dont les fortunes sont lisibles au travers de la coalescence d'acteurs et des interactions entre eux, mais également de l'éthique qui, matière autour de laquelle se joue la complexité, esquisse un schéma de la gouvernance.

2. EITI : un espace de gouvernance2 dans la politique mondiale

Les éléments constitutifs de la gouvernance sont le multilatéralisme c'est-à-dire, l'implication des acteurs autres dans les processus de décision aux côtés des Etats et des organisations internationales, mais aussi leur responsabilisation, pour que leur soit épargné la dérision qu'impose le rôle de figurant dans le jeu politique mondial. Les espaces de gouvernance tels qu'entendus dans cette étude, s'enchâssent dans la matrice descriptive ainsi présentée. Nul ne peut nier au regard de la panoplie d'acteurs et de leur diversité, de leur rôle réel ainsi que de leur importance dans l'implémentation de la transparence des industries extractives, le caractère multi-acteurs de cette initiative. En elle, se vérifie l'hypothèse de la relativité de la souveraineté du fait de la diversification et de l'affirmation des acteurs, et des transactions complexes qui les lient.

Initiative qui réunit les Etats, les organisations de la société civile et les firmes, EITI est le lieu du rassemblement de moult acteurs puisqu'en plus de ces catégories citées, les organisations intergouvernementales de nature politique et économique constituent des pôles importants, selon qu'elles sont des manifestations de la qualité d'acteur de l'Etat.

1 Le méta-droit permet un locus standi des autres acteurs qui épuisent la pertinence de l'idée de l'exclusivité de la production normative de l'Etat. A ce propos, Boisson de Chazournes dit : « La mondialisation et le lot de complexité et d'interdépendance qu'elle entraîne avec elle met fin au modèle linéaire de la pensée du droit international et consacre l'avènement d'un modèle circulaire ou récursif en vertu duquel une pluralité d'acteurs se succède aux commandes du navire affréteur du processus normatif » Boisson de Chazournes, L. « gouvernance et régulation au 21ème siècle : quelques propos iconoclastes » in L. Boisson de Chazournes et R. Mehdi (dir.) op. cit. p. 22-23.

2 Par l'expression « espace de gouvernance », nous entendons ces lieux d'expression de la pluralité où les acteurs se penchent sur les problèmes de la mondialisation, sans condescendance pour, en raison de la complexité qui les caractérise, apporter des solutions concertées qui prennent en compte les droits de tout le monde. Francis Snyder préfère l'expression « sites de gouvernance ». Voir Snyder Francis « Gouverner la mondialisation économique : Pluralisme juridique mondial et droit européen », L'observateur des Nations Unies, n°13, 2002.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Tableau 12 : Panorama des acteurs au sein de EITI

Etats

Organisations de

la société civile

Firmes

Organisations intergouvernementales

Etat de mise en oeuvre

Etatssoutien

- Albanie

- Australie

- Catholic

- Anglo

- B.A.D

- Azerbaïdjan

- Belgique

Agency for

-American

- L'U. A

- Burkina Faso

- Canada

Overseas

- AngloGold -

- B. As. D

- Burundi

- Allemagne

Development

Ashanti

- B.E.R.D

- Cameroun

- France

(CAFOD)

- ArcelorMittal

- B.E.I

- Centrafrique

- Italie

- Global

- Areva

- L'U. E

- Côte d'Ivoire

- Pays-Bas

Witness

- Barrick Gold

- Le G8

- Congo

- Norvège

- Oxfam

- BG Group

- Le FMI

- Congo (R. D)

- Espagne

- Open Society

- BHP Billiton

- O.I.F

-Guinée

- Suède

Institute

- BP

- L'O.N.U

équatoriale

- Royaume-

- Publiez ce que

- Chevron

- La Banque mondiale

- Gabon

Uni

vous payez

Corporation

- La Banque Inter-

- Ghana

- Etats-Unis

- Revenue

- ConocoPhilips

Américaine de

- Guinée

-Suisse

Watch Institute

-DeBeers

Développement

- Kazakhstan

 

- Secours

-ExxonMobil

 

- Kirghizistan

 

Catholique

-GDF Suez

 

- Libéria

 

(Caritas France)

-Hess Corporation

 

- Madagascar

 

- Transparency

-Norsk Hydro

 

- Mali

 

International

-KatangaMining -

 

- Mauritanie

 
 

Limited

 

- Mongolie

 
 

- Lonmin

 

- Niger

 
 

- Marathon

 

- Nigéria

 
 

- Newmont

 

- Norvège

 
 

- Nippon Mining &

 

- Pérou

 
 

Metals

 

- Sao Tomé et

 
 

- Noble Energy

 

Principe

 
 

- Oxus Gold

 

-Sierra Leone

 
 

- Pemex

 

- Tanzanie

 
 

- Petrobras

 

- Tchad

 
 

- Repsol YPF

 

- Timor-Leste

 
 

- Rio Tinto

 

- Yémen

 
 

- Santos

 

- Zambie

 
 

- Shell

 
 
 
 

- Statoil Hydro

 
 
 
 

- Talisman Energy

 
 
 
 

- TOTAL

 
 
 
 

- Woodside

 
 
 
 

- Xstrata

 

Source : A partir du rapport de suivi de la mise en oeuvre 2007-2008 et des données recueillies dans le site www.eitransparency.org le 02 février 2010.

Comme le révèle le tableau ci-dessus, l'initiative de transparence des industries extractives est un espace d'émulation de l'actorat multiforme. D'une part, il y a les Etats, acteurs traditionnellement crédités du droit exclusif à la qualité d'acteur sur la scène internationale. L'Etat seul ou en groupe (car les organisations intergouvernementales qui y apportent leur

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 201 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

soutien à la réussite de l'entreprise de la transparence sont des manifestations de l'intergouvernementalisme d'efficacité ; fruit de la mise en synergie des efforts étatiques pour faire face aux défis qu'impose l'intégration des systèmes), continue d'exercer son autorité dans un climat de contestation internationale qui est le fait des acteurs privés. Deux types d'Etats sont impliqués dans l'initiative et se démarquent les uns des autres selon qu'ils soutiennent ou qu'ils mettent en oeuvre l'initiative de transparence. Les organisations de la société civile1 et les firmes multinationales des industries extractives complètent le tableau.

Il faut ensuite prendre au serieux la responsabilisation qui est le second trait caractéristique de ces « communautés de responsabilité ». La création d'un espace de gouvernance2 va de pair avec la responsabilisation des acteurs. La contestation de la centralité étatique qui a nourri une certaine littérature décliniste3se dilue en partie dans la cession d'une part de l'action internationale aux acteurs privés. Mieux, le tiraillement actif entre les acteurs de la diversité internationale rend compte d'un partage de responsabilité qui induit au travers des transactions multiples, un rôle organisateur qui échoit aux Etats. Ainsi, les Etats donnent le tempo dans l'initiative de transparence des industries extractives. Ils valident et invalident les acteurs qui sont invités au banquet de la transparence. De plus, ils offrent le cadre de la mise en oeuvre et de ce fait, ils font respecter sur leur territoire l'autorité qui, étant leur attribut régalien, s'impose à tous y compris aux acteurs qui se prévalent d'une déterritorialisation pourvoyeuse de pan-nationalité et de non-nationalité (des acteurs foot-loose). Les acteurs privés n'en sont pas moins des figurants d'un spectacle stato-centrique. Ils jouissent de la

1 L'on notera au passage que toutes sont des ONG au sens communément répandu du terme. On n'y retrouve pas de syndicats, ni de confessions religieuses comme quoi l'imbroglio au sujet de la définition de l'ONG se dissipe dès lors que l'on se situe dans les couloirs de l'international et du supranational alors que dans les cadre nationaux, la notion d'ONG s'élargit pour signifier tout se qui est extra-gouvernemental et distant du secteur du marché.

2 Bruno Jobert confère à ce terme un sens qui le met en contradiction avec la régulation. Il estime que la gouvernance diffère de la régulation au niveau de l'instant d'émergence de la politique et l'attitude des acteurs. Dans la première pense-t-il, « s'assimile avec la visée classique du politique comme processus de pilotage fondé sur une séparation des problèmes considérés comme un donné préconstruit et l'action visant à les résoudre. Cependant, la régulation rejette l'idée d'un ordre imposé d'en haut par un acteur introuvable. C'est dire, que la régulation selon lui est porteuse de la réalité de l'horizontalité. Tel n'est pas notre compréhension de ces notions que nous utilisons de façon interchangeable et auxquelles nous infusons l'idée de la verticalité mais une verticalité qui respecte la multilatéralité et la diversité tout en reconnaissant à l'Etat sa part de supériorité et de régulation de la société. Lire Jobert Bruno « La régulation politique : le point de vue d'un politiste » Droit et Société, vol. 24, pp. 119-144 (1998). Zaki Laïdi semble définir la gouvernance sur la base de l'horizontalité. Il dit en effet : « La gouvernance mondiale est l'ensemble des processus par lesquels les règles collectives sont élaborées, décidées, légitimées, mises en oeuvre et contrôlées ». Zaki Laïdi « Les enjeux de la gouvernance mondiale », AFRI, 2002, p. 269 cité par Sandrine Maljean-Dubois « La `gouvernance internationale des questions environnementales'. Les ONG dans le fonctionnement institutionnel des conventions internationales de protection de l'environnement » in Boisson de Chazournes et Mehdi, op. cit. p. 87.

3 Voir les travaux de Susan Strange et Josépha Laroche.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

pleine compétence, sans être des péri-souverainetés, ils se distinguent par leur activisme et leur action qui complètent sans s'en détacher, l'action d'un Etat replié sur ses piliers régaliens et qui sous-traite des espaces périphériques de sa compétence. Aussi, dire que l'horizontalité est le trait premier de la gouvernance ou de la régulation apparaît comme une surestimation des acteurs privés. Leur action est certaine mais, elle n'est pas totalement déconnectée des Etats.

Au bout du compte, la gouvernance qui est consécutive à la mondialisation, comporte deux traits de caractère. Le premier est la multi-actorité qui a fait l'objet du propos récent dans la linéarité ascendante. Elle impose deux constats. D'abord, la multiplication des acteurs c'est-àdire la rémanence des autorités étatiques et l'affirmation de l'actorat privé, ensuite la complexité qui se joue dans des espaces construits sous la poussée de la mondialisation. C'est le signe de la relativité de la souveraineté. Le second trait de caractère est la moralisation des comportements sur la scène internationale. Comme un effet de mode, l'on assiste au tatouage des marques éthiques sur les faces visibles parce qu'extérieures des acteurs de la scène internationale. Si les problèmes de la mondialisation imposent en raison de la complexité des transactions une synergie active, la glissade éthique en plus d'être une incidence de l'interdépendance des systèmes sous le réverbère de la mondialisation, est une variable à intégrer parce que désormais incontournable. La superposition des mondes statocentrique et homocentrique entraîne une arrivée des émotions dans l'arène politique internationale. La transparence des industries extractives, politique de la mondialisation et qui se déploie sur un espace de la gouvernance, a une immédiateté éthique qu'il convient de scruter sans idée préconçue dans un premier temps, même si la séparation stricte des comportements éthiques de la rationalité procèderait de la naïveté.

Paragraphe II : Ethique et problèmes de la mondialisation : la transparence des industries extractives dans les schémas de la gouvernance mondiale

L'ambition première de cette section est de planter le décor qui abrite les transactions complexes autour du couple éthique -intérêt. Le paragraphe précédent avait vocation à rendre raison de l'affinité élective entre la mondialisation et le surgissement des espaces particuliers qui tolèrent la cohabitation entre l'Etat et les acteurs privés car, la multiplication et l'affirmation des acteurs est l'acte premier d'un scénario de la complexité qui rend compte des transformations de la souveraineté. Ce paragraphe, second de l'espace, met en relief la

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

dimension éthique que comporte la mondialisation et cette émergence des espaces de gouvernance. EITI est l'un de ces espaces bâtis par les acteurs inscrits dans l'ère de la mondialisation. Ce faisant, selon le raisonnement qui sert de fil d'Ariane à cette section, elle s'inscrit dans une tendance qui tend à construire systématiquement des espaces triangulaires autour des questions de portée globale et l'irruption du monde homocentrique aux côtés du monde statocentrique apporte l'émotion en politique internationale.

 

Mondialisation et Souveraineté

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Multiplication des
acteurs/ affirmation
des acteurs multiples

 
 
 
 
 
 

Ethique au
fondement des
intérêts des acteurs

 
 
 
 
 
 
 

Construction des
problématiques éthiques

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Figure 5 : les incidences de la mondialisation et de la transformation de la souveraineté

Ainsi présenté, le monde actuel conduit à pister les fortunes de la souveraineté dans les méandres de la mondialité complexifiée et sur les traces des acteurs multiples. Dès lors que l'on a validé l'hypothèse de la multiplication des acteurs, une fois que l'on a indiqué que la construction des espaces de la gouvernance en plus d'impliquer une multilatéralité, est le signe de la transformation de la souveraineté, il convient de se pencher sur la conscience éthique qui est un talweg dans lequel coule l'initiative de transparence des industries extractives. Mais, en plus d'être un lieu, la conscience éthique actuelle est une manière d'être. La distinction naît à partir à l'instant de la prise de conscience de la pluralité des éthiques. Il existe une éthique antérieure et une éthique postérieure selon la taxonomie de Paul Ricoeur1. De même, existe-t-il une gradation entre la morale qui peut renvoyer à une pan-éthique donc, qui commande à l'homme des domaines du permis et de l'interdit. Cette acception est proche de celle de Spinoza2 qui dans son Ethique, se fait le prédicateur d'une vie de vertu greffée sur la crainte d'une divinité qui existe. Et, l'éthique serait dans ce sens assimilable à des éthiques régionales de l'ordre de l'éthique médicale et professionnelle. A l'interface des deux niveaux, il existe une couche intermédiaire qui s'abreuve de la morale et s'applique à des espaces

1 Ricoeur P. Ethique et Infini, op. cit.

2 Spinoza B. (1961) Ethique, (collection Les Grands Textes), Paris : PUF.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

restreints. Ainsi, elle est une miniaturisation du tout et une totalisation du partiel, une infinie dans le fini en même temps qu'un fini issu de l'Infini. L'Infini qui vient à la rencontre du fini est lisible dans certaines questions globales telles que le développement durable avec la foule de ses incidences et le fini qui va à la rencontre de l'Infini, ce sont les systèmes politiques qui se moralisent dans le cadre de la moralisation des polités.

A. La transparence des industries extractives dans la mouvance moralisante de la mondialisation

Le concept de développement durable est large et ne saurait discriminer la problématique de la transparence des industries extractives pour deux raisons principales. D'abord, le développement ne se fait point en laissant à la marge certaines couches sociales et ensuite, le développement durable ne se fait pas dans une attitude ravageuse des ressources et de l'environnement au grand dam des générations futures. C'est la morale qui vient s'imposer dans la manière de conduire les politiques de développement. C'est la morale qui vient instruire les acteurs attelés au développement des peuples et des nations.

1. La transparence des industries extractives et la prise en compte des droits des communautés autochtones

Cet espace ne se veut point la tribune pour un plaidoyer de la liberté exclusive et marginale des couches défavorisées, encore moins l'accréditation d'une vision irrédentiste du monde. Il est uniquement le détail d'une marginalisation de certains « cadets sociaux1 » par le train de la mondialisation. D'où l'hypothèse d'une résurgence de la conscience éthique dont EITI serait l'une des facettes visibles, en réaction à cette exclusion qui peut devenir productrice de désordre et de conflits sociaux déstabilisateurs et générateurs d'une cascade de menaces transnationales. Il s'agit de rendre compte d'une manifestation de l'éthique globale, face à une injustice que rien n'explique, au regard des élans éthiques contenus dans les textes fondateurs des régimes internationaux dans lesquels, les Etats ont répandu les dispositions morales restées cependant lettre morte. Sans affirmer que ce retour global vers l'éthique est une conséquence de la multilatéralisation qui laisse de la place aux acteurs de la société civile, avec leur dose d'émotion réelle et théâtrale, l'on peut tout de même arguer que la naissance

1 Il faut entendre « cadets sociaux » ici dans un sens où ils réfèrent à ces membres de la communauté qui sont mis sur le banc de l'évolution du monde par les acteurs majeurs et les flux de la mondialisation. C'est aller audelà du sens que leur confère J.F Bayart, c'est-à-dire les acteurs de l'arrière scène, ces gens qui petites, constituent la foule d'en bas. (Voir Bayart J. F. (1985) L'Etat au Cameroun, 2nde édition, Paris : Presses de la fondation nationale des sciences politiques, chapitre VII.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

des espaces de gouvernance, négation du one man show de l'Etat, favorise une nuance dans la conduite réaliste1 des affaires du monde.

La morale de la transparence des industries extractives est donc présente, comme l'atteste son inscription institutionnalisée dans l'espace EITI. Ce dernier espace, constitue de ce point de vue le lieu d'expression de la concurrence morale2 en vue de la prise en compte des droits des communautés autochtones, c'est-à-dire riveraines des lieux d'opération des firmes3. Cela dit, EITI contribue à modifier la conduite des acteurs vis-à-vis des ces communautés de plusieurs manières. Il faut rappeler en passant que l'une des causes qui ont mis sur le domaine de la publicité les ravages de l'opacité et justifié le lancement de EITI, est la justice en terme du ressenti des revenus des industries extractives dans le vécu quotidien des communautés riveraines des sites d'extraction (la justice distributive). En même temps que les revenus de l'exploitation des ressources abritées par leurs terres ne leur profitaient pas, ces communautés payaient le prix fort de l'activité extractive en terme de pollution environnementale, de prolifération des maladies et autres vices importés par les colonies de travailleurs et la dégradation de leur environnement vital. EITI contribue donc à corriger ces torts par la prise en compte des droits de ces communautés en les comptant parmi la communauté de la transparence dans le cadre du stakeholding.

L'on peut penser qu'au-delà des usages détournés des luttes4, les ONG sont en possession d'un certain capital social dans la défense des droits de ces communautés. Cette lutte des

1 Il s'agit de penser comme certains auteurs que le réalisme des Etats n'est pas incompatible avec la morale. Voir par exemple : Sindjoun Luc « La loyauté démocratique dans les relations internationales : sociologie des normes de civilité internationale », Etudes Internationales, vol. 32, n°1, pp. 31-50, mars 2001. Mais également Klaus-Gerd Giesen L'éthique des relations internationales, op. cit. notamment le chapitre 2. En percevant la transparence comme une norme éthique qui est du ressort du macrocosme démocratique, l'on peut aussi lire Wheeler N.J., « Guardian Angel or global gangster : a review of the ethical claims of international society » Political Studies ; vol. 44, n°1, pp. 123-135, mars 1996.

2 La concurrence morale selon Monique Canto-Sperber met en scène des acteurs multiples dans la dramatisation d'une conduite morale. Il peut s'agir des Etats, des organisations internationales, des juridictions internationales, de l'ONU, de la communauté des Etats démocratiques, de l'humanité et de la société civile mondiale. Dans le cas qui nous intéresse, il s'agit des Etats, des firmes et des ONG. Voir Monique Canto-Sperber, Le bien, la guerre et la terreur, op. cit. pp. 117-133.

3 La notion de communauté autochtone n'est pas à confondre ici avec celle de peuple autochtone qui referme une autre connotation sémantique. En effet, la distinction que nous faisons se fonde sur le fait que tous les peuples autochtones ne sont pas situés sur des terres d'opération des firmes. De plus, les populations dont les terres abritent les ressources extractives ne sont pas toutes considérées comme des peuples autochtones. Aussi, préférons-nous la notion englobante de communautés autochtones pour dire cette nuance.

4 L'on peut voir par exemple comment les ONG utilisent leur maîtrise des connaissances autochtones à des fins capitalistes. Jude Fernando dit à ce propos que « NGOs criticisms of the state and the transnational corporations and their insistence on the need to promote development practices in ways relevant to the interests of local culture provide a much broad space and more seductive ways of connecting local communities with the centre of

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 206 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

ONG est antérieure à l'initiative et a pris un relief particulier avec la naissance d'une instance qui vise en amont, à faire chose et corps la transparence. Il faut dire que l'objectif direct et unique de la transparence des industries extractives n'est pas la satisfaction des droits des communautés locales. Cependant, dans l'ordre des jadis impossibles rendus possibles, figure la prise en compte de ces droits. Non pas qu'aucune prise en compte de ces droits n'est antérieure à EITI. En effet, l'on sait par exemple que la loi n° 001/PR/99 du 11 janvier 1999 portant gestion des revenus pétroliers au Tchad prévoit dans son article 8 que 5% des redevances sont destinées aux collectivités décentralisées de la région productrice conformément aux dispositions de l'article 2121 de la Constitution. Cette loi a d'ailleurs fait dire au ministre tchadien des finances en septembre 2004, que son pays serait précurseur de EITI2. Au Nigeria, la question de la prise en compte des droits des communautés de la région du Delta du Niger dans la répartition de la manne pétrolière est un sujet de préoccupation des différentes administrations depuis les britanniques. L'ancien premier ministre Tafar Belawa avait établi le Niger Delta Development Authority (NDDA) et après son assassinat, le Niger Delta Basin Authority et plus tard sous le général Ibrahim Babangida, le Oil Mineral Producing Area Development Commission fut lancé. Il est vrai que ces structures visaient non seulement à intégrer les droits des communautés locales dans la répartition de la manne pétrolières, mais il s'est agi également d'un combat entre les Etats producteurs des hydrocarbures et ceux qui, sans en produire, étaient jugés privilégiés dans le bénéfice qu'ils tiraient des revenus du pétrole. L'instance qui a succédé à toutes celles mises sur pied auparavant est le Niger Delta Development Commission (NDDC) établi par l'ancien président Olusegun Obasanjo et passé sous forme de loi à l'Assemblée fédérale en 2002. Cette commission doit recevoir une part des revenus des hydrocarbures par an, afin de financer des projets de développement communautaire, conformément à la constitution nigériane de 1999 qui dit que 13% des revenus doivent être versés à la région qui produit les hydrocarbures.

capitalism ». Jude F. Fernando «NGOs and production of indigenous knowledge under conditions of postmodernity » The Annals of the American Academy of Political and Social Science, n°590, p. 69.

1 L'article 212 de la constitution tchadienne du 31 mars 1996 dit : « Les ressources des Collectivités Territoriales Décentralisées sont constituées notamment par : les produits des impôts et taxes votés par les Assemblées des Collectivités Territoriales Décentralisées et perçus directement par elles; la part qui leur revient de droit sur le produit des impôts et taxes perçus au profit du budget de l'État; les produits des dotations et les subventions attribués par l'Etat; le produit des emprunts contractés par les Collectivités Territoriales Décentralisées, soit sur le marché intérieur, soit sur le marché extérieur après accord des autorités monétaires nationales, avec ou sans garantie de l'Etat; les dons et legs; les revenus de leur patrimoine; le pourcentage sur le produit des ressources du sol et du sous-sol exploitées sur leur territoire ».

2 Benoît Massuyeau et Delphine Dorbeau- Fachier « Gouvernance pétrolière au Tchad : la loi de gestion des revenus pétroliers » Afrique contemporaine, vol. 216, n°4, p. 143.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 207 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

L'on peut considérer que, par le flux des revenus générés pas les industries extractives dans un environnement de transparence favorisée par EITI, les Etats peuvent mieux conduire des projets de développement des communautés riveraines. Cependant, la mystique de l'unité nationale qui interdit un développement déséquilibré des régions des pays, rend prudents les Etats quant à accorder une attention particulière aux communautés locales des sites d'extraction. Ainsi, l'acteur qui rend mieux compte des mutations qu'autorise EITI dans son rapport aux communautés est la firme extractive. Comprenons-nous bien. Le lancement de EITI ne coïncide pas avec les premières actions sociales des firmes en direction des communautés autochtones, il est un facteur de renforcement d'une logique que certaines firmes avaient déjà adoptée.

L'action des firmes retient donc beaucoup plus l'attention en raison du caractère de lieu commun que revêt l'investissement des ONG dans la rhétorique des causes désespérées des communautés locales qui seraient l'antienne légitimante de leur action. De plus, comme souligné plus haut, les Etats répugnent l'idée de soutenir ouvertement les communautés locales riveraines des sites d'exploitation, au risque de déclencher une vague de revendications primordialistes fondées sur l'abri ou non des ressources extractives sur leurs territoires. Cependant, les firmes ont une responsabilité naturelle vis-à-vis des communautés car, elles sont au quotidien en contact avec elles et le sentiment d'injustice a pour corollaire la destruction de leurs équipements et le péril qui menace leurs employés. Les multiples destructions des installations de Shell dans le Delta du Niger et les enlèvements de ses employés constituent des faits justificatifs de la méfiance des firmes. EITI crée alors les conditions d'une amplification des pratiques morales de la part des firmes en direction des populations riveraines des sites d'exploitation. Dans son rapport de durabilité 2008, Shell dit avoir versé conformément aux dispositions de la loi créant le Niger Delta Development Commission, 56,8 millions de dollars au titre de sa contribution au développement des communautés riveraines. De plus, Shell Petroleum Development Company (SDPC) l'une de ses filiales nigérianes a mis sur pied un programme de développement des communautés qui lui a coûté 25,2 millions de dollars en 2008, dans le cadre du financement de 80 projets de développement communautaire. Tout cela se fait dans le cadre d'un mémorandum général d'entente introduit en 2006 pour améliorer les engagements de Shell vis-à-vis des communautés. Par ailleurs, la compagnie Shell soutient des projets de développement des

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

communautés par le biais de sa Fondation1. Les compagnies s'inscrivent de plus en plus dans une logique de partenariat et ne considèrent plus leur rapport aux communautés en terme de philanthropie. La compagnie Conoco Philips travaille par exemple en Alaska dans la région North Slope au coeur de huit (8) communautés Inupiats qui, en plus d'être des communautés riveraines, sont des peuples autochtones. Conformément à l'esprit de la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones du 13 septembre 2007, notamment les dispositions qui rappellent leurs droits sur les terres, les ressources et territoires2 et le respect de leurs cultures3, la compagnie organise constamment des réunions d'échanges avec elles, et ces séances de travail sont très souvent tenues en leur langue. Les Communities Advisory Council (CAC) et des Citizen Advisory Panel (CAP) ont été mis sur pied par Conoco Philips et ces instances sont présentes autour de 11 raffineries pour constituer des espaces de rencontre et de travail entre les représentants des communautés et la firme. La compagnie Anglo American quant à elle, a financé en 2008 onze projets autour de ses sites d'opération en Afrique du Sud. C'est dans ce cadre que le docteur Lona Maphuthuma a pu ouvrir son propre cabinet à Bungersfort, par le biais de la filiale locale Anglo Zimele4. Au Chili, cette même compagnie a établi en 2007 le programme EMERGE. Celui-ci vise à améliorer le bien-être des communautés locales riveraines. Il procure à ces communautés l'assistance financière et technique nécessaire pour la réalisation des projets de développement. Les actions sociales des firmes en direction des communautés locales sont devenues l'instrument d'un investissement des compagnies.

En somme, les acteurs de la transparence des industries extractives ont inscrit dans leur conscience l'impératif de l'amélioration des conditions de vie des communautés autochtones riveraines des sites d'extraction, afin de corriger une injustice causée par l'opacité qui avait droit de cité dans ce secteur d'activité. Si les faits ne sont pas directement visibles pour ce qui concerne l'Etat, les ONG et les firmes quant à elles fondent sur une action directe et parallèle aux retombées liées aux taxes et autre loyalties, leur investissement social en direction des

1 Voir Royal Dutch Shell PLC Sustainability Report, 2008, page 20.

2 L'article 26 (1) de cette déclaration dit : « les peuples autochtones ont le droit aux terres, territoires et ressources qu'ils possèdent et occupent traditionnellement ou qu'ils ont acquis ou utilisés. (2) les peuples autochtones ont le droit de posséder, d'utiliser, de mettre en valeur et de contrôler les terres, territoires et ressources qu'ils possèdent parce qu'ils leur appartiennent ou qu'ils les occupent ou les utilisent traditionnellement, ainsi que ceux qu'ils ont acquis ».

3 Notamment l'article 13 (1) qui dit : « Les peuples autochtones ont le droit de revivifier, d'utiliser, de développer et de transmettre aux générations futures leur histoire, leur langue, leurs traditions orales, leur philosophie, leur système d'écriture et leur littérature, ainsi que de choisir et de conserver leurs propres noms pour les communautés, les lieux et les personnes ».

4 Anglo American, Making a difference, Report to society, 2008, p. 25.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 209 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

communautés. La transparence des industries extractives encourage par ailleurs une prise de conscience plus aigue des périls environnementaux liés à l'activité extractive.

2. La transparence des industries extractives et la question environnementale Les industries extractives ne peuvent se développer sans atteinte à l'intégrité de l'environnement. La distance entre les « have and have not » et la pollution sont deux problèmes majeurs de ce siècle1. Les combats écologiques et le développement de l'écopolitique internationale semblent au premier abord ressortir de la conscience que la « mère-terre » est menacée de péril et que le destin de l'humanité étant intimement lié à un espace vital, il convient de réprimer les élans de destruction de la planète2. La conférence de Copenhague de décembre 2009 a été l'occasion d'une mise en évidence de la prise de conscience du péril qui ménace la planète par les dirigeants et les activistes de tous les bords. Les sons dissonnants et la difficulté des négociations3 trouvent en partie leur origine dans les différences de conceptions d'une solution pérenne, mais l'idée est partagée selon laquelle, si rien n'est fait notre planète court vers sa fin. Ce discours eschatologique est au fondément d'une action « morale » des acteurs de la communauté internationale qui se sont donc penchés sur le sort de la planète à Copenhague. Une éthique de la transparence dans les industries extractives répond de ce fait à une mouvance mondiale de l'éthique qui se donne à voir dans les transactions complexes entre les différents acteurs de la scène mondiale autour des questions du changement climatique, de la préservation des écosystèmes fragiles et de la protection des espèces menacées. La projection du film Home de Yann-Arthus Bertrand en juin 2009 en France, les investissements de Nicolas Hulot (notamment la projection en France en octobre 2009 de son film Le syndrome du Titanic) attirent l'attention peut-être de façon alarmiste sur les périls de notre planète, mais cette logique participe d'une prise de conscience éthique qui explique en partie cet acharnement au sujet des risques environnementaux. Sans

1 Asuncion Lera ST. Clair « Global Poverty: Development Ethics Meets Global Justice» Globalizations, vol. 3, n° 2, p.139, June 2006.

2 Point de vue alarmiste qui n'est pas totalement partagé par Marie Claude Smouts pour qui il y a surenchère au sujet des forêts tropicales et surestimation du risque pour des visées politiques. Voir Smouts Marie Claude (2001) Forêts tropicales, jungles internationales. Les revers d'une écopolitique mondiale, Paris : Presses des science po.

3 Pour eviter l'enlisement et obténir un accord décisif à l'issue de Copenhague, le président français Nicolas Sarkozy a réuni les chefs d'Etats de la COMEFAC partageant en commun le bassin du Congo à Paris le 16 décembre 2009. Pendant ce dejeuner de travail, ces différents chefs d'Etats ont adopté une position unanime faisant de la forêt du bassin du Congo une solution possible à la lutte contre les changements climatiques et donc, une aide financière conséquente à l'adresse des pays de ce bassin.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 210 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

minorer le fait que l'environnement fait vendre1 et donne une personnalité politique2, l'intention est de penser que dans la logique d'une démonstration de la prévalence d'une attitude méga-éthique, la transparence des industries extractives s'insère dans les débats mondiaux qui, par la technicité et l'expertise qu'ils requièrent, sont devenus des espaces de gouvernance au sein desquels la complexité des transactions n'a d'égale que la « logique floue » des acteurs3. Les questions de protection de l'environnement sont devenues des thèmes de débat dans des espaces multilatéraux surtout à partir de la conférence de Stockholm de 1972.

Sans ignorer l'activisme non gouvernemental et transnational4 dans la bataille pour l'environnement, les espaces de multilatéralisme nous intéressent au premier chef en raison de la centralité des deux éléments fondateurs de la problématique de cette étude. L'affirmation des acteurs multiples et la prévalence de la complexité dans les interactions autour des questions morales constituent le fil d'Ariane qui conduit au coeur d'une affirmation de la relativité de la souveraineté. Aussi, la transparence des industries extractives en tant que norme morale est-elle inscrite dans un espace multilatéral dans l'optique de résoudre moult fléaux qu'implique l'activité extractive. L'extraction anarchique et effrénée des matières premières est une source de pollution et donc de menaces graves pour l'environnement. Les images de ces cours d'eau pollués en Equateur et dont l'incidence est l'apparition des chancres sur les peaux des populations riveraines qui y touchent, sont souvent diffusées pour prendre à témoin l'ensemble du globe sur les méfaits de l'exploitation extractive. Les produits utilisés qui sont entre autre le mercure, constituent des facteurs dégradants de

1 Ce que Josépha Laroche appelle « éco-business ». Laroche J. (1998) Politique internationale, op. cit. pp. 420- 422. Et Elkington et Burke parlent de capitalisme vert. Elkington John, Burke Tom (1987) The green capitalists: Industry's search for environmental excellence, London: Gollancz.

2 Le score important des Verts aux élections européennes de Juin 2009 en France est en partie le résultat de la propagande environnementaliste des activistes qui tirent l'hallali sur le dépérissement de la planète. La mise à l'écart des problématiques écologiques par certains hommes politiques leur coûterait obligatoirement une partie de leur électorat. L'on note par exemple que les partis politiques en France « se mettent au vert » de façon plus marquée. L'organisation des grenelles de l'environnement et les créations des ministères de l'environnement depuis la décennie 1990 participent de la politisation de la question environnementale. Le respect de l'environnement a désormais une place importante dans les agendas politiques.

3 Ainsi, les questions de gouvernance globale dans leur complexité et leur multi-actorité, sont souvent débattues lors des grandes conférences internationales : Rio de Janeiro sur l'environnement en 1992, Johannesburg autour du développement durable en 2002, New York sur l'enfance, Copenhague autour du développement social et Beijing en 1995 a réuni les experts au sujet de la femme. L'établissement d'un Agenda 21 et la création d'une Commission du développement durable participent de cette évolution vers le traitement mondial des problèmes globaux, ce qui en soi laisse penser que la complexité qui est le fait et la cause de la relativisation de la souveraineté, est inhérente à la globalisation.

4 Voir par exemple: Thomas Princen « Ivory, conservatism, and environmental transnational coalitions », in Risse-Kappen (ed.) Bringing transnational relations back in, op. cit. pp. 227-253.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 211 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

l'environnement. Newmont Mining est par exemple indexé au Pérou comme une entreprise pollueuse qui a déversé 150 kilogrammes de mercure mettant en danger les écosystèmes autour des villes de Choropampa, Magdalena et San Juan. Cette compagnie utilise du cyanure dans des mines à ciel ouvert à Ahafo au Ghana. Comment ne pas faire mention du cas de Royal Dutch Shell rendu célèbre par ses violations du droit de l'environnement au Nigeria, notamment dans les trois Etats du Delta du Niger. L'on ne peut comprendre la pétroviolence au Nigeria sans prendre en compte les exigences d'une compensation de la part des populations qui déplorent la pollution de leur environnement vital. Les bras du Niger qui arrosent la région sont pratiquement devenus des environnements stériles au grand dam de ces populations qui vivent en partie de la pêche. Dans d'autres pays, les nuages de poussière soulevés par l'activité d'exploitation aurifère sont sources de contaminations diverses sur des rayons importants. Certes, le problème de la pollution du fait de l'exploitation extractive est réel. A l'ère de la gouvernance mondiale où les problèmes échappent aux exigences du confinement, une résolution des problèmes de l'environnement ne saurait minorer l'impact des industries extractives et donc, promouvoir la transparence du secteur est en quelque sorte un début de solution. En réalité, parce que condition sine qua non à un partage juste et équitable des richesses d'un Etat, la transparence permet de faire parvenir aux populations immédiatement victimes des impacts environnementaux directs de l'exploitation, les fruits de leur sol et sous-sol. Ce d'autant plus que, la dégradation de leur environnement vital provoque un changement de régime de vie qui nécessite une plus grande assistance de l'Etat qui en a les moyens parce que gestionnaire des revenus du sous-sol.

Les études d'impact environnemental1 trouvent dès lors leur domaine de pertinence dans la mise en oeuvre du principe de prévention. En effet, la prévention constitue avec le développement durable les fondements de la gestion des ressources naturelles. Si EITI ne concerne pas les activités en amont, c'est-à-dire celles relatives à la cession des contrats, la matérialisation de la transparence peut tout de même constituer une incitation à l'application du principe de prévention par l'exigence et l'observance réelle de la présentation d'une étude d'impact environnemental comme gage d'un respect de l'environnement au cours de

1 Elles sont devenues systématiquement demandées avant toute signature d'un contrat minier ou pétrolier. La loi malienne n° 04/037 du 2 août 2004 portant code pétrolier définit l'étude d'impact environnemental comme le document que doit soumettre le titulaire d'une Convention au Ministre chargé de l'Environnement et comprenant: l'identification, la description, l'évaluation des effets et les mesures correctives envisagées des projets d'Opérations Pétrolières sur l'homme, la faune et la flore, le sol, l'eau, l'air, le climat et le paysage, y compris les interactions entre ces facteurs, le patrimoine culturel et d'autres biens matériels, dont le contenu est déterminé par décret. (Article 1 al. 11).

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

l'exploitation. Le principe pollueur-payeur (PPP) est de ce point de vue, une solution ex post qui s'invite dès lors que la prévention s'est avérée incapable de réprimer les élans destructeurs des compagnies. L'OCDE qui a préconisé ce principe dès 1972 s'est ainsi placée aux avantpostes de la moralisation de l'activité industrielle, mais également de l'activité extractive. Les Etats ne sont pas à la traîne dans ce domaine. En effet, pour limiter le potentiel polluant des industries extractives, au-delà des initiatives globales qui, tant sur les plans de la prévention que de la répression privilégient des actions concertées, certains Etats ont entrepris de constitutionnaliser la protection de l'environnement. Ainsi, en plus des études d'impact environnemental qui sont exigées avant la cession des contrats d'exploitation, le Sénégal par exemple a inscrit dans sa constitution le droit de l'individu à un environnement sain1.

Au final, après avoir démontré que la matérialité de la mondialisation se fonde sur une reconversion éthique des acteurs, dès lors que nous avons axé le propos autour de l'éthique comme l'une des préoccupations centrales des espaces de la mondialisation, il convient de dire l'émergence des puissances normatives comme l'autre environnement propice à la fixation de la transparence des industries extractives dans une atmosphère éthique globale. La norme de la transparence selon qu'elle se fait corps et chose n'est pas une entreprise ex nihilo. Elle est dans l'aire du temps. La composition des « communautés de responsabilité » qui laisse penser à un retrait de l'Etat participe d'une modélisation de la nouvelle scène mondiale. Aussi, les puissances normatives ou la normativisation des puissances est le cadre global d'émulation de l'éthique, et donc de la transparence dans les industries extractives. En d'autres termes, après le discours sur la matière, voici que les acteurs opèrent le virage éthique. C'est l'ère de la cohabitation entre les valeurs idéalistes et la traditionnelle realpolitik des Etats.

B. L'émergence de la puissance normative : EITI un trait de la moralisation des systèmes politiques mondiaux

Ce paragraphe a l'ambition de dire la généralisation de la conscience éthique comme un substrat dans lequel s'enchâsse l'initiative de transparence des industries extractives. Dans cet environnement de l' « éthique sociale », il s'agit de considérer la conduite des acteurs dans la globalité de la chose éthique. Ce changement comportemental des acteurs a induit un changement paradigmatique (1) qui permet de mieux lire la conduite des acteurs (2).

1 Article 8 constitution sénégalaise du 22 janvier 2001.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

1. Un changement théorique ...

En effet, EITI n'est pas un espace pionnier, encore moins une forme de regroupement déconnecté dans un monde étrangement différent. Elle est inscrite dans une mouvance mondiale d'idéalisation de la politique, non pas que le réalisme est obsolète1mais, davantage parce que les valeurs idéalistes et morales sont désormais des portes d'entrée de la politique africaine2 en particulier, mais également mondiale. Si la transparence des industries extractives se donne à voir comme la promotion d'une valeur morale, le fait étatique y est éminemment notable car, même les espaces de gouvernance dont le surgissement a partie liée avec la transformation de la souveraineté, ne constituent pas des espaces ingouvernables. Aussi, le rôle de l'Etat y est-il déterminant. En attendant qu'une nouvelle forme d'organisation sociale se substitue à l'Etat, celui-ci malgré sa « mauvaise santé de fer », reste l'unité sociale pertinente. Les contraintes du changement d'époque et l'irruption d'acteurs nouveaux, faits et effets de la transformation de la souveraineté, diversifient les sources de légitimité et les sensibilités3. La révolution homocentrique comporte l'exigence de prise en compte des émotions et des idées en science politique plus largement et dans les relations internationales en particulier4. Ainsi, Ngaire Woods avait-elle raison de dénoncer la négligence des idées économiques notamment dans les relations internationales. L'obsession positiviste des faits a omis de relever que les choses-pensées précèdent les choses-faites et que de ce fait, les choses ne sont point suspendues dans un vide idéel mais s'agencent avec les idées.

Se prononcer sur la transformation de la souveraineté par le truchement d'une lecture de la transparence des industries extractives, c'est obligatoirement se trouver au carrefour de trois considérations qu'il importe de rappeler. Il s'agit de l'affirmation des acteurs multiples, de l'émergence des espaces de gouvernance et d'un réveil de la conscience éthique. Le propos autour de la conscience éthique permet en même temps qu'une démonstration de l'ancrage de

1 Badie B. « Realism under praise or a requiem... », art. cit.

2 Sindjoun L. « Positivism, ethics and politics in Africa », art. cit.

3 Les variables nationales de légitimité ne sont pas pertinentes lorsqu'il s'agit de traiter de la démocratie à l'échelle transnationale et supranationale. Aussi, l'irruption des acteurs non étatiques dans la gouvernance globale induit-elle des nouveaux indicateurs de légitimité qui au-delà de la représentativité et de la responsabilité, s'appuient sur le critère normatif. Lire à ce propos Karin Backstränd « Democratizing global environmental governance? Stakeholder after the World Summit on Sustainable Development» European Journal of International Relations, vol. 12, n°4, pp. 467-498, 2006.

4 Ngaire Woods « Economics ideas and international relations: beyond rational neglect » International Studies Quarterly, n°39, pp.161-180, 1995.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 214 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

EITI dans un environnement plus large, une prise de parole pour contribuer à la « rupture instauratrice » que certains auteurs ont entamé dans la relativisation de la dichotomie éthique/intérêt1. Le constat du virage normatif des Etats et regroupements d'Etats se fait à l'aune d'une théorie des relations internationales transformées.

Selon le voeu de Eytan Gilboa, l'émergence de nouveaux acteurs dans les affaires internationales et l'interdépendance considérable entre tous les acteurs devraient entraîner une révision de la diplomatie publique qui a prévalu pendant la guerre froide2. L'on tendrait alors vers quelque chose qui soit à l'interstice du réalisme et de l'idéalisme c'est-à-dire, un usage des idées et des normes pour la poursuite des intérêts supérieurs de l'Etat3. La théorie contemporaine des relations internationales omnibulée par le positivisme a frappé d'ostracisme la pensée idéaliste dans l'analyse des affaires internationales surtout à l'ère de la domination réaliste. Le doute conséquentialiste de Stanley Hoffmann4 portait déjà les germes de l'usure de la pensée réaliste. Restauration néoréaliste de l'éthique5, cette idée a fait du chemin et la postmodernité politique se caractérise par la cohabitation sereine entre la morale et l'intérêt. C'est le cadre d'émulation des puissances éthiques qui structurent la politique internationale actuelle. Nombre de faits ont donné leur faveur à ce virage éthique généralisé dans les relations internationales.

La fin de la guerre froide et la chute du mur de Berlin qui en était le symbole ont constitué des éléments déclencheurs d'une régénération de la théorie des relations internationales. Dans cet âge post-hégémonique, c'est-à-dire de la fin de l'unilatéralisme américain6, la logique qui bourgeonnait au lendemain de la fin de la guerre froide accentue le multilatéralisme qui

1 Notamment Luc Sindjoun et Ariel Colonomos dans des travaux cités plus haut.

2 Eytan Gilboa, « Searching for a theory of public diplomacy » art. cit. p. 59.

3 Les imaginations diverses ont formulé des concepts pour dire cette solution médiane dans l'ethos de la politique internationale. Joseph Nye parle de « soft power », Wilson III parle quant à lui de « smart power ». Il existe également le concept de « Noopolitik » forgé par John Arquilla et David Ronfeldt. Il renvoie simplement à l'usage en priorité des valeurs, normes, idées, lois et l'éthique dans la poursuite de la politique étrangère d'un Etat. Voir au sujet de la noopolitik, Arquilla, John, and David Ronfeldt. 1999. The emergence of Noopolitik: Toward an American information strategy. Santa Monica, CA: Rand.

4 Stanley Hoffmann considère qu'il est difficile d'imaginer un homme d'Etat qui ne cherche pas à évaluer les conséquences et dont les décisions sont faites sans référence au contexte, mais pense-t-il encore, il y a un danger constant de diluer ou de se débarrasser des principes et de glisser vers un simple opportunisme quand les conséquences et le contexte deviennent les considérations dominantes. En cela, il remet en cause le conséquentialisme éthique du réalisme. A vrai dire, il est l'artisan pionnier d'un glissement du conséquentialisme des actes vers un conséquentialisme des règles. Lire Stanley Hoffmann (1988) The political Ethics of International Relations, New York: Carnegie Council on Ethics and International Affairs.

5 Klaus-Gerd Giesen, L'éthique des relations internationales, op. cit. Chapitre VI.

6 Fred Halliday « International relations in a post-hegemonic age » International Affairs, vol. 85, n°1, pp. 37-51, 2009. Bertrand Badie qualifie cette ère d' « apolaire ». Voir Badie B. Le diplomate et l'intrus, op. cit. Chapitre 6

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 215 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

suppose la prise en compte de toutes les sensibilités dans la définition des agendas mais surtout, cette époque porte la marque d'une moralisation des comportements politiques internationaux. Il est cependant naïf de prétendre à une moralisation qui serait le fruit du troc du réalisme des Etats contre l'humanisme. Cet état de fait impose un dosage savant entre le « nationalisme méthodologique » et le « cosmopolitisme méthodologique », alliant ainsi une analyse politologique centrée sur l'Etat et le gouvernement comme pierre angulaire et une analyse fondée sur les logiques transnationales et supranationales1. En réalité, comme le pense Garrett Wallace Brown, une priorité accordée au cosmopolitisme kantien ne plaide pas pour une immédiate destruction des Etats et l'autodétermination qui est un aspect de leur souveraineté2. Le parti pris pour la conciliation de la théorie de la puissance (Réalisme) et le Transnationalisme comme la marque de l'interdépendance et de la transaction s'adosse donc sur les travaux antérieurs qui, dans le cadre de la démonstration d'une prévalence de l'éthique sociale globale comme retour aux valeurs, constitue la matrice du raisonnement. Une recherche des causes d'un tel virage pourrait conduire à la prise en compte de l'intégration des travaux des philosophes dans les relations internationales3 et la professionnalisation croissante des enseignants et chercheurs qui défendraient donc des intérêts et valeurs corporatistes4. Ces éléments explicatifs de l'atténuation du réalisme et qui constituent les fondements du néoréalisme5 marquent également le début d'une sublimation paradigmatique autour des valeurs incorporées dans la théorie internationale. Ces éléments d'illustration du changement théorique se vérifient dans les comportements des puissances de la scène internationale ; c'est d'ailleurs sur cet ancrage pratique et concret que l'on accroche l'initiative de transparence des industries extractives en tant qu'espace de gouvernance morale initié et pleinement soutenu par les acteurs de la mondialisation.

2. ...à la suite d'un changement des pratiques politiques

1 Ulrich Beck, Pouvoir et contre pouvoir à l'ère de la mondialisation, op. cit.

2 Garrett Wallace Brown « State sovereignty, federalism and Kantian cosmopolitanism » European Journal of International Relations, vol. 11, n°4, pp. 495-522, 2005.

3 C'est un effort fait notamment par Frédéric Ramel. Voir Ramel Frédéric (avec la collaboration de David Cumin), Philosophie des relations internationales, Paris : Presses des sciences po. 2002.

4 Klaus-Gerd Giesen, op. cit. p. 244.

5 Ce qui fait dire à Klaus-Gerd Giesen que le réalisme n'est pas différent du néoréalisme, le second étant simplement une version atténuée du premier, par la prise en compte de l'éthique. Ainsi, le scepticisme éthique est banni du néoréalisme, le conséquentialisme éthique est régénéré et l'empirisme éthique s'est enrichi d'une éthique néo-empirique fondée sur la théorie des régimes. Ce qui fait dire à Giesen : « Et il nous semble qu'en général le néo-réalisme est effectivement un réalisme soft, éliminant ou adoucissant les éléments les plus extrémistes de la théorie classique dont les auteurs néo-réalistes continuent pourtant à se réclamer ». Klaus-Gerd Giesen, op. cit. p. 240.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 216 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Le paradigme de la gouvernance participative a vu le jour dans la décennie 1990. Il suppose la prise en compte à différents niveaux, de la participation des acteurs variés surtout les groupes majeurs (syndicats, ONG, femmes, enfants, peuples autochtones et jeunes). L'ambition de traiter des problèmes de la mondialisation sans laisser à la marge de l'évolution des catégories âprement défendues par les groupes majeurs, injecte impérativement des considérations morales dans la conduite des politiques. Au niveau national, le retour à la norme constitutionnelle de l'égalité des peuples d'une nation sous la bannière étatique devient pressant. Les droits des minorités occupent de plus en plus les acteurs réunis dans le cadre de la gouvernance étatique. La transparence des industries extractives au niveau des Etats vise au final un partage équitable des revenus tirés de l'exploitation des ressources du sous-sol. Même les défenseurs acharnés des droits des minorités avancent fièrement cet argument pour rendre légitime leur action, afin de susciter une adhésion massive derrière ces luttes stratégicomorales. Le questionnement des schémas institutionnalisés de développement1 prend en compte le degré de discrimination que les planners2 laissent transparaître dans leur définition des politiques de développement. Cette reconversion des subsides du développement par volonté ou par destination, accentue la pauvreté des couches défavorisées. Ces dénégations de place au chapitre et bien d'autres encore, font que la centralité du débat éthique dans les cadres stato-nationaux est devenue une question à la fois morale et politique. L'intérêt réside moins dans la cohabitation des deux aspects que dans l'effet induit de cette réalité. En effet, l'on peut penser que l'intensité de la prise en compte des droits des minorités et des couches défavorisées serait moindre si les Etats détenaient l'absolue autorité sur les choses et les êtres. L'irruption des acteurs de la société civile au sein même des Etats met un bémol à l'élan autoritaire et discriminatoire des Etats. De fait, l'intensification du discours éthique a partie liée avec la multiplication des autorités.

1 Heloise Weber « A political analysis of the formal comparative method: Historicizing the globalization and the development debate » Globalizations, vol. 4, n°4, pp.559-572, December 2007. Egalement Marcus Taylor «Rethinking the global production of uneven development » Globalizations, vol. 4, n°4, pp. 529-542, December 2007.

2 C'est ainsi que William Easterly appellent ces planificateurs de développement qui conçoivent des plans depuis Washington sans prendre en compte les réalités locales, ce qui a pour corollaire l'adoption des plans lourdement financés mais aux résultats invisibles. Il propose à la place des searchers qui vont étudier au cas par cas les problèmes afin d'y apporter des solutions adaptées. Le refus de la seconde approche de façon systématique et l'entêtement à poursuivre la première est de son avis une ruse pour la reconversion de l'aide au développement. Un cercle vicieux qui implique les élites des pays en voie de développement qu'il qualifie de fardeau de l'homme blanc. William R. Easterly (2006) The white man's burden, why the West's efforts to aid the Rest have done so much ill and so little good, London: Penguins Books

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Au plan transnational, l'absence d'une autorité crée une zone d'incertitude qui accueille les acteurs capables de représentation, afin que dans le cadre des espaces de gouvernance les sujets contemporains soient débattus. Et, là aussi, compte tenu de l'inadaptation des critères nationaux de légitimité, la représentation et le bien-fondé des problématiques selon que l'on veut les résoudre constituent des facteurs pertinents de légitimation de la présence et de l'action. Or, le consensus se trouve facilement autour des questions morales de justice, de paix, d'égalité et de démocratie comme le substrat où peuvent s'épanouir ces valeurs. C'est pourquoi l'Union Européenne par exemple a inscrit la conditionnalité démocratique1 dans sa politique d'aide aux pays en développement et comme un critère pour l'adhésion à l'Union des voisins2.

L'exemple justement de l'UE est le plus visible (pas le seul cependant car les USA sont dans une logique de soft power depuis environ la fin du reaganisme qui s'évertuait à promouvoir la pensée classique du réalisme3). Puissance normative c'est-à-dire « puissance qui s'efforce de promouvoir à l'échelle mondiale des standards régulateurs et prescriptifs capables de générer de la stabilité et de la prévisibilité dans le jeu mondial4 », l'Union Européenne se fait le chantre d'une conception plus humaine du monde. Elle s'investit ainsi dans la promotion des droits de l'homme, et participe à (ou initie) des opérations de maintien de la paix. Une fois encore, l'on peut penser que la diversité des Etats qui composent l'UE impose une prise en compte de l'humanitaire. C'est fort de cela que Ian Manners juge que l'UE est une puissance éthique parce qu'elle change les normes et les prescriptions de la politique mondiale en passant de la centralité étatique à une centralité humanitaire5. Manifestement, la conduite interne et internationale des Etats s'abreuve désormais aux sources de l'humanité qui seule, explique cette avancée vers le passé. Les pères du jus naturalis tels que Francisco de Vitoria et Francisco Suarez de l'école de Salamanque, et le

1 Ode Jacquemin « La conditionnalité démocratique de l'Union Européenne : Une voie pour l'universalisation des droits de l'homme ? Mise en oeuvre, critiques et bilan » Working Paper n°3, CRIDHO, 2006, 27p.

2 Voir l'article 11.1 du traité de Maastricht de 1992 qui établit les bases juridiques nécessaires au développement de cette conditionnalité dans les relations extérieures de l'Union et dans ses relations de coopération au développement.

3 Le Clintonisme par exemple est un virage politique vers la nuance dans la realpolitik américaine. Ses appels à la paix démocratique, son implication pour la paix en Afrique et la lutte contre le SIDA et les autres pandémies a laissé croire à une « diplomatie Mère Térésa ». Lire par exemple la thèse de Jean Daniel ABA « Les modalités d'élaboration de la politique africaine des Etats-Unis depuis la fin de la guerre froide » Université Paris II Sorbonne, 2001.

4 Zaki Laïdi « Peut-on prendre la puissance européenne au sérieux ? » Cahiers européens, n°5, 2005, p. 12.

5 Ian Manners «The normative ethics of the European Union » International Affairs, vol. 84, n°1, pp. 45-60, 2008.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

wilsonisme ont été taxés d'irréalistes dans un monde prétendument mû par les seuls intérêts qui expliquent la prévalence d'un état de conflit permanent, nourri par les concupiscences charnelles des appétits mondains des Etats et la quête de puissance1. Voilà que, les Etats, les ONG et même les firmes entonnent un hymne à l'éthique.

Une fois que l'on a discouru sur ces éléments caractérisés par leur globalité et leur généralité, il convient de scruter la conduite éthique des acteurs au ras-du-sol c'est-à-dire, voir comment dans la mise en oeuvre de l'initiative de transparence des industries extractives, le comportement des acteurs impliqués peut recevoir le crédit d'une éthique de conviction. Ce sera l'objet de la section suivante. Il s'agit de penser que les Etats, les ONG et les firmes des industries extractives sont inscrits dans un processus éthique par le seul fait de leur adhésion aux principes de la transparence des industries extractives. Cela se rapporte et se rattache à des valeurs méga-éthiques telles que la démocratie, la justice, la moralisation de la mondialisation, la défense de l'environnement et des droits des minorités et couches défavorisées. La structure de cette section obéit à une logique qui continue de penser pertinente, la dichotomie acteurs étatiques/ acteurs privés mais est au fait de la congruence des agir de ces acteurs différents, selon qu'ils trouvent des espaces de proximité dans le caractère global de l'éthique sociale. De ce fait, le premier paragraphe va pister l'action éthique desdits acteurs dans le processus de démocratisation et le second s'attelera à dire l'agir éthique de ces mêmes acteurs dans les processus de développement. Il s'agit de penser que le développement et la démocratie sont deux processus éminemment éthiques.

Section 2 : A la recherche des éléments d'une éthique de conviction dans la conduite des acteurs de la transparence des industries extractives.

La transparence des industries extractives semble au premier abord une entreprise éthique, c'est-à-dire un dessein de mettre sur pied un comportement éthique en soi, mais qui de plus, de par les incidences qu'il a sur la communauté des hommes produit le bien. Dans la compréhension de l'éthique, l'idée récurrente est la quête du bien. Stupeur pour les sceptiques réalistes, l'idée d'un empire du bien selon qu'il se donne à voir dans la conduite

1 Cathal Nolan trouve d'ailleurs que c'est une déformation qui est inculquée aux étudiants des relations internationales que de célébrer le discours qui sépare la morale de la puissance. Il cite Reinhold Neibur en disant: « International politics is where conscience and power meet and work out tentative uneasy compromises ». Cathal Nolan «Norms and principles that govern international relation », op. cit.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

des acteurs et dans le fruit de leurs actions est envisageable dans cette ère de la mondialisation et c'est cela l'une des nouveautés. Que l'on se comprenne bien. Cette section n'est nullement la célébration d'une civilisation totalement éthique qui aurait enfin jeté dans la géhenne les démons de l'intérêt qui sont souvent au centre des conflits, des guerres, corruptions et autres immoralités. D'autre part, il ne s'agit pas de penser l'éthique ici comme une manière d'être, l'on parlerait alors de l'éthique protestante1, de l'éthique catholique2, de l'éthique journalistique3 etc. Ce sont là des « méta-éthiques ». Mais pensons l'éthique comme une valeur supérieure, l'éthique supérieure, selon l'ordre de Spinoza. L'éthique est assimilée au bien, à la conduite qui produit du bien. De plus, il faut penser que l'éthique est porteuse du sens de la justice selon la conception aristotélicienne. En effet, dans Ethique à Nicomaque, Aristote fait le distinguo entre la « justice corrective » et la « justice distributive ». La dernière évoquée renvoie à l'idée que les ressources doivent être reparties avec équité sans que le mérite ou la légitimité y soient des facteurs de marginalisation, mais la seule appartenance à la communauté suffit à imposer une possession pour chacun de sa «juste part ». Toutefois, en arrière plan l'idée du bien projette son ombre sur la justice distributive d'Aristote. Aussi, pardelà les relativismes qui induisent une certaine prudence dans le maniement des concepts tels que le développement et la démocratie, l'on postule leur centralité, leur essence éthique, et leur position au débouché de la transparence des industries extractives en tant que processus. Il s'agit de penser que le point de mire de la transparence est de faire chose et corps la démocratie et le développement au service des peuples. En réalité, la transparence des industries extractives est un moyen qui vise in fine un but. Qu'il s'agisse du développement ou de la démocratie que l'on considère « naïvement » comme des entreprises dépouillées de visées utilitaires, ce sont deux buts qui partagent la transparence comme condition de faisabilité. Ces deux objectifs sont exigeants d'une action synergique aussi, leur atteinte par la transparence des industries extractives exige-t-elle des transactions de natures multiples et diverses entre les acteurs. Le lien social une fois encore est célébré au travers du branle-bas pour la poursuite d'une valeur éthique. C'est dire que, la transparence des industries

1 Max Weber, Ethique protestante et esprit du capitalisme, op. cit.

2 Au sujet de l'éthique catholique, lire les travaux de HEC de Montréal. Par exemple : Omar Aktouf, Renée Bédard et Alain Chanlat « Management, éthique catholique et esprit du catholicisme : l'exemple québécois » Sociologie du travail, vol. 34, n°1, pp. 83-99, 1992.

3 Il existe une façon de parler de l'éthique qui l'assimile à une manière d'être d'une catégorie professionnelle ou d'un domaine d'activité. C'est ce que Max Weber appelle beiruft, c'est-à-dire la vocation. Ainsi, Daniel Bell dira -t-il du capitalisme : « Lorsque la morale puritaine fit défaut à la société bourgeoise, il ne resta que l'hédonisme et le système capitalisme perdit son éthique transcendantale ». Daniel Bell, Les contradictions culturelles du capitalisme, op. cit. C'est dire que dans ce sens, l'éthique devient ce qui fait une chose et est donc immanente alors que l'éthique dans notre sens est une valeur supérieure transcendante que l'on cherche à atteindre par une conduite bonne pour son avancement et pour le bien commun.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 220 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

extractives comme chemin vers la démocratie et le développement est une norme éthique qui comporte la complexité comme trait de caractère. L'on peut imaginer des acteurs dans une logique solitaire en vue de la poursuite des intérêts particularistes et égoïstes mais, il est presque impossible d'envisager la mise en oeuvre de la morale par un acteur seul. Il existe trois raisons à cela. Considérant l'Etat, la morale n'est pas le fondement de son action. Il est davantage intéressé par la quête de puissance qui est l'absolue nécessité pour la survie sur la scène internationale. Les firmes quant à elle sont à la quête du profit et cela est une lapalissade. Les ONG, porteuses d'espérance en raison du ton humanitaire de leur discours, sont dépourvues de puissance souveraine et de capacité d'influence de la scène mondiale prises isolement. Elles ont besoin de l'assistance des Etats pour faire passer les normes éthiques car, ces derniers sont les seuls à disposer du rule-making en tant que souveraineté1.

Dans ces conditions de nécessaires transactions entre trois catégories d'acteurs, la souveraineté qui est donc relative se donne à voir dans sa relativité quand ces acteurs multiples, affirmés dans leur qualité d'acteur, enjambent les frontières des Etats sans considération et quand, tout compte fait, l'Etat parce que seul acteur doté de souveraineté, influence la forme finale des espaces de gouvernance. Tout au long de la section, il faut rester informé de ce que dans la gouvernance globale, la présomption d'une éthique sociale suppose des valeurs partagées par la communauté de la gouvernance.

Paragraphe I : L'initiative de transparence des industries extractives : un espace de la démocratisation ?

Dès l'abord, l'on affirme la multiplicité des schémas de démocratisation et moult compréhensions de la démocratie en partant du constat que la démocratie au sein d'un Etat ne peut revêtir la même tunique sémantique que la démocratie au plan transnational2. L'objet d'attention dans cette étude est une initiative qui est multi- layered. Elle mêle les faits internes aux faits internationaux et met en scène un espace de gouvernance qui comme tous ses semblables, se caractérise par la participation de la société civile, la représentation et l'exigence de transparence des processus politiques. En général, la participation des couches affectées par les problèmes de la mondialisation est requise pour un souci d'efficience. De

1 Janice Thompson, art. cit.

2 Voir David Held (1995) Democracy and the global order: From the Modern state to cosmopolitan governance. Stanford, CA: Stanford University Press.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

plus, la responsabilité et la transparence sont considérées traditionnellement comme des conditions nécessaires à la mise en oeuvre des politiques globales1.

Fort de tout ce qui précède, l'option pour le modèle de stakeholder democracy de Karin Backstränd2 permettra de montrer comment les différents acteurs de la communauté de la transparence sont impliqués dans l'implémentation de la transparence, mais en réalité d'une norme plus grande à savoir la démocratie.

Le modèle de stakeholder democracy tire sa substance éthique de son potentiel de protection des couches vulnérables, de la représentation fonctionnelle et du fait que les représentants sont affectés par l'objet dont les délibérations visent la transformation. Il s'oppose en l'épuisant, à l'idée d'un modèle consacré de démocratie. C'est la fin de l'exclusivité des figures électorales et parlementaires de la démocratie. La tradition de l'étude de la démocratisation et plus précisément, le courant de la consolidologie met l'emphase sur des variables estimées incontournables à la consolidation démocratique. Il s'agit notamment de penser que la participation, la compétition électorale et le respect des droits civiques et des libertés sont des traits autour desquels se déroulent les pugilats intellectuels relatifs à la compréhension des processus de démocratisation. Le stakeholder democracy s'échappe de ces carcans et n'en est pas moins pertinent cependant, tant la représentation et les délibérations en même temps que la légitimité des représentants et du sujet débattu en font un idéal-type démocratique propre à compenser les manques et limites liés au fait de l'absence d'une autorité suprême transnationale garante de la démocratie au plan international. Backstränd dit à ce propos: « Representation beyond elections allows for the representation of more varied and differentiated perspectives, and more emphasis on deliberative features compensate for the relative absence of electoral bases3» (la représentation au-delà des elections permet une représentation des perspectives plus varies et differenciées. Elle permet également de mettre l'accent sur les traits de la délibération qui compensent l'absence relative des bases électorales). Cela dit, dans le paradigme de la gouvernance participative, le modèle de la démocratie des parties prenantes permet de rendre raison de ce qui se joue dans les fora multi-

1 Considérant les politiques environnementales globales, lire Paul Wapner (1996) Environmental activism and world civic politics. Albany, NY : State University of New York.

2 Karin Backstränd, «Democratizing global environmental governance? Stakeholder democracy after the world summit on sustainable development» European Journal of International Relations, vol. 12, n°4, pp. 467-498, 2006.

3 Karin Backstränd, idem, p. 472.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

parties prenantes. Ce, en scrutant non plus les logiques actorielles qui sont marquées du sceau de la relativité de la souveraineté, mais davantage, en s'intéressant aux normes, structures et processus qui gouvernent les prises de décision au plan international.

Le modèle de stakeholders democracy comporte un certain nombre de traits qui le distinguent des autres modèles et, qui en font un cadre pertinent de l'explication de la démocratie par la mise en oeuvre de la transparence comme norme internationale. Il serait difficile et même surréaliste de s'accrocher à l'idée d'un monisme explicatif informé par le cadre stato-national comme repère de projection. En réalité, dans l'espace transnational, les élections et la représentation parlementaire sont dénuées de signification, tant l'inexistence d'une autorité supranationale de l'envergure de l'Etat empêche tout mimétisme. Ni pouvoir suprême à conquérir, ni parlement où siéger, ce qui renforce l'épuisement des modèles traditionnels de démocratie qui sont restés coincés aux mâchoires de l'Etat-nation comme niveau d'analyse. Aussi, le critère de la compétition électorale qui est centrale dans les acceptions de la démocratie selon Schumpeter, Dahl1, et même Larry Diamond, Lipset et Linz2devient relatif car, à ce niveau de perception de la politique, les concepts de légitimité, représentation et participation acquièrent un sens nouveau. En considérant la transparence comme une norme éthique qui s'épanouit dans une éthique plus large à savoir la démocratie, comment envisager la conversion de la compréhension classique des concepts de participation, responsabilité et légitimité au niveau supranational, en ayant le regard rivé sur EITI ?

A. Participation et responsabiité au sein de l'Extractive Industries Transparency Initiative.

Dire que EITI est un espace de gouvernance, c'est postuler le fait de la multiplicité des acteurs en son sein. En effet, comme s'est attelé à le démontrer la première partie de la présente étude, l'initiative est un espace qui confirme l'actorat étatique en même temps qu'elle permet l'affirmation des acteurs privés. Ainsi, ce paragraphe ne revient pas sur ces éléments préalables, mais se prononce sur la participation en tant qu'elle trahit une mise en oeuvre de la démocratie sous le couvert de la transparence des industries extractives. De même, la responsabilité (accountability) qui est un trait incontournable de la gouvernance et

1 Dahl Robert (1971) Poliarchy. Participation and opposition , New Haven: Yale University Press

2 Diamond L., Lipset M.S., Linz J.J. (dir.) Les pays en voie de développement et l'expérience de la démocratisation, Paris: Fayard, 1993.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

donc de la démocratie, prend séance aux côtés de la participation afin de constituer la quintessence du paragraphe.

1. Un espace de participation hétérogène ou la diversité des transactions comme marque de l'éthique

Le propre de la gouvernance est de mettre fin à l'illusion de l'unilatéralité qui avait prise sur le réel avec les temps classiques du penser politique. Cela suppose deux choses : l'injection des normes éthiques dans la conduite des affaires et une prise en compte de la diversité qui est source de transactions qui relativisent la souveraineté de l'Etat. L'intimité qui prévaut entre la démocratie et la gouvernance se fonde sur le principe de la multi-actorité1. La décompression autoritaire caractéristique de la démocratisation correspond généralement à la prise de parole par des acteurs autres que l'Etat. Le pluralisme et l'ouverture créent des conditions d'une responsabilisation et d'une transparence accrues de la vie publique. C'est dire l'affinité élective qui existe entre la démocratie et la participation multiple. La démocratie ne signifie-telle pas l'irruption de la multitude dans l'espace de gouvernement ? Irruption indirecte au travers des représentants, qui viennent troubler la quiétude de l'Etat, et qui mettent fin à la conduite unilatérale des affaires publiques. Cette réalité est valable tant dans le cadre de l'Etat qu'au plan international. Et, l'initiative est présente sur ces deux plans. C'est pourquoi au plan national, les comités de mise en oeuvre sont autant de lieux de délibération que l'on voudrait démocratiques, du moins de par la participation.

Le premier niveau de lecture de la démocratie est le pluralisme participatif. A cet égard, la constellation actorielle autour de l'initiative doit être lue comme le signe de la vitalité mais, aussi comme un aspect de la démocratie c'est-à-dire un élément de la pacification de la vie politique. En réalité, l'apologie démocratophile n'est pas l'objet de ce propos. Il s'agit de penser que, sous le prisme du modèle de stakeholder democracy, l'initiative de transparence des industries extractives apparaît comme une matérialisation de l'éthique. En même temps, la mise en oeuvre de cette éthique sociale met en branle une multitude d'acteurs en interaction. La souveraineté comme cible de démonstration, se révèle une fois encore dans sa relativité car, la participation multi-actorielle met en scène un Etat qui négocie mais qui possède encore l'ultima ratio dans l'incarnation de la transparence des industries extractives. Il faut penser la participation comme la prise en compte de l'actorat multiple dans l'EITI. Ces divers acteurs

1 Ahmedou Ould Abdallah, Démocratie et gouvernance, Washington D.C : coalition mondiale pour l'Afrique, 2000.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

qui sont les Etats, les firmes et les organisations de la société civile, trouvent un espace de délibération au sein des comités de mise en oeuvre et dans les fora et conférences internationaux où, réunis pour les besoins de la cause de la transparence, ils prennent en compte la nécessité de donner une réalité à celle-ci en tant qu'elle est solution à beaucoup de problèmes symboliques de l'injustice, de la guerre, des déplacements des populations, toutes choses par ailleurs qui sont du ressort de la morale.

La démocratie délibérative, modèle que défend Patricja Dabrowska1 en regard des nouveaux moyens de participation qu'offre l'UE aux acteurs, partage avec le stakeholder democracy la conviction qu'aucune délibération c'est-à-dire prise de décision commune autour des questions concernant la communauté des hommes n'est valable si des catégories multiples ne sont pas représentées. Le débat public devient dès lors une exigence car, la démocratie vise en priorité la pacification de la vie publique par la levée de la suspicion qu'engendre l'opacité. La transparence se construit et se fait chose et corps dans des lieux où l'impression de représentation épuise la contestation. D'ailleurs, le sentiment de justice et de prise en compte des problèmes des couches défavorisées et des populations tout court naît de l'inscription de ceux-ci dans les agendas politiques. L'Union Européenne par exemple, dans son destin de rapprochement vis-à-vis de la population, ne se donne pas seulement pour but de régler les problèmes sociaux. Elle intègre la société civile comme acteur, dans l'optique d'envoyer un signal de proximité aux peuples, mais elle est surtout consciente de ce que la résolution des problèmes passe par l'implication des sociétés civiles qui dans leur rapport privilégié avec les populations, font un écho parfait de leurs souffrances. En soi, la participation selon qu'elle est ouverture et intégration de la diversité, comporte donc une essence éthique. Dès lors qu'on a invalidé l'hypothèse de la mise en oeuvre de la transparence en tant que norme éthique par un seul acteur, ce du fait de l'absence de volonté ou de moyens, l'on comprend alors aisément que la participation, ce premier niveau de lecture d'un processus démocratique, est éminemment morale.

Le sentiment d'appartenance à une communauté c'est-à-dire un ensemble qui a en partage des éléments fondamentaux de socialité, l'impression d'écoute que procure l'inscription d'un problème dans les agendas politiques, et le fait d'être représenté aux lieux de décisions sont

1 Patricja Dabrowska « Civil society involvement in the EU regulations on GMOs: From the design of a participatory garden to growing trees of European public debate» Journal of Civil Society, vol. 3, n°3, pp. 287- 304, December 2007.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

les substrats d'une vie juste. Les marchands d'illusion de justice et d'éthique activent précisément ces leviers afin de susciter l'adhésion qui légitime leur entrée en lien social. Aussi, la participation implique-t-elle la représentation. De même qu'au plan national les élus du peuple symbolisent la démocratie athénienne qui fut représentative lato sensu, les membres de la communauté de la transparence doivent être en réalité un échantillon représentatif de la multitude des hommes. Le résumé de la polité autour de la transparence à un triangle dont les sommets sont l'Etat, les firmes et les organisations non gouvernementales exprime mal la justice qu'impose la représentation. Certaines fois, les comités de mise en oeuvre de la transparence se contentent d'inviter à une séance ponctuelle, certains chefs des villages riverains des sites d'exploitation. Ceux-ci ne disposent point d'un statut permanent dans les instances de la mise en oeuvre. Pis encore, pour ce qui concerne les pays de l'Afrique centrale engagés dans EITI, l'on n'a pas le souvenir qu'un autochtone ait représenté les peuples autochtones lors d'une conférence internationale EITI.

2. Les rapports de conciliation des chiffres et volumes : une responsabilité biaisée Le principe de responsabilité démocratique c'est-à-dire l'accountability, est symbolisé par les rapports de conciliation des chiffres et volumes. C'est le coeur même de l'initiative. Faut-il le rappeler, le but de EITI est de donner corps à la transparence dans le domaine des industries extractives en rendant lisible les recettes et les paiements relatifs à l'exploitation des ressources du sous-sol. Pour ce faire, l'Etat et les firmes sont les acteurs principaux du scénario de la transparence car, ils sont le point focal du processus, le lieu de cristallisation des attentions. La société civile ou plus précisément les organisations non gouvernementales qui y siègent font office de cerbères, pour veiller à l'usure du consensus opaque qui a gouverné pendant longtemps les relations entre les Etats et les firmes. L'esprit et la lettre des critères 1 et 3 de EITI rendent compte de cette exigence de transparence qui se donne à voir dans la matérialité d'un rapport public. L'un et l'autre critère disent :

« (1) Tous les paiements versés par les entreprises aux gouvernements, au titre de l'exploitation pétrolière, gazière et minière (« les paiements ») et toutes les recettes matérielles, reçues par les gouvernements de la part des entreprise pétrolières, gazières et minières (« recettes »), sont publiées et diffusés régulièrement au grand public sous une forme accessible, complète et compréhensible. (3) Les paiements et recettes sont rapprochés, conformément aux normes internationales en matière d'audit, par un administrateur

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 226 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

indépendant digne de confiance, qui publie son opinion sur ce rapprochement de comptes et sur d'éventuelles discordances ».

Il se trouve que, compte tenu de la centralité de cette publication des recettes et paiements, les autres aspects démocratiques du processus (la participation et la légitimité) pivotent autour du souci de réussite de la transparence. Ce but éthique c'est-à-dire de justice et d'équité mais également de poursuite du bien, obéit à une logique de recherche de bien-être commun, de commodité d'existence. Il tire les attributs de son existence à la source de l'injustice constatée dans la répartition des revenus des ressources extractives de certains pays. Le bien sous-tend donc cette quête de transparence. Le discours explicatif du processus s'abreuve d'éthique comme l'on trouve dans la fraîcheur de l'eau, les ressorts de la continuation dans une marche difficile.

In concreto, toutes les compagnies en exercice dans un pays candidat à l'initiative sont invitées à déclarer leurs paiements préalablement audités à un conciliateur. De même, l'Etat déclare les recettes que lui a rapportées l'activité extractive et le conciliateur1 compare les deux types de déclaration. S'il existe un différentiel, il doit se prononcer sur cet écart. En théorie, les choses devraient se passer aussi simplement. Mais la réalité de la transparence laisse place à une pléiade de questions quant à la responsabilité des uns et des autres et cela plus largement, laisse des sérieux doutes quant à la capacité de cette initiative à incarner la transparence dans les industries extractives. En réalité, c'est le lieu s'il le fallait encore, de dire que la souveraineté de l'Etat continue d'avoir prise sur le réel. Le comité qui a la charge du recrutement du conciliateur est formé et piloté par les gouvernements. Autant dire qu'en dernier ressort, c'est la volonté étatique qui se fait en matière de transparence. Et, la publication des rapports laisse transparaître cette emprise des Etats. Les Etats sont les seuls capables de contraindre les firmes exerçant sur leurs territoires à déclarer les paiements au nom des clauses de confidentialité que comportent systématiquement les contrats pétroliers et miniers. Il existe donc mille stratagèmes qui traduisent le fait que les Etats donnent le tempo et le rythme de la transparence des industries extractives. Au demeurant, la transparence fait du chemin avec des fortunes diverses dans les pays candidats, certains faisant le choix d'une

1 Le conciliateur est une personne morale de réputation internationale dans l'audit des comptes. Le cabinet Ernst & Young a confectionné les rapports du Gabon, de la Mauritanie et de l'Azerbaïdjan tandis que le groupe Hart a été chargé de la production du rapport du Nigeria. Le cabinet Crane & White Associates a fait les rapports de la Mongolie et du Libéria. Les rapports du Ghana ont été produits par Boas & Associates.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

publication agrégée des rapports tandis que d'autres moins enclins à la transparence, exploitent l'espace d'incertitude du Livre Source qui laisse aux Etats la latitude du choix du mode de divulgation . A ce propos, le Livre Source dit : « Les parties prenantes doivent décider si elles souhaitent que les déclarations des entreprises et du gouvernement d'accueil mis à la disposition du public présentent des agrégats ou des données ventilées. La décision définitive incombe au gouvernement d'accueil1 ».

B. Légitimité et illégitimité de la transparence des industries extractives

Par-delà les significations nombreuses que l'on peut reconnaître à la notion de légitimité, elle est appréhendée dans ce propos comme le troisième socle du modèle de stakeholders democracy. La trilogie weberienne de la légitimité révèle qu'une chose est légitime parce qu'elle sied. Ainsi, un leader est traditionnellement légitime quand il est porteur d'onction successorale traditionnelle, un leader est légitime sur le plan légal-rationnel quand les urnes lui en confèrent la force et un homme est investi de légitimité charismatique dès lors qu'il s'impose par son charisme. Vue sous cet angle, la légitimité s'apparente à ce qui fait qu'une chose ou une situation est acceptable. Ainsi, la transparence des industries extractives devient légitime dès lors qu'elle est acceptable. Ce qui conditionne son acceptabilité, c'est son caractère juste selon l'esprit de la justice distributrice de Aristote. Cela suppose que, la transparence qui est au coeur du processus doit convaincre par son utilité éthique pour être validée comme légitime. L'éthique devient la condition de légitimité des acteurs et du processus. Ipso facto, le regard sur la légitimité et l'exploration de quelques indicateurs d'illégitimité recherchent les substrats éthiques qui donnent sens et essence aux acteurs et au processus. En même temps, la scrutation de la légitimité comme troisième moment de l'analyse d'un déploiement éthique via la démocratie offre l'occasion de s'interroger sur quelques actes qui stressent le processus. En se penchant sur la légitimité des acteurs et la légitimité matérielle de l'initiative en tant que processus multi-acteurs, il s'agit de trouver un prétexte pour examiner au fond en corollaire, les réticences à la transparence comme éléments delégitimants du processus.

1. L'éthique légitimante

1 Action préconisée 20 (a) du Livre Source. Cette disposition du Livre Source est révélatrice de la préséance des Etats dans la mise en oeuvre de la transparence.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Traditionnellement, lorsqu'on parle en démocratie de la légitimité, il s'agit de s'interroger sur le caractère juste de l'occupation du pouvoir par un ou quelques-uns. C'est le peuple qui procure cette légitimité, quelle qu'en soit la forme prise. Le lien au peuple constitue le lieu de procuration du sceptre de gouvernement. Il peut s'agir d'un lien clientéliste, charismatique ou même programmatique1, ce qui importe est l'acceptation comme légitime du dépositaire ultime de l'autorité étatique. Transposée sur l'initiative de transparence des industries extractives, il s'agit de considérer ceux qui parlent au nom de toute la communauté et même tout simplement, l'initiative qui les regroupe, comme objets pouvant révéler quelque légitimité. Dans le sillage de Karin Backstränd, l'on considère que la légitimité constitue avec la participation et la responsabilité des éléments fondamentaux du modèle de stakeholders democracy. Mais en amont, il convient de rappeler que ce propos sur les déterminants démocratiques trouve sa justification dans le fait de penser que la transparence des industries extractives est une mise en oeuvre de l'éthique dans le cadre d'une mouvance naïve de démocratisation.

La légitimité des acteurs impliqués dans EITI est le produit de l'intérêt éthique. C'est l'éthique qui leur octroie l'acceptation populaire dans leur participation à l'initiative. L'Etat a une responsabilité éthique vis-à-vis des populations. En fait, la faillite de certains Etats2 a rendu normale la démission de ceux-ci de leurs devoirs éthiques de redistribution, de justice, d'équité et de paix. En même temps, l'institutionnalisation de l'opacité pour des fins de perpétuation au pouvoir a rendu mal approprié le discours sur la transparence laissant penser que les Etats sont des réalités suspendues dans le vide, sans rapport avec les populations. Le retour vers les valeurs d'humanité qui fondent l'Etat moderne est donc la légitimation absolue de la présence de l'Etat dans l'initiative. Outre le fait de devoir rendre des comptes, la conscience éthique du rôle de l'Etat auprès de ses citoyens semble plus que tout autre motif, informer la participation car, faut-il le rappeler, l'Etat est souverain et s'il consent à rendre des comptes à ses sujets, cela est moins une contrainte que l'acceptation d'une éthique supérieure au fonctionnement de la société sous l'emprise de la raison d'Etat. La conformité aux principes et critères de EITI est donc de ce point de vue la quête d'une respectabilité c'est-àdire un pilier soutenant la légitimité d'un Etat. Par ricochet, EITI en tant qu'institution avérée,

1 Herbert Kitschelt « Linkages between citizens and politicians in democratic polities » Comparative Political Studies, vol. 33, n° 6/7, pp. 845-879, August/September 2000.

2 Lire William Zartman (ed.) Collapsed states. The disintregration and restration of legitimate authority, Boulder, London: Lynne Rienner, 1995.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

est un espace de relookage de l'image de l'Etat vis-à-vis de ses sujets mais aussi à l'égard de la communauté internationale.

Le virage éthique des firmes des industries extractives qui sont des porte-fanions sinon l'image même du capitalisme peut obéir à d'autres logiques, mais nul ne peut ignorer que pardelà les visées, la façade est éthique. Quant aux ONG, leur existence en tant qu'acteur repose sinon totalement, du moins majoritairement sur leur présomption éthique. Pour exister et être prises au sérieux, les organisations non gouvernementales font prévaloir une certaine intimité avec les valeurs éthiques d'humanité et de justice sociale. Le signe de cette affinité élective entre les ONG et l'éthique est entre autre la condition de leur émergence. Les grandes ONG comme on l'a vu, ont émergé à la suite de crises humanitaires, qu'elles soient le fait de la guerre ou des calamités naturelles. Les scandales incriminant les ONG trouvent leur relief particulier sur cette essence et, que celles-ci soient parties prenantes à l'initiative peut sembler être le gage de la réussite et la garantie que le processus ne sera point gauchisé. Comme on le voit, l'éthique est ce qui procure aux acteurs impliqués dans l'initiative leur domaine de pertinence et le quitus de la population.

Considérée comme un tout, la plateforme institutionnelle qu'est EITI présente deux traits de caractère proéminents. D'une part, elle est le lieu de la rencontre de plusieurs acteurs qui interagissent, ce qui n'est envisageable que dans le cadre d'une souveraineté relative. D'autre part, comme l'ensemble des espaces de gouvernance qui ont vu le jour à la faveur de la mondialisation, elle est légitime parce qu'elle poursuit un objectif éthique. Certains cherchent à rendre réel l'impact de la vente des produits forestiers, d'autres oeuvrent à mettre fin aux trafics des enfants, aux conflits, à restaurer la paix et l'espérance. EITI quant à elle, cherche à donner corps à la transparence pour que les revenus des industries extractives deviennent profitables pour toute la population. Autrement dit, la légitimité des acteurs est individuelle et collective tout à la fois. Toutefois, l'élan éthique et la bonne volonté qui sont traduits par le déferlement des acteurs légitimés par le récit éthique de leur engagement comporte des éléments d'imperfection.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

2. Une mise en oeuvre imparfaite de l'initiative de transparence des industries extractives

En même temps que l'on relève l'incapacité de EITI à donner corps à la transparence des industries extractives, c'est-à-dire à favoriser le triomphe total de l'éthique, l'on souligne les limites du modèle de Karin Backstränd. Le propos sur l'imparfaite mise en oeuvre de l'initiative suit le sentier argumentatif emprunté lors de l'établissement d'un lien éthique entre la transparence des industries extractives et la démocratie. La participation révèle un exclusivisme de nature à alimenter la poursuite de l'opacité comme jeu institué. La rétribution à la suite de la cooptation renforce les pouvoirs autoritaires1par opposition aux démocraties. Le triangle actoriel dans la transparence des industries extractives ne rend pas suffisamment compte de l'éventail large des catégories affectées par l'opacité. Dès lors qu'on valide l'idée d'une prise en compte de la multitude comme condition de faisabilité de l'entreprise éthique, l'évidence logique du biais de la transparence apparaît et, les dérives opacitaires et sectaires de la communauté de transparence s'imposent comme faits. Peut-on penser que le sort du peuple est mis en avant quand l'espace de débat de leur destinée s'apparente à un espace bourgeois habermassien ? La préoccupation morale qui confère à EITI sa légitimité risque fort bien de se noyer dans les coupes de champagnes qui sont légion dans les soirées de frasque, où l'on parle de la misère des peuples en exaltant l'exubérance et l'opulence des gens du haut. Peut-être la participation populaire qui fait défaut explique-t-elle en partie l'impopularité de l'initiative (si ce n'est sa méconnaissance totale) auprès des peuples qui partagent l'immédiateté des zones minières et pétrolières.

La responsabilité n'échappe pas à cette culture de l'imperfection qui fait ombrage à la morale. Les rapports de conciliation des chiffres et volumes qui constituent le point d'orgue d'un processus d'ouverture des écluses de l'opacité, brillent par leur frilosité dans le cadre d'une culture de l'atermoiement. Ils laissent penser à la théorie éliassienne des configurations2. C'est-à-dire, un jeu qui met en scène des acteurs qui se caractérisent par les figures interdépendantes et toujours changeantes qu'ils forment, de même que les actions et relations réciproques qui les lient. De ce point de vue, l'incomplétude des rapports de conciliation des chiffres et volumes est une conséquence normale de cette configuration mouvante qu'est EITI. Le fruit de l'interdépendance est observable dans les rapports selon

1 Beartriz Magaloni «Credible power sharing and the longevity of authoritarian rule» Comparative Political Studies, vol. 41, n°4/5, pp. 715-741, 2008.

2 Voir Norbert Elias (1991) Qu'est ce que la sociologie ?, La Tour d'Aigues : Edition de l'Aube, notamment les pages 146-161.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

qu'ils sont l'issu d'un travail de groupe. En même temps, les jeux de force au sein de ce groupe donnent naissance à des rapports insatisfaisants pour certaines catégories (les ONG notamment) qui les dénoncent systématiquement à l'occasion des publications. Le caractère inaccompli des rapports de conciliation est expliqué par les écarts constatés. Il existe un écart acceptable (5%) qui peut se justifier par les fluctuations de la monnaie de change et autres spécificités et technicités de l'économie internationale1. Cependant, la chronique des écarts extravagants s'écrirait avec les noms de sinon tous, du moins la plupart des pays candidats ayant produit des rapports2. L'on assiste à une prévalence du dilatoire qui laisse toujours espérer que le prochain rapport sera meilleur et, l'on a l'impression que cela participe du dessein de rendre infaisable la transparence totale. Un autre stratagème est d'omettre d'intégrer soit certaines compagnies, soit certains types de revenus pour les prendre en compte progressivement3. Et, la position des organisations de la société civile est énigmatique à ce propos. Après chaque publication d'un rapport, elles publient un rapport dans lequel elles fustigent l'absence de certaines déclarations, la non prise en compte de certaines firmes dans la conciliation, espèrent que le prochain rapport va y remédier, alors même que ladite société civile a donné son quitus à la publication du rapport auparavant.

Plus globalement, l'initiative de transparence des industries extractives donne l'impression d'incomplétude. La réalité d'une incarnation de la transparence se présente nuancée dès lors

1 Les avis diffèrent sur la valeur de cet écart. Après la publication du second rapport du Gabon le 5 avril 2007, l'on a noté un écart pour ce qui concerne les mines de 4.113.000 FCFA en raison de la quasi-virginité de l'exploitation minière au Gabon en cette date. Cependant, l'écart pétrolier était de 64.990.000 US $. Cela équivalait à 3% des recettes de l'Etat Gabonais pour la période considérée. Anton Mélard de Feuerdant du cabinet Ernst & Young responsable de la conciliation des données au Gabon explique que 5% d'écart sont acceptable et Marc Ona Essangui que nous avons rencontré confirme que cet écart est acceptable car, poursuit-il, l'écart zéro serait suspect. Certes, mais près de 65 millions de dollars n'est-ce pas beaucoup en terme d'écart ? Cet écart peut-il être justifié uniquement par les fluctuations du dollars et autres pareilles choses ?

2 Quelques écarts : Cameroun (2001-2004) : 3515,98 USD, Cameroun (2005) : 1370,54 USD. Ghana (2nd rapport couvrant la période de Juillet à Décembre 2004) : l'Etat a perçu 79, 230,121 Cedis de plus que ce qui a été déclaré versé par les compagnies. Guinée : pour la période 2005, l'Etat a perçu 7000 USD de plus que ce que déclaraient les firmes. Mauritanie : Le second rapport couvrant la période 2006 et publié le 31 juillet 2007 a révélé une différence de 4678 000 USD de plus perçus par l'Etat par rapport à ce qui a été déclaré par les firmes dans le secteur pétrolier et 556 millions d'Ouguiyas de plus que ce qui a été déclaré par les compagnies minières. Le rapport gabonais de 2006 a révélé une différence de 5, 693 milliards de FCFA entre ce qui a été déclaré par les compagnies et ce que l'Etat gabonais a perçu.

3 Dans le second rapport EITI du Gabon, Total Gabon, Total Participation et Shell Gabon n'ont pas remis à temps leurs données certifiées par un commissaire aux comptes. Celles-ci n'ont donc pas été prises en compte lors de la publication du rapport. Au Cameroun, le premier rapport publié en novembre 2006 n'a pris en compte que les compagnies suivantes : Total E&P Cameroun, Pecten Cameroun, Perenco Cameroun, Exxon Mobil Cameroun et SNH fonctionnement. Le second rapport quant à lui, publié en mars 2007, va considérer en plus de ces sociétés, Euroil Ltd, Addax Petroleum ; Noble; Turnberry Ressources INC; Tullow Cameroon LTD; Sterling Cameroon LTD ; RSM Production Corporation ; Société Nationale de Raffinage (SONARA). Par ailleurs, concernant les revenus pris en compte, le premier rapport de la Mauritanie n'a pris en compte que les redevances superficielles annuelles et les bonus. Dans le second, l'on y a ajouté les taxes rémunératoires, la redevance annuelle unique et d'autres dividendes versés à l'Etat.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

qu'elle s'insère entre deux zones d'ombre. Sur le spectre de l'activité extractive, EITI ignore les étapes de la signature des contrats et de l'utilisation post-transparence. L'on pourrait voir en l'initiative un projet rédhibitoire, un oripeau éthique dont la mise en oeuvre totale, sincère et intégrale ne suffirait pas à constituer un palier satisfaisant de l'éthique démocratique. L'on peut faire le pari que la réussite du processus de mise en oeuvre ne sera nullement synonyme de fin du paradoxe d'abondance, de corruption etc. A titre d'illustration, le Cameroun était en passe d'atteindre le statut de conformité de l'initiative au début de l'année 2009, traduisant ainsi le satisfecit du secrétariat international quant à la transparence des industries extractives dans ce pays. Cela aurait été juste car, le Cameroun remplit les quatre conditions requises à cet effet1et s'ouvre donc le chemin de la validation. Le 21 janvier 2010, madame Emma Irwin du cabinet Synergy Global Consulting/ IDL Group recrutée pour conduire le processus de validation de EITI au Cameroun a présenté son rapport au comité national. Malgré quelques remarques faites sur les entraves à la transparence dans les industries extractives, le pays s'ouvre peut-être la voie au statut de conformité lors du prochain conseil. Par ailleurs, la réunion du Comité EITI de la Guinée Equatoriale tenue le 30 janvier 2010 a permis le choix du cabinet Hart Nurse Limited pour conduire le processus de validation dans ce pays qui prépare encore son premier rapport par les soins du cabinet Deloitte.

Paragraphe II : L'incidence économique dans une conception holistique de l'éthique : la transparence des industries extractives dans la problématique du développement des peuples

La souveraineté est relative. Telle est l'antienne qui rythme ici la cérémonie non pas de requiem mais de célébration de la mue d'un concept cardinal dans la science des relations internationales. Cette relativité nous l'avons vu, est perceptible au travers de l'affirmation de l'actorat multiple qu'illustre fort bien l'actorité des firmes et des organisations non gouvernementales lato sensu dans la mise en oeuvre de la transparence des industries extractives, aux côtés des Etats seuls ou engagés dans l'intergouvernementalisme. Cette relativité se lit également dans la complexité des transactions qui s'opèrent entre ces acteurs différents, dans les espaces de gouvernance que fabrique la mondialisation où, l'irruption de

1 A savoir : avoir fait une déclaration officielle d'adhésion aux principes EITI, avoir désigné une haute personnalité du gouvernement pour conduire les opérations de mise en oeuvre, avoir mis sur pied une équipe multi-acteurs qui intègre l'Etat, les compagnies et la société civile et avoir publié des rapports sous une forme accessible. En même temps, il faut signaler que l'Azerbaïdjan qui est le premier pays jugé conforme, ne dispose pas de comité de mise en oeuvre au sens où l'entend le Livre Source et cela n'a pas empêché qu'il soit admis au statut de conformité.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

l'individu est au centre des attentions dans une révolution qui fait passer du monde statocentrique à un monde homocentrique. Dans ces espaces de gouvernance, la règle est la complexité et, l'irruption de l'individu est cause de l'arrivée des sentiments, des états d'âme et des misères de l'homme dans les agendas politiques mondiaux. Le chercheur en sciences sociales ne doit pas être indifférent à la morale qui en est corollaire. L'on assiste donc à un relatif renouveau paradigmatique qui associe à ce réveil éthique favorisé par la mondialisation et ses avatars, une cohabitation sereine et pacifique mais également fructueuse et heuristique entre la morale et l'intérêt. Par conséquent, le couple utopisme-réalisme gagne en pertinence.

Une fois que l'on a dit cela, le présent propos se révèle comme la suite logique dans l'ordre ainsi esquissé, d'un discours qui après avoir démontré l'affirmation de la multiplicité des acteurs et dans la foulée la création des espaces de gouvernances caractéristiques de la mondialisation et caractérisés par la complexité des transactions, la démocratie ayant été évoquée comme premier élément de méga-éthique sociale de l'ordre du politique, le développement s'invite donc comme le second élément qui est lui, du domaine d'abord économique. Deux mouvements rythment ce paragraphe. D'abord, le développement selon qu'il est compromis par des pratiques d'opacité, et en cela, les conflits et la corruption apparaissent comme les signes visibles de cette absence de transparence dans les industries extractives (A). Ensuite, un examen de la participation particulière de EITI dans ce qu'elle contribue à redresser la barre en vue du développement des Etats c'est-à-dire à la réalisation d'une mission morale, par le concours des ressources propres des Etats et de façon participative (B).

A. Les effets d'un manque de transparence dans les industries extractives

sur le développement des peuples ou la négation d'une morale de la

transparence comme explication de l'absence de développement

Il est urgent de sacrifier à un devoir : celui de dire à l'abord que le développement est bel et bien une de ces problématiques rattrapées par la mondialisation et la foule des individus qui la portent. Peut-on légitimement et pertinemment parler de développement aujourd'hui sans rendre raison de ce que son accomplissement n'est plus du seul ressort des Etats mais que les organisations non gouvernementales sont les mæstri apparents de la partition du développement sur lequel elles fondent leur légitimité et leur survie ? Comme indiqué plus haut, la mondialisation est créatrice de trois faits : les espaces de gouvernance qui se caractérisent par les transactions complexes en leur sein, animées par un actorat multiple et

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

l'éveil de la conscience éthique facilité par l'arrivée d'acteurs qui n'ont pas la froideur du Léviathan et la responsabilisation de l'Etat. Le développement est un des sujets débattus dans ces espaces. Et ce faisant, il est le reflet du projet éthique qui a fini par emballer même les Etats et les firmes extractives pourtant réputés par leurs comportements rationnels. Le déficit de transparence a hypothéqué le développement de plusieurs Etats. Dire que EITI est un signe du développement autrement, c'est penser que les facteurs de la stagnation du développement se dilueront devant l'ouverture des écluses de la transparence. Faut-il rappeler que le discours sur le développement dans cette section se justifie par l'écho du palier économique au palier politique, et davantage par la conviction de l'existence de la morale dans la politique mondiale1. Si l'on est convaincu de cette présence de la morale, et si au surplus on concède à la transparence des industries extractives quelque essence éthique, alors son évocation ne porte pas les stigmates de la digression. D'autre part, la logique qui préside à ce paragraphe est celle qui se fonde sur la conviction que le sous-développement est en partie lié à l'absence de transparence. EITI devient dès lors le signe d'une autre option de développement. Il faut pour cela s'en référer aux manifestations et autres signes visibles de l'absence de transparence.

La déshumanisation paradoxale de la société qui se construit autour du sacro-saint principe d'individualisme, a donné lieu à l'insouciance de l'autre. Comme le rappelle Daniel Bell : «L'idée fondamentale du modernisme, la tendance répandue dans la civilisation occidentale depuis le XVIe siècle est la suivante : l'unité de la société n'est ni le groupe, ni la corporation, ni la tribu, ni la cité, mais l'individu2 ». Cet état d'esprit fortement incrusté dans les habitus, a fini par rendre insensible devant la misère. La banalisation des pratiques de corruption et la vulgarisation des conflits à l'ombre de l'opacité dans certains régimes politiques sont la conséquence de cette individualisation poussée de la vie. Elles sont également une cause du paradoxe d'abondance qui exprime la négation de la morale de la transparence.

1 Comme le démontre Canto-Sperber, la morale est présente et pour ce qui concerne la transparence, la morale quoique ambiguë, est présente par le régime international des droits de l'homme donc aussi, du droit au développement. Canto-Sperber, op. cit. pp. 97-103.

2 Daniel Bell (1979) Les contradictions culturelles du capitalisme, Paris, PUF, p. 26.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Conflits

Corruption

Sous-
développement

Opacité/ manque de transparence

Figure 6 : le biais de la corruption et des conflits entre l'opacité et le sous-développement.

Après des décennies de guerre civile, ne pouvait-on pas s'attendre à une meilleure considération de la vie de l'autre au Soudan et en Angola ? Et pourtant l'opacité dans les industries extractives constitue un facteur potentiel de rechute dans la spirale de la guerre et donc, une unième compromission des chances de développement, malgré l'embellie qu'autorise les présences notables des puissances en quête de matières premières. Comme le révèle Global Witness1 pour le cas du Soudan, l'absence de transparence dans le partage des revenus de l'exploitation du pétrole entre les deux parties du pays est un facteur potentiel de résurgence de la guerre. En effet, conformément à l'accord de paix intégrale de Naivasha (Kenya) de janvier 2005, et précisément au protocole de partage des revenus signés le 7 janvier 2004, les revenus du pétrole doivent être partagés entre Khartoum et Juba. C'est parce qu'en partie, la guerre civile antérieure était nourrie par le greed que suscitent les énormes réserves pétrolières qui sont pour la plupart situées dans le sud Soudan2. L'absence de transparence va peut-être entraîner une recrudescence de la conflictualité qui obère les efforts de développement. Le postulat de la paix positive ne reçoit pas ici les faveurs des acteurs qui mettent en avant leurs intérêts immédiats. Le binôme opacité-conflit comporte donc un domaine de pertinence qui s'amplifie au gré des cas de figure.

La longue guerre civile angolaise a indubitablement été alimentée par les énormes ressources pétrolières et diamantifères du sous-sol de ce pays. L'absence de transparence a rendu possible l'usage à des fins guerrières, des revenus qui ont ipso facto, manqué de servir au développement du pays. La guerre civile congolaise de 1997, provoquée entre autre par la

1 Voir «Fueling the mistrust. The need for transparency in Sudan oil industry» Global Witness Report, September 2009.

2 Une semaine après la publication de ce rapport, le gouvernement de Khartoum à invité Global Witness à travailler avec lui dans le sens d'une gestion plus transparente desdits revenus. C'est peut-être le signe que conscient de l'inévitabilité de la guerre dans des conditions d'opacité, Khartoum souhaite dissiper la méfiance en s'ouvrant à un degré de transparence.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 236 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

collusion entre les firmes et le pouvoir politique de Brazzaville, démontra également que l'opacité dans la gestion des revenus du pétrole donne les moyens de s'armer et de soutenir l'effort de guerre. Même la fameuse loi 001/99 du Tchad qui a souvent été vantée pour son caractère pionnier dans la volonté de gérer avec transparence les revenus du pétrole en Afrique, a cédé devant la tentation de l'armement comme condition pour faire face à la conflictualité. Les attaques multiples des rebelles depuis le Soudan, dans la perspective justement de contrôler la manne pétrolière, ont causé en 2005 une révision de cette loi, la rendant moins transparente et en partie détournée des ambitions originelles, afin de soutenir l'effort de guerre. Au surplus, la violence par le fait des industries extractives n'est pas uniquement le corollaire des conflits provoqués et entretenus par la manne qu'elles génèrent. Une autre forme de violence est lisible au travers de la complicité entre les Etats et les firmes dans la violation des droits de l'homme. Cette fois-ci, il s'agit d'une violence d'Etat en direction des civils. Ainsi, Total et Chevron ont-elles été accusées par l'ONG américaine Earth Rights International en septembre 20091, d'être en même temps que la caution financière, mais également des alliées de la junte birmane dans les violations de droits de l'homme qui sont reprochées à ce régime, concernant précisément le projet gazier de Yadana. Avec 4,83 milliards de dollars dans des comptes des banques singapouriennes, notamment l'Overseas Chinese Banking Corporation (OCBC) et le groupe DBS, les sanctions internationales et autres embargos n'ont qu'un effet résiduel sur le régime. Les violations directes des droits par les travaux forcés imposés aux populations riveraines et le caractère douteux de l'étude d'impact environnemental et social réalisée par l'organisation américaine CDA sont une négation des droits primordiaux de l'homme, mais constituent également un frein au développement du pays. En bref, l'absence de transparence apparaît comme un facteur de sous-développement, par le truchement des conflits qu'elle favorise.

La corruption est l'autre élément justificatif du sous-développement, et qui a les faveurs de l'opacité. Le choix de ces deux éléments à savoir les conflits et la corruption est arbitraire, et vise à établir le lien entre l'opacité et l'absence de développement comme corollaire du rejet de la transparence par certains Etats. Ce qui concoure à démontrer la relation entre la transparence des industries extractives et le développement. Il faut cependant retenir de la corruption dans ce cadre, un sens large dans la logique de ce que Jean-Pierre Olivier de

1 «Total impact: The human rights, environmental, and financial impacts of Total and Chevron's Yadana gas project in military-ruled Burma (Myanmar)», A report by Earth Rights International, September 2009.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 237 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Sardan1appelle le « complexe de corruption » c'est-à-dire : « la corruption, le délit d'ingérence, les détournements de fonds, le népotisme, les abus de pouvoir, les malversations diverses, le délit d'initié, la prévarication, le trafic d'influence et les abus de biens sociaux ». Certains des palliers de cette perception de la corruption impliquent l'installation ou le positionnement des membres de la famille et des cronies à la tête des institutions qui gèrent les revenus des industries extractives ou simplement les mouvement des ressources du soussol. L'on pourrait ainsi comprendre la confiscation des revenus de la Guinée Equatoriale par le clan Obiang/Mongomo telle que dénoncée par l'APDHE ou les ONG Transparency International et le CCFD2 comme des cas de corruption partiellement explicatifs de l'absence de développement.

De même, des cas tels que la présence de Christelle Sassou Nguesso à la tête de la Congolaise de Trading (COTRADE) qui est une filiale de la SNPC, la possession d'actions dans la Sociedade de Hydrocarbonetos de Angola (SHA) par des proches du président Dos Santos relèvent du népotisme et du favoritisme qu'autorisent l'opacité et compromettent le développement des pays. En effet, la SHA est sous le contrôle de la SONANGOL. Cependant,

M. Manuel Domingos Vicente directeur de la seconde, est actionnaire de la première. De plus, des proches du président Dos Santos tels que le général Manuel Vieira Helder Dias Jr. (conseiller militaire du président), José Pedro de Morais Jr. (ministre des finances en 2007) et Leopoldino Fragoso do Nasciemento (ancien membre du gouvernement) sont actionnaires de la SONANGOL3. Dans ces conditions, il est difficile de promouvoir la transparence. C'est en partie ce qui a poussé la Banque Mondiale à demander une plus grande transparence dans la gestion de la SONAGOL en début octobre 20074. Car, en 2006, le pays produisait 1,5 millions de barils par jour, cette production devrait passer à 2 millions de barils par jour en 2008 et à 2,6 millions de barils par jour en 2011. En 2006, l'Angola a gagné plus de 30 milliards de dollars grâce à ses exportations de pétrole cependant, selon les rapports de la Banque Mondiale, 70% de la population vit avec moins de 2 dollars par jour, la majorité de ses

1 De Sardan J.P.O. « L'économie morale de la corruption en Afrique » Politique africaine n° 63, octobre 1996 p.16.

2 Le 23 septembre 2009, le président Obiang Nguema a intenté une action en justice contre le CCFD et Transparency International pour diffamation dans le cadre de l'affaire dite des « Biens mal acquis ».

3 «Angola: private oil firm has shareholders with same names as top government officials », Global Witness media briefing, 4 August 2009.

4 Jeune Afrique n°2440 du 14 au 20 octobre 2007, p.7.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

habitants n'a pas accès aux soins médicaux les plus élémentaires et près d'un enfant sur quatre meurt avant son cinquième anniversaire1.

La réalité de la corruption est palpable aussi dans certains procès ou dénonciation de la pratique par certains Etats. Même si certaines puissances restent muettes devant les actes de corruption, quoique certaines dénonciations portent des colorations utilitaires, l'on peut de façon prosaïque, penser que la dénonciation est la reconnaissance de l'existence du fait et d'ailleurs, les institutions de Bretton Woods estiment que la corruption est l'explication première de l'absence de développement dans ces pays riches en ressources naturelles. Ceteris paribus, la convocation de M. Christophe de Margerie le 21 mars 2007 par les policiers de la brigade de la répression de la délinquance économique de Paris, et sa mise en examen pour « corruption et abus de biens sociaux » par le juge Courroye est un procès contre la corruption. En effet, lors de la signature en 1997 du contrat pour l'exploitation du champ gazier South Pars en Iran, Total, Gazprom et Petronas auraient versé environ 60 millions d'euros aux dirigeants iraniens. Christophe de Margerie qui était à l'époque des faits directeur général Moyen-Orient, aurait participé à cet acte de corruption. L'on pourrait également évoquer l'enquête judiciaire dont fit l'objet la compagnie australienne Woodside pour corruption en 2007. M. Chriss Elisson alors ministre australien de la justice a engagé cette procédure contre Woodside, à qui il était reproché « d'avoir versé des pots-de-vin et de l'argent liquide à des responsables mauritaniens en échange d'avantages qui lui ont été accordés dans les contrats de partage de production pétrolière et d'autres marchés douteux2 ». Manifestement, les cas de corruption dans les industries extractives sont légion. L'intérêt en fait réside dans leur potentiel explicatif de l'absence de développement et de la prévalence du paradoxe d'abondance. Car, si les débats sur les causes de la permanence de la pauvreté dans des Etats aux sous-sols munificents se prolongent indéfiniment, l'on peut prendre au sérieux la corruption et les conflits dans ces joutes argumentaires. Et donc, penser que la réalité de la pauvreté comme corollaire de l'absence de transparence dans les industries extractives est palpable dans les données macroéconomiques des Etats membres de EITI.

1 Jeune Afrique n°2411 du 25 au 31 mars 2007, p. 42

2 Jeune Afrique n°2422 du 10 au 16 juin 2007, p.84.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 239 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Tableau 13 : les indicateurs du développement humain dans les pays mettant en oeuvre EITI en juillet 2009.

pays

Habitants

% de mortalité

Esp. De vie

%

alpha b.

%de mort. infantile

%de chôma ge

%de croissan ce

Dette publique

Pop. Sous le seuil de pauvreté

Albanie

3.639.453

5,44/1000

77,96

98,7

57,22/1000

12,5%

6,1%

51,2% du

25%

 
 
 
 

%

 

(2008)

 

PIB

 

Azerbaï

8.238.672

8,32/1000

66,66

98,8

54,6/1000

0,8%

11,6%

(5,2% du

24%

djan

 
 
 

%

 

(2008)

(2008)

PIB)

(2005)

Burkin

15.746.23

13,5/1000

52,95

21,8

84,49/1000

77%

4,5%

ND

46,4%

a Faso

2

(2008)

 

%

 

(2004)

 
 

(2004)

Camero

18.879.30

12,45/1000

53,69

67,9

63,34/1000

30%

3,9%

11,9%du

48%

un

1

(2008)

 

%

 

(2008)

(2008)

PIB

(2000)

Congo

4.012.809

12,28/1000

54,15

83,8

79,78/1000

ND

8,1%

ND

ND

 
 

(2008)

 

%

 
 

(2008)

 
 

Côte

20.617.06

11,17/1000

55,45

48,7%

68,06/1000

40-45%

2,7%

58,3% du

42%

d'Ivoire

8

(2008)

 
 
 

Avec la

(2008)

PIB

(2006)

 
 
 
 
 
 

guerre

 
 
 

Gabon

1.514.993

12,59/1000

53,11

63,2%

51,78/1000

21%

3,6%

26,3% du

ND

 
 

(2008)

 
 
 

(2006)

(2008)

PIB

 

Ghana

23.832.49

9,39/1000

59,85

57,9%

51,09/1000

11%

6,3%

66% du

28,5%

 

5

(2009)

 
 
 

(2000)

 

PIB

(2007)

Guinée

10.057.97

11,29/1000

57,09

29,5%

65,22/1000

ND

29%

ND

47%

 

5

(2008)

 
 
 
 

(2008)

 

(2008)

 

(Juillet

 
 
 
 
 
 
 
 
 

2009)

 
 
 
 
 
 
 
 

Guinée

633.441

9,72/1000

61,61

87%

81,58/1000

30%

11,2%

9,3% du

ND

Equator

(juillet

(2008)

 
 
 

(1998)

(2008)

PIB

 

iale

2009)

 
 
 
 
 
 
 
 

Kazakh

15.399.43

9,39/1000

67,87

99,5%

25,73/1000

6,9%

3%

9,1% du

13,8%

stan

7

(2008)

 
 
 

(2008)

(2008)

PIB

(2007)

 

(Juillet

 
 
 
 
 
 
 
 
 

2009)

 
 
 
 
 
 
 
 

Kirghizs

5.431.747

6,97/1000

69,43

98,7%

31,26/1000

18%

6%

ND

40%

tan

(Juillet

(2008)

 
 
 

(2004)

(2008)

 

(2008)

 

2009)

 
 
 
 
 
 
 
 

Libéria

3.441.790

21,45/1000

62,89

68,9%

138,24/100

85%

7,5%

ND

80%

 

(juillet

(2008)

 
 

0

(2003)

(2008)

 

(2000)

 

2009)

 
 
 
 
 
 
 
 

Madaga

20.653.55

8,32/1000

62,89

68,9%

84,2/1000

ND

7%

ND

50%

scar

6

(2008)

 
 
 
 

(2008)

 
 
 

(juillet

 
 
 
 
 
 
 
 
 

2009)

 
 
 
 
 
 
 
 

Mali

12.666.98

16,16/1000

50,35

46,44

102,05/100

30%

4,2%

ND

36,1%(2

 

7

(2008)

 

%

0

 

(2008)

 

005)

 

(juillet

 
 
 
 
 
 
 
 
 

2009)

 
 
 
 
 
 
 
 

Maurita

3.129.486

11,61/1000

60,37

51,2%

63,42/1000

30%

3,5%

ND

40%

nie

(juillet

(2008)

 
 
 

(2008)

(2008)

 

(2004)

 

2009)

 
 
 
 
 
 
 
 

Mongoli e

ND

ND

ND

ND

ND

ND

ND

ND

ND

Mozam

21.669.27

20,29/1000(

41,18

47,8%

105,8/1000

21%

6,5%

21,4% du

70%(20

bique

9

2008)

 
 
 

(1997)

(2005)

PIB

01)

 
 
 
 
 
 
 
 

(2008)

 

Niger

15,306.25

20,26/1000

52,6

28,7%

116,66/100

ND

5,9%

ND

63%

 

2

(2008)

 
 

0

 

(2008)

 

(1993)

Nigeria

142.229.0

16,88/1000

46,94

68%

94,35/1000

4,9%

6,1%

12,2%

70%

 

90

(2008)

 
 
 

(2007)

(2008)

du PIB

(20

 
 
 
 
 
 
 
 

(2008)

07)

Norvège

4.660.539

9,33/1000

79,95

100%

3,58/100

2,6%

1,8%

52% du

ND

 
 

(2008)

 
 

0

(2008)

(2008)

PIB

 
 
 
 
 
 
 
 
 

(2007)

 

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 240 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Pérou

29.546.96 3

6,16/1000

(2008)

70,74

92,9%

28,62/10 00

8,4%

(2008)

9,2%

(2008)

24,1% du PIB (2008)

44,5%
(2006)

RCA

4.511.488

18,04/1000

(2008)

44,47

48,6%

80,62/1000

8%

(2001)

3,5%

(2005)

ND

ND

RDC

68.692.5

11,88/1000

54,3

67,2%

81,21/1000

ND

8%

ND

ND

 

42

(2008)

6

 
 
 
 
 
 

Sao

212.679

5,98/1000

68,32

84,9%

37,12/1000

ND

5,5%

ND

54%

Tomé

(juillet

(2008)

 
 
 
 
 
 

(2004)

 

2009)

 
 
 
 
 
 
 
 

Sierra

6.440.053

22,26/1000

41,24

35,1%

154,43/1000

ND

6%

ND

70,2%

Leone

(juillet

(2008)

 
 
 
 

(2008)

 

(2004)

 

2009)

 
 
 
 
 
 
 
 

Tanzani

41.048.53

12,92/1000

52,01

69,4%

69,28/1000

ND

7,1%

22% du

36%

e

2

(2009)

 
 
 
 

(2008)

PIB

 

Tchad

10.329.20

16,39/1000

47,7

25,7%

98,69/1000

ND

1,7%

ND

80%

 

8

(2008)

 
 
 
 

(2008)

 

(2001)

 

(Juillet

 
 
 
 
 
 
 
 
 

2008)

 
 
 
 
 
 
 
 

Timor

1.131.612

6,02/1000

67,27

58,6%

40,65/1000

20%

4,7%

ND

42%

Leste

 

(2008)

 
 
 

(2006)

(2008)

 

(2003)

Yémen

23.822.78

7,83/1000

63,7

50,2%

54,7/1000

35%

3,2%

31,8%

45,2%

 

3

(2008)

 
 
 

(2003)

(2008)

du PIB

(2003)

 

(juillet

 
 
 
 
 
 

(2008)

 
 

2009)

 
 
 
 
 
 
 
 

Zambie

11.862.74

21,35/1000

38,63

80,6%

101,2/1000

50%

5,8%

25,7%

86%

 

0

(2008)

 
 
 

(2000)

(2008)

du PIB

(1993)

 
 
 
 
 
 
 
 

(2008)

 

Source : conçu à partir des données recueillies dans le site de la CIA www.cia.state.gov

Le tableau ci-dessus illustre bien que la pauvreté est une réalité et peut-être plus étonnamment, le signe du paradoxe d'abondance dans des Etats qui pourtant très riches en ressources naturelles, possèdent ces indicateurs alarmants du sous-développement. Certains pays tels que le Tchad, la Zambie, la Sierra Léone et le Nigeria ont plus de 70% de leurs populations vivant sous le seuil de pauvreté. Les taux de mortalité infantile sont très alarmants, et il existe des taux de chômage qui atteignent parfois 85% pour le Libéria en 2003 et 77% pour le Burkina Faso en 2004. Un regard attentif porté sur ces données informe sur le degré d'absence de développement dans les pays mettant en oeuvre la transparence des industries extractives. L'on ne saurait oublier que la plupart de ces pays ne disposent ni de la technologie appropriée pour l'exploitation des ressources dont ils regorgent, ni des capitaux requis et donc, sont dépendants des pays industrialisés. L'impérialisme moderne y trouve des éléments de sa mue en impérialisme post-moderne. En effet, comme le souligne Ankie Hookvelt1, la mutation de l'impérialisme se fait par l'entremise des acteurs privés de type ONG et firmes, qui contribuent à perpétuer la domination du centre sur la périphérie. Ce phénomène qui vide certains Etats de leur souveraineté tout en renforçant celle des autres, est créateur de sous-développement en tant qu'injustice induite par la quête de puissance des

1 Ankie Hookvelt «Globalization and post-modern imperialism » Globalizations, vol. 3, n°2, pp. 159-174 (2006).

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 241 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Etats. Au sein des Etats EITI, l'on ne peut ignorer l'existence d'une différence de classes quelques fois très marquée, qui dramatise l'inégalité de bénéfice des revenus des industries extractives. EITI porte donc des germes d'un développement qui se nourrit au creuset de la transparence dans la gestion des revenus des industries extractives.

B. L'initiative de transparence des industries extractives : un espace de gouvernance pour un développement repensé.

Le rappel des objectifs du lancement de l'initiative de transparence des industries extractives peut paraître superflu, au vue du temps et de l'espace consacrés à la démonstration des fortunes relativisées de la souveraineté dans cet espace de gouvernance. Cependant, pareil préalable tire son importance de la nécessité de ne pas suspendre dans un vide idéel, le propos visant à dire l'intimité entre le développement, le réveil de la conscience éthique répandue dans l'ère de la mondialisation et EITI. Que l'on se souvienne que parmi les problématiques qui ont rendu impérative une telle initiative, figure le sous-développement. Le paradoxe de l'abondance a suffisamment déjoué les pronostics des planificateurs du développement et les entrepreneurs de l'aide, pour que la solution fut imaginée comme résidant dans l'amont de la chaîne de production des ressources. Ainsi, l'indisponibilité des ressources propres des Etats sous-développés qui paradoxalement sont des pourvoyeurs mondiaux de matières premières pour bon nombre d'entre eux, explique que l'exclamation ait viré à l'interrogation. Que faire pour développer le monde ? Il va sans dire que cette question est éminemment éthique dès lors que l'on considère que développer c'est procurer du pain, des soins, de l'éducation, de la sécurité, de la commodité de vie à sinon tous, du moins à la majorité de la population du monde. Parce qu'elle répond à cette question, EITI est donc sur le plan économique une initiative éthique. Quand on a dit cela, il reste à démontrer ce que cette initiative éthique apporte de nouveaux dans les schèmes de développement, après l'échec devenu quasi-naturel des politiques pensées de l'extérieur.

De même, l'inefficacité quelques fois relevée des plans d'aide conçus de l'extérieur et financés de l'extérieur mais surtout, leur « inadaptabilité » qui se donne à voir quelque fois dans leur inefficacité, rendrait pertinent le slogan du développement autrement1. Peut-être estil temps de mettre fin à l'ingénierie du développement qui procure des plans pré-faits dans l'optique de les appliquer dans les horizons autres. Pour ces raisons et parce que la conviction

1 Cristina Rojas, art. cit.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

que la mise en oeuvre de l'initiative de transparence des industries extractives est d'abord et aussi une oeuvre éthique, ce propos se greffe autour de l'idée que EITI est avec d'autres espaces de gouvernance, le lieu de la reconsidération des schémas de développement. Ce, pour dire que comme la démocratie, le développement est une problématique éthique telle qu'en impose la mondialisation et il s'agit de problématiques qui sont spécifiques par la multi-actorité qu'elles affirment, par les transactions multiples et complexes qu'elles favorisent et par l'impossible discrimination des questions éthiques qu'elles induisent. In fine, le développement tout comme la démocratie est une problématique éthique qui permet de se rendre à l'évidence que la souveraineté s'est transformée, elle se préoccupe au passage du sort de l'humanité en se dépouillant de son goût très poussé pour la puissance.

L'initiative permet à l'Etat de disposer des ressources de son développement. La dispersion des revenus issus des industries extractives dans les multiples couloirs de la corruption et leur gaspillage dans les conflits armés ont constitué un frein au décollage économique des Etats. La réussite de l'initiative aurait le mérite de procurer désormais aux pays en développement les moyens de leurs industrialisations. D'ailleurs à ce propos, l'initiative PPTE a démontré la capacité des Etats à disposer des fonds. Fait étonnant cependant, le développement des Etats pauvres s'est souvent appuyé sur des fonds escomptés de l'aide extérieur. Or, tous les Etats candidats à EITI ont en partage d'abriter d'immenses richesses extractives. C'est la condition sine qua non de leur appartenance à l'initiative. Selon les données de EITI présentes sur le site de l'initiative1, au Gabon 60% des revenus proviennent des hydrocarbures qui constituent 80% des exportations du pays et 45% du PIB. Au Ghana, l'or compte pour 34% des exportations du pays et 12% du PIB. En Guinée, la bauxite et l'aluminium représentent 18% des revenus, 94% des exportations et 20% du PIB. Au Kazakhstan les hydrocarbures représentent 21% des revenus, 50% des exportations et 22% du PIB. En Mauritanie, le fer apporte 11% des revenus, constitue 50% des exportations et 18% du PIB. En Mongolie, les ressources extractives représentent 46% des exportations et 24% du PIB tandis que le Nigeria tire 77% de ses revenus des hydrocarbures qui constituent 96% des exportations et 44% du PIB du pays... De plus, si l'on considère les recettes déclarées par les Etats au titre des rapports de conciliation des chiffres et volumes tels qu'exigés par la mise en oeuvre de EITI, l'on se rend à l'évidence que les ressources endogènes aux Etats en développement sont de nature à favoriser un développement auto-centré. Le rapport de conciliation du Cameroun

1 Voir www.eitransparency.org

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

pour l'année 2004 révèle que le gouvernement a perçu de la part des compagnies pétrolières en cette année 203.483,54$. Le Gabon au cours de la même année aurait récolté 1.805.653$1. Le rapport de conciliation du Libéria publié en février 2009 révèle que l'Etat a perçu 29.443.339 $ en 2008 au titre de l'exploitation des ressources extractives et forestières2. Le survol des revenus déclarés de l'exploitation des richesses du sol et du sous-sol montre un flux important de revenus. En prenant pour vrais ces chiffres, c'est-à-dire en minorant le fait de la rémanence de l'opacité que traduisent les écarts constatés entre les déclarations de paiement des compagnies et les déclarations de recettes des Etats, l'on peut penser que la présence de ces ressources ayant une histoire antérieure à EITI, le fait novateur est que de par son but, l'initiative permet de rendre disponibles les revenus comme condition nécessaire au projet de développement. Il s'agit de penser en réalité que, la portée éthique de EITI se laisse voir aussi dans son originalité par le fait de vouloir le bien-être des peuples, et de les y associer par ce premier niveau c'est-à-dire l'usage de leurs ressources propres. C'est un premier coup porté au messianisme et à l'illusion d'un développement exogène portée par la négligence de la realpolitik des Etats qui ont fini par installer le syndrome du mal développement comme une pandémie incurable. Par ce premier fait, EITI est l'occasion d'un autre développement. La responsabilité internationale n'est pas écartée, mais elle vient en renfort à un effort entrepris par les acteurs concernés au premier chef.

Ensuite, le caractère multi-acteurs de l'initiative sonne le glas des politiques de développement conçues et portées par les institutions gouvernementales ou intergouvernementales uniquement. Si l'on considère que nul ne peut planifier le développement sans en avoir les moyens, alors l'initiative selon qu'elle est quête de sécurisation des ressources du développement des Etats, parce qu'elle sacralise l'actorat multiple à tous les moments de sa mise en oeuvre, promeut un développement participatif. Par le jeu des représentations et de la responsabilité, ce sont les voix de l'ensemble de la population mais surtout celle des oubliés de la mondialisation qui sont portées en écho. Ce faisant, le développement devient une affaire de tous car les incidences de son absence sont totales. L'on peut penser que l'implication de tous les membres de la communauté de la transparence dans la quête du développement est également un gage de réussite. L'étroitesse des canaux d'aide au développement a été un facteur de distraction des fonds d'aide. Si la

1 Voir le rapport de l'expert indépendant EITI 2005 pour le Gabon.

2 Il faut dire que le Liberia est le premier pays à avoir effectivement incorporé les revenus de l'exploitation forestière dans le processus EITI.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

transparence sécurise les avoirs propres d'un Etat, il faut prendre au sérieux le rôle de la multi-actorité dans la pensée d'un développement endogène. En somme, EITI est une initiative éthique parce qu'au plan du développement, elle recherche d'une manière originale et différente, la commodité de vie des populations.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Chapitre 4: Vers l'« éthique de la conviction responsable » dans la structuration de
l'interaction au sein de l'EITI : l'exaltation du paradigme de l'intérêt ou la transparence
spécieuse

Les relations sociales sont caractérisées par la prévalence des rationalités différentes qui privilégient les intérêts des acteurs. Cette réalité qui a justifié la conviction d'un pessimisme anthropologique chez Machiavel est un des éléments transversaux de l'humanité, au-delà des siècles et de leurs spécificités. Il s'agit manifestement d'un trait de l'ipséité humaine ab homini condita et dont la rémanence a partie liée avec l'instinct de l'avoir perpétuel. A l'échelle des groupes sociaux, la transposition des comportementalités idiosyncrasiques n'a pas manqué de peindre les interactions de la couleur des « valeurs » propres aux hominiens. Rien d'étonnant donc que les interactions sociales soient utilitaires. La transparence des industries extractives est un espace témoin de la communautarisation des efforts des groupes sociaux essentiellement différents de par leurs visées, leur ontologie et leurs visées téléologiques. A l'instant de l'observation des transactions qui prévalent entre les trois angles de la triangulaire complexe autour de la transparence des industries extractives, deux éléments d'apparence incompatibles vont servir de gouvernail pour aider à la préservation de la cohérence de cette étude. L'intérêt et la morale constituent par l'illusion de leur opposition quintessencielle, la souche de ce chapitre qui met en scène la place de la morale dans la formation des intérêts des acteurs1. C'est la consécration de la réalité d'une « éthique de la responsabilité convaincue » ou d'une « éthique de la conviction responsable ».

Ce chapitre est bâti autour de l'idée de l'existence d'une multitude de transactions complexes entre les Etats, les ONG et les industries extractives, transactions rythmées par la recherche de l'intérêt par-delà le discours qui frise la promotion de la norme morale de la transparence. Aussi, l'Etat sera le maître du jeu (section I), essayant avec plus ou moins de succès de diriger en sa faveur les interactions avec les deux autres acteurs mais aussi avec ses alter ego ; les acteurs privés seront examinés dans les transactions dont elles structurent également la dramatisation en tant qu'acteurs rationnels (section II).

1 Ariel Colonomos, La morale dans les relations internationales, op. cit.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Section 1 : « L'Etat n'a pas d'ami... » : Une lecture statocentrée de l'initiative de transparence des industries extractives

Une vingtaine de pays africains mettent en oeuvre les principes de l'initiative aux côtés d'Etats asiatiques, latino-américains et européen. A quoi se rapporte dans ce cas l'examen de la structuration par l'Etat des liens utilitaires dans cette initiative ? Le préalable de la mêmété de sens de l'Etat est-il établi ? Deux devoirs méritent d'être sacrifiés, avant tout propos en profondeur tendant à démontrer la prévalence de l'intérêt dans cette section. Primo facie, faire la reddition de compte de l'impertinence du nominalisme dans la manipulation du concept « Etat ». Secundo, procéder à la réhabilitation de l'Afrique comme objet pertinent et équivalent aux autres blocs régionaux dans la science des relations internationales. Le premier devoir est lésé en raison du trop grand index mis sur lui dans la partie consacrée à la démonstration de la qualité d'acteur de l'Etat. Quant au second, il mérite une attention soutenue. La réhabilitation de l'Afrique mérite attention en raison du nombre de ses Etats parties-prenantes à l'Initiative, et par la caractère caduc que revêtirait une étude des relations internationales qui porte sur un continent longtemps méconnu par la théorie des relations internationales dont nous avons fait l'option d'usage, le réalisme notamment1.

En posant comme postulat que l'Afrique est désormais équivalente aux autres blocs régionaux dans la théorie des relations internationales, en présumant sur la base de cette équivalence que l'Asie et l'Amérique latine sont pareillement considérées par la théorie, l'on peut donc pertinemment examiner l'interpénétration des systèmes étatiques (paragraphe I) au sein de EITI, dans l'optique d'une quête de l'intérêt avant d'envisager l'instrumentalisation par l'Etat des acteurs privés dans le même but (paragraphe II).

Paragraphe I : Le sacre de l'intérêt ou le scepticisme éthique : le fondement utilitaire du lien interétatique dans la transparence des industries extractives.

L'un des espaces de divergence entre Raymond Aron et Hans Morgenthau à savoir le point central du réalisme qui est la puissance pour le premier et l'intérêt national pour le second, n'abrase pas le développement d'une pensée autour de l'idée que la transaction entre les Etats dans l'initiative est nourrie par la quête de l'intérêt ou de la puissance. D'ailleurs, les deux

1 A ce sujet lire Sindjoun L. « L'Afrique dans la science des Relations Internationales : notes introductives et provisoires pour une sociologie de la connaissance internationaliste » Revue africaine de sociologie, vol.3, n°2, pp. 142-167, 1999.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

sont interchangeables et, le débat sur la formulation lexicale du motif utilitaire qui met en branle les Etats ne peut que distraire de l'essentiel. Le parti pris weberien dans ce paragraphe se justifie par la conviction que l'Etat entre en interaction avec ses pairs dans la politique internationale, dans le but de maximiser sa puissance ou l'intérêt national. Cela dit, à l'image des sceptiques tels que Hans Morgenthau et Thomas Hobbes, l'on considère que la transparence des industries extractives vise prioritairement la poursuite des intérêts pour les deux catégories d'Etat qui y sont impliquées. Dans cette perspective, l'économie est considérée comme un facteur de puissance au service des Etats1. Ce d'autant plus que, la norme une fois qu'elle est adoptée devient polysémique2 et cette mollesse sémantique autorise son objectivation pour les intérêts multiples et variés.

A. L'Etat-soutien à EITI et les délices de la transparence des industries extractives

Nombre d'idées peuvent trahir l'élan utilitaire de l'engagement des Etats-soutien à l'Initiative. Il s'agit des objectifs spécifiques qu'ils peuvent atteindre du fait de leur engagement dans EITI et la liste présentée dans cette étude n'a aucune prétention à l'exhaustivité.

1. La préservation et l'expansion des zones d'influence

Les rivalités entre les puissances mondiales autour des marchés captifs et des sources d'énergies, constituent l'une des explications des tensions dans la politique internationale. L'état de nature hobbesien est alors dans le cas des industries extractives, la résultante d'une compétition à somme nulle autour des ressources non renouvelables. Cependant, la civilisation des moeurs internationales interdit dans une certaine mesure le conflit armé entre les démocraties3. A la suite de Tzvetan Todorov, l'on peut dont considérer que « la défense de

1 Dans la lignée des travaux des auteurs réalistes tels que Robert Gilpin. Lire notamment Gilpin Robert, (1987) The political economy of international relations, Princeton: Princeton University Press.

2 Kersberger Kees Van et Verbeek Bertjan « The politics of international norms: subsidiarity and the imperfect competence regime of the European Union » European Journal of International Relations, vol. 13, n°2, pp. 217- 238 (2007).

3 Les puissances dont les multinationales sont en compétition dans les pays riches en ressources extractives, sont des démocraties à des degrés divers. Or, la multiplication des démocraties est un frein à l'état de nature qui justifie la survenue de la guerre. C'est l'idée de la pax democratica qui est ainsi promue dans cette école de pensée qui explique l'obsolescence de la guerre par la multiplication des démocraties. Lire par exemple: Russet Bruce (1993), Grasping the Democratic Peace. Principle for a Post-cold War World, Princeton: Princeton University Press; Vennesson Pascal, «Renaissante ou obsolète? La guerre aujourd'hui» Revue française de

science politique, vol. 48 n° 3-4 (juin-août 1998) pp. 515-533, mais plus particulièrement, les pages 516 à522 l'auteur présente sa pensée sur la paix démocratique et l'accompagne d'une critique.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 248 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

l'intérêt national et de la sécurité n'a rien de déshonorant ; quand elle peut coïncider avec la promotion des régimes libéraux ailleurs, c'est encore mieux1 ». S'interrogeant sur la pertinence de l'usage de la guerre préventive dans la poursuite de l'hégémonie mondiale, Todorov estime que les objectifs de sécurité et de défense des intérêts nationaux peuvent mieux être poursuivis par cette stratégie qui allie les objectifs vitaux des Etats aux idées libérales qui se greffent sur la morale. C'est cela même que Joseph Nye appelle le « pouvoir en douceur » (soft power)2. La poursuite des objectifs de puissance par la promotion des valeurs démocratiques et morales qui sont en soi, exemptes de toute coloration de puissance et d'hégémonie.

Le projet de transparence dans les industries extractives permet alors aux Etats qui soutiennent l'Initiative de contrer par exemple la montée en puissance de la Chine et des nouvelles puissances telles que les NDASE3 qui quelques fois, fondent leur quête de ressources minérales et minières sur le mépris de la morale. Pour les Etats qui se seront ralliés à la norme de la transparence telle que promue par l'occident, ils devront se voir indiquer les termes de référence, la conduite et même les canons de la transparence. De plus, la sécurité énergétique est un module central dans la sécurité nationale des Etats et, la crainte de perdre les prés carrés devant l'assaut des puissances émergentes et dans le contexte de la mondialisation, impose le changement d'approche dans le rapport aux Etats riches en ressources minérales. La transparence devient alors un prétexte pour les uns qui veulent conserver leurs aires d'influence et les autres qui y fondent leur intrusion dans les espaces géopolitiques occupés. Dans toutes les possibilités, l'on ne peut minorer l'aspect particulaire de la politique étrangère des Etats qui est animée de logiques multiples et diverses. La prise en compte du fait satellitaire dans la détermination de la politique étrangère des Etats qui soutiennent EITI, permet de nuancer l'assomption d'une poursuite de l'intérêt national par le seul fait de la transparence. Si la transparence est une modalité, il en existe certainement d'autres. Aussi, convient-il de rappeler que ce propos ne résume pas à la transparence des industries extractives l'ensemble des stratégies de préservation et de conquête des zones

1 Todorov Tzvetan (2003) Le nouveau désordre mondial ; réflexion d'un européen, Paris : Robert Laffont, p.26

2 A propos du soft power, lire Nye Joseph (1992) Le leadership américain : Quand les règles du jeu changent, Nancy : Presses universitaires de Nancy ; Nye Joseph Jr. « Public diplomacy and soft power » The Annals of the American Academy of Political and Social Science, n° 616, pp. 94 -109 (2008). On peut également lire les travaux de Ernest Wilson qui dans une approche développée et améliorée, parle désormais de smart power, c'està-dire une conjonction du hard et du soft power. Wilson Ernest J. « Hard Power, Soft Power, Smart Power », » The Annals of the American Academy of Political and Social Science, n° 616, pp. 110- 124 (2008).

3 Les Nouveaux Dragons d'Asie du Sud-Est.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 249 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

d'influence, elle est simplement une parmi tant d'autres, l'expression du choix du soft power dans certaines conditions de politique étrangère.

2. Action rhétorique : la transparence des industries extractives ou la « quête

intéressée d'un nouvel humanisme » au service de la sécurité des Etats.

A l'instar de Dionyssis Dimitrakopoulos1 qui explique par l'adoption de certaines normes par les acteurs, la quête des intérêts personnels, l'on peut appréhender la transparence des industries extractives comme une action rhétorique c'est-à-dire « strategic use of norms based arguments ». L'adhésion à une norme en raison du gain qu'il procure aux acteurs, notamment aux Etats comme le relève Bertrand Badie2. L'Etat sera à ce propos appréhendé comme un acteur unitaire, uniquement pour des besoins d'analyse tant il est illusoire de considérer que derrière le vocable `Etat' il s'agit d'une intelligence unique qui s'échapperait des courants foisonnant au sein des structures de gouvernements. Une fois que ce préalable est établi, l'on peut arguer que les impératifs sécuritaires sont également au fondement de l'adhésion des Etats-soutien à l'initiative. La transparence devient un mécanisme qui constitue une solution pour les problèmes de sécurité des Etats à l'ère de la globalisation des menaces qui implique par effet de levier, une globalisation des stratégies de solution, surtout que les frontières ne constituent plus des cloisons étanches. Badie dit à ce propos : « au-delà de ce nouveau regard utilitaire porté sur la démocratie, c'est bien une nouvelle vision à la sécurité qui s'impose. Une nouvelle culture stratégique se construit sur les dépouilles du système bipolaire ; elle est constituée d'idées nouvelles, de perceptions inédites, de significations réinterprétées : la sécurité se détache de plus en plus des considérations territoriales et stato-territoriales ; elle s'émancipe d'une référence militaire qui, au temps de la guerre froide, se voulait monopolistique ou, du moins, dominante3 ».

Si « the quest for transparency is inevitably resisted by power holders in the name of security 4», ce qui augure de la méfiance des sujets à la transparence, celle-ci en tant

1 Dionyssis Dimitrakopoulos « Norms, strategies and political change: Explaining the establishment of the Convention on the future of Europe » European Journal of International Relations, vol. 14, n°2, pp. 319-342 (2008).

2 Badie B. La diplomatie des droits de l'homme, op. cit. Notamment le chapitre IV

3 Badie B., idem, p. 124.

4 Robertson R. (2007), «Open societies, closed minds? Exploring ubiquity of suspicion» Globalizations, vol.4, n°3, p. 401.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

qu'idéologie1 soulève l'interrogation de son usage. Celui qui se fait transparent au-delà de l`acceptable s'expose à la vulnérabilité de même, celui qui promeut la transparence peut ipso facto accéder aux arcanes des Etats de la mise en oeuvre pour défendre sa sécurité nationale. Il y a donc un lien entre la transparence et la sécurité. Le lancement de EITI en 2002, dans les heures chaudes de la lutte contre le terrorisme global inspire une pensée de l'usage des normes pour des buts de sécurité nationale et de géopolitique. Si l'on considère par exemple la région du Golfe de Guinée qui s'illustre par son intérêt stratégique actuel, les leçons de l'aventure américaine au Golfe arabo-persique incitent à plus de responsabilité de la part des dirigeants, en vue d'éviter le mécontentement populaire qu'induit le sentiment de ne pas bénéficier des revenus de ressources de son pays. Aussi, le changement de stratégie des américains après le 11 septembre prend-il en compte la satisfaction des « alliés silencieux », satisfaction que peut procurer la transparence des industries extractives. L'immensité des revenus que génèrent les industries extractives et le degré d'évasion desdits revenus constituent des motifs de crainte pour les Etats qui combattent les réseaux terroristes. En effet, le terrorisme et les coups d'Etat s'abreuvent à la source des financements occultes que favorisent les détournements divers opérés dans les Etats faiblement institutionnalisés. Il est de bonne guerre de s'inquiéter des usages que l'on pourrait faire des fonds déviés des caisses de l'Etat. La déstabilisation de certaines régions telles que le golfe de Guinée par des pouvoiristes dotés de moyens colossaux mettrait à mal la stratégie de diversification de l'importation du pétrole mise en place par les puissances occidentales2.

La spécificité de cette initiative qui promeut le développement autrement3 interpelle à plus d'un titre. L'opacité a été un mode de gouvernement encouragé par l'occident pendant des décennies car elle a permis la pérennisation des régimes fidèles à la tête des Etats dont les sous-sols sont stratégiques pour les puissances occidentales. D'où vient-il donc que ces mêmes puissances montrent un intérêt soudain pour le développement de ces entités qui hier n'inspiraient pas un impératif d'évolution ? Le réalisme des Etats a-t-il cédé la place à

1 Au sens boudonien du terme c'est-à-dire dans la conscience que l'homo ideologicus n'est pas aussi irrationnel qu'on le pensait. Celui qui promeut une idéologie poursuit des objectifs mais comme on le verra par la suite, celui qui est exposé à l'idéologie n'est pas irrationnel, il adhère à une idéologie en raison des rentes de l'idéologie. Boudon Raymond (1986) L'idéologie, Paris : Fayard.

2 Nous avons dans le cadre de notre mémoire de DEA montré comment le souci de cette diversification des sources énergétiques par les USA favorise la sécurisation des pays qui à l'instar des Etats du Golfe de Guinée, possèdent des ressources convoitées par le pays de l'oncle Sam. L'une des stratégie est la promotion de la démocratie pour sécuriser les intérêts du pays dans les régions lointaines, afin d'éviter leur irruption dans les Etats-Unis.

3 Rojas Christina, (2007) «International political economy; development otherwise», Globalizations, vol. 4, n°4, pp 573-587.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 251 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

l'humanisme ? « Les normes ne peuvent pas être séparées de la rationalité...et le tournant vers la pensée idéationnelle n'est pas nouveau 1» rappellent Finnemore et Sikkink. En réalité, EITI est un espace fabriqué par l'Etat et accueilli par ce dernier pour poursuivre ses intérêts vitaux. Par cette initiative, l'Etat du Nord utilise la tactique du « larvatus prodeo »2, opérant ainsi une mutation de sa politique étrangère.

3. La `nouvelle raison d'Etat' ou l'international comme compensation des carences internes

La promotion de la transparence des industries extractives sonne comme un évitement quelques fois des problèmes internes ou bien, comme la recherche d'une légitimité postiche tissée dans les fibres du rayonnement international. Parce qu'il arrive que des gouvernements en crise de popularité aillent jouer sur la scène internationale la carte du relookage, ainsi la transparence des industries extractive offre par la célébration d'un humanisme rédempteur, le tabernacle du salut de certains dirigeants en panne de légitimité. Lorsque le Premier Ministre britannique Gordon Brown se retrouve avec une côte de popularité dont les instituts d'enquête d'opinions disent qu'elle n'excède guère 24%, celui-ci mise sur l'organisation du sommet du G-20 que son pays a abrité le 02 avril 2009 et promet d'organiser avant la fin de la même année un autre sommet. L'on peut soupçonner derrière cette mise en avant, quelque tentative de relance de sa popularité, en jouant sur la fibre de la moralisation du capitalisme qu'incidemment la tenue et l'étendue de ce sommet visaient. Dans ce cas, il s'agirait de la dramatisation d'une tactique politique dont les fruits escomptés sont un redécollage dans les sondages et une nouvelle santé de la popularité. Ce cas de figure illustre la prévalence de ce que Klaus Dieter-Wolf3 appelle la « nouvelle raison d'Etat ». La coopération intergouvernementale devient donc une nouvelle raison d'Etat qui permet aux dirigeants d'échapper aux contraintes domestiques surtout lorsqu'elles leur sont défavorables. L'examen de l'initiative de transparence des industries extractives permet de se rendre à l'évidence de la similitude avec les situations de nouvelle raison d'Etat. En prenant le soin d'éviter une étude d'impact de la délégation collusive sur les processus de démocratisation, à la suite de Mathias

1 Finnemore M. et Sikkink K. (1998), art. cit. pp. 888-889.

2 « J'avance masqué », phrase empruntée à René Descartes qui en avait fait sa devise.

3 Certes, il utilise le concept pour dénoncer par le fait de la `délégation collusive', les entraves à la démocratie car, cette délégation collusive se fonde sur le contournement des parlements et donc, préserve les gouvernants du contrôle parlementaire. Mais, c'est l'aspect qui met en relief la quête d'un souffle nouveau dans les couloirs de la coopération intergouvernementale qui retient l'attention ici. Klaus Dieter Wolf «The new raison d'Etat as a problem for democracy in world society », European Journal of International Relations, vol. 5, n°3, pp. 333-363 (1999).

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Koenig Archibugi1, l'on peut poser l'hypothèse de la durabilité de EITI en tant qu'institution internationale fondée sur la nouvelle raison d'Etat. Le soutien d'une initiative qui promeut la valeur morale de la transparence dans les industries extractives est potentiellement source d'un capital interne de popularité.

Mais par extension, les retombées symboliques de l'engagement dans l'initiative peuvent pareillement constituer une véritable aubaine de communication des Etats, dans l'optique d'une séduction des nations abris des ressources extractives. L'adhésion et le soutien à l'initiative sont de ce point de vue une opération de séduction d'un peuple dont l'antipathie profite aux puissances rivales. En témoignent, les multiples contrats accordés aux chinois, américains, indiens... par des pays qui jam dies ne pouvaient entreprendre pareille initiative sans que le régime n'essuie les foudres de Paris. La république du Congo sous Pascal Lissouba a connu une guerre civile dans les années 1990, une guerre dont le vecteur était la rivalité pétrolière nourrie par la prétention d'une préemption française sur le pétrole congolais. L'octroi par le gouvernement congolais de quelques contrats à des compagnies américaines2 à la faveur de la mise en exploitation de N'kossa et Kitchina a servi de prétexte à l'armement du général Denis Sassou Nguesso, plongeant le pays dans une guerre civile dont il porte encore aujourd'hui les stigmates.

4. La transparence au service de la prévention des conflits armés

La considération des transactions entre les Etats dans la triangulaire complexe donne l'occasion de constater que la transparence des industries extractives permet également aux Etats-soutien de juguler l'expansion de la conflictualité dans les Etats de la mise en oeuvre. Que l'on se souvienne qu'au nombre des causalités de la conflictualité, figure en bonne place la course pour les ressources naturelles mais, avec les conflits comme corollaire de l'incompatibilité des appétits et flamme maintenue par les ressources extractives, les objectifs des politiques étrangères des puissances du monde développé sont menacés de péril. En effet,

1 Koenig Archibugi souscrit à la pertinence de la délégation collusive mais se détourne de l'évaluation de son impact réel sur la démocratisation. Koenig Archibugi Mathias « International governance as new Raison d'Etat? The case of the EU common foreign and security policy » European Journal of International Relations, vol. 10, n°2, pp. 147-188 (2004). L'on peut également lire les travaux de Judith Goldstein sur l'application de la nouvelle Raison d'Etat au sujet de l'Accord de Libre Echange entre les USA et le Canada en 1988. Goldstein, Judith «International Law and Domestic Institutions: Reconciling North American «Unfair» Trade Laws», International Organization vol. 50, n°4, pp. 541-64, (1996).

2 Au sujet de la rivalité franco-américaine autour du pétrole africain, lire Douglas Yates « Oil and the francoamerican rivalry in Africa » papier présenté au colloque l'Afrique, les Etats-Unis et la France, Bordeaux, 22-24 mai 1997.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

la transnationalisation des conflits du fait de l'activité des entrepreneurs de la conflictualité1 menace les enjeux stratégiques et géopolitiques des Etats-soutien. Les guerres autour des ressources extractives démentent l'espérance de Philippe Braud qui se cristallise sur la fin de la guerre privée comme facteur du décollage économique. Il affirme qu' : « au contraire, c'est la fin des guerres privées, le retour à un minimum de sécurité, l'émergence de pouvoirs politiques moins prédateurs qui conditionnent un décollage économique durable2». Certes l'auteur s'inscrit dans une logique propre à Charles Tilly, expliquant l'avènement de l'ordre par la violence. La violence devient alors créatrice d'ordre et de l'état de société. Mais, l'entretien de cette ligne réflexive ne devrait pas marginaliser l'évidence des conflits déstructurants dans les aires de faible gouvernance. Ceteris paribus, la transparence des industries extractives permet de juguler la conflictualité par moult mécanismes. D'abord, par la traçabilité des revenus dont on peut garantir désormais qu'ils ne serviront pas à l'achat des armes nécessaires pour la survenue des conflits armés. Ensuite, il sera vain pour une rébellion d'éclater dans le but de contrôler la manne pétrolière et minière si les canaux de la gestion sont devenus totalement transparents. Le projet de distraction des revenus s'inscrira alors dans l'ordre de l'illusion. Ceci est toutefois conditionné par l'implémentation effective de l'initiative. La purification des structures domestiques d'un Etat de mise en oeuvre permet aux Etats dont les compagnies sont investies dans l'exploitation des ressources, d'avoir la tranquillité que procure un Etat au facteur risque zéro. L'influence visée sur la politique des Etats de la mise en oeuvre relativement aux questions de résolution des conflits passe par deux facteurs selon l'ordre de Thomas Risse-Kappen3. En effet, les Etats qui soutiennent l'initiative, étant inscrit dans une logique de l'actorité transnationale, s'appliquent donc à eux les préalables d'accession aux systèmes politiques des Etats de mise en oeuvre et de contribution aux coalitions gagnantes pour changer les décisions, dans le sens de l'adoption de l'EITI comme source potentielle de pacification de l'atmosphère conflictuelle qui caractérise les Etats dotés de ressources extractives. In fine, la forclusion de la conflictualité sert les intérêts autant des Etats-soutien que ceux de la mise en oeuvre. Toutefois, le présent espace étant prioritairement aménagé pour la démonstration des bénéfices qu'en tirent les premiers, il est de bonne guerre de minorer l'incidence utilitaire de la transparence sur les

1 En effet, comme l'a démontré William Reno, l'émergence des warlord dans les Etats aux structures institutionnelles fragiles dépend pour partie des entrepreneurs de la conflictualité qui défient les frontières nationales pour s'inscrire dans la transnationalité ce, grâce à la globalisation de l'économie. Reno William, op. cit.

2 Braud Philippe (2004) Les violences politiques, Paris : Seuil, p. 8.

3 Risse-Kappen Th. (1995) (Eds.) Bringing transnational relations back in, Cambridge: Cambridge University Press, p. 25.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Etats de la mise en oeuvre pour la reléguer à l'espace prévu à cet égard, puisque abusus non tollit usum.

5. L'exportation d'un modèle étatique par le soutien de la transparence des industries extractives.

Dans l'ordre des possibles créés par la transparence des industries extractives en tant qu'initiative, et considérant les transactions qui se tissent alentour et dont les moteurs sont de nature utilitaire, il n'est pas insensé d'envisager l'exportation d'un modèle étatique. La mondialisation économique a pris un relief particulièrement proéminent en raison des effets très visibles des finances et des délocalisations des entreprises. Les stigmatisations de Sophia Mappa1 et du forum de Delphes quant à la volonté occidentale d'uniformisation des systèmes politiques sous le couvert de la mondialisation, trahissent une acception de la mondialisation qui s'apparente à la dilution des localismes dans un globalisme en réalité local. Il s'agirait de la phagocytose des modèles sociopolitiques autres par le modèle américain et plus largement occidental. Ainsi, l'on se trouverait devant une obligation adressée aux sociétés périphériques, celle-ci les astreignant à la dépendance de sentier, le sentier qu'est le schéma institutionnel de l'occident. Peut-être est-ce le signe de la carence ou, mieux, la mort du génie humain qui n'étant plus apte à la production des schèmes de gouvernement, se confinerait dans une préproduction politique des canaux institutionnels. Mamoudou Gazibo aurait-il alors raison de penser que « dans un monde où le répertoire institutionnel est limité les nouvelles démocraties apprennent des vieilles et les unes des autres2» ?

En adoptant de façon circonstancielle la posture de la consolidologie comme entreprise promue de l'extérieur, la question du pourquoi de la promotion de la transparence en tant que comportement démocratique comporte des relents utilitaires. L'on ne peut élaguer la possibilité d'une promotion démocratique ad honores, uniquement motivée par l'ethnocentrisme, encore qu'il est difficile de le classer dans le registre de la gratuité. Il s'agit

1 Sophia Mappa s'est distinguée avec son relativisme culturel qui est en réalité une certaine vision nouvelle et révolutionnaire de l'anthropologie politique, et qui épuise la thèse de la théorie du rail. Le parcours qui conduit de la primitivité à la civilisation n'est plus linéaire. Il n'est plus question d'aller de Teotihuacán à Chicago en empruntant le parcours linéaire qui possède des étapes. Avec des auteurs tels que Clifford Geertz qui a travaillé à montré que l'exotisme de Bali cache un type d'Etat et donc le nominalisme est un fanatisme, Sophia Mappa s'attele a démontrer l'impertinence des politiques copier-coller des institutions internationales en direction des pays en développement car pense-t-elle, elles sont inadaptées. Lire par exemple : Mappa Sophia (dir.), (2004) Les métamorphoses du politique au Nord et au Sud, Paris : Karthala ; Mappa Sophia (1995) Développer par la démocratie ? Injonction occidentale et exigences planétaires, Paris : Karthala.

2 Gazibo Mamoudou, op. cit. p. 146.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 255 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

pour l'Etat-soutien à l'initiative, de porter vers les aires de l'incivilité politique qui se donne à voir dans l'opacité et la gestion patrimoniale de la res publica, le message mieux, le gaudum magnum de la civilisation par la transparence. La projection de ce type d'Etat qui se singularise par la banalisation, la réification de la pratique démocratique dont la transparence est l'un des aspects, crée un lien intime entre les deux catégories d'Etat. Il semble évident que le soutien des Etats vis-à-vis des espaces d'implémentation de l'initiative est une ingérence démocratique au sens de Philippe Moreau-Defarges, c'est-à-dire « toute démarche par laquelle une personne ou une entité cherche à peser sur le comportement d'une autre personne ou d'une autre entité1». Quoiqu'il s'inscrive par la suite dans une posture de dénonciation de l'illusion identitaire, citant au passage John Stuart Mill qui disait : « la démocratie ne s'impose pas, elle est un apprentissage compliqué, différent d'une société à l'autre. Toute société s'engageant dans une expérience démocratique, le fait avec son histoire, sa culture, ses schémas politiques2 », l'ingérence démocratique telle qu'il la dépeint porte un projet d'exportation de l'idéal-type occidental de l'Etat. Au passage, l'on peut relever avec lui la condescendance de celui qui s'adonne à l'ingérence démocratique car il s'accrédite du système idéal de gouvernement.

Au final, le dessein d'instaurer un « isomorphisme institutionnel » dans les Etats de la mise en oeuvre par les Etats qui soutiennent l'initiative établit un climat propice aux échanges et donc, ouvre des marchés nouveaux aux Etats-soutien. A l'heure du « Trade not Aid », l'intégration des systèmes périphériques au centre par la transparence comme habitude à adopter dans l'art du gouvernement, permettrait une globalisation parfaite de l'économie mondiale. Les bénéfices de cette uniformisation sont-ils uniquement pour les Etats de la mise en oeuvre comme semble le signifier le discours qui accompagne ce processus? Rien n'est moins sûr, tant l'engouement des promoteurs de la transparence trahit par leur excitation, l'appétit du gain utilitaire que générera une parfaite transparence dans les Etats candidats à l'initiative.

1 Philippe Moreau-Defarges s'inscrit clairement contre la projection de l'Etat démocratique par le fait d'une ingérence démocratique. Au passage, il nous confie que la promotion démocratique est une exportation du modèle étatique de celui qui s'exporte. Moreau-Defarges Philippe (2000) Un monde d'ingérence, Paris : Presses de science po, 2e Edition, lire notamment le chapitre 4 qui s'intitule « Mondialisation de la démocratie et ingérence internationale ».

2 John Stuart Mill Quelques mots sur la non-intervention (1859) in Moreau-Defarges op. cit. p. 87.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

B. L'Etat de la mise en oeuvre de l'initiative et les retombées de la transparence des industries extractives

Les Etats de la mise en oeuvre capitalisent également leur interaction avec les Etats promoteurs de la transparence. Le fac-similé de l'ossature démocratique qui place sur un piédestal la transparence en général et la transparence des industries extractives en particulier, est le prétexte pour une captation des rentes pour les Etats, une opportunité de renforcement des légitimités et un espace de rayonnement international. Que se joue-t-il dans EITI sinon la conformité à une norme modélisée par les ONG à l'origine et récupérée par les Etats ensuite ? La transparence devient un prétexte, un lieu de pouvoir dans lequel les Etats de la mise en oeuvre dramatisent une amélioration de leurs images. Au principe de cet espace consacré à la démonstration des retombées de la transparence des industries extractives pour les Etats d'accueil, il convient de dire que le dévouement, l'acharnement à atteindre la conformité aux principes et critères EITI est informé principalement par la respectabilité que cela confère et l'impact sur l'image des Etats. Autrement dit, il ne suffit pas d'adhérer aux principes mais, les retombées multiples revendiquées ou escomptées semblent liées à la conformité. En cela, les ONG qui ont oeuvré à l'avènement de cette initiative peuvent se prévaloir d'avoir impacté sur la conduite des Etats. Il convient de préciser que si les retombées de la transparence sont récoltées par l'adhésion à l'initiative, elles sont davantage confirmées par la conformité aux principes et critères EITI qui consacre une parfaite adhésion auxdits principes. Aussi, les retombées ici évoquées sont la conséquence d'un processus qui commence par l'adhésion et qui a pour point d'orgue la conformité.

La politique des Etats pense Ulrich Beck1, est restée confinée aux horizons nationaux dans un monde où les problèmes, les menaces et les opportunités sont désormais du ressort de l'international. Si poursuit Beck, les organisations de la société civile et les acteurs économiques ayant compris le virage, ont répondu à l'appel de la transnationalisation de leurs actions comme impératif de la mondialisation, et si cela leur permet de répondre aux défis posés par la mondialisation, l'Etat malheureusement est en passe de perdre du champ devant ces acteurs privés. Il faut pense-t-il, que l'Etat adosse son action sur le régime cosmopolitique fondé autour des principes des droits de l'homme et de la démocratie pour pouvoir rétablir le primat de la diplomatie publique étatique. L'arrimage au courant cosmopolitique, en plus de donner à l'Etat les armes pour la bataille de la mondialisation, met un bémol aux récits de la

1 Beck Ulrich (2005) Pouvoir et contre-pouvoir à l'ère de la mondialisation, Paris : Flammarion.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

souveraineté longtemps présentée comme réalité de l'ordre de Manus (soit elle existe, soit elle n'existe pas). La mâat ne résiderait-elle pas dans la mesure qui commande de s'émanciper de tout radicalisme ? La contre-offensive de l'Etat devant les risques de déclassement l'inscrit dans une posture transnationale. L'Etat va jouer son destin sur les aires de la globalité, des espaces qui comme l'EITI, offre des retombées symboliques et concrètes.

1. Les Etats de la mise en oeuvre de l'EITI dans le meta-jeu mondial: le rayonnement international des Etats en jeu

Il n'est pas aisé d'évaluer les apports directs de l'initiative sur les Etats de la mise en oeuvre car, au-delà de l'illusion de l'immédiateté qui renvoie en la corrompant l'image d'une entreprise morale, les effets corrélatifs de la transparence sur les Etats ne se donnent pas à voir au premier abord. En inscrivant l'action de l'Etat dans le « cosmopolitisme méthodologique1» qui se fonde sur les logiques et dynamiques transnationales et supranationales2, l'on peut envisager l'adhésion des Etats aux principes de la transparence des industries extractives comme une quête de la reconnaissance internationale et de la respectabilité qui étaient pour eux un luxe, en raison de l'ontologie de ces systèmes politiques.

L'adhésion de certains Etats à EITI prend un relief particulier pour l'analyste en raison de la prévalence d'un type étatique inapproprié dans ces aires territoriales. L'Etat selon qu'il y est et fonctionne, pose le problème de la transparence. L'Etat, un et multiple tout à la fois, est ce prédateur3qui a agglutiné les sociétés autres dans l'espoir de les assimiler totalement. Produit de l'occident, l'Etat en tant que forme d'organisation sociale s'est heurté à l'exotisme

1 Ulrich Beck propose de le substituer au nationalisme méthodologique qui considère l'Etat et le gouvernement comme la pierre angulaire de l'analyse politologique. Ulrich Beck, Pouvoir et contre-pouvoir, op. cit.

2 Cela suppose comme préalable de considérer l'Etat comme un acteur transnational. Idée que ne partage pas Stephen D. Krasner pour qui, les acteurs transnationaux excluent les officiels des gouvernements. Toutefois, il reconnaît que les Etats sont exposés aux pénétrations des acteurs transnationaux. Stephen D. Krasner « Power politics, institutions and transnational relations » in Risse-Kappen (Eds) Bringing transnational relations back in, op. cit. pp. 257-279.

3 L'Etat comme il a été abondamment rappelé dans cette étude, est une réalité protéiforme. Selon qu'on s'éloigne de son espace de jaillissement, il prend des allures exotiques du fait de sa contextualisation. Ipso facto, l'Etat dans cet espace doit être entendu comme le fruit de l'ancrage dans une culture autre, d'un modèle importé. C'est ce modèle qui dans son implémentation de l'initiative, cherche à se faire admettre au cercle des Etats accomplis. C'est l'Etat qui, prédateur, ayant agglutiné les systèmes autres pour n'être plus que la seule organisation politique universellement revendiquée, continue son processus de maturation c'est-à-dire d'occidentalisation. A propos de l'Etat prédateur, lire par exemple : Darbon Dominique « L'Etat prédateur », Afrique politique, n°39, pp. 37-45, oct. 1990

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

des localismes des ailleurs. La greffe a tourné à la créolisation1. De ce mélange, a jailli du magma informe de l'incivilité des « autres », l'Etat néopatrimonial. Savant dosage du patrimonialisme2 ambiant et des structures légales rationnelles que draine l'Etat occidental, l'Etat ailleurs3 fonctionne depuis les indépendances comme une res privata. Pour tenter d'expliquer cette institutionnalisation qui donne raison à O'Donnell4qui pense que le clientélisme, trait caractéristique de cet Etat est une institution là où on pensait ne pas en trouver, Englebert5 estime que la source est dans le degré variable de congruence entre les structures politiques préexistantes et l'Etat importé. Au demeurant, l'essentiel réside plus dans le modus operandi que dans l'architectonique de l'Etat.

Le fonctionnement de cet Etat laisse transparaître l'opacité comme une règle du jeu. Le pouvoir est entouré de mystère, de flou voire de mystique. La boîte noire est d'une noirceur exagérée. La puissance dévolue aux autorités dirigeantes ne permet aucune possibilité de reddition des comptes. L'Etat est alors perçu comme un gâteau dont il faut se rapprocher pour en goûter la saveur. Cette réalité fait fi du type de régime ; battant en brèche l'argument de ceux qui comme Linda Kirschke6, pensent qu'un Etat est d'autant plus enclin au néopatrimonialisme que son architecture est du type semi-présidentiel. Dans pareil environnement, le « complexe de corruption » c'est-à-dire : « la corruption, le délit d'ingérence, les détournements de fonds, le népotisme, les abus de pouvoir, les malversations diverses, le délit d'initié, la prévarication, le trafic d'influence et les abus de biens sociaux7» trouve un lit favorable. La corruption devient un outil de gouvernement. En effet, si le pouvoir s'adosse sur l'obéissance et la crainte, la corruption parce qu'elle récompense les cronies,

1Créolisation au sens de Robin Cohen, c'est-à-dire une voie médiane entre le primordialisme et la standardisation en tant que paradigmes écarlates qui fustigent toute interpénétration. Lire Cohen Robin (2007) «Creolization and cultural globalization: the soft sounds of fugitive power» Globalizations, vol. n° 3, pp.369-384.

2 Il faut apprehender le terme patrimonialisme ici au sens de Victor T. Levine (1980: 658) : « If patriarchy is the commonwealth of biological kinship, patrimonialism grants fictive kinship to those whose ties with the head of the household may be base on other than biological or family liaisons, for example contracts, alliance, coercion or titular services »

3 C'est-à-dire l'Etat qui n'est plus tout à fait le parangon occidental qui est parti en odyssée, mais n'est pas non
plus une réalité vidée de sa quiddité occidentale originelle par les ritualités, les liturgies et la « spectacularité
caractéristiques » des sociétés périphériques. Sindjoun Luc, L'Etat ailleurs : entre noyau dur et case vide, op. cit.

4 O'Donnell Guillermo, « Another institutionalisation: Latin America and elsewhere» Working paper n°222, (1996)

5 Englebert Pierre (2000), « Pre-colonial institutions, post-colonial states, and economic development in tropical Africa », Political research quarterly, vol. 53, n°1, pp. 7-36.

6 Kirschke L. (2007) « Semipresidentialism and the perils of power sharing in neopatrimonial state», Comparative political studies, vol. 40, n° 11, pp. 1377-1394.

7 De Sardan J.P.O. (1996) « L'économie morale de la corruption en Afrique » Politique africaine n° 63, pp. 97- 117.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

assure au dirigeant la domination sur ses sujets1. De plus, il faut satisfaire aux exigences de ceux qui par une parenté réelle ou fictive, font allégeance au prince. Le lien clientéliste devient une source de légitimité au même titre que le lien charismatique et le lien programmatique2. Défaut de légitimité ou non, le clientélisme3 est le substrat sur lequel se fonde la longévité aux affaires des dirigeants de ces Etats.

L'Etat incarné dans ses dirigeants, devient ambigu et son ambiguïté trouve sa source dans la relation particulière qu'il entretient avec la société4. La redistribution devient un devoir. Du chef au subalterne, toutes les strates sociales cherchent des revenus pour satisfaire à ce devoir de réussite sociale. D'autre part, le grégarisme sociologique d'une couche sociale moyennement alphabétisée, la transposition des pratiques de générosité sociale dans les couloirs impersonnels de l'Etat et bien d'autres raisons encore font naître un discours de légitimation de la corruption5. Scandale pour l'occidental, ce discours ne peut se comprendre que dans le contexte africain et même noir africain dans lequel « on va faire comment ? » traduit le suivisme dans un comportement non rationnel et la mêmété des moeurs. Nul ne voulant laisser des traces de la ponction qu'il opère dans les caisses de la res publica, l'opacité a donc droit de cité, comme stratagème de camouflage des basses pratiques égocentriques et anti-républicaines.

En plus de constituer un mode gouvernemental parallèle au modèle qui se veut universel6, le néopatrimonialisme est responsable de mille maux que combat la communauté internationale et dans l'ordre généalogique des causalités, son remplacement par la démocratie pleine et libérale qui se donne à voir au travers des pratiques telles que la transparence, est restitution

1 Darden Keith (2008) « The integrity of corrupt states: Graft as an informal institution» Politics and society, vol.36, n°1, pp.35-60.

2 Kitschelt Herbert (2000) «Linkages between citizens and politicians in democratic polities », Comparative political studies, vol. 33, n°6/7, pp. 845-879.

3 Anne Grzymala-Busse définit le clientélisme ainsi: « clientelism consists of the contingent and targeted distribution of selective goods to supporters in exchange for their loyalty », Grzymala-Busse A. « Beyond clientelism, incumbent state capture and state formation» Comparative political studies, vol. 41, n° 4/5, p.639 (pp. 638-673), april-may 2008.

4 Médard J.-F., (1999) « L'Etat néopatrimonialisé» Afrique politique, n°39, pp.25-36.

5 Jean Pierre Olivier de Sardan et Giorgio Blundo ont tenté de démontrer la légitimation de la corruption dans les discours tout au moins, par la banalisation du concept au travers d'une sémiologie qui s'ancre progressivement dans la culture populaire et perd le sens de tabou social qu'enfreignent généralement les délinquants sociaux. Blundo G. et De Sardan J.P.O. 2001 « Sémiologie populaire de la corruption » Politique africaine, n°. 83, pp.98-114.

6 Par le fait même, l'Etat néopatrimonial est une poche de résistance à la fin de l'histoire que Francis Fukuyama liait à la victoire de la démocratie libérale. Fukuyama Francis (1993), La fin de l'histoire et le dernier homme. Paris : Flammarion.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 260 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

de l'honorabilité des dirigeants. Pour siéger au banquet des noces démocratiques, les dirigeants des Etats de la mise en oeuvre de l'initiative entendent acquérir leur carton d'invitation par l'adhésion aux principes de EITI. L'observation de la réalité de la mise en oeuvre conforte dans l'idée que la candidature des Etats à l'initiative est une manifestation de l'éthique de responsabilité. Il existe en effet un gap énorme entre la conformité formelle aux principes et critères EITI qui confère le statut « conforme » et la transparence effective dans la gestion des revenus du secteur extractif. Convaincus de leur faiblesse relative, les Etats de la mise en oeuvre trouvent dans l'adhésion à l'initiative un double gain : la satisfaction des Etats -soutien d'avoir affaire à des Etats qui accueillent avec faveur les principes démocratiques, et les prébendes multiformes de la transparence. Si l'on considère les Etats de la CEMAC, ils sont tous candidats à l'initiative. Les évènements récents1 au Tchad et en RCA (les conflits et rebellions endémiques) posent un réel problème de gouvernance. Le Tchad est entré en crise ouverte avec la Banque Mondiale au sujet de la loi sur la gestion des revenus de la manne pétrolière. Née autour de la révision de la loi n°001/PR/1999 portant gestion des revenus du pétrole, cette crise est en réalité un conflit de souveraineté. La constitution tchadienne reconnaît la souveraineté du pays sur ses ressources naturelles2. En même temps, la Banque mondiale, au nom du rôle joué dans le financement du projet pétrole N'djamena, estime être fondée à dicter la gestion du fonds des générations futures que la président tchadien a utilisé finalement à des fins d'armements. Le Tchad remboursera précipitamment sa dette à la Banque mondiale, visant ainsi recouvrer la pleine souveraineté sur les revenus de son pétrole. Le divorce fut consommé entre le Tchad et la Banque mondiale. Cependant, à la faveur de son adhésion à EITI, il peut parce qu'il démontre une volonté de faire le pari de la transparence, siéger à nouveau au plan international au sein d'une initiative fortement soutenue par la Banque. Le Congo, le Gabon et la Guinée Equatoriale font de par leurs dirigeants, l'objet d'enquêtes judiciaires en France sur les biens personnels des présidents Sassou, Bongo et Obiang Nguema. C'est la prévalence d'une gestion opaque des fonds publics qui met ainsi à mal l'implémentation de la transparence, surtout qu'il s'agit de trois Etats pétroliers dans la

1Le 14 novembre 2005 une colonne rebelle du SCUD lance une offensive au Tchad depuis le Soudan voisin. Le1er février 2008, une coalition de groupes rebelles attaque N'djamena. Le président tchadien avait failli être renversé après cette attaque qui a conduit les rebelles jusqu'aux portes du palais présidentiel que dût défendre le président Deby à la tête de ses troupes. L'attaque avait été repoussée, notamment grâce à l'aide française. Ce sera le début d'une série d'attaques contre le président Déby qui aura eu à faire face à des incursions à répétition des rebelles depuis le Soudan. Le 1er avril des combats éclatent dans la région d'Adré entre des rebelles tchadiens et les forces gouvernementales, le 4 mai, l'UFR (Union des Forces de la Résistance) de Timan Erdimi lance une nouvelle attaque sur le Tchad.

2 l'article 57 alinéa 2 de la Constitution tchadienne du 31 mars 1996 dit à ce sujet : « l'État exerce sa souveraineté entière et permanente sur toutes les richesses et les ressources naturelles nationales.(...) Toutefois, il peut concéder l'exploration et l'exploitation de ces ressources naturelles à l'initiative privée ».

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

sous-région Afrique centrale. La conformité aux critères et principes EITI devient dès lors une fabuleuse occasion de relookage de l'image internationale de ces Etats. Il s'agit d'une opportunité inouïe de communication pour des Etats en quête de reconsidération internationale. C'est ainsi que l'on peut comprendre les efforts des Etats à revendiquer la conformité à EITI, même lorsque manifestement toutes les étapes y conduisant ne semblent pas observées1. A la réalité, l'inscription dans la catégorie conforme permet une amélioration de l'image des Etats, ce qui les rend attractifs pour les investissements. EITI devient un espace de réhabilitation des Etats. Derrière la hiérarchie non adhérents-adhérents-candidatsconformes se cache peut-être une taxonomie du type Etats fréquentables-Etats moyennement fréquentables-Etats non fréquentables (Etats parténaires-Etats parias) qui traduirait donc un investissement de la puissance dans le champ de la norme.

L'Azerbaïdjan a été le premier Etat jugé conforme aux principes et critères EITI ce, depuis le 16 février 2009. C'est dire que le pays est conforme aux standards de la transparence convenus par l'initiative que soutiennent la Banque Mondiale, la plupart des institutions intergouvernementales politiques et économiques2 et la quasi-totalité des puissances du G8. L'enjeu est énorme pour un Etat jugé conforme car, il s'inscrit ipso facto sur la liste des pays fréquentables et attractifs aux investissements occidentaux et par extension, étrangers. Cette quête de crédibilité et de respectabilité que procure l'image d'un Etat conforme aux critères de transparence, justifie l'acharnement des Etats à atteindre le statut de conformité. Le 11 mars 2009, la coalition azérie qui représente la société civile dans le Mémorandum d'Entente a tenu une conférence de presse au lendemain de la parution du neuvième rapport de conciliation d'Azerbaïdjan. Ce fut l'occasion pour les membres de cette coalition, de déplorer les entorses du gouvernement au respect des différentes étapes de la mise en oeuvre. L'un des critères de conformité est la publication des rapports dans un langage accessible à l'opinion et leur vulgarisation. Ce critère de l'avis des membres de la coalition n'est pas respecté car, seuls quelques journaux publient les rapports dans un style inaccessible à tout le monde. Une absence de concertation entre le gouvernement, les compagnies et la société civile avant la

1 Le 21 janvier 2010, madame Emma Irwin du cabinet Synergy Global Consulting/ IDL Group recruté pour conduire le processus de validation EITI au Cameroun a présenté son rapport au comité national. Malgré quelques remarques faites sur les entraves à la transparence dans les industries extractives, le pays s'ouvre peutêtre la voie au statut de conformité lors du prochain conseil. La réunion du Comité EITI de la Guinée Equatoriale tenue le 30 janvier 2010 a permis le choix du cabinet Hart Nurse Limited pour conduire le processus de validation dans ce pays qui prépare encore son premier rapport par les soins du cabinet Deloitte. Cependant, peut-on sérieusement penser que la transparence est devenue une réalité dans le secteur des industries extractives au Cameroun et en Guinée Equatoriale?

2 Comme nous l'avons démontré au premier chapitre de notre travail.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 262 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

publication des rapports fut également soulignée par la coalition. Nombre de vices de procédure qui, mis ensemble, laissent penser que l'accès au statut de conformité est un sésame qui donne droit à la respectabilité internationale, lequel n'a pas de prix et ne peut donc être empêché par quelques aspects procéduraux que l'on peut très bien contourner. C'est ce qui ressort de cette opinion de Oktay Gulaliyev qui est membre de la coalition azérie : « Azerbaijan's being member of one more international body is a good step from point of impact of country, it is success, but it is not solution of existing problems. Terms forwarded to our country while becoming member, shown that we are right in suggestions we are suggested. Because when said that multi-stakeholder working group must be created related to implementation of EITI, Government Commission said that there is no any necessity for it. We were saying that there has to be a working plan that balances an action, but they said it is not important. We suggested to improve understanding memorandum and reports, and to make them accessible for community, but there were no any steps. There is no any serious works in direction of solution of these problems till present» (le fait pour l'Azerbaïdjan de faire partie d'un autre organe international est un bon geste pour l'image du pays, c'est un succès mais, ce n'est pas la solution aux problèmes réels du pays. En devenant membre de EITI, les termes qui nous ont été présentés laissent croire que nous avons raison de faire nos suggestions. Lorsqu'il nous a été dit de mettre sur pied un groupe de travail multi-parties prenantes pour la mise en oeuvre de l'initiative, la commission gouvernementale a jugé que ce n'était pas nécessaire. L'on nous avait dit de dresser un plan d'actions mais le gouvernement a considéré qu'il n'était pas important. Nous avons suggéré d'améliorer le Mémorandum d'Entente et les rapports pour les rendre accessibles à la communauté mais rien n'a été fait jusqu'à ce jour pour résoudre ces problèmes). Cette allégation démontre deux choses : d'abord que les retombées en terme d'image et de prise au sérieux d'un Etat conforme aux principes EITI sont réelles et escomptées. De plus, il s'agit de la preuve que cette « raison d'Etat » d'un autre type, peut faire fi des étapes exigées pour l'atteinte de la conformité, parce que la conformité est une ressource mobilisable pour la poursuite des intérêts nationaux des Etats d'accueil en terme d'investissements attirés et de respectabilité internationale acquise.

Il est presque certain si l'on se range dans le scepticisme éthique de Hans Morgenthau que, d'un Etat il ne faudrait nullement attendre de la morale réelle car, l'Etat n'est aucunement une entité unitaire mais, un ensemble hétérogène de personnalités dont les valeurs morales prennent des conceptions différentes. Il considère que là où la responsabilité gouvernementale

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 263 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

est diffusée parmi un grand nombre d'individus, la morale en tant que système de retenue dans la politique internationale est impossible1.

2. L'instrumentalisation à des fins de légitimation internationale de l'EITI par les Etats d'accueil.

Cela entraînant ceci, la légitimité internationale devient une quête incessante car, lorsque le dirigeant ne réussit pas à se servir dans les trois catégories weberiennes de légitimité2, l'acceptation par les pairs au plan international annihile les efforts internes de contestation du régime. C'est d'ailleurs ce qui explique que les présidents qui accèdent au pouvoir par le fait des armes ou des soulèvements comme le capitaine Moussa Dadis Camara de Guinée ou encore Andry Rajoelina de Madagascar3, font de la reconnaissance internationale de leurs autorités, l'acte premier du scénario de gouvernement. Au surplus, la «collusive delegation», c'est-à-dire « attempt by government to loosen domestic constraints by shifting decision-making to international settings and organizations4 », si tant est que lesdits régimes peuvent se prévaloir d'une place au « jardin des délices démocratiques », permet une fois encore d'échapper au poids des exigences internes de la gouvernance, par l'engagement aux initiatives qui comme EITI, permettent de distraire les citoyens et renvoyer à la communauté internationale l'image d'un Etat en phase avec les grands chantiers de la gouvernance mondiale. Il en résulte alors des régimes connectés à la politique transnationale mais sans ancrage avec la population5. Les initiatives comme EITI s'avèrent être des espaces transnationaux où des Etats jouent la carte de leur reconnaissance plutôt que d'être le lieu de la transcription des problèmes que rencontrent les populations.

S'engager à mettre en oeuvre l'initiative, c'est admettre que les principes qui président à la démocratie libérale comportent des éléments d'universalité. Cet acte attire la sympathie des Etats qui sont des chantres de la démocratie. Ainsi, pour paraître des bons élèves de la démocratie c'est-à-dire de la transparence, des Etats adoptent une tactique qui leur confère la

1 Morgenthau H. J. Politics among nations... op. cit. p. 251

2 Il s'agit de la légitimité legale-rationnelle, de la légitimité traditionnelle et de la légitimité charismatique. Max Weber (1971) Economie et Société 1921. Traduction française Paris, Plon.

3 L'un et l'autre accèdent au pouvoir après des coups de force. Le 25 décembre 2008 le capitaine Mussa Dadis Camara s'auto-proclame président de la république à la tête du CNDD. Le 17 mars 2009, le directoire militaire confie le pouvoir à Andry Rajoelina dit « TGV ».

4 Mathias Koenig-Archibugi « International governance as new Raison d'Etat? », art. cit. Conclusion.

5 C'est ce que Eva Etzioni-Halevy appelle « linkage deficit », c'est-à-dire cette déconnection des élites de la politique transnationale vis-à-vis des populations dont elles disent représenter les intérêts. Eva Etzioni-Halevy « Linkage deficit in transnational politics » International Political Science Review, vol. 23, n°2 pp. 203-222.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

sympathie de la communauté des Etats développés défenseurs de la démocratie. Mais l'adhésion et plus loin la conformité aux critères et principes de l'initiative sont également l'assurance que l'Etat d'accueil est dans une mouvance démocratisante et donc, frappe aux portes de la communauté des Etats civilisés. Quelques fois, c'est un signe que l'on renonce aux démons du passé et que l'on se tourne résolument vers l'avenir qui se construit avec la transparence plutôt que les conflits. La communauté internationale récompense alors cette conduite qui stimulerait d'autres Etats à la conformité. Le 27 avril 2007, le Conseil de Sécurité des Nations Unies a voté à l'unanimité la levée d'embargo sur les exportations de diamants du Libéria dans sa résolution 1753. Régulièrement reconduite depuis la résolution 1521 de 2003, cette mesure était l'une des priorités de la présidente Ellen Johnson-Sirleaf qui a ainsi exprimé son satisfecit. Soutenue par les Etats-Unis, cette décision dont la prochaine étape sera l'adhésion au processus de Kimberley est également un signal fort envoyé à la communauté internationale pour qu'elle continue de soutenir la reconstruction de ce pays dévasté par 14 ans de guerre. Mais, c'est également une reconnaissance des efforts fournis par ce pays sur les sentiers de la démocratisation, et donc aussi pour son implémentation de l'initiative qui interdit la répétition des pratiques qui jadis, ont entraîné les horreurs du conflit. C'est donc dans cette veine que le Libéria a été admis au statut de conformité le 14 octobre 2009. L'on peut penser que la conformité aux principes EITI devient alors un instrument qui, ayant considérablement amélioré l'image du Libéria, lui aura attiré la sympathie des Etats occidentaux. Certes, il ne s'agit pas d'un fait isolé car, l'élection d'une femme dans cet Etat qui sort d'une longue instabilité est à conjuguer avec la conformité à EITI pour comprendre les faveurs de l'occident pour ce pays désormais présenté comme un des modèles de démocratie dans la sous-région. La conformité s'avère donc être une importante ressource mobilisée par certains pays pour améliorer leur image et gagner en respectabilité internationale, échappant ainsi à la catégorie des parias et des Etats mal cotés dans les cercles d'investisseurs. Au surplus, l'adhésion aux critères et principes de l'initiative attire les faveurs du monde développé qui délie plus facilement la bourse pour soutenir l'effort de transparence.

3. Les financements directs et indirects de la transparence

La problématique de la transparence des industries extractives s'est posée avec acuité, à l'heure de la demande pressante des pays pauvres pour la remise de leur dette par les bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux. Un effort de transparence est alors apparu incontournable pour que le paradoxe de l'endettement des pays très riches en ressources extractives se

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

transforme en aspérité dans des régimes engagés dans le chantier de la mise en oeuvre de l'initiative de transparence des industries extractives. Cependant, par-delà les retombées indirectes de la remise de la dette aux pays par les `Etats soutien de la transparence', il existe des rentes directes inhérentes à l'adhésion aux principes et critères EITI.

Dans l'impossibilité d'accéder aux comptes des Etats de mise en oeuvre pour, en cassant le mystère qui les entoure, faire la comptabilité des financements reçus, il convient de lire au travers des budgets et du rapport du fonds des donateurs multi-bailleurs, les espérances et réalités de l'acquisition des fonds par les Etats. La tendance qui transparaît dans l'examen des budgets et des plans d'actions budgétisés des Etats de la mise en oeuvre est celle de l'espérance que la Banque Mondiale au travers du Multi-Donors Trust Fund (MDTF) finance sinon la totalité, du moins la grande majorité des dépenses qu'engendrent les activités de la mise en oeuvre. Ainsi, l'observation du plan d'action du Cameroun pour la période 2001-2004 révèle que, six des treize rubriques1 du plan d'action sont escomptées être financées par la Banque mondiale. Tandis que les autres rubriques ne nécessitent pas de financements, autant dire qu'en réalité le total financement de la mise en oeuvre de la transparence dans la période considérée reposait sur l'apport extérieur, notamment en provenance de la Banque mondiale et de son fonds multi-bailleurs2.

1 Voir le tableau ci-dessous sur la matrice des actions du comité de suivi de la mise en oeuvre des principes de l'ITIE au Cameroun.

2 Le plan d'action du Cameroun pour la période indique d'ailleurs à la page 5 que : « En dehors des activités propres au Comité qui sont supportées par le budget du Ministère de l'Economie et des Finances, les actions de mise en oeuvre de l'EITI bénéficieront du concours financier de la Banque Mondiale »

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 266 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Tableau 14 : Matrice des actions du comité de suivi de la mise en oeuvre des principes de l'ITIE au Cameroun

Activités

Echéance

Sources de

Financement

1) Examen du plan d'actions par le Comité

Fin Oct. 2005

=

2) Identification des Sociétés extractives au Cameroun

Fin Oct. 2005

=

3) Définition des TDR de la société de Conciliation des chiffres et des volumes

Mi-janv. 2006

=

4) Appel d'offres international pour le recrutement du conciliateur

Fin janv. 2006

=

5) recrutement du conciliateur

15 mars 2006

Banque mondiale

6) Validation des formats

Fin mars 2006

=

7) Déclaration des chiffres et des volumes par les Sociétés et par l'Etat pour la période (2001- 2004)

15 avril 2006

Banque mondiale

8) Séminaire de formation des membres du Comité

Fin avril 2006

=

9) Préparation et présentation du premier rapport EITI (période 2001-2004)

15 juin 2006

Banque mondiale

10) Approbation et Publication du premier rapport EITI (période 2001-2004)

Fin juin 2006

Banque mondiale

11) Déclaration des chiffres et des volumes par les Sociétés et par l'Etat pour l'exercice 2005

1er novembre

=

12) Préparation et présentation du deuxième rapport EITI (exercice 2005)

Fin nov. 2006

Banque mondiale

13) Approbation et Publication du deuxième rapport EITI (exercice 2005)

Fin déc. 2006

Banque mondiale

 

Source : Extrait du Plan d'action de la mise en oeuvre de l'Initiative de Transparence des Industries Extractives au Cameroun.

Le Libéria a mis sur pied un budget pour la période juillet 2007-juin 2008 estimé à 662,340 $ dont 103,500 USD promis par la Banque mondiale. La majorité du montant restant devait être potentiellement pourvue par les partenaires bilatéraux du développement au Libéria. Aussi, la France s'était engagée à contribuer à hauteur de 14000 USD, la Norvège par le biais du Norvegian Trust Fund for Governance a offert 150000USD, tandis que la Banque Africaine de Développement avait fait la promesse de contribuer sans préciser le montant de son apport. Le Congo a révélé dans son plan d'actions rendu public en décembre 2007 que la mise en oeuvre de l'initiative nécessiterait 1.200.000.000 FCFA dont au moins deux tiers escomptés des partenaires au développement et des Etats-soutien à EITI. Une vue panoramique des budgets et des plans d'actions rend visible le fait de la rentabilisation des opérations de la transparence1. L'initiative apparaît dès lors comme une occasion de lever les

1 Le plan d'actions du Pérou pour la mise en oeuvre de l'initiative daté du 30 juin 2005 dit : « Es importante destacar la voluntad del Banco Mundial para financiar el inicio de la implementación de la EITI en el Perú, para lo cual se contaría con un total de aproximadamente US$ 350.000 a ser utilizados hasta Diciembre 2006. Para el éxito pleno y sobretodo para asegurar la sostenibilidad del proceso, el Grupo de Trabajo identificará y comprometerá otras fuentes de financiamiento durante el proceso de implementación inicial».

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 267 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

fonds dont l'octroi dans les conditions différentes serait difficile ou mieux, entouré de conditionnalités insoutenables. La conditionnalité de la transparence devient alors une moindre hypothèque qui rapporte des financements importants. Le Fonds des Donateurs Multi-bailleurs a été établi pour centraliser les financements de la transparence par les Etats et les institutions qui soutiennent la mise en oeuvre de EITI. L'encadré ci-dessous fait état des financements perçus par certains Etats et en passe d'être perçus.

Encadré: A propos des financements dans le cadre du MDTF

Nine MDTF Grant Agreements have been signed--with Cameroon, Ghana, Guinea, Liberia (April 2008), Mauritania, Mongolia, Nigeria, Peru, and Yemen (April 2008)--for a total value of US$4.76 million, of which US$2.54 million had been spent by recipients as of March 31, 2008. Grant Agreements for the Democratic Republic of Congo, in the amount of US$0.8 million, and Madagascar, in the amount of US$0.35 million, are under preparation. Over the next three to six months, Grant Agreements with Equatorial Guinea, Kyrgyz Republic, Mali, Niger, and Republic of Congo are likely, while over the next six to 12 months (or more) Grant Agreements with Cote d'Ivoire, Sao Tome and Principe, Sierra Leone, and Timor-Leste are expected. Over the next several months some grant recipients will exhaust MDTF grants/complete their Grant Agreements--this is already the case with Nigeria. The Management Committee needs to decide if «second phase» support will be provided to countries that request additional MDTF grants (Mauritania and Ghana have also indicated that they will request additional funds). This issue will be covered in the discussion of the FY09-10 MDTF work program during the Management Committee meeting.

Paragraphe II : L'Etat transcendant ? L'instrumentalisation des acteurs privés par l'Etat au sein de EITI : les ONG et les firmes au service de la diplomatie étatique.

Dès lors que l'on a marginalisé les considérations relatives à l'impertinence d'une vision nominaliste de l'Etat, une fois que l'idée de la transformation de la souveraineté a gagné en potentiel séductif, la problématique de la relativité ne saurait totalement être argumentée sous le seul prisme des transactions interétatiques, surtout quand on a invalidé la thèse du statisme1 sempiternel. Aussi, l'initiative offre-t-elle l'occasion de palper par le truchement du lien rationnel qui lie l'Etat aux acteurs privés y impliqués, en plus de la privatisation de l'action

1 Il faut reconnaître que si le statisme est une posture qui met l'Etat au centre de la politique internationale, il possède encore quelque chance de pertinence. Mais s'il est perçu comme la posture qui fait de l'Etat le seul acteur, alors il s'inscrit sur la liste des attitudes à dénoncer. Notons par exemple qu'un auteur tel que Stephen D. Krasner déroule sa posture statiste mais reconnaît que les acteurs transnationaux sont une composante naturelle du système des Etats souverains. Aussi, pense-t-il que l'Etat est le plus fort des acteurs parce qu'il est celui dont la structure doit mouler les autres acteurs. Même si l'on pense que cette posture comporte quelque élément d'exagération, car les acteurs privés peuvent se mouvoir indépendamment des doctrines étatiques, il apparaît que l'Etat dessine le cadre d'action des acteurs privés, que ce soit leurs Etats d'origine ou bien ceux de leur implantation. Lire par exemple : Krasner S. D. « Power politics institutions and transnational relations » in Risse -Kappen Th. op. cit. pp. 257-279.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

étatique, la mollesse de la souveraineté1 qui cesse d'être la réalité rigide et inflexible qui constitue le substrat de la pensée réaliste orthodoxe. C'est parce que l'interpénétration des acteurs privés avec l'Etat constitue une modalité incontournable de l'ère de la souveraineté molle que, de plus en plus d'espaces d'émulation de la politique internationale sont devenus des lieux de la constellation des acteurs et de l'excroissance des interactions.

La gouvernementalité c'est-à-dire « une configuration ou une séquence historique dont on entend analyser le gouvernement comme mode de structuration du champ d'action des individus ou des groupes », cède le pas à la gouvernance2, qui se substitue à la première3. L'un des aspects de la gouvernance tient à sa nature intégrative des logiques éparses et des acteurs multiples. L'on se croirait en présence d'une anarchie gouvernementale mais, dans ce foisonnement, l'hypothèse de la perte de contrôle étatique s'invalide dès lors que la poursuite de la politique et de la diplomatie publiques de l'Etat se fait par des acteurs privés . Certains apparaissent alors comme des maîtres des horloges4, des stratèges qui utilisent au gré de leurs objectifs les composantes privées en exercice sur leurs territoires. Dans ce cas, il faut envisager comme acception pertinente, la privatisation de l'Etat telle qu'envisagée par Béatrice Hibou. Elle dit : « réfléchir sur l'hypothèse de la `privatisation des Etats', c'est se laisser la possibilité de penser d'éventuels nouveaux modes de pouvoirs et de gouvernement, d'entrevoir de nouvelles représentations du politique. C'est également se donner l'opportunité

1 La souveraineté cesse d'être le totem qui interdirait toute interférence dans les affaires des Etats nation car désormais, à la suite de Janice E. Thomson, l'on peut dire que dans son compartiment « law enforcing », l'action de l'Etat laisse de la place aux acteurs privés, tandis que le « law making », parce que relevant du ressort ultime de l'Etat, peut exclure ceux-ci. Janice E. Thompson « State sovereignty in international relations: Bridging the gap between theory and empirical research » International Studies Quarterly, n°39, pp. 213-233 (1995).

2 De l'étymologie latine guvernare qui veut dire piloter un navire ou naviguer, le sens premier du vocable gouvernance tend à évoluer vers une idée de l'intégration de la réalité multi-actorielle dans l'élaboration et la conduite des politiques publiques. Les usages coloniaux du concept distillaient déjà l'idée de la collégialité ou du moins de la prise en compte d'avis et acteurs différents de l'Etat dans la conduite des affaires publiques. C'est ce sens qui comporte l'idée de l'intégration des acteurs privés dans le law enforcing qui est restitué ici. Pierre de Senarclens et Yohan Ariffin, La politique internationale : théories et enjeux contemporains, op. cit. pp.184-188. Cependant, la gouvernance, lorsqu'elle est précédée de l'adjectif « bonne », peut également dans certaines de ses définitions, laisser transparaître plutôt que l'aspect intégratif des acteurs privés, le souci de la transparence et de l'impartialité. Ceci n'exclut toutefois pas cela car, la multi-actorité permet un contrôle et une reddition de comptes comme conséquence logique d'une politique publique, dans le cadre de l'évaluation comme moment ultime dans la chaîne de l'action publique. Ainsi, Sophie Lewandowski rappelle la définition de la bonne gouvernance par la Banque mondiale en : « la gouvernance est la gestion impartiale, transparente des affaires publiques à travers la création d'un système de règles acceptées comme constituant l'autorité légitime, dans le but de promouvoir et de valoriser des valeurs sociétales visées par les individus et les groupes ». Lewandowski Sophie « Les compromis d'une ONG burkinabé entre politiques de `bonne gouvernance' et pouvoirs locaux » Afrique contemporaine, vol. 221, n°1, pp. 131-152 (2007)

3 Bayart Jean François (2004) Le gouvernement du monde, une critique politique de la globalisation, Paris: Fayard.

4 Philippe Delmas, Le maître des horloges, op. cit.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 269 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

d'envisager les stratégies étatiques qui paraissent en retrait, en déclin, voire en décomposition comme faisant partie du processus de formation continue de l'Etat, comme une nouvelle modalité de production du politique1».

S'insérant pour les besoins de clarification du paragraphe dans ce couloir de la privatisation des modes étatiques, tendance qui se généralise et échappe désormais au tabou qui jadis, créait des pronaos et des naos, sanctuaires inviolables de la compétence exclusive des Etats, l'on peut penser que l'initiative offre l'occasion d'éprouver au travers de la capitalisation par l'Etat du lien qui l'unit aux acteurs privés, l'hypothèse de la privatisation. Aucun domaine de l'action étatique n'échappe désormais aux acteurs privés dont l'apport s'avère de plus en plus incontournable pour la résolution des problèmes complexes2. Cela dit, ce paragraphe présente une structure en deux temps, le premier temps porte sur le lien entre les Etats et les ONG (A) tandis que le second se penche sur l'interaction entre les Etats et les firmes (B).

A. La cession de la flexibilité et de l'expertise des ONG au Léviathan

Les configurations relationnelles dans l'initiative de transparence des industries extractives imposent la distinction entre les transactions dont le maître à jouer est l'Etat d'origine des grandes ONG internationales (1), et celles qui se jouent dans les sites de la mise en oeuvre (2).

1. Les ONG acteurs d'une diplomatie non gouvernementale au service de l'Etat L'opinion déclare en général l'existence d'un lien collusif entre les grandes puissances et certaines grandes ONG qui exercent dans les pays du Sud. Sans s'abreuver jusqu'à la lie à la source populaire, l'on peut émettre l'hypothèse de la véracité partielle de cette idée répandue.

1 Ce faisant, Béatrice Hibou souscrit à la gouvernementalité de Bayart. Hibou Béatrice (1999) (dir.) La privatisation des Etats, Paris : Karthala. Il s'agit de faire usage de ce que Achille Mbembe appelle le « gouvernement privé indirect », mode opératoire par lequel l'Etat laisse dans un contexte de crise de l'Etat-total et de l'Etat omniprésent, certaines de ses charges aux acteurs privés pour se replier sur les fonctions régaliennes. Lire Joseph Achille Mbembe (2000) De la postcolonie : essai sur l'imagination politique dans l'Afrique subsaharienne, Paris : Karthala.

2 L'on peut à ce propos lire l'ouvrage collectif dirigé par Niagalé Bagayoko-Penone et Bernard Hours sur l'implication des ONG dans la production des normes sécuritaires dans les pays du Sud. Bagayoko-Penone N. et Hours B. (dir.) Etats, ONG et production des normes sécuritaires dans les pays du Sud. Paris : l'Harmattan, 2005. Mais on peut également lire : Sven Bislev « Globalization, state transformation and public transformation » International Political Science Review, vol. 25, n°3, pp. 281-296 (2004) ; Avent Deborah « NGOs, Corporations and security transformation in Africa » International Relations, vol. 21, n°2, pp. 143-161 (2007). Il arrive même que l'Etat se désengage du fait de sa faiblesse des fonctions régaliennes, concurrencé en cela par les acteurs privés. La permanence de l'insécurité et la mollesse de la réponse étatique dans le Delta du Niger a conduit les compagnies pétrolières à instaurer et à piloter les questions sécuritaires en partenariat avec les compagnies privées de sécurité. Antoine Perousse de Montclos appelle le système qui en résulte le « syndrome de Monaco ». Voir Perousse de Montclos M. A « Les entreprises para-privées de coercition : de nouveaux mercenaires ? Pétrole et sécurité privée au Nigeria : un complexe multiforme à l'épreuve du `syndrome de Monaco' » Cultures et Conflits, n°52, 4/2003, pp.117-138.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 270 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Et sur cette base, considérer que la diplomatie des grandes puissances se privatise de plus en plus, ce en totale conformité avec la réalité complexifiée de la politique internationale contemporaine. La déclaration de Boubacar Niane va dans le sens de cette collusion qui favorise l'atteinte des intérêts des Etats occidentaux. Il dit : « les grandes ONG, notamment européennes et nord américaines apparaissent comme des relais de leurs gouvernements respectifs dans la mise en oeuvre de leurs politiques de coopération. Entre autres exemples poursuit-il, on peut noter que entre 70% et 90% des ressources des ONG américaines proviennent du gouvernement américain1 ». Le fait du financement public des ONG ne doit pas susciter de l'étonnement, si l'on échappe à l'illusion de la non gouvernementalité que favorise le sigle. Comme le pensent certains auteurs, les ONG ont connu l'essor et se sont vues assignées des missions humanitaires à la suite des conflits ayant ainsi la tâche ingrate de panser les blessures causées par les Etats, dans la poursuite brutale des objectifs de leurs politiques de puissance2. L'affirmation de la collusion ou mieux, de l'instrumentalisation des ONG par les Etats repose sur le financement3 mais pas seulement, car la lisière entre les deux secteurs paraît très floue4.

C'est ce qui fait dire à Fernando et Heston que: « But NGOs function within the boundaries set by the states and are subjects to various laws and regulations. Moreover, there is more

1 Niane Boubacar « Du gouvernement des ONG au Sénégal ? » in Yann Lebeau, Boubacar Niane, Anne Pirion et Monique de Saint Martin (dir.) Etats et acteurs émergents en Afrique, Paris : Karthala/IFRA, 2003, p.88. Mais au-delà de l'affirmation de Niane, l'on sait que le Congrès américain a créé en 1969 l'Inter-American Foundation (IAF) dans la quête d'une nouvelle méthode d'assistance au développement. Elle avait mission de soutenir les organisations privées dans la mise en oeuvre d'une stratégie de développement alternative. Les ONG étaient au premier rang des organisations qu'elle finançait.

2 Bertrand Badie fonde d'ailleurs sur cette collusion, l'établissement d'un nouvel ordre humanitaire, après la double faillite de l'Etat et du privé dans la gestion de l'humanitaire. Voir Badie B. La diplomatie des droits de l'homme, op. cit. pp. 258- 268.

3 Au Kazakhstan, le financement des ONG par l'Etat est institutionnalisé. D'après la section 5.2 de la Constitution Kazakh, le financement par l'Etat des associations publiques est interdit. Cependant, le code civil kazakh est très imprécis sur le sens à attribuer à l' « association publique ». Du coup, la Loi sur le Contrat Social de l'Etat adoptée le 12 avril 2005 autorise le financement des ONG. Ainsi, en 2005 par exemple, près de 3,5 millions de dollars US ont été alloués aux ONG kazakh. Certes, ce couloir est aménagé pour éviter que les ONG sollicitent des financements extérieurs qui les rendraient autonomes vis-à-vis du gouvernement. Lire Vsevolod Ovcharenko « Government financing of NGOs in Kazakhstan: Overview of a controversial experience » The International Journal of Non-for-Profit Law, vol.8, Issue n°4, August 2006.

4 Dans certains pays comme la Pologne, la Tchéquie, la Hongrie, la Slovaquie, la Slovénie, la Croatie, la Roumanie, l'Estonie, la Lituanie et la Lettonie, il existe des bureaux de liaison établis pour servir d'espace de la coopération entre les Etats et les ONG. Il s'agit d'une formalisation de la complémentarité des deux secteurs. Maria Gerasimova « The liaison office as a tool for successive NGO-government cooperation: An overview of the Central and Eastern European and Baltic countries' experience» The International Journal of Non-for-Profit Law, vol. 7, Issue n°3, June 2005.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 271 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

and more evidence of increasing collaboration between governments and NGOs1» (mais les ONG fonctionnent au sein des Etats et sont sujettes à des lois et régulations. De plus, il y a de plus en plus de preuves d'une collaboration croissante entre les ONG et les Etats). En réalité, c'est la traduction de l'esprit européen qui se construit sur la responsabilisation de la société civile et qui se donne pour but d'exporter ce schéma de gouvernement. Jadis, les ONG avaient un discours alternatif qui se justifiait par le climat de répression qui prévalait dans les régions telles que l'Amérique Latine et l'Europe centrale et de l'Est. Au point que, l'Etat était considéré comme ennemi2. Désormais, avec la fin relative des autoritarismes et la chute du communisme, les problèmes de l'heure exigent moins une opposition qu'une complémentarité entre l'Etat et les ONG. La théorie démocratique qui s'exporte vers les horizons autres met un index particulier sur la participation de la société civile à la mise en oeuvre des politiques3. Sur la base de la supposition de ce lien collusif, l'on peut arguer que la transparence des industries extractives en tant que plateforme qui met en scène des ONG, n'échappe pas à cette logique. Aussi, l'examen de la genèse de ce que d'aucuns ont appelé l' « initiative Blair » révèle-t-il la prégnance d'un changement de politique étrangère en Grande Bretagne, changement qui se fonde sur un caractère éthique de la politique du New Labour. L'adhésion de certains pays à cette démarche témoigne de la conformité de leurs politiques à cette façon intégrative de faire.

1 Fernando L. Jude et Heston Alan W. « NGOs between states, markets and civil society » The Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 554, n°8, pp. 8-20 (1997)

2 La réinvention de la société civile que prônent certains auteurs, se justifie par l'avènement de la démocratie libérale qui abrase la pertinence d'un discours alternatif des ONG dans le contexte des autoritarismes. Ainsi, les grandes ONG deviennent des relais de la politique des Etats, non plus pour combattre le communisme et les autoritarismes, mais la revisitation nécessaire des objectifs des ONG les conduit vers les actions en faveur du développement. Or, elles sont plus proches des populations et sont dotées d'une expertise avérée. Faute de procéder à ce revirement impératif, les ONG peuvent se retrouver déconnectées des réalités contemporaines. Lire au sujet de la reinvention des ONG les travaux de Anthony Bebbington notamment, Bebbington Anthony J. « Reinventing NGOs and rethinking alternatives in the Andes », The Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 554, pp. 117-135 (Nov. 1997); Anthony J. Bebbington, Diana Mitlin et Sam Hickey« Reclaiming development? NGOs and the challenge of alternatives» World Development, vol. 35, n°10, pp. 1699-1720 (2007).

3 Ce lien collusif perd donc la connotation péjorative car il s'agit d'une façon de faire la politique qui implique totalement la société civile et les ONG qui en sont la composante la plus active et bruyante. L'on peut pertinemment consulter les travaux de Patricja Dabrowska sur la participation de la société civile dans les processus décisionnels de l'Union Européenne. Dabrowska P. « Civil society involvement in the EU regulations on GMOs: From the design of a participation garden to growing trees of European public debate » Journal of Civil Society, vol.3, n°3, pp. 287-304 (Dec. 2007); Dabrowska, P. (2006) Hybrid solutions for hybrid products? EU governance of GMOs, Doctoral Thesis, Department of Law, European University Institute, Florence, 2006. Mais l'on peut également lire pour conforter la vue de la collusion entre les Etats et les ONG comme une modalité de la politique contemporaine: Ekovitch Stephen «Les ONG et la politique étrangère des EtatsUnis »Géostratégiques, n°16, pp. 67-81 (Mai 2007). Lire également l'ouvrage de Henri Rouillé d'Orfeuil (2006) La diplomatie non gouvernementale. Les ONG peuvent-elles changer le monde? Paris : Editions de l'Atelier.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 272 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

En mai 1997, Tony Linton Blair forme son tout premier cabinet. Il annonce dès cet instant sa volonté de refonder la politique étrangère de la Couronne, en opérant un virage éthique et en intensifiant l'aide publique au développement. Robin Cook son ministre des affaires étrangères déclarait le 12 mai 1997 : « Notre politique étrangère doit avoir une dimension éthique et nous devons encourager l'exigence d'autres peuples à obtenir ces critères démocratiques sur lesquels nous insistons nous-mêmes1». Le soutien annoncé pour l'implémentation des critères démocratiques dans les pays pauvres passait donc par une intensification de l'aide2. Aussi, Tony Blair annonçait-t-il à Johannesburg en septembre 20023 que l'aide britannique à l'Afrique passerait à 1 milliard de livre sterling par an dès 2006.

Le lien collusif entre le gouvernement britannique et les ONG servira de stratégie pour l'atteinte des objectifs de cette nouvelle diplomatie « éthique ». En notant que dans son discours Tony Blair a averti que pareil soutien accordé à l'Afrique « n'est pas de la charité mais un investissement pour notre avenir commun », l'implémentation de la nouvelle stratégie s'appuyait sur les ONG et en cela, Oxfam, Save the Children et Christian Aid sont centrales dans la politique africaine du New Labour. Katharine Quarmby4 pense que Oxfam connaît des échecs dans son activité en Afrique à cause des liens privilégiés qu'elle entretient avec le gouvernement. Sans rechercher ici les issues de la privatisation de la diplomatie étatique, l'intérêt réside dans la démonstration du fait collusif.

La collusion pour le cas de la politique du New Labour5 qui sert d'exemple mais qui n'est pas un cas isolé, se donne à voir au travers de la proximité des stratégies, dans la communauté des campagnes et dans l'échange de personnels. A la suite de la guerre en Iraq, le premier ministre britannique a vu sa politique étrangère désapprouvée par l'opinion anglaise et même

1 Robin Cook cité par François Gaulme « Le sursaut africain du New Labour : principes, promesses et résultats » Afrique Contemporaine, Automne 2003, p.74.

2 L'Overseas Development Administration (ODA) va devenir le Department for International Development (DFID), c'est-à-dire une structure pleinement autonome qui ne sera plus contrôlée comme la première par le Foreign Office.

3 L'on notera au passage que c'est lors de ce sommet pour le développement durable que le premier ministre britannique avait annoncé le lancement de l'Initiative de Transparence des Industries Extractives. Voici un extrait de son propos : « l'Afrique est pour moi une passion. Fier de notre leadership pour la remise de la dette, fier des ressources que nous allons dégager pour l'aide au développement, nous voulons donner plus encore à l'avenir... ceci implique d'approfondir notre partenariat avec l'Afrique. Je puis vous annoncer qu'à compter de 2006, la Grande Bretagne accordera 1 milliard de livre sterling par an. Ce n'est pas de la charité, mais un investissement de notre avenir collectif ».

4 Quarmby K. « Why Oxfam is failing in Africa » New Statesman du 30 mai 2005.

5 Le cas du New Labour est retenu comme exemple pour démontrer la poursuite de la politique étrangère des Etats par les ONG en raison du rôle que celui-ci a joué dans la conception et la genèse de l'initiative qui constitue l'objet de cette étude.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 273 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

étrangère, elle lui reprochait ce suivisme inconditionnel vis-à-vis de l'administration Bush. L'impératif d'un retour à l'éthique annoncée en 1997 se posait comme condition pour la sérénité politique. Le lancement de la campagne Make Poverty History1 constitua une opportunité de dérouler la corde éthique, en s'appropriant et même en tentant de récupérer la lutte des 450 ONG regroupées autour de la campagne. Les liens privilégiés qui existent entre Oxfam et le gouvernement Blair sont apparus évidents dans le comportement de cette ONG à laquelle les autres reprochaient d'épouser systématiquement les opinions du gouvernement. Mais mieux encore que les supputations sur des liens présumés ou accomplis entre les deux sphères, l'échange de personnel donne un aperçu plus évident du fait collusif entre l'Etat et les ONG. Frank Judd, un ancien directeur de Oxfam a travaillé pour le Labour dans les années 1990, et a été le porte-parole du parti sur les questions de développement international. Shriti Vadera, conseillère de Gordon Brown sur les questions de développement international était un fidéicommissaire de Oxfam tandis que Justin Forsyth fut un directeur de campagne et des politiques à Oxfam avant de devenir un des conseillers de Tony Blair.

La présentation du fait collusif dans la relation que les Etats instaurent avec les ONG ferait figure de poncif si elle constituait une oeuvre structurée autour de la narration des évidences de la collusion. Au surplus, elle serait un non-evènement politologique tant sont légion les cas de collusion des intérêts privés avec ceux publics. L'Etat, parce qu'il est et se veut être ad vitam aeternam le détenteur exclusif du monopole de la contrainte et de la violence physique et symbolique légitime, ne saurait se voir interdire l'usage à des besoins d'intérêt national et de Raison d'Etat, des éléments constitutifs de sa morphologie. Aussi, l'on comprend la place des ONG dans les « guerres de palais » où comme en Amérique latine, les Etats Unis se sont appuyés sur le prétexte de la poursuite des droits de l'homme par les organisations privées et des professionnels de la société civile en lien avec différentes administrations américaines. Le rôle de la Fondation Ford et de Human Right Watch est de ce point de vue très significatif de la collusion des intérêts américains avec l'action des organisations de la société civile dans l'avancement de la démocratie en Amérique latine2. Cela va dans le sens de Steven Ekovitch qui fait explicitement des ONG américaines les instruments de la politique étrangère

1 Avec Commission for Africa Report, Make poverty history constituent les instruments de ce que Ankie Hookvelt appelle l' « impérialisme postmoderne ». Ankie Hookvelt « Globalization and post-modern imperialism » Globalizations, vol. 3, n°2, pp. 159-174 (2006)

2 Voir à ce sujet Yves Delazay et Bryant G. Garth (2002) La mondialisation des guerres de palais. La restructuration du pouvoir d'Etat en Amérique latine, entre notables du droits et « Chicago Boys », Paris : Seuil, notamment le chapitre VIII.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

américaine. Il dit à ce sujet : « elles (les ONG) peuvent également être engagées dans toutes sortes d'activités dans les pays étrangers, qu'il s'agisse d'Etats ou de sociétés civiles. Leurs activités sont parfois activement soutenues par Washington et sa diplomatie. Dans ce cas, les ONG se transforment au moins partiellement en vecteurs de l'influence américaine1 ».

En mai 2009, Transparency International en collaboration avec quelques autres ONG telles que Sherpa et Global Witness, a introduit une plainte contre les présidents Sassou Nguesso du Congo, Omar Bongo du Gabon et Obiang Nguema de la Guinée Equatoriale. Cette plainte déposée auprès du pôle financier du parquet de Paris, a été jugée recevable par madame Françoise Desset et, elle est la seconde du genre après celle de 2007 classée sans suite2. Il est reproché aux présidents ainsi indexés de confisquer les richesses de leurs Etats au détriment des populations qui sont parmi les plus pauvres au monde. Au-delà du récit éthique qui autorise pareille initiative, il demeure que Transparency International et Global Witness semblent servir consciemment ou inconsciemment les intérêts des puissances anglo-saxonnes soucieuses de bousculer le pré carré français, et fragiliser l'influence de la France dans la sous-région Afrique centrale. Sherpa est une ONG établie à Paris. Il est présidé par William Bourdon un avocat qui a défendu William Lee un autre avocat américain. Parmi les mécènes de Sherpa, on trouve Sigfried Rausing Trust qui est basé à Londres mais serait très lié aux Fondations américaines. Il s'agit d'un groupe qui dénonce régulièrement le rôle de la France dans le génocide rwandais. Le plus important contributeur de cette ONG est Open Society Institute, la Fondation de Georges Soros qui investit beaucoup d'argent dans le groupe américain Carlyle un important fournisseur du Pentagone. Très proche de la famille Bush, Soros se serait rallié désormais au nouveau président des Etats-Unis d'Amérique Barack Obama. Sherpa compte aussi parmi ses donateurs Global Witness3. Il ne s'agit pas de se prononcer sur la véracité ou non des faits qui sont reprochés aux présidents visés, mais manifestement la guerre pour un « magistère d'influence » est déclarée entre les puissances pour le contrôle des immenses ressources extractives dont regorgent les Etats du Golfe de Guinée. Et dans cette guerre, les ONG ne sont pas neutres. Cela peut inspirer le même commentaire du rapport du CCFD-Terre Solidaire sur les « biens mal acquis » de certains dirigeants4. Il s'agit de penser que les ONG sont des acteurs incontournables dans la

1 Steven Ekovitch « Les ONG et la politique étrangère des Etats-Unis »Géostratégiques, n°16, mai 2007, p. 68.

2 Le 29 octobre 2009, cette autre plainte a été jugé irrecevable par la cour d'appel de Paris.

3 Voir l'article de Albert Duvillard «ONG en eaux troubles» dans Le Point, n°1924 du 30 juillet 2009, pp. 33-36.

4 Antoine Dulin et Jean Merckaert « Biens mal acquis. A qui profite le crime ? » Rapport CCFD-Terre Solidaire, Juin 2009.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

diplomatie des puissances. Ipso facto, Johan Galtung a raison de considérer que les acteurs non territoriaux à l'exception des OTRANG (organisation transnationale non gouvernementale) ne peuvent pas se targuer de quelque indépendance vis-à-vis des Etats. Il dit : « une conclusion évidente se dégage de toutes ces observations : les deux systèmes -le système territorial et le système non territorial- ne sont pas indépendants l'un de l'autre et il n'y a aucune raison d'espérer qu'ils le deviendront. Les systèmes non territoriaux d'aujourd'hui sont des instruments aux mains des unités territoriales qui savent comment les utiliser et comme nous l'avons indiqué, il ne s'agit pas uniquement des grandes puissances1 ».

Dès lors que l'on cesse d'appréhender les ONG comme des monolithes figés et inamovibles, l'on peut alors les envisager comme des organisations fonctionnelles qui évoluent et sont vouées à des tâches dont l'Etat peut être l'instigateur2. A ce titre, la transaction entre l'Etat et les ONG au bénéfice du premier cesse de relever de l'extraordinaire pour s'inscrire dans la normalité de la politique contemporaine. C'est au travers de ces usages nouveaux des acteurs privés et singulièrement des ONG qu'il faudra lire la souveraineté, réalité molle qui se rend relative, en démontrant le souci de l'autre c'est-à-dire une responsabilité qui induit des transactions entre l'Etat et les ONG. Cette précision rend superflu tout discours sur le fait collusif au service de l'Etat de la mise en oeuvre car, l'exploration de l'hypothèse de l'existence d'une société civile autonome creuset des ONG dans ces aires porte quelque intérêt heuristique en tant qu'elle permet la démonstration de la manipulation des ONG par l'Etat pour la conduite selon le voeu de ce dernier, du processus de mise en oeuvre de la transparence des industries extractives.

2. L'illusion de la pureté de la société civile dans les aires d'implémentation de l'EITI ?

L'affirmation de l'inexistence de la société civile dans les Etats de la mise en oeuvre comporte un risque d'exagération, tant on y note la profusion des organisations distinctes des Etats qui y revendiquent l'accès aux processus de décision. L'idée de ce paragraphe est de dire que la manipulation excessive de la société civile par les Etats dans ces espaces territoriaux où la pratique démocratique est en implantation, donne l'impression d'une

1 Johan Galtung «Un continent invisible: les acteurs non territoriaux...» art. cit. p.76.

2 C'est ce qui fait dire à Norbert Götz que: « Rather than designating a normative end, NGOs belong to the category of functional concepts such as the state power, structure and agency ». Götz Norbert « Reframing NGOs: the identity of an International Relations non-starter» European Journal of International Relations, vol. 14, n°2, p. 236

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

« dédifférenciation ». La mise en oeuvre de la transparence des industries extractives est une démarche processuelle faites d'étapes qui, comme autant de bornes sur le sentier de la pratique démocratique, indiquent le chemin parcouru. La candidature d'un pays est conditionnée par la constitution d'une équipe de parties prenantes au nombre desquelles les ONG figurent en bonne place en tant que porte-fanions de la société civile.

L'oubli de la réalité des contextes dans lesquels l'initiative est déployée comme une entreprise de promotion de la norme de la transparence, peut conduire à la glissade vers une conception universaliste de la société civile. La transparence se pose comme impératif précisément parce que le déficit démocratique se donne à voir dans l'absence ou la marginalisation d'une « société civile » qui soit un contre-pouvoir face à l'opacité ambiante, être le gendarme, le porte-parole des faibles. Ainsi, le spectacle de l'invitation des organisations de la société civile au banquet de la transparence offre-t-elle de scènes de l'auto-assujettissement desdites organisations qui se prédisposent à la manipulation étatique. Lorsqu'en 2005 le gouvernement camerounais, soucieux de constituer un comité de suivi de la mise en oeuvre de EITI, se tailla de toute pièce sa « société civile », le fait a suscité le haro des ONG influentes et réputées de la place qui, parce que financées depuis l'extérieur, se présentent comme la société civile camerounaise. En réponse, le gouvernement convoqua près de 300 ONG camerounaises à l'hôtel Mont Fébé de Yaoundé pour leur exposer la situation et surtout, leur demander trois représentants pour le comité. Au terme de la réunion, chaque représentant d'ONG reçut une enveloppe de 50.000 FCFA représentant le remboursement des frais de transport. Cette démarche eut pour effet de semer le trouble au sein des ONG en leur miroitant les rentes de la perspective d'appartenir au comité.

Ce premier niveau de l'instrumentalisation des ONG par les Etats est généralement suivi par la vulgarisation des jetons de présence qui vont grossissant, selon que les décisions à adopter sont d'une importance capitale pour l'Etat. L'appeal des ONG en rapport avec les jetons de présence1, les rend vulnérables devant les Etats qui, dans la poursuite des objectifs dont l'initiative est un moyen, se servent d'elles comme garantie. En fait, l'illusion que la présence des organisations de la société civile dans les comités de mise en oeuvre est gage de

1 Le 3 avril 2008, lors d'une réunion du comité EITI Cameroun qui avait pour seul point à l'ordre du jour l'adoption du budget 2008, grande fut notre surprise d'entendre les représentants d'ONG au sein du comité prendre la parole pour demander que soit revue à la hausse le montant des jetons de présence qui s'élevaient jusque-là à 200.000 FCFA. La raison avancée était qu'en ces temps où le baril de brut avait franchi le cap de 100 dollars, 400.000 FCFA ne représentaient que de l'argent d poche car le gouvernement percevait des millions de dollars de l'exploitation pétrolière. Il est apparu comme une atmosphère de concertation préalable entre les membres d'ONG afin de plaider pour une revalorisation des jetons de présence.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 277 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

la bonne volonté de donner corps à la transparence, sert d'opportunité aux Etats qui les utilisent comme assurance.

De plus, la considération des trois mises en garde de Sydney Tarrow1, précisément celle relative à la rémanence de l'Etat comme acteur politique dominant dans l'espace international, justifie que ce dernier use de ce privilège pour conduire ses affaires en s'appuyant sur les atouts des autres acteurs. La politique mondiale devient dès lors une polité dans laquelle les Etats sont prépondérants car, disposant d'une capacité d'influence sur les autres acteurs notamment les ONG dont ils exploitent l'expertise et les informations en vue de rendre efficientes leurs politiques. Ainsi, les considérations de Paul Wapner qui lit la politique mondiale en terme d'horizontalité (horizontal politics) et pense la politique au-delà de l'Etat2, perdent en pertinence tant les Etats gardent le contrôle sur nombre d'aspects de la vie internationale3. De plus, au plan interne, l'on ne peut pas considérer que les ONG échappent totalement aux Etats pour s'inscrire dans des relations horizontales avec leurs alter ego du monde, puisque l'existence d'une relation verticale au sein même de l'Etat révèle la mainmise de celui-ci sur son territoire et ses administrés.

Considérant la transparence des industries extractives stricto sensu, l'acceptation même de l'idée de la coproduction d'un environnement démocratique par l'intégration des organisations de la société civile est révélatrice de l'arrière-pensée de capitalisation de l'interaction par les Etats. Ces contextes particuliers dans lesquels la démocratie va à son rythme auraient-ils tout d'un coup l'affect de la responsabilité au point d'envisager l'ouverture dont on sait qu'elle provoquerait la fin de certains régimes ? L'on peut pertinemment appréhender la parlementarisation de l'espace politique dans les Etats de la mise en oeuvre, parlementarisation en tant qu'elle est la tolérance de l'autre que l'on redoute dans un contexte de moeurs politiques civilisées, comme une simulation dans le prolongement

1 Sidney Tarrow rappelle que très souvent l'on oublie trois leçons que l'histoire nous a enseigné à savoir : premièrement que l'Etat demeure l'acteur dominant dans la plupart des domaines de la politique, malgré le lien fréquemment fait entre les forces transnationales et la globalisation, la politique transnationale a vu le jour bien longtemps avant la globalisation et, les Etats ont souvent aussi mené des politiques transnationales. Sidney Tarrow « Transnational politics: contention and institutions in international politics » Annual Review of Political Science, n°4, pp.1-20 (2001).

2 Wapner P. (1996) Environmental activism and world civic politics, Albany: State University NY Press.

3 Comme le montrent certains cas de figure dans lesquels l'Etat se sert des acteurs transnationaux. Lire par exemple Peter Hägel et Pauline Peretz « States and transnational actors: who's influencing whom? A case study in Jewish Diaspora politics during the Cold War » European Journal of International Relations, vol. 11, n°4, pp 67-493.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 278 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

sindjounien1 de la trilogie de Hirschmann. Les ONG seraient alors des objets de conformité des Etats aux normes démocratiques internationales, une démocratie en oripeau dont le lointain aperçu renvoie une image réflexive de la norme promue. Si l'on ne se laisse pas distraire par l'effet d'optique, l'on peut observer que les ONG servent à la formation d'une illusion de conformité démocratique, à la simulation. L'Etat est donc de toute évidence toujours détenteur d'une capacité d'action qui lui permet d'entrer en interaction avec les autres acteurs dont l'émergence semblait sonner le glas, entonner le requiem de l'Etat. Les firmes n'échappent pas à cette instrumentalisation étatique dont la fin est la préservation des intérêts des Etats.

B. Du consensus opaque à la transparence collusive : les industries extractives et l'Etat, idylle éternelle d'un couple fusionnel

Le postulat de base de ce sous-paragraphe est l'idée réaliste selon laquelle l'Etat utilise les autres acteurs pour la poursuite de l'intérêt et de la puissance2. En effet, le réalisme, comme le relève Colonomos3 pour le déplorer, considère que l'Etat est un acteur unitaire dont la politique étrangère s'appuie sur toutes les composantes. Pendant longtemps (et aujourd'hui encore), la puissance d'un Etat s'est lue au travers des fleurons de son économie. Le Japon et les USA ont fait fortune par la maîtrise de la technologie productrice et surtout dans le quadrillage des marchés par leurs firmes. L'un et l'autre, dans les applications de ce que Peter Katzenstein et Yutaka Tsujinaka appellent « buying » et « bullying4 », ont confirmé l'impact de l'Etat dans la conduite de la diplomatie d'entreprise. Dans le domaine des mines et hydrocarbures, le caractère stratégique des ressources énergétiques confère aux firmes y exerçant, une certaine identité qui est intimement liée à l'Etat d'origine de celles-ci. L'intérêt national peut être intimement lié à des ressources telles que le pétrole et donc, faire des compagnies pétrolières des acteurs décisifs dans la poursuite des objectifs de la puissance.

1 Voir Sindjoun Luc « La loyauté démocratique dans les relations internationales : sociologie des normes de civilité internationale » Etudes Internationales, vol.32, n°1, pp.31-50 (mars 2001).

2 Cette idée qui s'oppose à l'acception de Susan Strange pour qui le marché est un pouvoir autonome, est promue notamment par Robert Gilpin. Lire par exemple Gilpin Robert (1975) US Power and The Multinational Corporations: the Political Economy of Foreign Direct Investment. New York: Basic Books.

3 Colonomos, A. La morale dans les relations internationales, op. cit. p.61.

4 Le concept de buying dénote pour ces deux auteurs le fait pour les firmes étrangères d `acquérir des intérêts économiques dans le pays pour exercer une influence indirecte dans le pays hôte. Le bullying consiste pour une firme d'utiliser l'influence directe au plus haut niveau politique pour se donner de l'importance dans le pays hôte. Un troisième concept, celui de binding rend compte de la coopération des firmes avec les bureaucraties et les syndicats des pays hôtes. Peter J. Katzenstein et Yutaka Tsujinaka « `Bullying», `'buying» and `binding»: the US-Japanese transnational relations and domestic structures » in Thomas Risse-Kappen (ed.) Bringing transnational relations back in, op. cit. pp. 79-111.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

D'autre part, lorsqu'on considère les pays hôtes des firmes des industries extractives, la posture statiste voudrait que l'on ne perde pas de vue que les structures domestiques moulent les comportements des acteurs transnationaux1 ; c'est de toute façon la réalité qui sous-tend à la seconde articulation de ce sous-paragraphe. Toutefois, ceci n'excluant pas cela, les acteurs transnationaux sont des acteurs rationnels qui ne se fondent pas totalement dans le moule étatique des comportementalités.

1. Les firmes transnationales dans la transparence des industries extractives: les contours d'une action des firmes au service de l'Etat

Les Etats sont dans une logique de poursuite des objectifs de politique étrangère et nul ne peut s'offusquer de ce que la norme éthique de la transparence soit instrumentalisée à cette fin. Lorsque le premier ministre français François Fillon, en visite au Cameroun du 20 au 22 mai 2009 tient un discours mettant l'emphase sur la transparence comme mode opératoire de la politique française en Afrique sous l'ère Sarkozy, il s'agit de l'énonciation d'une logique nouvelle. La transparence des industries extractives est donc la matérialisation de cette nouvelle orientation dans un secteur précis. Par-delà les développements au sujet de la matière, la mise en oeuvre de cette politique s'appuie sur des acteurs publics et privés et, désormais, l'Etat ne compte plus uniquement sur ses démembrements dans le cadre d'une diplomatie classique et d'une para-diplomatie. Parce que les acteurs privés sont devenus des agents d'une diplomatie parapublique au service de l'Etat, les firmes font la démonstration des délices d'une diplomatie d'affaire2 au service de l'Etat. Peut-on encore dès lors parler de réalisme ? Certainement !

Sur la foi de quatre éléments3, le réalisme se présente comme la théorie de la puissance et de l'intérêt. La moralisation de la politique étrangère des Etats permet d'atteindre des buts de

1 Lire à ce sujet l'ouvrage collectif dirigé par Thomas Risse-Kappen sur les acteurs transnationaux, précisément les contributions de Stephen Krasner « Power politics, institutions, and transnational relations » in Risse-Kappen (1995) op. cit. pp. 257-279. Mais aussi Cal Clark et Steve Chan « MNCs and developmentalism: domestic structure as an explanation for the East Asian dynamism » in Risse-Kappen (1995) op. cit. pp. 112-145.

2 La notion de diplomatie d'affaire ou corporate diplomacy décrit cette forme de diplomatie conduite par les firmes et donc les retombées sont bénéfiques pour les Etats. Elle rime avec une loyauté nationale. Voir par exemple Richard J. Barnet et Ronald E. Müller (1975) Global reach :... op. cit. pp. 72-103.

3Il s'agit comme le rappelle encore Dario Battistella de : la prévalence de l'anarchie dans le système international, les Etats-nations comme acteurs rationnels qui cherchent à maximiser leur intérêt national défini en terme de puissance, la prévalence du rapport de force ou l'équilibre de la puissance qui permet de maintenir une paix précaire et les Etats-nations considérés comme les acteurs principaux des relations internationales. Voir Battistella Dario « Le réalisme réfuté ? » Etudes Internationales, vol. 34, n°4, pp. 615-616, décembre 2004.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

puissance1 ; il ne s'agit donc pas d'abandonner la maxime de l'intérêt et de la puissance, mais d'intégrer les exigences de ce temps2 dans la conduite des affaires du monde car, le temps de la Guerre Froide est révolu. De plus, par delà les temps et les époques, la notion d'intérêt demeure transversale dans la conduite des Etats. La prise en compte des acteurs nouveaux libérés du musellement de la Guerre Froide n'épuise pas le domaine des efficiences du réalisme mais, l'enrichit des considérations nouvelles. C'est le vin nouveau dans de nouvelles outres, le risque d'implosion est nul, l'anomie n'est pas envisageable. Ceteris paribus, la pertinence de ce réalisme moral se lit au travers des usages étatiques de la diplomatie corporative.

Si la crise philippine3 de 1973 a révélé une firme américaine en opposition avec la politique de la Maison Blanche, le rôle de ITT dans le renversement de Salvador Allende par le général Augusto Pinochet dans la même décennie 1970 illustre les interpénétrations qui existent entre les Etats et leurs firmes dans le design des régions géopolitiques. Dans la droite ligne de la démonstration de cette collusion selon qu'elle est le fait de l'Etat qui mène les jeux, s'inscrit cet espace, en considérant le cas précis de la transparence des industries extractives.

Le premier niveau de lecture de la diplomatie d'affaire comme tremplin de la politique étrangère des pays d'origine des firmes est la tempérance du climat social comme incidence de la transparence des industries extractives. Les firmes ont leur part de mérite dans cet état de fait. La stabilité sociale repose sur des variables telles que le bien-être social. Il n'y a de paix que dans un environnement de repus. Or, les firmes des industries extractives constituent des vecteurs de développement dans ces sociétés richement dotées de ressources du sous-sol. Dans la quête d'un climat social stable dans les espaces de mise en oeuvre de l'initiative, climat qui arrangerait les affaires des Etats développés, les industries extractives ont une responsabilité cruciale dans la pacification des Etats. D'ailleurs, ces dernières ont quelques

1 C'est pour cela que Adrian Hyde-Price assimile l'action de l'Europe qui se définit comme une puissance éthique, à une déclinaison du réalisme structurel. Lire notamment Hyde-Price A. « A `tragic actor' ? A realist perspective on `ethical Europe' » International Affairs, vol. 84, n°1, pp.29-44 (2008) ; Hyde-Price A. « Normative power Europe : a realist critique » Journal of European Public Policy, vol. 13, n°2, pp. 217-234 (March 2006).

2 A ce titre, le smart power qui est la politique du bâton et de la carotte s'applique mieux, évitant d'adopter des politiques étrangères déconnectées des réalités inhérentes aux espaces de la mise en oeuvre. Le smart power comme paradigme mesuré alterne l'usage de la puissance hard et de la puissance soft. Voir Ernest J. Wilson, III « Hard Power, Soft Power, Smart Power» The Annals of the American Academy of Political and Social Science, n°616, pp. 110-124 (mars 2008).

3 En 1973, la filiale locale de Exxon aux Philippines refusa de vendre du pétrole à la Navy dans la baie du Subic par solidarité avec les pays arabes qui voulaient boycotter les produits américains.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

fois été des acteurs importants dans le délitement du climat politique des pays. La pacification du climat social par la participation au bien-être des populations passe par l'implication des firmes dans le processus de développement des régions d'opération, au-delà des revenus qu'elles engendrent aux Etats. Conocco Phillips a crée dans ce sens, des structures de concertation pour penser en coopération avec les populations riveraines de ses raffineries, les meilleurs formules de développement. Les Community Advisory Council (CAC) et les Citizen Advisory Panel (CAP) sont ces espaces de concertation1. Ils ont par ailleurs, le mérite de contribuer à la pacification du climat par le dialogue qu'ils favorisent et empêchent ipso facto la montée des violences du fait du saut de leur couche par les compagnies en quête de la seule reconnaissance étatique. Ce souci de pacification et de pérennisation de la paix sociale a conduit le groupe Anglo American à solliciter un vote des populations locales sur un projet autorisé par le gouvernement péruvien. En effet, en avril 2007, la firme a reçu le quitus du gouvernement pour le projet d'exploitation de Michiquillay au nord du Pérou. La compagnie, soucieuse de la paix sociale dans les sites d'opération, a sollicité le vote des populations de Michiquillay et de La Encanada. Celles-ci ont approuvé le projet à 60% et il s'agit d'un projet de 403 millions de dollars dont la moitié est censée être affectée au développement des communautés2. Ainsi, par simple « raison pratique », les Etats-soutien à l'initiative auraientils intérêt à s'appuyer sur les pratiques de transparence adoptées par les compagnies originaires de leurs espaces territoriaux, pour fabriquer la stabilité politique dans leurs espaces de convoitise ou d'influence.

Corrélativement, les coups d'Etat et rebellions encouragés par les concupiscences développées par la perspective d'un contrôle des gisements de ressources et la manne qui en découle3, peuvent connaître un bémol avec l'institutionnalisation de la transparence comme façon de gouverner. En effet, nul ne peut ignorer le potentiel nuisible de l'opacité dans ce qu'elle laisse penser que l'accès au pouvoir est synonyme de contrôle des richesses sans exigence de responsabilité. La vulgarisation des warlords tels que Charles Taylor, Jonas Savimbi et Laurent Nkunda prend un ancrage dans la conviction de ce vacuum et s'appuie sur

1 Conocco Phillips' Sustainable Report 2006, p. 10

2 Anglo American, Making difference, Report to society 2008, p. 38.

3 Voir les travaux de Paul Collier au sujet des déterminants économiques dans la survenue et la continuation des conflits. Mais également certains travaux qui, transcendant la dichotomie greed/grievance dans l'explication des conflits, expliquent aussi en partie ceux-ci par les déterminants économiques. Notamment, Karen Ballentine et Heiko Nitzschke, «Beyond greed and grievance: Policy lessons from studies in the political economy of armed conflict », International Peace Academy report, October 2003.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 282 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

les connections extérieures qui facilitent par le fait globalisateur, l'écoulement dans les marchés informels et parallèles des produits de ce braconnage social1.

De même, l'opération de séduction des « alliés silencieux » que sont les autres peuples, s'appuie sur la revisitation des modèles de politique étrangère. L'intérêt national des puissances du monde développé a cessé d'être défendu uniquement par une cooptation des élites au pouvoir. L'expérience du golfe arabo-persique a démontré que la longue entente entre les puissances et les leaders quelques fois contestés et légitimement contestables, a créé un déphasage entre les actions des puissances et les aspirations des populations. Considérant le cas des Etats-Unis au Golfe, Henry Hyde s'interrogeant sur les raisons qui y ont conduit au développement de l'image caricaturale et destructrice des Etats-Unis y répond en disant : « Il apparaît de plus en plus clairement qu'une grande partie du problème vient de l'inefficacité et souvent de la vétusté de nos méthodes2 ». Il naît donc la nécessité d'utiliser un peu d'idéalisme dans la poursuite de la sécurité nationale américaine. Il poursuit en disant : « Mon raisonnement est le suivant : En nous concentrant sur nos relations avec les gouvernants étrangers et les organisations internationales, nous en sommes venus à négliger un groupe de puissants alliés : les autres peuples du monde3 ». Ces peuples qu'il qualifie d' « alliés silencieux » défendront mieux les intérêts américains. Il faut tout simplement oeuvrer à se faire connaître par eux, les intégrer dans le plan du développement du monde. Ce, d'autant plus que le terrorisme est en partie l'expression d'une impuissance. Celle d'un peuple au banc de la société et qui n'a plus d'espoir. Porter l'espoir à ces peuples par la liberté, la justice et le développement économique est un objectif de la nouvelle stratégie américaine de sécurité nationale. Mais, « la propagation de ces principes à l'étranger bénéficie non seulement aux populations d'autres pays, mais renforce également la sécurité nationale des Etats-Unis en réduisant les risques de conflits entre les nations4». La condition de ce développement est un usage transparent et rationnel des énormes ressources dont regorgent les sous-sols de ces aires privilégiées de pauvreté. L'adhésion des firmes au jeu de la transparence participe donc de la facilitation de l'atteinte des objectifs ainsi déclinés sous la forme du réalisme éthique.

1 Lire à ce sujet William Reno, Warlord Politics and African States, op. cit.

2 Hyde Henry 2002, «La diplomatie publique et la politique étrangère des Etats-Unis: parler à nos alliés silencieux » Revue électronique de Département d'Etat américain ; vol.7 n° 4, p. 25, (décembre 2002).

3 Hyde, art. cit. p. 26.

4 Lieber (K) et Lieber (R)., «La stratégie de sécurité nationale du président Bush » Revue électronique du département d'Etat américain. vol.7, n° 4, p. 29 (décembre 2002).

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

La problématique de la transparence peut être intimement liée à la question de sécurité. Audelà de la simple suspicion, on peut pertinemment penser que l'exigence de transparence est consubstantielle à l'idée de sécurité nationale1 des Etats-soutien. Dans la poursuite de la sécurité énergétique des pays développés, surtout en ces temps d'instabilité des points géopolitiques2à laquelle il faut adjoindre la raréfaction des ressources qui sont non renouvelables, un usage transparent des revenus permettrait de codifier l'exploitation, en mettant un frein à l'exploitation anarchique. Un scramble vers les ressources du sous-sol dépouille l'humanité des ressources utiles à sa préservation, mais plus encore, ces ressources relèvent de la sécurité nationale de certains Etats, sécurité définie en terme énergétique3. Les firmes sont d'autant plus agents de la diplomatie d'affaire au service des Etats que, il est arrivé qu'elles comptent parmi leur personnel des agents secrets acteurs d'une diplomatie secrète dans un contexte de rivalité entre les puissances. Aussi, Loïc-le-Floch Prigent rapporte que Pierre Guillaumat qui fut désigné par le général De Gaulle pour le Bureau de Recherches du Pétrole (BRP), avait réussi à lier les opérations de la SDECE française avec celles de Elf Aquitaine. Il en est de même des activités de Maurice Robert qui, en Afrique, a lié les activités de la section africaine de la SDECE avec Elf au point que cette firme était devenue un repère des agents secrets ayant mission de maintenir le contrôle de la France sur ses ex-colonies. Les firmes extractives seraient donc dans cette configuration, des agents de la préservation de la sécurité énergétique des Etats. Mais une sécurité dont la poursuite a changé, passant de la collusion opaque à la collusion transparente car, leur pratique de la transparence est bénéfique aux Etats qui en même temps qu'ils voient assurés pour longtemps leur approvisionnements énergétiques, ont aussi accès aux revenus des Etats et donc, assurent leur sécurité en terre étrangère par une prévention de l'irruption des menaces transnationales sur leurs théâtres nationaux. A ce dernier sujet, l'on sait que depuis le début de la guerre totale contre le terrorisme au lendemain du 11 septembre 2001, la levée partielle du secret bancaire aura permis la découverte des immenses sommes déposées dans les banques occidentales par les pontes des régimes des Etats nanties de ressources extractives. C'est en partie sur la base de la preuve de ces avoirs que l'ex-ambassadeur américain au

1 Une approche sectorielle de la sécurité selon l'appréhension de certains auteurs. Voir par exemple Niagalé Bagayoko-Penone et Bernard Hours (dir.) Etats, ONG et production des normes sécuritaires dans les pays du Sud, op. cit. Partie IV.

2 Le Golfe arabo-persique qui se présente comme un espace instable pour les intérêts étrangers depuis la seconde guerre du golfe, le golfe d'Aden qui est devenu un haut lieu de la piraterie maritime, le golfe de guinée menacé désormais par les mouvements rebelles du Delta du Niger qui ont les moyens de la pratique de la piraterie maritime.

3 Lire à ce sujet Pierre Péan (1983) Affaires africaines, Paris : Fayard.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Cameroun M. Niels Marquardt a prôné l'application de l'article 66 de la Constitution camerounaise et soutenu la guerre contre la corruption et les détournements des fonds publics1.

L'importance des firmes des industries extractives dans les pays à économies fragiles renseigne sur la place de la conditionnalité démocratique dans la signature des contrats d'exploration et d'exploitation. Les Etats-soutien usent donc de leurs firmes comme des facilitateurs dans la promotion de la consolidation démocratique. En somme, la collusion utilitaire entre les Etats et les firmes pour l'exaltation des intérêts étatiques se lit dans la conscience des objectifs poursuivis par les Etats en matière énergétique, sécuritaire et géopolitique. Dès lors, dans l'attente de fabrication d'un espace de démonstration de la transaction collusive au profit des firmes, il est de bon ton de penser que dans la poursuite de ces objectifs précédemment indiqués, les Etats utilisent les firmes. En dépit de l'absence de données indicatives de cette collusion, absence qui s'explique par le caractère secret de ce type de pratique qui ne se donne pas à voir au premier abord, l'esquisse théorique de ce soupçon a nourri le discours sur cet espace discursif. Les indicateurs de cette collusion orientent également vers les sites de la mise en oeuvre où l'Etat hôte des firmes se sert de leur présence pour, par le fait de l'initiative, engranger un capital utilitaire propice à l'avancement de ses buts de politique intérieure et étrangère.

2. Les structures domestiques et les firmes multinationales des industries extractives : les usages étatiques des firmes dans la politique des Etats hôtes.

L'entrée des firmes dans les Etats hôtes quoique faibles sur le plan institutionnel, ne se fait pas comme l'entrée dans un pandémonium. La faiblesse de ces Etats ne les rend pas similaires à des terrae nullius où l'auctoritas n'existe pas, et où la capacité d'influence de la part des institutions étatiques n'existe pas. De même que les firmes, parce qu'acteurs transnationaux ne peuvent impacter sur les structures domestiques avec des nuances selon les structures en

1 L'article 66 de la constitution camerounaise du 18 janvier 1996 dit : « Le Président de la République, Le Premier Ministre, les membres du Gouvernement et assimilés, Le Président et les membres du bureau de l'Assemblée Nationale, Le Président et les membres du bureau du Sénat, les députés, les sénateurs, tout détenteurs d'un mandat électif, les Secrétaires Généraux des Ministères et assimilés, les Directeurs des administrations centrales, les Directeurs Généraux des entreprises publiques et para - publiques, les Magistrats, les personnels des administrations chargés de l'assiette, du recouvrement et du maniement des recettes publiques, tout gestionnaire de crédits et des biens publics, doivent faire une déclaration de leurs biens et avoirs au début et à la fin de leur mandat ou de leur fonction. Une loi détermine les autres catégories de personnes assujetties aux dispositions du présent article et en précise les modalités d'application ».

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 285 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

question et selon le degré d'institutionnalisation internationale1 de la transparence des industries extractives, de même les structures domestiques ne sont-elles pas de monolithes muets et figés. L'Etat hôte appréhendé comme une structure domestique, informe sur le désir de considérer non pas les structures sociétales, mais davantage les institutions politiques et dans une certaine mesure, les réseaux politiques reliant ceux-ci aux premiers2. Autrement dit, il s'agit de considérer comme Krasner3 que l'Etat est dans l'interaction avec les acteurs transnationaux, le moteur dont la structure doit mouler les autres acteurs. C'est reconnaître à l'Etat une certaine souveraineté qui exclut toute essence passive d'un acteur dont le territoire reçoit, et dont l'autorité s'exerce dans l'octroie de l'autorisation d'opération aux firmes des industries extractives. Persévérant dans l'appréhension relative de la souveraineté étatique, la reconnaissance de la capacité d'influence de l'Etat sur les acteurs transnationaux en exercice sur son territoire permet de rendre raison de l'opérationnalisation des firmes des industries extractives par l'Etat. Il s'agit de penser qu'au-delà de l'influence passive de l'Etat sur les acteurs transnationaux qui pénètrent son territoire, ce dernier peut activement utiliser ces acteurs pour des buts servant son intérêt. Le cas des firmes extractives selon qu'elles sont engagées dans une transaction complexe avec les Etats qui en récoltent les prébendes est digne d'intérêt.

La paix sociale est une quête perpétuelle dans les sociétés politiques4et l'accréditation des firmes contribue à la pacification et au maintien de la stabilité. L'hypothèse de la démocratie comme gage de la paix sociale est ici retenue, lisible au travers de l'implication des firmes dans la transparence. La rébellion du mouvement touarègue du MNJ au Mali repose sur la

1 Thomas Risse-Kappen pense que l'impact des acteurs transnationaux ou des coalitions d'acteurs transnationaux sur les Etats d'accueil est variable selon ces deux éléments. Thomas Risse-Kappen (Ed.), Bringing Transnational Relations Back in, op. cit.

2 Risse-Kappen traduit le concept de domestic structure en lui conférant le contenu d'institutions politiques, structures sociétales et réseaux politiques servant de pont entre les deux niveaux de l'Etat. Risse-Kappen op. cit. p. 20

3 Stephen D. Krasner « Power Politics, Institutions and Transnational Relations » in Thomas Risse-Kappen, op. cit. pp. 257-289.

4 Cependant, il ne faut pas considérer que la paix est une recherche généralisée dans les sphères de gouvernement. Il ne faut pas perdre de vue que certains s'accommodent du gouvernement par la violence. Pis encore, certains dirigeants s'accommodent du climat de violence qui seul peut leur céder le droit de conserver le pouvoir. La Côte d'Ivoire est un exemple où la violence a servi tant à Guillaume Soro qu'au président Gbagbo. L'on peut penser que le rétablissement de la démocratie aurait exclut du jeu certains acteurs en manque de légitimité extensive. Et que l'entretien du climat de guerre qui a rendu possible le renvoi continu des élections aura permis un sursis du président Gbagbo au pouvoir, étant donné que dans le cadre des élections à venir en novembre 2009, nul ne peut prédire le camp victorieux. A propos de l'absence de paix comme instrument de gouvernement, lire par exemple Chabal P. et Daloz J.P. (1999) Africa works : Disorder as political instrument, Bloomington et Indianapolis : Indiana University Press. Mais l'on peut aussi lire les travaux de Charles Tilly qui ressortent la violence comme facteur de la création des Etats. Charles Tilly (1975) (ed.) The formation of national state in Western Europe, Princeton: Pinceton University Press.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

revendication d'une part conséquente des revenus de l'uranium dont est dotée la région touarègue d'Arlit. Le sentiment d'injustice nourri par l'opacité qui est entretenue par la transaction collusive entre le gouvernement malien et la firme française AREVA peut avoir compté parmi les facteurs explicatifs de la naissance des mouvements tels que le MNJ et à des partisans tels que Ali Agbanga. Les rébellions successives et atomiques du Tchad faisant du Darfour voisin une base arrière, sont omnibulées par le pétrole que le consortium ExxonChevron-Petronas extirpe du bassin de Doba dans le sud tchadien. De même, l'instabilité chronique dans le Delta du Niger, instabilité entretenue par un foisonnement de mouvements armés1 se justifie par l'action des firmes pétrolières qui sont dans une transaction opaque et collusive avec le gouvernement fédéral et les élites locales. En réalité, la carte politique dans les trois Etats pétroliers du Delta du Niger ne saurait se jouer sans les compagnies pétrolières qui financent, soutiennent et assurent l'essentiel des réalisations sociales en terme de routes, dispensaires et autres écoles, afin de pacifier le climat lourd de révolte2. Le soutien des firmes est ainsi capital pour les élites politiques de cette région qui instrumentalisent les bandes armées pour inciter une plus grande dépendance des compagnies vis-à-vis d'elles, dans l'optique de la pacification. L'absence d'un fair play anime le sentiment de frustration et d'injustice qui est à la source de la rébellion armée. La banalisation de la violence devient un mode d'accès au pouvoir plutôt que la démocratie qui abhorre la violence et la forclos.

Dans ce climat de banalisation de la violence, les firmes constituent un acteur clé dans la mise hors jeu des mécanismes de barbarie dans la conquête du pouvoir. Aussi, même si les délices de l'opacité interdisent toute jubilation et tout empressement de la part des Etats qui y voient fondre les milliards de francs de l'absence de transparence, l'adhésion des firmes à la transparence entraîne quelque accalmie et le gage que les démons de l'opacité peuvent céder la place à une transparence effective qui rendraient aux populations locales souvent marginalisées, la pleine appartenance à l'Etat, par le bénéfice des revenus des ressources de leurs terres3. A ce sujet, Chevron qui est investi dans l'exploitation pétrolière dans le Delta du

1 On y recense beaucoup de mouvements rebelles, notamment : Niger Delta People's Volunteer Force (NDPVF), de Alhaji Dokubo, Niger Delta Vigilante (NDV), de Ateke Tom et d'autres mouvements tels que Icelanders, Greenlanders, KKK, Germans, Dey Gbam, Mafia Lords, et Vultures qui furent formés dans les années 1990 comme des fraternités dans les universités.

2 En 2009, le président nigérian M. Moussa Yar'Adua a présenté une offre d'amnistie aux groupes rebelles qui acceptent de déposer les armes. Le 3 octobre de la même année, Tom Akete a accepté cette offre d'amnistie.

3 En général, les peuples dont les terres abritent les ressources quant celles-ci ne sont pas off-shore, se voient souvent dans un contexte d'opacité, écartés de la gestion des revenus et c'est en cela que réside la survenue des conflits et rébellions armés. Tel est le cas des Touarègues du Mali, des peuples du Delta du Niger (principalement les Itsikeris, les Urhobos et les Ijaws), les darfouri (populations noires du Darfour). C'est au

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Niger, a signé entre 2005 et 2006, des memoranda d'entente global avec huit groupes de communautés locales ainsi que leurs gouvernements. Le but visé était de créer des outils de développement propices à la pacification du climat social dans cette région où, les multiples frustrations ont favorisé l'escalade de la violence. Ainsi, au titre de ces memoranda, des Regional Development Councils (RDC) ont vu le jour, afin de passer de la philanthropie à un modèle de développement durable et participatif profitable aux communautés. C'est dans le cadre de ces RDC que les projets d'électrification rurale, de construction des routes, écoles et dispensaires pilotés par Chevron sont financés. Depuis la signature des memoranda, la compagnie affirme avoir déboursé plus de 32 millions de dollars pour la réalisation des projets définis avec les communautés1. Les firmes deviennent ainsi des coproducteurs de la paix sociale dans les cadres territoriaux des Etats selon le principe de la transparence comme gage de la paix.

De plus, les Etats ont besoin des firmes pour produire des richesses et absorber l'immense couche de la population qui manque d'emploi. En plus de l'investissement direct étranger que drainent les firmes du secteur extractif en direction des pays hôtes, elles créent des emplois. L'adhésion des firmes à la transparence est le signal envoyé aux potentiels agents de production des richesses et des emplois dans les industries extractives. Surtout que, la plupart de pays engagés dans l'initiative comptent pour beaucoup sur les richesses de leurs sous-sols pour booster leur développement. De toute évidence, l'engagement des firmes dans la transaction complexe qui prévaut dans la transparence des industries extractives participe du soin de l'image de l'Etat hôte. Le risque-pays s'en trouve amoindri, laissant ainsi aux compagnies autres qui sont en quête de lieux sûrs d'investissement, l'attrait pour ces sites jadis damnés en raison des syndromes de l'instabilité chronique qui se développait autour des industries extractives.

Section 2 : La connotation utilitaire de l'action non gouvernementale dans la transparence des industries extractives

Les Etats n'ont nullement le monopole de la diplomatie publique2. Comme le démontre Eytan Gilboa1, l'absurdité consisterait à imputer la diplomatie publique aux seuls Etats ; car,

Tchad que curieusement la guerre pétrolière est une guerre fratricide opposant les Zaghawas et quelques fois même les cousins i. e le président Déby et ses frères tels que Mahamat Nour.

1 Chevron, «Developing partnerships », Corporate Social Responsibility Report 2008.

2 La diplomatie publique ne doit pas être comprise uniquement comme l'action extérieure de l'Etat. Elle est en
réalité toute action entreprise en direction des populations d'un autre Etat dans le but d'influencer les actions de

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 288 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

le contexte post-guerre froide se caractérise par l'importance des acteurs non étatiques dans les affaires internationales. En même temps, les acteurs non étatiques ne sont pas irrationnels au point de constituer des fantoches d'une diplomatie publique uniquement bénéfique aux Etats. Si l'idéologie démocratique lève les foules et mobilise les acteurs de moult bords, si les acteurs privés impliqués dans le déploiement de la diplomatie étatique servent par volonté ou par destination les intérêts des Etats, la fièvre idéologique n'a pas réussi par les convulsions spasmodiques, à dépouiller ceux-ci de leur rationalité. L'homo ideologicus n'est donc pas aussi irrationnel qu'il ne paraît2. Dès lors que l'on a retenu cette posture qui reconnaît aux acteurs privés quelque rationalité qui peut s'exercer dans l'initiative de transparence des industries extractives, l'on peut donc pertinemment considérer que les ONG et les firmes impliquées dans l'initiative jouent dans les transactions qui les mettent en relation les uns avec les autres et avec les Etats, la carte de leurs intérêts. Et ce faisant, au-delà de la cristallisation de l'attention sur les intérêts au sein d'une initiative qui se veut le véhicule d'une norme éthique, c'est la souveraineté qui dévoile sa nature relative et se donne à voir non pas comme l'ombre diaphane d'un principe mort, mais comme un principe changeant et au fait des changements des temps présents.

La juxtaposition de la problématique de la souveraineté relative et de la relative distance entre l'éthique et l'intérêt est le fil d'Ariane de cette étude. L'emphase mise à quelque moment de l'argumentation ne doit pas distraire de cette cohérence qui se veut la matrice de l'analyse. Aussi, tout en faisant la démonstration de la prévalence des intérêts dans la conduite des acteurs privés, il ne faut pas rester omnibulé par le récit utilitaire qui épuise le récit éthique des ONG (paragraphe I) et des firmes des industries extractives (paragraphe II).

Paragraphe I : Les organisations non gouvernementales et le spectacle de l'altérité : l'EITI, un théâtre de l'humanisme captieux

leur gouvernement. Elle peut être le fait d'un Etat, mais depuis la fin de la guerre froide et l'émergence de nouveaux acteurs, elle est également menée par les acteurs non étatiques. A propos de la diplomatie publique, lire par exemple : Malone, Gifford. «Managing public diplomacy», Washington Quarterly, vol. 8, n°3, pp. 199- 213 (1985). Leonard, Mark. (2002) Public diplomacy, London: Foreign Policy Centre.

1 Dans son examen critique des réflexions sur la théorie et la méthodologie dans la diplomatie publique, Gilboa appréhende celle-ci comme étant le fait des Etats et des acteurs privés. Eytan Gilboa « Searching for a theory of public diplomacy » The Annals of the American Academy of Political and Social Science, n°616, pp. 55-77 (march 2008).

2 Telle est la thèse de Raymond Boudon. Lire Boudon Raymond (1986) L'idéologie Paris : Fayard.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Le pessimisme non-gouvernemental de Bernard Hours1trahit la probabilité d'un récit captieux s'agissant de l'humanitaire proclamé à cor et à cri par les organisations non gouvernementales. Telle est l'idée que s'attele à démontrer ce paragraphe en s'articulant autour des transactions multiples qui lient les ONG des deux types d'Etat (c'est-à-dire les Etats d'origine et les Etats hôte des ONG). La complexité transparaît dès l'imagination des interactions possibles entre ONG, les ONG et les Etats, les ONG et les firmes. Pour des commodités de cohérence, les deux sous-paragraphes vont obéir à une logique arbitraire qui se fonde sur les interactions privées (A) et les transactions qui mettent en scène l'Etat et les ONG (B).

A. Les fruits de l'interaction privée : les ONG au coeur des transactions utilitaires dans l'initiative de transparence des industries extractives

De l'avis du professeur Sindjoun, « la formation d'un réseau d'ONG luttant pour la bonne gestion des ressources issues de l'exploitation pétrolière au Tchad, leur action relayée par les partenaires et sponsors occidentaux entraînent l'intensification de la crise de la souveraineté de l'Etat tchadien sur ses ressources naturelles2». Si la crise renvoie au tournant, alors l'on peut souscrire à cette affirmation, considérant que la souveraineté est ainsi passée à l'étape de sa relativisation c'est-à-dire que désormais, la question des ressources naturelles ne peut plus être la chasse gardée de la seule compétence des Etats. Ainsi, les ONG comptent parmi les multiples acteurs impliqués dans la gestion des revenus des produits du sous-sol et du sol. Le débat se serait avéré très bref si tel était le point d'ancrage réel du discours. Mais en plus de la relativité de la souveraineté qui se donne à voir dans l'implication des acteurs nouveaux dont l'émergence et l'affirmation sont des signes de la position théorique considérée, la complexité des interactions qui les mettent en branle mais davantage, la spéciosité de leur engagement éthique qui trahit une quête des rentes matérielles et immatérielles de l'engagement dans l'initiative sont les ressorts de cet espace. Que le lecteur ne dissocie point les deux problématiques, puissent-elles toutes deux servir de boussole à quiconque lit cette étude : la relativité de la souveraineté se donne à voir dans la multiplication des acteurs, aux transactions complexes qui les lient, mais la relativité de l'opposition entre l'éthique et l'intérêt complète le tableau de la scène écrite de notre étude.

1 L'anthropologue Bernard Hours est très sceptique quant à la capacité des organisations non gouvernementales à produire une action humanitaire dépouillée de la prééminence de l'intérêt. Lire par exemple : Hours Bernard (1998) L'idéologie humanitaire ou le spectacle de l'altérité perdue, Paris : l'Harmattan.

2 Sindjoun Luc (2002) Sociologie des relations internationales africaines, Paris : Karthala, p. 119.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Les organisations non gouvernementales impliquées dans l'initiative de transparence des industries extractives offrent une unième occasion de discourir sur les motivations intéressées de l'action prétendument humanitaire des acteurs privés. Dans les multiples relations qu'elles ont avec les firmes et les unes les autres, nombre de retombées donnent l'impression d'un bal des dupes.

1. Une logique de diversification des sources de légitimité : la transparence des industries extractives pourvoyeuse d'un supplément de légitimité

Dès lors qu'on trouve consensus autour de l'idée que la distance proclamée des ONG vis-à-vis de l'Etat et du marché est devenue inexistante1 et que la promiscuité des différents acteurs de tous les ressorts est un non évènement scientifique, il serait intéressant de croquer les sources de légitimité que procure une adhésion aux principes de la transparence des industries extractives, de consulter le vade-mecum de l'hypocrisie organisée des organisations non gouvernementales. L'on ne peut comprendre les luttes pour une accréditation dans les comités de mise en oeuvre de l'initiative, que par moult incidences qui font sens. Faire partie de cette élite qui siège pour traiter le cancer de l'opacité est en soi un privilège car source de légitimité. Dans cette ère postmoderne, la régulation politique crée de la place pour les acteurs nouveaux2 et, les ONG sont devenues des messies annonciateurs d'une salvation des pauvres dont l'opacité s'est avérée un joug lourd dont il faut les soulager. Le message ou mieux, le récit est plutôt captieux que porteur d'une puissance cathartique réelle. Cette réalité transparaît au travers de l'ambiguïté qui prévaut entre le discours dénonciateur et radical qui met en scène une opposition éthique avec les Etats et les firmes, tandis qu'en même temps, ce radicalisme rhétorique fond devant la pratique non gouvernementale qui est plutôt collusive vis-à-vis des autres acteurs de la triade3. Aussi, peut-on dénoncer le mépris d'une quête du soutien populaire des ONG qui pourraient ainsi s'allier aux populations qu'elles disent défendre, afin de densifier la pression sur les Etats et les firmes. A cela, un membre de la coalition camerounaise4 a rétorqué que ce serait créer des problèmes supplémentaires et que le

1 Jude L. Fernando et Alan W. Heston « NGOs between states, markets and civil society » The Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 554, n°8 pp. 8-20 (1997).

2 Boisson de Chazournes L. et Mehdi R. Une société internationale en mutation...op. cit.

3 Pech Thierry et Padis Marc-Olivier (2004) Les multinationales du coeur : les ONG, la politique et le marché, Paris : Le Seuil.

4 Interrogé le 30 août 2009 à Yaoundé (Cameroun).

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 291 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

fait pour un citoyen de savoir que l'activité pétrolière rapporte des milliards à son pays est sans intérêt dès lors que son quotidien n'est pas l'objet d'un impact réel. Pendant un certain temps au cours de l'année 2009, des populations de Libreville se sont agités après la publication des deux premiers rapports de conciliations qui révélaient à un peuple souvent tenu à l'écart de la gestion des revenus du sous-sol, des sommes importantes que génère l'activité extractive. La discussion avec le membre de la société civile camerounaise cidessus- cité portait en réalité sur l'absence d'ancrage populaire de EITI au Cameroun, où on a l'impression que, de « nouveaux bourgeois » de cet espace public construit, après avoir eu accès au chapitre, ont gagné la légitimité qui en fait des interlocuteurs uniques et valables de la communauté internationale de la transparence des industries extractives. Autrement dit, le malheur des autres leur aurait servi de caution légitimante.

L'important est d'exister et à l'échelle internationale, il faut exhiber un motif d'action qui fait sens. Ainsi, la solidarité tiers-mondiste a donné naissance à une idéologie humanitaire triomphante depuis les années 19801. De même, dans les cas de l'Amérique Latine et de l'Europe de l'Est et du centre2, le discours alternatif qui mettait sur un piédestal le projet de la prise en charge des populations brimées par les systèmes politiques locaux, et mises au banc par les autoritarismes qui se constituaient, levait les foules et procurait une légitimité aux ONG, un quitus d'existence surtout eu égard à leur technicité et à leur flexibilité. Dans la même veine, la transparence des industries extractives constitue l'occasion pour les ONG d'envahir un espace dont l'occupation sous le prétexte du containment des autoritarismes et du communisme a perdu toute raison d'être. La transparence s'avère donc une nouvelle source de légitimité de l'action internationale des ONG du nord qui investissent le sud et celles du sud qui trouvent un locus standi dans les instances internationales telles que la Banque mondiale. Désormais, nul ne saurait discourir de la transparence des industries extractives dans l'ignorance de certains noms de leaders et d'ONG qui sont les propriétaires de cette chasse gardée. Ainsi, Revenue Watch Institute, Oxfam America, Global Witness, Transparency International et autres coalitions nationales au sud, gagnent-elles des attributs supplémentaires de légitimité. L'on dirait pour ce qui est des ONG du sud et de leurs leaders,

1 Hours Bernard « ONG et idéologie de la solidarité : du développement à l'humanitaire » in Deler J.P, Faure Y-A., Piveteau A. et Roca P.J. (1998) ONG et développement, Paris : Karthala, pp. 33-46.

2 Voir à ce sujet : Anthony J. Bebbington « Reinventing NGOs and rethinking alternative in the Andes » The Annals of American Academy of Political and Social Science, n° 554, pp.117-135 (november 1997) ; mais aussi à propos de la réinvention de la société civile en raison de la fin de la pertinence de cet argument, lire Mary Kaldor (2003) Global civil society : An answer to war. Cambridge: Polity Press; Marc Morjé Howard (2003) The weakness of civil society in post-communist Europe, Cambridge: Cambridge University Press.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 292 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

qu'ils ont trouvé dans la transparence des industries extractives, les ressorts d'une nouvelle jeunesse. Ainsi, les positions de M. Marc Ona Essangui lors des élections présidentielles gabonaises du 30 août 2009 ont-elles un relief et un auditoire accru en raison des galons qu'il aurait gagnés dans sa lutte pour la transparence au Gabon. MM. Brice Mackosso et Christian Mounzeo, comme la plupart de ces leaders d'ONG du sud, passent très peu de temps dans leurs pays, ils sont devenus les nouvelles vedettes d'une bataille internationale de la transparence qui se mène dans les luxueux hôtels de Washington, Doha, Oslo et autres. La transparence leur a bâti une carrure internationale ou renforcé leur statut dans le « marché des valeurs ». Les ONG ont reçu ipso facto le carton d'invitation au banquet de la transparence, et leur présence n'y est pas contestable. Elles sont les destinataires légitimes et légitimés des espoirs de la transparence pour le peuple.

Les ONG ont souvent fondé leur identité sur la prétention de la distance vis-à-vis de l'Etat. Dans le contexte du néopatrimonialisme qui est le trait commun aux Etats qui sont parties à l'initiative, les processus de « dédifférenciation » rendent floues les frontières entre les sociétés civiles et les institutions gouvernementales1. Au Cameroun, la loi sur les ONG stipule que celles-ci, si elles sont reconnues d'utilité publique, peuvent recevoir des financements de la part du gouvernement. L'on ne sait pas si de facto certaines ONG reçoivent des subventions gouvernementales, mais toujours est-il que comme nous le confiait le même membre de la coalition camerounaise PWYP, « le comportement de certaines ONG de la coalition est sujet à caution, elles s'opposent systématiquement à toutes les initiatives émanant de leurs pairs, et se font les porte-parole du gouvernement ». Peut-être pense-il, le refus du gouvernement d'octroyer des statuts au nombre important d'ONG qui en font la demande, est-il justifié par la crainte d'une profusion de demande de subventions en corollaire. L'on sait cependant que 80% de l'aide des pays du nord transite par les grande ONG telles que Oxfam, CARE International, Transparency International et par des fondations privées qui à leur tour, financent les ONG du sud engagées dans la transparence des industries extractives. De fait donc, par ONG ou organismes interposés, l'Etat offre à certaines ONG les attributs de leur légitimité, par le truchement des moyens de fonctionnement. De plus, la démocratisation réduit significativement les comportements répressifs et donc, le prétexte de l'assistance aux

1 L'on peut penser quelques fois que cela n'est pas le trait des Etats néopatrimoniaux, en raison des transactions collusives qui existent entre les Etats institutionnellement différents et surtout, dans le cadre de ce que Elisa Reis appelle «lasting marriage» entre l'Etat et la nation. Elisa P.Reis «The lasting marriage between nation and the state despite globalization », International Political Science Review, vol. 25, n°10, pp. 251-257, (2004).

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 293 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

opprimés ne justifie plus le déferlement non gouvernemental des années 19801. L'épuisement de cette identité qui a justifié la cyclothymie de la destinée des ONG tout au long de l'histoire de leur existence, disloque les fondements de leur action des temps passés. Mais, le secret de la renaissance réside dans l'adaptation aux logiques de son temps. La transparence des industries extractives est l'une de ces raisons d'action qui, plus fines et moins grossières, procure une identité aux ONG (on parle d'ONG de développement), mais aussi une légitimité que valide la globalisation et la gouvernance mondiale. Consubstantielle à cette quête de légitimité, il y a le syndrome du passager clandestin.

2. Le syndrome du « passager clandestin » ou l'activisme non gouvernemental au service de l'ambition personnelle des leaders.

Le rôle des entrepreneurs privés dans la mise en oeuvre de la norme de la transparence ne souffre d'aucune remise en cause, tant leur activisme aussi bien lors de l'émergence de la norme que pendant les phases suivantes à savoir la cascade et l'internalisation2, est déterminant pour l'incarnation de la norme. Et comme le disent Sikkink et Finnemore, au-delà du récit humanitaire des ces entrepreneurs, « of course, many norms entrepreneurs do not act against their interests as they act in accordance with a redefined understanding of their interests3 » et leurs intérêts sont divers et variés. Celui qui retient l'attention ici inter alia, c'est l'activation et l'objectivation d'un activisme humanitaire résiduel aux retombées personnelles essentielles. La norme sert d'abord celui qui la promeut semble penser Wayne Sandholtz quand il dit: « However, normative reasoning is prior to utility calculations and arguing about rules is an avoidable part of pursuing evaluated end4 ». Cependant, il ne faut pas toujours penser que la promotion d'une norme profite uniquement à des acteurs impersonnels parce qu'institutionnels. Dans l'ordre des retombées matérielles et immatérielles que génère l' «effet CNN », il faut envisager l'ascension politique des dirigeants comme un niveau des possibles. Le cas le plus spectaculaire est celui de M. Bernard Kouchner qui a trouvé dans l'action humanitaire les ressources de sa projection dans la vie politique. Non pas que l'action humanitaire en soi n'est pas politique, s'inscrivant dans les logiques idéelles

1 Bebbington A. J., «Reinventing NGOs... art. cit.

2 Selon la distinction de Sikkink et Finnemore « International norm dynamics and political change » art. cit. p.896.

3 Sikkink K. et Finnemore M. « International norm dynamics and political change » art. cit, p. 898.

4 Wayne Sandholtz « Dynamics of international norm change: rules against wartime plunder» European Journal of International Relations, vol. 14, n°1, p.104.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

conflictuelles des acteurs multiples du scénario humanitaire. Aussi, la transparence des industries extractives a ses « stars » de la société civile, ces hommes dont l'action non gouvernementale au sein de l'initiative a contribué à renforcer l'aura internationale. Des noms tels que George Sorros, Mateo Peligrini et plus près de nous, Marc Ona Essangui, Brice Mackosso, Christian Mounzeo sont incontournables dans l'élaboration d'une catégorie nourrie par le désir de sanctuarisation de l'activité non gouvernementale qui aurait alors ses « leaders naturels1 ».

Quoiqu'il en soit, l'existence de ces leaders aux ambitions personnelles affichées ou larvées, s'appuie sur une maîtrise des nouvelles technologies de l'information et de la communication, et d'un génie particulier dans la construction des réseaux protéiformes et multi-coloration, qui sont le lieu de l'investissement d'un effort de rassemblement des alliés. Deux cas de figure peuvent illustrer cette mise à profit de l'activisme pour la transparence des industries extractives. Les noms du député tchadien Ngarleji Yorongar et de Marc Ona Essangui du Gabon figurent sur la table des acteurs de la scène de la transparence. Le dernier, après des diplômes de psychologie et d'informatique, a servi au centre culturel français de Libreville. Il a par ailleurs été membre du conseil économique et social de 1993 à 1997. Les deux figures partagent en commun un passé d'agent de l'Etat. Car, le député Yorongar a servi dans la haute administration tchadienne avant de s'inscrire dans la dénonciation et l'opposition2. Les stratégies de positionnement dans le « marché des valeurs » de ces deux acteurs se tissent autour d'une vie associative nationale3 qui les prédispose à servir de relais locaux aux entrepreneurs moraux internationaux en quête de pivots nationaux au Sud. Ainsi, lorsque le projet pétrole Tchad-Cameroun mobilisait les activistes occidentaux, M. Yorongar fut l'un des

1 Les soupçons et la méfiance que suscite cette espérance de monopolisation d'un espace devenu le capital marchand des leaders, a justifié toutes les difficultés que nous avons rencontrées dans la conduite de notre recherche. En effet, et paradoxalement, les ONG engagées dans l'initiative ont fait preuve d'opacité plus que n'en auraient fait les Etats et les firmes. A la réflexion, l'on se rend compte que la transparence est le lieu d'investissement des entrepreneurs politiques sous le masque de l'humanitaire et de la solidarité internationale.

2 Ancien secrétaire général adjoint du Gouvernement, Ancien Ministre de la Fonction publique, Ancien Secrétaire d'État à l'Inspection Générale et au Contrôle d'État (IGCE), Chef de service adjoint au Ministère des Finances à N'Djaména, Adjoint au Sous-Préfet de Moundou, Sous-Préfet de Mbaïnarmar, Adjoint au Préfet, puis Préfet du Guéra, Consultant à l'Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) à Paris, Directeur administratif et financier du Bureau Africain des Sciences de l'Education (BASE) à Kisangani (Zaïre), Directeur de l'Institut International des Assurances (IIA) à Yaoundé (Cameroun). ( www.yorongar.com visité le 04 octobre 2009).

3 En plus d'être le fondateur de Brainforest, Marc Ona Essangui est membre de plusieurs associations. L'honorable Yorongar quant à lui, est président du Groupe Parlementaire FEDERATION, il est le coordinateur exécutif fédéral de FAR/PARTI FEDERATION, il est également le président de la Fondation pour le Respect des Lois et des Libertés (FORELLI) et le directeur des publications La Roue et Le Phare Républicain.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

échos favorables à la construction d'un réseau international pour la défense des droits du peuple tchadien. Lors du second séminaire des droits de l'homme à Wustrow (Allemagne) tenu en septembre 1997, M. Yorongar fut invité par les organisateurs. C'est au cours de ce séminaire que le groupe de travail des ONG allemandes sur le projet pétrole Tchad-Cameroun vit le jour1. Ce fut le début d'une recherche menée par le député tchadien au sujet du projet, exploitant ainsi l'intérêt que celui-ci représentait pour certaines ONG allemandes. La connexion de ces leaders aux réseaux internationaux leur procure une visibilité et les informations nécessaires, en même temps qu'une certaine protection diplomatique de la part des Etats du nord. En effet, lors des multiples intimidations et arrestations qui arpentent ces chemins de la pitié2, les puissances occidentales, faisant suite aux demandes pressantes des ONG coalisées du nord, ont souvent fait preuve de diligence dans la condamnation des affres que ces leaders de la société civile subissent de la part de leurs Etats. Mais, la reconnaissance internationale exprimée par des prestigieux prix, accentue la pertinence de ces acteurs, et les situe sur la scène politique aussi bien nationale qu'internationale. En septembre 2001, Marc Ona a été nominé au Stockholm Challenge Awards et le 20 avril 2009, il a reçu le prix international Goldman pour son action dans la protection de l'environnement. La dénonciation des injustices est donc une stratégie géniale de propulsion sur l'international, quand en plus la maîtrise de l'outil Internet est mise à contribution. De même qu'un warlord s'appuie sur les alliés extérieurs pour se rendre pertinent dans le champ politique interne, ces acteurs cherchent activement le parapluie des chantres de l'humanitaire au sein de la Banque mondiale, du parlement européen etc., faisant au passage la démonstration des critiques acerbes vis-à-vis de leurs pays par des positions véhémentes et dénonciatrices qui donnent de ceux-ci, l'image de territoires condamnés à la disparition, tant y sont poussées les pratiques de corruption et d'opacité. Il naît à la congruence de l'officiellement politique et de l'officiellement non gouvernemental, une classe d'élites privées qui se frayent un chemin dans les labyrinthes de la mondialisation. Cette classe devient comme pour le cas du FMI et de l'UE3, l'indicateur d'une absence de lien entre les populations dont elle dit défendre les intérêts et la communauté de la transparence qui se réunit dans des luxueux hôtels à Doha, Berlin, Oslo, Londres etc. Cette configuration donne naissance à un espace public bourgeois

1 Pétry et Bambe, op. cit. p. 67.

2 Le député Yorongar aurait subi entre le 4 juillet 1996 et le 3 février 2008, 14 enlèvements suivis quelques fois de torture. ( www.yorongar.com ). Les tribulations dont a souvent été victime Marc Ona ont déjà fait l'objet de développement dans cette étude.

3 Lire à ce sujet Eva Etzioni-Halevy «Linkage deficit in transnational politics » International Political Science Review, vol. 23, n°2, pp. 203-222 (2002).

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

où se rassemblent les élites publiques et privées pour débattre des problèmes des populations, avec la probabilité d'une inefficacité qu'autorise la déconnexion des ordres d'intérêt et de préoccupation1. En somme, les transactions complexes qui s'établissent entre les ONG et avec les firmes, donnent naissance à une classe de privilégiés, interlocuteurs uniques des grandes ONG et des organisations internationales. La crédibilité de ces interlocuteurs a été bâtie sur la foi de leur dénonciation quelque fois exagérée des dérives de la gestion étatique, ce, amplifié par le seul souci de la part de leurs bailleurs de fonds d'épuiser les sommes collectées, dans un cycle vicieux de reconversion de l'aide multilatérale2.

B. Les fruits des transactions avec l'Etat : les ONG dans le complexe du
financement de la transparence des industries extractives.

Deux précisions s'imposent d'emblée. D'abord, le souci de restituer la complexité des transactions n'a pas été occulté par la démonstration de l'intérêt comme motif d'entrée en lien social mais, derrière l'idée du primat accordé aux retombées de la transparence, se trouve la réalité que le financement des ONG est une procédure complexe car les fonds proviennent des Etats, des firmes et des particuliers. Autrement dit, la provenance des fonds constitue en soi le signe de la complexité. Ensuite, cela impliquant ceci, la question du financement des ONG ressort dans l'espace réservé aux fruits de la transaction avec l'Etat car de près ou de loin, il existe souvent une relation de promiscuité entre les Etats et les grands ONG3 dans le financement de leurs relais du sud. En effet, les Etats du nord adoptent des budgets d'aide au développement, véhiculent cette aide par les grandes ONG de leur sphère, celles-ci financent leurs relais au sud pour la mise en oeuvre des politiques convenues. Des équipes viennent des grandes ONG de façon périodique pour procéder à l'évaluation des performances des bénéficiaires des fonds. Les fonds octroyés par les grandes ONG et les fondations telles

1 De plus, la société civile globale qui naît de la mise ensemble des coalitions nationales ne peut pas favoriser la démocratie à l'échelle transnationale car, les pratiques nationales s'y transposent, l'on devient témoin des collusions opaques qui laissent penser que les ONG ne jouent pas véritablement leur rôle déclaré. Ce qui fait dire à Lorenzo Fioramonti que la société civile globale présente les mêmes manques de démocratie que les institutions internationales. Ce qui en soi affecte sa légitimité et pose la question de sa contribution à la démocratie globale. Fioramonti Lorenzo « The internal contradictions of global civil society: what impact on global democracy? » Development Dialogue, n°49, pp. 131-142, (November 2007).

2 Lire à ce sujet Michael Maren (1997) The road to hell: the ravaging effects of foreign aid and international charity, New York: The Free Press.

3 Ainsi, Nick Darden pense que l'arrivée du New Labour a conduit à un saut qualitatif dans la problématique des ONG, en accentuant notamment le financement étatique de celles-ci. Plus d'un tiers des revenus des ONG en Grande Bretagne proviendrait désormais du gouvernement, de l'UE ou d'autres agences de loterie nationale qui sont cependant responsable devant le gouvernement. Nick Darden « From charity to solidarity » Globalizations, vol. 3, n° 2, pp. 261-263 (2006).

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Rainforest Foundation peuvent aussi être l'émanation des dons privés et des firmes par fondations interposées. Aussi, deux articulations vont servir de substrat à la démonstration d'une quête des financements comme moteur de l'activisme non gouvernemental en général et dans le cas spécifique de la transparence des industries extractives.

1. Les rentes de la transparence ou la transparence des rentes ?

La problématique de la transparence dans les industries extractives remet à l'ordre du jour la question des motivations de l'engagement éthique des acteurs non gouvernementaux. L'on ne sait si les rentes de la transparence ont pris plus d'importance que la transparence des rentes, tant l'agitation et les allégations de certains leaders d'ONG laissent transparaître une attitude de convoitise des richesses que génèrent les firmes et dont sont remplies les caisses de l'Etat. Le récit de la transparence devient un alibi, l'objectif étant de prendre part au banquet des délices de l'opacité. Cette réalité transgresse la dichotomie fondée sur l'appartenance hémisphérique des ONG. Deux exemples illustrent ce propos, il s'agit de la conduite des ONG dans le suivi du projet pétrole Tchad Cameroun qui est communément appelé le « projet pipeline » et la surévaluation de la pratique du per diem dans les comités de la mise en oeuvre de EITI.

a) Les ONG dans le suivi du projet pétrole Tchad-Cameroun

L'évocation du pipeline Tchad-Cameroun dans la transparence des industries extractives ne vise aucunement à identifier la façon dont la loi 001 du 30 décembre 1999 réglemente la gestion du pétrole tchadien au processus EITI1. D'ailleurs, il ne saurait en être ainsi puisqu'il existe des différences fondamentales entre les deux. La loi 001 n'implique pas les organisations de la société civile dans la gestion des revenus pétroliers, il s'agit d'une loi qui ne concerne que les revenus du pétrole et n'exige pas la publication des recettes gouvernementales en matière pétrolière. Alors que la Banque mondiale s'est retirée du projet, il n'existe plus de garantie que la bonne gestion des revenus pétroliers sera une priorité du gouvernement tchadien, ni même que les droits de passage au Cameroun seront gérés de façon transparente. Comprenons-nous bien. L'intérêt pour une évocation du pipeline Tchad-

1 Cette précision s'impose car, réunis en septembre 2004 avec ses collègues ministres des finances de la zone franc, le ministre tchadien aurait indiqué que son pays était un précurseur de l' « initiative Blair » (EITI). Benoît Massuyeau et Delphine Dorbeau-Falchier « Gouvernance pétrolière au Tchad : la loi de gestion des revenus pétroliers » Afrique Contemporaine, vol. 216, n°4, pp. 139-156 (2005).

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 298 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Cameroun réside dans la prévalence du syndrome du paillasson1(doormat syndrom) dans le processus de son suivi par les ONG. Aussi, certains détails concernant le projet seront occultés en raison de leur excentration par rapport au fait du doormat syndrom. A ce propos, l'on appréhende le comportement des ONG nationales et internationales autour du pipeline comme la manifestation d'une concentration autour d'un centre d'intérêt. C'est la mondialisation d'un combat local qui sert autant les intérêts des ONG des deux Etats concernés que celles du Nord qui y trouvent des relais sur le terrain2. En effet, le projet se présentant comme un centre de lutte et de déploiement des stratégies pour l'existence, les ONG tchadiennes et camerounaises ont fait appel aux puissantes ONG du nord pour s'allier à elles dans ce combat contre les Etats camerounais et tchadien. Le biais médiatique et les réseaux internationaux se sont avérés importants dans la mise en scène de ce combat vicié de l'humanitaire. Tandis que les ONG du Nord ont obtenu que la Banque mondiale garde un regard sur la gestion du pétrole tchadien (du moins jusqu'en 2005), les ONG locales ont tiré des rentes diverses.

Le « Projet d'exploitation pétrolière et d'oléoduc Tchad-Cameroun » de son appellation intégrale, permet l'exportation vers les côtes camerounaises du pétrole tiré du sous-sol tchadien, dans les champs de Komé, Miandoum et Bolobo dans le bassin de Doba. Le tracé de l'oléoduc parcourt quelques 1070 km de distance, soit 170 km au Tchad et 880 km en territoire camerounais. La construction dudit oléoduc et l'exploitation du pétrole tchadien comportaient des espoirs mais aussi des craintes quant à la protection de l'environnement. Très vite, les ONG y ont trouvé l'espace d'un investissement, le plateau de lecture du récit alarmiste sur les dangers environnementaux et le risque d'une reproduction du Delta du Niger3. Rapidement les ONG du nord et du sud se mirent en réseau pour constituer un contre poids à l'action des compagnies engagées dans le project. Un premier niveau d'interrogation est la cacophonie qui naquit au sujet des buts du plaidoyer. En effet, tandis que les ONG tchadien se battaient pour que l'exploitation pétrolière profite réellement au peuple tchadien en constituant un facteur de développement, les ONG occidentales et avec elles, celles

1 Le fait pour les ONG de mettre en avant les misères des populations pour en tirer les financements et les rentes diverses mais le sort des populations n'est en réalité pas leur préoccupation première.

2 L'on peut lire au sujet de la concentration des centres dans l'activisme international, le travail de Dezalay et Garth au sujet des guerres de palais en Amérique latine. Yves Dezalay et Briant G. Garth, La mondialisation des guerres de palais, op. cit.

3 Surtout que lorsqu'en novembre 1995 le leader du MOSOP Ken Saro Wiwa est pendu pour son engagement dans la défense des droits des Ogonis, les tractations vont bon train pour la constitution d'un réseau d'ONG capables de stopper le projet.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 299 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

camerounaises plaidaient pour l'arrêt du projet au motif que les risques environnementaux étaient considérables1. L'on peut penser qu'à ce niveau déjà, les ONG étrangères furent en totale déconnexion avec les populations tchadiennes, à moins que ce fût l'illustration qu'en réalité les ONG n'oeuvrent pas pour les populations mais pour elles-mêmes.

Lorsque commencèrent les travaux de construction de l'oléoduc quelques ONG s'attelèrent à assurer le suivi du pipeline à partir de mai 2001, ayant pour tâche principale de rassembler les informations concernant les droits de l'homme, les impacts sociaux, économiques et environnementaux. Pour cela, les ONG disposaient de 80 observateurs disposés le long du tracé2. De plus, les ONG camerounaises parties du GIC se donnèrent pour mission de veiller à ce que les compensations soient effectives, que les impacts sociaux du pipeline soient positifs, que le passage de l'oléoduc dans les entrailles de la terre de ces populations constitue pour elles une source d'amélioration du quotidien. C'est sur ces engagements que l'on se penche pour évaluer l'action de suivi des ONG, qui semble révéler une instrumentalisation du discours éthique pour des retombées matérielles et immatérielles.

Il n'est point aisé de dire le montant des rentes de la transparence, l'on se contente donc de soupçonner derrière le comportement collusif des ONG une quête de rentes. Lors d'une réunion tenue à l'hôtel Hilton de Yaoundé (Cameroun) avec les membres du Groupe International Consultatif (GIC) le mardi 27 novembre 2007, M. Honoré Ndoumbe Nkotto relevait le phénomène de la babélisation au sein des ONG engagées dans le suivi du pipeline. Fonctionnaire de son état, il lui semble naturel de défendre les positions étatiques, tandis que la dénonciation quasi-automatique de certaines ONG telles que le CED et le RELUFA qui recevraient des financements colossaux de la part de certains bailleurs de fonds internationaux contribue à distendre les rapports au sein des ONG. Au nombre des agacements que suscitent les immobilismes, l'on peut noter justement celui du RELUFA et du CED qui ont annoncé à l'occasion de cette réunion leur projet de boycott des rencontres organisées à cet effet, tant le gouvernement ne joue pas le jeu de la transparence. Mais au-delà des disparités d'humeur de

1 A ce propos, Petry et Bambé disent : « contrairement à un certain nombre d'organisations écologiques internationales, les organisations tchadiennes étaient en principe pour l'exploitation pétrolière car elles y voyaient une chance pour le développement de leur pays ». Martin Petry et Naygotimti Bambé (2005) Le pétrole du Tchad, rêve ou cauchemar pour les populations, Paris : Karthala, p. 53.

2 Le SeP sillonnait la région s'étendant de la frontière du Tchad (Mberi et Mbeboum) à la ville de Belabo au Cameroun soit 430 km couverts par 30 observateurs. ERA couvrait un territoire long de 330 km allant de Belabo à Mvengué tandis que le CED sillonnait la région comprise entre Mvengué et l'océan atlantique, soit une distance de 120 km. La FOCARFE quant à elle, s'occupaient des relations publiques, produisait notamment le pipeline journal, Petry et Bambé op. cit. pp. 210-211.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 300 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

cette nature, l'on peut penser que les ONG impliquées dans le suivi du pipeline ont sacrifié la misère des populations riveraines qui fit hier leur légitimité sur l'autel de leur reconnaissance en tant qu'acteurs pertinents et des financements qu'offre la défense des droits des populations vulnérables.

Pour tester la véracité de cette allégation, une descente de terrain effectuée du 14 au 27 août 2008 sur la partie sud du tracé nous a permis de vérifier les sentiments des populations à l'endroit de la compagnie COTCO qui gère l'oléoduc, mais également des ONG qui se sont fait leurs médiateurs, affirmant oeuvrer au respects de leurs droits. Il faut dire en passant que certaines populations nous ont confié que les ONG ont contribué à les faire adhérer aux positions du gouvernement camerounais et de COTCO. 156 villages traversés par le pipeline furent ainsi visités, s'étendant sur deux régions (le Centre et le Sud) et sept départements (la Haute Sanaga, la Lékie, le Mfoundi, le Nyong et So'o, la Mefou et Afamba, la Mefou et Akono et l'Océan). Après notre passage, il apparut que certains problèmes dénoncés par les ONG perdurent, malgré les multitudes de réunions à tous les niveaux et ce, cinq ans après le début de transport du pétrole. Du 29 au 30 novembre 2007, le comité de pilotage et de suivi du pipeline (CPSP1) a organisé un forum d'information sur le pipeline Tchad- Cameroun à Yaoundé. Au cours de ce moment d'échange, le Directeur Général de la Cameroon Oil Transportation Company (COTCO) a énoncé quatre termes qui disait-il, constituent le mot d'ordre de sa compagnie : Transparence- Equité- Commun accord et Solution durable. Dans cette optique, les ONG constituent les gendarmes, ce sont elles qui comme dans EITI, veillent à la protection des intérêts des populations, c'est leur raison d'être en général, et plus encore dans cette plateforme. Ainsi, la rémanence et la perpétuation des problèmes dont la résolution constituait l'antienne de leur légitimation dans le suivi du pipeline leur est imputable dans une certaine mesure.

Au terme de l'enquête, il apparut que les populations de la zone balayée ne sont pas satisfaites du passage de l'oléoduc car pensent-elles, il les a laissés plus pauvres qu'avant car, même certaines de leurs terres leur ont été ôtées par l'Etat. Les compensations qui devaient leur être versées en échange du préjudice de la perte de leurs terres et cultures, ont été pour la plupart pas perçues et quand elles étaient perçues, elles comportaient des défauts. Les ONG ont manqué l'occasion de démontrer leur rôle dans l'atténuation des effets de la collusion qui

1 Le Comité de Pilotage et de Suivi des Pipelines (CPSP) est une plateforme tripartite qui réunit les Etats camerounais et tchadien, les compagnies TOTCO et COTCO.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

existait entre les deux Etats et les compagnies impliquées puisque la divergence des intérêts était annoncée ; les Etats courtisant les compagnies afin que la manne pétrolière tombe sur leurs territoires, les compagnies lorgnant vers les bénéfices futurs d'une telle opération, les ONG recherchant la « sauvegarde de l'environnement et le développement durable » pour les populations. En relevant que le pourcentage de la population interrogée est d'environ 60% des populations de l'ensemble des villages, les données qui tiennent lieu de résultat sont certainement une révélation édulcorée de la réalité du mal. Le fait est que, pour collecter ces données, il fallait quelques fois passer pour des agents de la COTCO car, le sentiment de déception qui anime les populations vis-à-vis des ONG impliquées dans le suivi nous avait valu l'expulsion et le mutisme dans certaines localités. Même si cette usurpation d'identité peut biaiser les faits car les populations exagéraient les faits dans l'espoir d'une autre compensation, le cas du suivi du pipeline est un cas d'école du syndrome du paillasson. Ce d'autant plus que, de temps en temps les ONG redescendent sur le tracé de l'oléoduc pour collecter les faits d'une méprise de la population par les Etats tchadien et camerounais, dans le but de lever les fonds auprès des grandes ONG qui oeuvrent à la préservation de l'environnement et des droits des peuples autochtones1. Le tableau ci-dessous donne une vue synoptique des revendications sociales des populations le long du pipeline, dans les régions du centre et du sud.

Tableau 15 : Récapitulatif des statistiques des problèmes de la population le long du tronçon centre-sud en août 2008.

 

Compensation

Compensation

Entretien

Problèmes

Autres

1 Il faut d'ailleurs avouer que c'est à ce titre que notre collecte de données a été organisée et financée par deux ONG camerounaises membre de la coalition PWYP. Les faits ainsi collectés devaient servir à attirer l'attention des bailleurs de fonds sur le fait que cinq ans après le début de l'exploitation de l'oléoduc, les populations sont abandonnées à elles-mêmes, avec des problèmes irrésolus dont certains datent de l'époque du début des travaux de construction.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Départements

Individuelle

Collective

Emprise

d'eau

 

Haute Sanaga

10

2

6

13

3

Mefou et Afamba

 
 

2

1

 

Lékie

6

1

3

9

1

Mfoundi

 
 
 

1

 

Mefou et Akono

 

1

3

7

1

Nyong et So'o

2

7

 
 

1

Océan

1

2

15

16

2

Total

19

13

29

47

8

Source : confectionné par l'auteur.

b) La surévaluation du per diem comme le signe d'une quête des rentes de la transparence.

L'élément le plus visible et palpable de la cupidité non gouvernementale est le per diem. L'engagement dans la transparence des industries extractives, la participation aux réunions nécessitent quelques fois des frais de fonctionnement et les moyens de transports pour ceux des membres du comité qui, comme un parlementaire camerounais qui habite la région de Bakassi (c'est-à-dire à plus de 500km de Yaoundé), résident loin de la capitale où se tiennent généralement les séances de travail. Cette précision faite, l'on ne saurait donc comprendre cet acharnement persistant de certaines ONG sur le per diem que par l'analyse des quêtes de subsides.

L'observation de la plateforme institutionnelle qu'est EITI révèle une multitude de logiques porteuses d'une volonté bien dramatisée de production d'ipséité. Sur la scène internationale, il faut exister, être légitime et pouvoir survivre. En plus d'exercer et de signifier leur présence dans un espace politique sans cesse élargi, les ONG mènent des activités normatives en tirant leur force de leur influence technique acquise pour combler les lacunes de l'Etat1. Pendant que l'Etat certes quelques fois faible ou illustration de l'échec du concept d'Etat2 existe et puise sa légitimité des pouvoirs établis et dispose d'une quiddité reconnue et acceptée universellement, l'ONG fabrique sa légitimité avec des outils ramassés à la brocante des misères du monde. Au-delà de la transparence, c'est le bien-être social des peuples qu'il s'agit de promouvoir par l'accountability dans les industries extractives. Cependant, les ONG impliquées dans EITI mettent beaucoup plus en avant la quête de légitimité et de rentes que la

1 Wafo Samuel. « Les ONG et le développement du droit international de l'environnement : Analyse normatives des ONG environnementales » Thèse de doctorat de 3ème Cycle, IRIC, 1999-2000.

2 Brooks R.E. (2005) « Failed states or states as failure? »University of Chicago Law Review, pp. 1-15.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

connexion des préoccupations du « bas » aux cercles de décisions gouvernementales. Lorsque Anthony Bebbington1citant Thomas Carroll épouse sa définition des ONG qu'il présente comme des: «private, professionally-staffed, non-membership, and intermediary development organizations », il souligne que dans le cas spécifique du déploiement des organisations non gouvernementales dans les Andes, ces acteurs sont restés accrochés à l'espace inexistant entre deux couches sociales. Même si les causes ici n'étaient pas les mêmes là-bas, l'on note un bis repetita dans EITI. Plutôt que de s'approcher des peuples du `bas' dont les affres sont présentées comme motif d'action, la praxis des ONG est restée coincée aux crochets de la transnationalité. L'on comprendra alors le ton goguenard de Bernard Hours2 pour moquer leur inefficacité. Fustiger l'attitude exagérément transnationale des ONG, c'est dire que celles-ci, dans leur quête de subsides matériels et immatériels, se mettent au diapason de la globalisation.

Alors que la question de la capacité d'EITI à donner corps à la transparence fut posée à un membre de la coalition camerounaise publish what you pay, il répondit par la négative, ajoutant qu'il n'est personnellement impliqué dans cette initiative qu'en raison des avantages qu'elle draine. Ainsi, il révéla au recoin d'une indiscrétion la confluence de la quête de légitimité et de subsides qui préside à l'engagement de certaines ONG à l'initiative. L'entreprise des normes s'est mutée en entreprise politique et économique. Les débats houleux quant à la négociation des frais de participation des ONG aux réunions des comités EITI sont le signe d'une gloutonnerie qui marginalise l'intérêt du peuple au profit des appétits personnels. Nombre de membres d'ONG représentées au sein des instances EITI sont muettes sur les rentes de la transparence qu'ils récoltent. L'article 8 du décret N° 2005/2176/PM du 16 juin 2005 portant création, organisation et fonctionnement du comité camerounais de suivi et de mise en oeuvre de l'EITI, dit dans ses alinéas 1 et 2 que : « les fonctions de Président, de membre du comité et du secrétariat technique sont gratuites. Toutefois, il peut leur être allouées ainsi qu'aux personnes invitées à titre consultatif, des indemnités de session dont les montants sont fixés par le ministre des finances »3. Cette attitude intéressée qui préside à

1 Bebbington A. J « Reinventing NGOs and rethinking alternatives in the Andes », art. cit. p.

2 Hours B. (1998) L'idéologie humanitaire ou le spectre de l'altérité perdue, Paris: L'Harmattan.

3 A titre de comparaison, le budget EITI Liberia pour l'exercice 2007-2008 ne fait aucunement mention d'une indemnisation des membres du comité de mise en oeuvre. Au Gabon, l'arrêté N°229/MEFBP du 24 février 2005 portant création, fonctionnement et désignation des membres du Groupe de Travail EITI est muet sur l'indemnisation desdits membres, l'article 3 parle uniquement de `budget de fonctionnement et d' `investissement'. L'article 6 du décret N°000535/PR/MEFBP du 8 juillet 2005 portant création, attribution et organisation du Groupe d'intérêt EITI Gabon dit : « les fonctions de membres du groupe d'intérêt sont

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 304 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

l'entrée en transaction de certaines ONG dans le cadre de l'initiative, les expose à l'antinomie provoquée par les Etats1 qui leur offre des sommes d'argent2 pour les opposer et créer des ONG fictives pro-gouvernementales réfractaires à la contestation. L'autre trait de la spéciosité du récit éthique des ONG est la corruption dans les milieux des ONG.

2. De la corruption au sein des ONG : un indicateur de la spéciosité du récit éthique dans la transparence des industries extractives

L'illusion du désintéressement des ONG est fortement dissipée par les pratiques de corruption qui minent le monde de l'activisme non gouvernemental. Pendant des décennies, les ONG ont porté le flambeau de la lutte contre la corruption et ont fondé sur la présomption de leur moralité différente, leur identité et leur légitimité. Les scandales de l'opacité dans la gestion des revenus tirés des industries extractives ont été souvent présentés horresco referens par les ONG comme des pratiques condamnables parce qu'elles paupérisent les populations. Cette dénonciation qui a pour but de leur attirer la sympathie des bailleurs de fonds souvent situés en occident, est également à bien y regarder, rédhibitoire. En effet, en appréhendant la corruption dans le sillage de Jean Pierre Olivier de Sardan3, c'est-à-dire comme un complexe, la mêmété des pratiques gouvernementales et non gouvernementales révèle que les stratégies de lutte contre la pauvreté doivent s'étendre aux ONG car, leur morale est captieuse. Dans cette étude, l'évocation de la corruption des ONG est porteuse d'un double sens. Alors que la dénonciation de la corruption comme une incidence de l'opacité dans la gestion des revenus des industries extractives a offert un couloir de légitimité aux ONG pour siéger dans l'initiative, en leur faisant le crédit d'une moralité différente, l'on se rend compte de l'illusion éthique de celles-ci. Peut-on faire confiance aux ONG en tant que passerelles du financement

gratuites ». Au Congo, le décret N°2006-626 du 11 octobre 2006 portant création, attribution et composition du comité exécutif de mise en oeuvre de l'EITI dit en son article 12 : « les fonctions de membre du comité exécutif donnent lieu à perception d'une indemnité de session versée chaque fois qu'il se réunit, le montant de cette indemnité est fixé par arrêté du ministre des finances ».

1 Lire à ce sujet, Obadare E. «Second thoughts on civil society: the state, civic associations and the antinomies of the public sphere in Africa» Journal of civil society, vol.1, n°3, pp.267-281. (2005)

2 Au Cameroun, l'Etat offre entre 380 et 760 euros aux personnes ayant assisté aux réunions du comité multipartite. A notre connaissance, il y a juste deux représentants d'ONG qui se sont toujours inscrits en faux contre cet achat de la conscience des ONG, il s'agit des représentants du CED et du RELUFA. Il fat même dire que lors de la réunion EITI tenue au ministère camerounais des finances le 03 avril 2008, lorsque l'adoption du budget annuel comme point de l'ordre du jour a été mise en débat, certains membres du comité représentant les ONG ont demandé que soit doublée la prime de présence car disaient-ils, « par rapport aux milliards que rapporte le pétrole camerounais, ce per diem représente de l'argent de poche ».

3De Sardan J.P.O. (1996) « L'économie morale de la corruption en Afrique » Politique africaine n° 63, pp. 97- 117.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

du développement et de la transparence dans les industries extractives ? En paraphrasant un peu Perousse de Montclos1, cette interrogation demeure d'actualité.

Au-delà des per diems qui induisent un certain malaise quand ils deviennent la motivation principale de l'activisme pour la transparence, moult autres stratagèmes permettent aux ONG de soustraire des fonds destinés au financement du développement. Les détournements des fonds ont souvent été signalés par certains bailleurs de fonds occidentaux. Du 16 au 20 octobre 2002, un membre de la maison-mère de SNV visita les bureaux de cette organisation à Yaoundé2. Il fut scandalisé par les découvertes qu'il avait faites quant aux trous financiers injustifiés et à la mauvaise gestion des fonds alloués à l'organisation. Dans un rapport confidentiel transmis à la hiérarchie hollandaise, il décrivait un chaos administratif avec une perte de 600.000 guilders3, les agents de l'organisation se contentaient de rester cloîtrés dans les luxueux bureaux de Yaoundé, perdant tout contact avec les populations dont les difficultés ont justifié les financements.

L'autre tactique de soustraction des fonds levés pour le financement des projets de développement ou la transparence consiste à gonfler les salaires des employés. En effet, la grille salariale du personnel de certaines ONG locales au Cameroun par exemple s'étend de 50.000 à 450.000 FCFA4. Si l'on considère le salaire moyen d'un contractuel d'ONG titulaire d'une maîtrise, dans des ONG nationales consultées au Cameroun, il est d'environ 160.000 FCFA. Cependant, la grille salariale datée du 1er avril 2008 dispose que les agents de l'Etat titulaire du même diplôme sont rémunérés au moins de 184.299 FCFA, ladite rémunération pouvant aller jusqu'à 336.718 FCFA. Il convient au surplus, de préciser que ce ne sont là que des barèmes antérieurs à mars 2009, mois au cours duquel les salaires des agents de l'Etat a été réévalués de 30%, pendant que les ONG consultées ont gardé statiques leurs salaires. Mais dans les projets soumis aux bailleurs de fonds pour financement, les salaires sont surévalués, pour représenter au moins le SMIC. Ce qui est raisonnable dans la mentalité des occidentaux,

1 Le financement international de la reconstruction de l'Asie du sud-Est après le tsunami de décembre 2004 a permis de se rendre compte des déviances capitalistes des ONG humanitaires. Si à cela on adjoint l'épisode de l'Arche de Zoé au Tchad, cela fait beaucoup et amène à s'interroger sur la moralité des ONG. Lire au sujet du financement de la reconstruction post-tsunami, Marc Antoine Perousse de Montclos « Les ONG humanitaires sur la sellette » Etudes, tome 406, pp. 607-616, décembre 2005.

2 Ces informations nous ont été transmises par Harm Ede Botje et Ruth Hopkins qui ont écrit un article intitulé « Expensive poverty fighters » dans le magazine Vrij Nederland le 01 janvier 2006.

3 Monnaie hollandaise

4 Sur la base d'un journal de paie d'une ONG camerounaise en janvier 2007. Sur la base de ce journal de paie, le salaire moyen des employés est de 160.000 FCFA.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

mais hors de propos dans le contexte des pays subsahariens. Du coup, les rapports financiers des activités annuelles ne sont jamais accessibles que pour les évaluateurs de projets qui sont envoyés par les bailleurs de fonds. Aucun autre employé que les responsables d'ONG n'y a accès car, les décalages sont quelques fois colossaux. Le différentiel va bien sûr dans le compte des responsables1.

Cette absence d'éthique que M. Nzeusseu2 de Transparency International-Cameroon met sur le compte de l'appât du gain, transparaît plus clairement au travers des budgets conçus lors des ateliers. A titre d'exemple, voici ci-dessous deux cas de budgets.

Tableau 16 : projet de budget des journées de réflexion sur la situation actuelle de la gouvernance dans la gestion du secteur forestier camerounais.

Rubrique

Prix unitaire

Nombre/Quantité

Nombre de

jours

Prix total

Location salles

 

- Salle de 200

250.000

01

03

750.000

places

-Salle secrétariat

50.000

01

03

150.000

Charges de

personnels

 

-Intervenants

100.000

07

01

700.000

-Modérateurs

50.000

04

01

200.000

-Traducteurs

100.000

02

03

600.000

-Chef secr.

75.000

04

01

225.000

Tech.

 
 
 
 

- membres secr.

50.000

02

03

300.000

Tech.

50.000

01

03

150.000

- secrétaires

30.000

10

03

900.000

-Hôtesses

 
 
 
 

Location de

matériels

 

-photocopieur

150.000

01

03

450.000

- photocopies

35

10.000

 

350.000

-ordinateurs

150.000

01

03

450.000

- reliures

 
 
 

300.000

-vidéo projecteurs

75.000

01

03

225.000

Restauration

 

1 Pour des raisons évidentes, l'on ne peut citer des exemples de cas, car les sources qui nous ont renseigné en nous fournissant certains documents ont requis l'anonymat.

2 Interrogé en février 2009.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 307 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

-pause café

2.500

150

03

1.125.000

-Cocktails

4.000

150

02

1.200.000

- Buffets

8.000

150

02

2.400.000

Promotion

 

-Banderoles

 
 
 

700.000

-Double-face de

 
 
 
 

-Promotion

 
 
 
 

-Badges et

contacts médias

 
 
 
 

Total

 
 
 

11.175.000

Tableau 17 : Budget de l'atelier d'information et état des lieux des industries extractives au Cameroun

Catégorie

N°. unités

Coût
unitaire

Total (Fcfa)

Transport des participants hors de Yaoundé (aller et retour)

 
 
 

Yokadouma -Yaoundé

1

25 000

25 000

Lomié -Yaoundé

1

20 000

20 000

Douala - Yaoundé

3

18 000

36 000

Sous total 1

 
 

81 000

Indemnité transport participants résidant à Yaoundé

30 pers x 2 jours

5 000

300 000

Sous-total 2

 
 

300 000

logistique

 
 
 

Location salle de réunion

2 jours

60 000

120 000

Sous-total 3

 
 

120 000

Accommodation

 
 
 

Logement des participants

5 pers x 2 jours

15 000/j/P

150 000

Restauration des participants

35 pers x 2 jours

6 000/J/P

420

000

Pause café matin

35 pers x 2jours

2 000/j/P

140 000

Pause café après midi

35 pers x 2jours

2 000/J/P

140 000

achat gobelet

1 paquet de 100

2 000

2 000

Eau

10 palettes

2 000

20 000

Sous-total 4

 
 

872 000

Per diem

 
 
 

Per diem participants locaux hors Yaoundé

5 pers x 2 jours

10 000/J/P

100 000

Sous-total 6

 
 

100 000

Matériels

 
 
 

Location Vidéo projecteur (hors

2j

50 000

50 000

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 308 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

montant à décaisser)

 
 
 
 

blocs notes

35

 

1 000

35 000

bics

35

 

100

3 500

scotch

1 rouleau

 

1 000

1 000

Papier (flip chart)

1

 

6 500

6 500

Marqueurs

6

 

1 000

6 000

Photocopies

forfaits

 

50 000

50 000

Sous-total 7

 
 
 

152 000

 
 
 
 
 

Personnes Ressources

 

8

50 000

400 000

Personnes Ressources

 
 
 
 

Sous-total 7

 
 
 

400 000

 
 
 
 
 

DIVERS

 
 
 
 

Transport achat matériel

 
 
 

10 000

Communication

 
 
 

20 000

Rédaction rapport

 
 
 

15 000

Sous-total 8

 
 
 

45 000

Total

 
 
 
 

Imprévus (5%)

 
 
 

103 500

Total Général

 
 
 

2 173 500

Les deux cas de budgets présentés dans les tableaux ci-dessus, illustrent deux stratégies de soustraction de fonds. Dans le premier cas, il s'agit du gonflement des couloirs de dépenses. Par exemple, a-t-on besoin de faire budgétiser les photocopies à 350.000 FCFA alors que dans le même temps un photocopieur sera loué à 450.000 FCFA ? A quoi rime la location d'un ordinateur à 450.000 alors que toute ONG sérieuse dispose d'ordinateurs sur lesquels travaille son personnel ? Pourquoi ne pas acheter un ordinateur définitivement à moins de 450.000 afin de ne plus avoir à en louer lors des prochains ateliers ? Pourquoi louer une salle qui coûte 250.000 F alors que comme en témoigne le second cas, l'on peut avoir une salle à quatre fois moins dans un grand hôtel de la ville ? Dans le cas du premier budget, il apparaît que pas moins de 2.770.000 FCFA sont destinés à alimenter les caisses noires d'un leader d'ONG.

Le second cas est illustratif de l'opacité qui prévaut dans les ONG. Celui qui a eu la charge de préparer ce budget, s'est vu interdire tout accès à la version validée par son chef, dès lors que la version a été jugée valable. Le fait peut paraître banal, mais en réalité, il s'agit du signe que la version qui a été soumise aux bailleurs de fonds lors de la justification des dépenses, et qui forcément était en conformité avec le rapport financier de l'atelier que personne d'autre au sein de l'organisation n'a vu, comportait des chiffres différents c'est-à-dire démultipliés.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 309 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Toutes choses, qui justifient la perte de crédibilité des ONG que relève de plus en plus de critiques de l'activité non gouvernementale1.

Paragraphe II : Les firmes multinationales du secteur des industries extractives dans le système capitaliste : l'illusion du désintéressement.

L'engagement des firmes dans l'initiative de transparence des industries extractives correspond à des schémas managériaux modernes qui intègrent le dialogue multi-parties prenantes, les relations publiques, la quête d'un capital social et le dialogue avec les ONG. L'on est passé au-delà des sentiers jadis fréquentés de l'opacité que battaient les firmes en la fière compagnie des Etats. La relation s'est complexifiée. Elle intègre désormais tous ceux qui affectent et sont affectés par l'activité extractive2. Il s'agit d'un éventail actoriel très large dont les populations autochtones, les collectivités territoriales décentralisées, les régions, les ONG, les syndicats et les Etats constituent les saillies. L'intégration de ces multiples parties prenantes est vitale pour les firmes. Deux éléments en sont proéminents : l'intégration d'un actorat plus large et la quête d'un capital social pour la mutation du capitalisme classique en « capitalisme créatif », c'est-à-dire que la création des richesses se fait dans le même temps que la pratique de la solidarité. Peut-être faut-il inverser l'appréhension en considérant que le capitalisme créatif pratique la charité pour créer des richesses donc, pratique l'éthique comme moyen pour mieux créer la plus-value. Dans cette veine, deux moments principaux font ce paragraphe qui s'attele à démontrer que l'adoption de la transparence par certaines firmes répond à une logique de markethique, qui passe par la transition de l'actionnariat au multiactorat, il s'agit de deux manifestations de la tentation éthique du capitalisme (A) qui cachent des retombées pour les firmes que la transparence des industries extractive rend possibles (B). Celles qui l'ont compris et le mettent en oeuvre engrangent un capital social qui leur permet de prendre de l'avance dans la compétition corporative pour l'accès aux espaces énergétiques concurrentiels.

A. Deux manifestations de la « tentation éthique » du capitalisme

1 Lire par exemple : Margaret Gibelman et Sheldon R. Gelman « A loss of credibility : Patterns of wrongdoing among NGOs » International Journal of Voluntary and Non-for-profit, vol. 15, n°4, pp. 355-381 (2004)

2 C'est ainsi que Freeman définit une partie prenante, en insistant sur le lien d'impact dans les deux sens. L'impact d'une part de la firme sur les autres et l'impact en retour des autres acteurs sur les activités de la firme. La définition des parties prenantes se forge donc à la congruence des impacts mutuels. Lire Freeman R.E., (1984) Strategic Management. A Stakeholder Approach. Marshfield, M.A: Pitman.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

En postulant le rôle central des firmes multinationales dans la propagation du capitalisme, l'affirmation d'une tentation éthique du capitalisme comme le fait de celles-ci ne devrait pas poser de problème de principe. Ce virage présumé se décline entre autre par l'usage inflationniste de l'éthique d'entreprise ou markethique selon un néologisme restitutif du signifié et par l'agrandissement de la communauté corporative à travers l'usure de la théorie de l'agence.

1. A l'ère du marketing éthique : la transparence des industries extractives au service de la performance

Les firmes dans l'entreprise de la transparence des industries extractives sont le signe de la figure paradoxale du capitalisme et de la morale. Va-t-on penser que les firmes du secteur des industries extractives ont subitement renoncé au profit pour se lancer dans la promotion de la morale ? La morale semble plutôt être devenue un effet de mode dans le vocabulaire entrepreunarial, l'allusion éthique dans le capitalisme semblant être la marque du piège utilitaire. Il s'agit dans cet espace de penser que la transparence en tant que norme éthique, a reçu les faveurs des firmes parce qu'elle permet à celles-ci de mieux rentabiliser leurs investissements. D'ailleurs, les firmes le confessent. Dans le rapport annuel 2008 de Rio Tinto, il est dit : « our commitment to sustainable developement is delivering a range of long term benefits such as the successful start up of new minerals sands mining project in Madagascar...We aim to build enduring relationship with our stakeholders that are characterised by mutual respect, active partnership and long term commitment. In the long run, the trust that is engendered by solid relationships will reinforce Rio Tinto's ability to gain preferential access to resources1 » (notre engagement au développement durable consiste en la délivrance d'un ensemble de bénéfices à long terme tels que l'exploitation réussie des nouvelles mines à Madagascar...Nous avons l'intention de bâtir une relation durable avec nos parties prenantes, une relation caractérisée par le respect mutuel, un partenariat actif et un engagement à long terme. Dans la durée, la confiance engendrée par ces solides relations va renforcer l'aptitude de Rio Tinto à avoir un accès préférentiel aux ressources). Dans l'ordre des résultats, Rio Tinto énonce qu'il a en raison de son engagement éthique, été admis sur la liste de la FTSE4 Good and Dow Jones Sustainability World, ainsi que dans le Stoxx Index et le Climate Disclosure Index.

1 Rio Tinto Annual Report 2008, p. 79 et 83 .

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 311 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Les scandales au centre desquels les compagnies se sont retrouvées1, les impacts environnementaux et sociaux néfastes de leur activité ont fini de convaincre les populations que les firmes extractives drainent avec elles un cortège de fléaux. La contestation des multinationales touche leur image et partant, leur gestion selon qu'elle est conditionnée désormais par une bonne conduite. Le marketing des firmes ne peut plus se concevoir sans les considérations éthiques ; « ethic pays » répète-t-on sans cesse dans les écoles de commerces et ce n'est pas qu'un creux slogan. Les firmes sont engagées dans un relookage éthique réel. Dans le but de renforcer la gouvernance sociale, le groupe Conocco Philips a crée en 2002 un comité de divulgation pour superviser ses activités de divulgation et les procédures de contrôle. Mieux encore, la direction de la compagnie a adopté en 2004 une résolution stipulant qu'elle n'approuvera plus des investissements dans les pays sensibles, à moins que ceux-ci ne se conforment à la lettre et à l'esprit de toutes les restrictions américaines. En effet, la figure du capitalisme créatif se croque sur le papyrus à deux faces dont l'intérêt et les valeurs morales sont comme pour le dieu Janus, les deux visages. Le déploiement de Bill et Melinda Gates par exemple sur les terrains de la charité ne cache guère les visées utilitaires car, les concernés déclarent vouloir créer des richesses en faisant de l'humanitaire2. De même, lorsque De Beers annonçait le 5 octobre 1999 l'arrêt de ses achats des diamants angolais, exception faite de ceux exploités par SDM avec qui il avait un partenariat3, c'était la mise en scène d'une attitude éthique traduisant la distance vis-à-vis des diamants de sang. Cette attitude certes morale, ne peut pas uniquement s'expliquer par un accès d'éthique sans lien avec le souci de l'image internationale de la compagnie.

Qu'il s'agisse de l'éthique d'entreprise ou du markethique, termes interchangeables en raison de leur mêmété de sens, leur rôle premier est d'améliorer l'image de l'entreprise. Si cet « enfant né de l'union entre le marketing et l'éthique4 » laisse perplexe certains auteurs, c'est précisément parce que son invocation masque insuffisamment les visées utilitaires qu'il

1 Notamment la pendaison de Ken Saro Wiwa et de ses frères Ogoni en 1995 pour laquelle l'on sait que la compagnie néerlandaise Shell a joué un rôle actif. Le 9 juin 2009, en acceptant de payer une indemnité de 15,5 millions de dollars à la famille de Saro Wiwa, Shell a évité un procès perdu d'avance mais davantage, elle a avoué le fait de son implication dans cette tragédie. L'on peut également noter la participation de Total et Chevron aux violations des droits de l'homme par la junte birmane.

2 A ce propos, Bill Gates déclare que le renouveau du capitalisme se trouve dans le capitalisme créatif qui profiterait à toute l'humanité. Il explique que cette notion de capitalisme créatif doit associer les deux principaux buts de la nature humaine à savoir la satisfaction de ses propres intérêts et l'altruisme. Jeune Afrique hors-serie, n° 18, l'état de l'Afrique 2008, p.120-121.

3 Richard H. Dietrich « Ethical considerations for multinationals in Angola » in Jakkie Cilliers & Christian Dietrich (2000) Angola's war economy, the role of oil and diamond , Pretoria : ISS, p.251.

4 André Comte-Sponville, op. cit. p. 40

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

véhicule1. L'éthique améliore l'image et donc les ventes des firmes. C'est la première raison de l'engagement de certaines firmes dans l'EITI. C'est la suite dans un cadre institutionnel précis, des actions disparates que posaient des firmes pour améliorer leur image. Ainsi, en 1998, Chevron a dépensé 1,1 millions de dollars dans la construction des écoles, dispensaires, et autres financements des activités communautaires et environnementales. British Petroleum quant à lui a fait un don de 7 millions de dollars dans le cadre d'un accord avec USAID, pour que la Croix Rouge puisse soutenir l'Angola dans l'épreuve de la guerre civile, au cours de la même année2. Le virage éthique des firmes est palpable dans les rapports annuels des firmes qui s'obligent d'y faire apparaître leurs réalisations socio-environnementales, afin de séduire les publics sceptiques et dubitatifs quant aux potentialités éthiques des compagnies. Ainsi, le rapport 20083 de la compagnie Anglo American qui est partie prenante au niveau international de EITI révèle-t-il que 76,2 millions de dollars ont été investis dans le social en 2008, soit 71% en Afrique. Les tableaux ci-dessous donnent de façon exhaustive les traits de cet investissement social.

Tableau 18 : Traits de l'investissement social de Anglo American (2002-2008).

Année

Montant (en million de $)

Pourcentage

2002

28,8

0,9%

2003

38,3

1,5%

2004

47,4

1,1%

2005

56,7

1,0%

2006

50,3

0,7%

2007

60,5

0,7%

2008

76,2

1,1%

Source: Making a difference, Report to Society 2008, p. 48.

Tableau 19 : Soutien de Anglo American par cause et par région en 2008

Causes

Montant

pourcentage

Régions

Montants

pourcentage

1 En effet, Comte-Sponville par exemple dit être perplexe pour trois raisons principales. Premièrement, la vertu à elle seule ne fait pas gagner de l'argent pense-t-il. Ensuite, l'emprunt du même chemin par l'économie et la morale, l'intérêt et le devoir ne pose par définition aucun problème moral. Enfin, le choix de la morale comme mobil d'action ne garantit pas que l'action est morale. En cela, le fait utilitaire de l'éthique dans le markethique transparaît avec proéminence. Comte-Sponville, Le capitalisme est-il moral ? op. cit. pp.42-43.

2 Richard H. Dietrich «Ethical considerations for multinationals in Angola », Jakkie Cilliers & Christian Dietrich (2000) op. cit. p.244.

3 Anglo American, «Making a difference, Report to Society» 2008.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 313 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

 

(millions $)

 
 

(millions $)

 

Santé/VIH

4,1

5%

Afrique du

Sud

50,4

66%

Jeunesse et

éducation

10,5

14%

Reste de

l'Afrique

3,8

5%

Environnement

1,6

2%

Grande Bretagne

3,2

4%

Développement des

communautés

30,2

40

Reste de

l'Europe

0,5

1%

Arts, culture et héritage

7,2

9%

Les Amériques

17

22%

Logement

0,1

0%

Australie

0,6

1%

Autres

22,5

29%

Asie

0,6

1%

Source: Making a difference, Report to Society 2008, p. 48

Il ne s'agit point d'instaurer les « barbaries de l'éthique et de la morale » car, en réalité la confusion des ordres débouchant sur ces barbaries, est une des explications de la spéciosité du virage éthique1. Le discours sur la responsabilité sociale des entreprises est un écho à la voix plaignante des populations qui dénoncent les impacts néfastes de l'activité des firmes. Il s'agit avec le concept de développement durable, de généreux concepts qui sont de la poudre aux yeux, de l'image et des relations publiques. Cela s'apparente à des opérations de communication d'entreprise dont les desseins de séduction de la population transparaissent par-delà les archétypes de la langue de bois qui, ornée de la savante rhétorique publicitaire, essaie de convaincre que l'entreprise par ce virage, signifie la mutation du capitalisme. Richard Dietrich dit à ce propos: « Corporate social responsibility is not charity, an activity separate from the company's business. In the past, corporations measured their good deeds in terms of philanthropy, but contemporary measures involve conducting business in an ethically manner, with charity as an added extra... Social responsibility does not have to be entirely altruistic, for there are opportunities in doing good that positively affect the first bottom line, such as increased employee pride, better relations with local communities, and a more stable, prosperous future2» (la responsabilité sociale des enterprises n'est pas de la charité, une activité sans lien avec les affaires de la compagnie. Autrefois, les compagnies mesuraient leurs bons actes en terme de philanthropie, mais les mesures contemporaines intègrent la conduite éthique des affaires, avec la charité comme un bonus...La responsabilité sociale ne doit pas être entièrement altruiste car, il y a des possibilités d'affecter positivement la

1 Cette opposition des ordres justifie la négation de toute morale au capitalisme chez André Comte Sponville. Il considère en effet que l'ordre techno-scientifique duquel relève l'économie donc le capitalise et l'ordre de la morale et de l'éthique sont parallèles et le ridicule ou la tyrannie résulterait de toute volonté de soumettre l'un à l'autre. La confusion des ordres est tout simplement ridicule. Comte-Sponville op. cit.

2 Richard H. Dietrich « Ethical considerations for multinationals in Angola », Jakkie Cilliers & Christian Dietrich (2000) op. cit. p.241

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 314 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

conduite de la compagnie en faisant du bien. Il s'agit par exemple de l'amélioration de la fierté de l'employé, de meilleures relations avec les communautés locales et un futur plus stable et prospère). Les firmes qui sont les acteurs concernés au premier chef par cette attitude éthique reconnaissent qu'il y a des retombées qui en sont le corollaire. Ainsi, M. Rex W. Tillerson le PDG de Exxon Mobil dit : « in such turbulent times, successful companies are those that see business discipline and corporate citizenship as interlinked...We believe companies that retain a systematic focus on corporate governance, ethics safety, environmental performance and community engagement in the down-cycle will be best placed to succeed in the up-cycle1» (en ces temps difficiles, les compagnies qui connaissent du succès sont celles qui font un lien entre la discipline dans les affaires et la citoyenneté responsable...Nous croyons que les compagnies qui prêtent une attention systématique à la gouvernance sociale, la sécurité éthique, la performance environnementale et l'implication des communautés en amont, sont bien placées pour connaître du succès en aval). Dans la même veine, madame Babs, Supply Chain Manager d'Arcelor Mittal Distribution au Luxembourg declare: « We believe that good business practices are the essential foundation for long-term and sustainable business success. A reputation for high standards of ethics, accountability and transparency is an invaluable business asset, and underpins our ambition to be a leader in our sector2» (nous croyons que les bonnes pratiques dans les affaires sont une fondation essentielle pour un succès durable et à long terme dans les affaires. Une réputation pour le respect des standards élevés d'éthique, de responsabilité et de transparence est un atout incommensurable dans les affaires, et sert de fondement à notre ambition de leadership dans notre secteur).

Les firmes s'improvisent agents de la promotion de la norme et donc, épousent les schémas discursifs et actionnels3 des entrepreneurs des normes pour ainsi, activer la corde humanitaire et morale qui blouse tant les populations dont la rationalité n'est que fort réduite et peu au fait de la ruse. Les firmes possèdent presque toutes des Fondations qui investissent dans le social. Elles servent entre autre, au financement de certaines ONG qui oeuvrent dans l'humanitaire. En 2008 uniquement, la Fondation Anglo American a financé l'ONG Sightsavers

1 Exxon Mobil 2008 Corporate Citizenship Report, p. 3.

2 Arcelor Mittal, « How will we achieve safe sustainability steel? Corporate Responsibility Report 2008», p. 16.

3 Notamment le paradigme de l'action rhétorique dont parle Dimitrakopoulos. C'est-à-dire un usage stratégique de la norme pour des buts autres en laissant penser que l'on est en présence d'un parnasse normatif. Dionyssis Dimitrakopoulos « Norms, strategies and political change: Explaining the establishment of the convention on the future of Europe » European Journal of International Relations, vol. 14, n°2, pp. 319-342.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 315 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

International pour l'ouverture d'une clinique spécialisée dans le traitement des pathologies des yeux en Guinée Conakry. Elle a financé les activités de Starfish pour sa lutte contre le VIH/SIDA en Afrique du Sud, octroyé des fonds à Plan International pour un projet d'adduction d'eau potable en Chine ainsi qu'à l'association Pro-Mujer au Pérou et Children of the Andes1. Le 7 juillet 2009, le groupe nucléaire français AREVA, l'association SHERPA et Médecins du Monde ont signé un accord de partenariat pour la mise en place d'un observatoire de santé autour des sites miniers de AREVA au Gabon et au Niger.

De même, il est intéressant d'observer le déploiement du greenwashing2 qui peut-être lu dans l'effet de mode qui consiste pour les compagnies pétrolières par exemple, de mettre sur pied des Fondations qui combattent les effets pervers de l'exploitation pétrolière. De plus, des actions conjointes sont posées entre les firmes et certaines ONG dans le but de verdir leur image. Ainsi, le 27 mars 2008, Shell et IUCN ont rendu public à Gland en Suisse, un rapport dans lequel ils relevaient l'apport de la protection de l'environnement pour les affaires. A l'occasion de cette diffusion, M. Joshua Bishop qui est Senior Adviser on Economics and the Environment à IUCN disait:

« There are numerous pro-biodiversity business opportunities that can generate significant profits as well as benefits for nature, but a few inspiring examples aren't enough. This report shows how to achieve a major increase in business investment in biodiversity conservation, by linking policy reforms, technical assistance and innovative financing tools » (il y a de nombreuses opportunités dans les affaires respectueuses de la biodiversité qui peuvent générer des profits significatifs aussi bien que des bénéfices pour la nature, mais quelques exemples ne suffisent pas. Ce rapport montre comment réaliser une amélioration majeure en affaire, en investissant dans la conservation de la biodiversité, en reliant des politiques de reformes, l'assistance technique et des instruments financiers innovants).

Et Sachin Kapila, Group Biodiversity Adviser à Shell de renchérir:

« For businesses to conserve biodiversity it must ultimately become more profitable to protect nature and use natural resources sustainably, rather than ignore or destroy it» (pour que les affaires protégent la biodiversité, il doit devenir plus profitable de protéger la nature et utiliser les resources naturelles de façon durable, plutôt que les ignorer ou les détruire).

1 Anglo American Making a difference, Report to Society 2008, p, 49.

2 Terme anglais qui signifie littéralement « peindre en vert son image ».

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 316 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

L'intérêt réside moins dans la promiscuité des deux ordres que dans la finalité qui est la rentabilisation d'une conduite morale. C'est le sens du partenariat établi entre Anglo American et CARE International sur les questions de développement depuis 2003, et Fauna & Flora International sur les questions environnementales, mais également, de l'accord de coopération signé en 2009 entre Shell et Nature Conservancy.

2. From shareholders to stakeholders: l'éthique comme impératif dans la complexitédes transactions des acteurs pour la performance et la compétitivité.

Si le markethique vise à soigner l'image de l'entreprise pour améliorer la performance sociale, et ce faisant s'appuie sur une instigation managériale en direction de l'extérieur, l'extension des parties prenantes quant à elle permet d'adopter une approche intégrée dans la poursuite du même objectif. Il s'agit de faire le relookage de l'image de la firme au devant des acteurs externes, en les associant à l'opération. Dès les années 1970, la prise de conscience de l'impact des compagnies sur leur environnement externe, et qui en fait des responsables devant un public plus large, a nourri les écrits1. Depuis lors, les firmes ont cessé d'être la seule affaire des actionnaires dans leur relation avec les gestionnaires de leurs actifs. C'est le passage des Shareholders aux Stakeholders. Cette révolution signifie en même temps l'usure de la théorie de l'agence. Cette dernière concentre l'attention sur les relations entre les gestionnaires et les actionnaires, les premiers ne rendant compte qu'aux seconds. Or, comme le disent et font certains auteurs, l'analyse des responsabilités sociales des firmes doit rester informée de la coalescence d'acteurs autres qui impactent ou sont impactés par l'activité des firmes. Esther Ortiz Martinez et David Crowther disent: « Additionally there are a wide variety of other stakeholders who justifiably have a concern with those activities and are affected by those activities2» (en plus, il y a une large varieté d'autres parties prenantes qui de façon justifiée, ont à voir avec ces activités et sont affectées par elles). Cette réalité a présidé au passage vers l'intégration de toutes les composantes qui sont membres de la communauté corporative. Le model de Stakeholder fut introduit dans la théorie du management par Freeman. Il définit un stakeholder comme « any group or individual who can affect or is

1 Même si l'inclination pour les retombées financières a souvent inhibé cette nécessité de responsabilité sociale. Lire à ce sujet Ackerman R.W. (1975) The social challenge to business. Cambridge, M.A: Harvard University Press.

2 Ortiz Martinez Esther et Crowther David « Is disclosure the right way to comply with stakeholders? The Shell case » Business Ethics, vol. 17, n°1, p. 14, January 2008.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

affected by the achievement of the firm's objectives1 » (tout groupe ou individu qui peut affecter ou est affecté par la poursuite des objectifs des firmes). Le passage vers une communauté corporative élargie justifie les implications des acteurs tels que les ONG dans la conduite sociale des firmes, ce qui serait apparu comme une immixtion dans le passé. C'est d'ailleurs dans ce couloir que se puise la légitimité des organisations de la société civile quand elles jouent les superviseurs de l'action sociale et environnementale des firmes. Alors que ces dernières, dans un premier temps, validaient l'idée d'une intégration des parties prenantes mais se prévalaient d'une prééminence qui n'autorise que l'information dans un sens, celui des managers en direction des autres parties, l'on est désormais en présence d'une co-construction des responsabilités et obligations éthiques par le dialogue multi-partie prenantes2.

Cependant, ce seul élargissement ne garantit pas la prise en compte des valeurs éthiques, tant la prépondérance des uns sur les autres biaiserait le jeu de la transparence. Un véritable espace de dialogue est nécessaire. C'est-à-dire ce que Burchell et Cook identifient comme « a channel through which to transcend traditional conflictual processes of communication between organisations and develop a more progressive form of engagement and understanding3» (un canal par lequel transcender les processus conflictuels traditionnels dans la communication entre les organisations et développer une forme plus progressive d'engagement et de comprehension). La définition du dialogue, ses issues potentielles et les défis relatifs à la création d'un véritable dialogue entre les parties prenantes est une préoccupation pour la doctrine4. L'on ne saurait imaginer la promotion des valeurs éthiques dans un environnement de discussion5 c'est-à-dire, dans un contexte où une des parties prenantes cherche à imposer aux autres sa pensée. Ainsi, l'avis des populations de Michiquillay au Pérou a été requis pour le lancement du projet d'exploitation des ressources de cette localité par Anglo American en 2008. De même, les multiples memoranda d'entente avec les communautés sont-ils le reflet de la prise en compte des parties prenantes les plus directement affectées par l'activité extractive. Il ne faut cependant pas perdre de vue que l'élargissement de la communauté corporative dans le cadre des memoranda est le signe qu

1 Freeman R.E., (1984) Strategic management. A stakeholder approach, op. cit. p.25

2 Lire par exemple Blair M. M. « For whom should corporations be run? An economic rationale for stakeholder management » Long Range Planning, vol. 32, n°2, pp. 195-200 (1998).

3 Burchell et Cook, art. cit. p.37.

4 Voir Jon Burchell et Joanne Cook « Stakeholder dialogue and organisational learning: Changing relationship between companies and NGOs » Business Ethics, vol. 17, n°1, pp. 35-46, janvier 2008.

5 A propos de la distinction entre le dialogue et la discussion lire: Chapman C., Ramondt L. et Smiley G. « Strong community, deep learning: exploring the link » Innovations in Education and Teaching International, vol.42, n°3, pp. 217-230 (2005).

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

trahit le réalisme des firmes. Avec les attaques répétées des installations de Shell au Nigeria, notamment celle de la plateforme de Bonga en juin 2008 à titre d'exemple, le mémorandum devient un élément de pacification du climat social autour des sites d'extraction. Certes, la notion même de l'éthique est relative1 et laisse penser que celui qui en est porteur véhicule des valeurs à coloration ethnocentrique. Toutefois, le dialogue en plus d'être une nécessité de l'élargissement de la communauté corporative, est potentiellement créateur d'opportunités nouvelles dans l'optique de la rentabilisation de l'usure de la théorie de l'agence. En effet, la création d'un processus effectif de dialogue est pleine de défis mais si elle réussit, elle peut créer des opportunités intéressantes2. Ainsi, la création d'un espace dialogique entre les firmes des industries extractives et les ONG permet l'amélioration de la performance sociale des premières, car leur blason est redoré par la collaboration d'avec les ONG dont la population pense que tout ce qu'elles font est bénéfique pour elles et morale. C'est dans cette optique que les firmes signent systématiquement des conventions de partenariat avec des ONG de renom, afin de signifier ainsi leur conscience des responsabilités sociales et humanitaires qui leur incombent. C'est dans ce cadre que les conventions de partenariat qui lient Anglo American avec CARE International pour les questions de développement, et Fauna & Flora pour des questions environnementales, Shell et l'IUCN, AREVA, Médecins du Monde et SHERPA... sont porteuses de sens. Les ONG dans cette perspective, deviennent la caution morale des firmes mais pas seulement, elles deviennent selon le voeu de Morsing et Schultz, des parties prenantes engagées pleinement dans les processus de sense-making (processus par lequel l'on tente de comprendre ce que les autres veulent et y conférer un sens) et de sense-giving (processus tendant à influencer la manière dont l'autre comprend et donne un sens) qui améliorent les espérances mutuelles3. En effet, pensent-ils: « The stakeholder relationship is assumed to consist of interactive, mutually engaged and responsive relationships that establish the very context of doing modern business, and create the ground work for transparency and accountability4» (la relation entre les parties prenantes est censée consister en des liens interactifs et mutuellement engageants et réceptifs qui établissent le contexte même des affaires modernes, et créer un cadre pour la transparence et la responsabilité).

1 Voir Anne Fagot-Largeault « Les problèmes du relativisme moral » in Jean Pierre Changeux (dir.), op. cit. pp. 41-58.

2 Burchell et Cook, art. cit. Dans cette même logique voir aussi Andriof J. et Waddock S. (2002) « Unfolding stakeholder engagement» in Andriof J., Waddock S., Husted B. et Rahman S. S. (eds) Unfolding stakeholder thinking: theory, responsibility and engagement. Sheffield: Greenleaf, pp. 19-42.

3 Mette Morsing et Majken Schultz « Corporate social responsibility communication: Stakeholder information, response and involvement strategies » Business Ethics, vol. 15, n°4, pp. 323-338, October 2006.

4 Mette Morsing et Majken Schultz, idem, p.325.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Ces deux manifestations de la tentation éthique du capitalisme plantent le décor mais en même temps constituent en eux-mêmes, des espaces de récolte des avantages d'un engagement éthique de l'ordre de la responsabilité. Ce qui n'abrase ni ne rend superflue toute évocation d'autres formes de rentes de la transparence pour les firmes impliquées dans la mise en oeuvre de EITI.

B. A propos des fruits du marketing éthique : évocation de quelques retombées de l'éthique de responsabilité pour les compagnies extractives

Dire que la transparence des industries extractives est une aubaine pour les compagnies extractives est un euphémisme. Le caractère moral voulu à la chose interdirait pareille affirmation et pourtant, cet espace trinitaire des bénéfices n'exclut et ne saurait exclure des firmes dont les buts déclarés d'existence sont fortement et sans ambiguïté utilitaires. Si EITI est un fier milieu de déploiement du marketing éthique, une plateforme de mise en oeuvre de l'éthique entrepreneuriale, rien d'étonnant donc que les auteurs en attendent les retombées. L'on pourrait supputer que les firmes ne se seraient jamais engagées dans l'initiative si leur intérêt n'était pas assuré d'en sortir plus grandi. Cette logique capitaliste ne devrait pas offusquer, « les affaires sont les affaires » a-t-on coutume de répéter. In concreto, quelques points saillants mais qui ne sont pas les seuls, permettent de penser que l'adhésion des firmes à l'éthique de la transparence est un choix rationnel préalablement bien pensé. Ceci étant, tous les bénéfices de cet engagement moral ne sauraient être mentionnés dans cet espace, en raison du caractère éminemment dynamique de cette plateforme qui n'a pas encore une décennie d'existence.

Les firmes se prévalent responsables et leur performance sociale est intimement liée à l'image qu'elles projettent. Aussi, la transparence est-elle une modalité de démonstration de la crédibilité internationale qui leur permet d'obtenir des contrats juteux. Dans des pays suffisamment démocratiques, la négociation des contrats ne se fait pas au mépris de l'étape consistant en la validation parlementaire. L'un des points majeurs est la crédibilité internationale qui convainc les parlementaires de ce que la firme n'est pas un « rogue firm ». C'est ainsi que, les firmes engagées dans EITI exhibent cette adhésion aux principes de la transparence comme une réalisation majeure dans la responsabilité sociale des entreprises. L'ensemble des firmes membres de EITI font paraître dans leurs rapports de durabilité, leur soutien aux principes EITI. En plus de rappeler qu'elle soutient l'initiative depuis ses origines,

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

la compagnie française Total ne manque pas de signaler dans son rapport « Environnement et Société 2008 » qu'elle a participé en novembre 2008 à la promotion des principes EITI auprès des pays du Maghreb, du Mashrek et du Soudan dans le cadre d'un séminaire organisé par la BAD à Tunis1. Il faut rappeler qu'au 15 septembre 2009, aucun de ces pays n'était membre de EITI. Ou encore, le fait pour cette même compagnie d'avoir depuis février un représentant membre titulaire au sein du conseil EITI, en la personne de Jean-François Lassale. La crédibilité internationale est également un signal envoyé en direction des populations qui sont désormais des acteurs intégrés dans l'exploitation des ressources de leur environnement vital. Elles veulent souvent avoir la garantie d'une conduite responsable des firmes auxquelles l'Etat en amont, confie leur destin d'une certaine façon. L'on imaginerait sans effort qu'une compagnie qui s'engage dans l'exploitation des hydrocarbures au Nigeria aura à coeur de faire la démonstration en direction des populations, de son engagement à faire de la transparence un de ses modes opératoires, seule autorisation d'espérer que les revenus parviendront aux populations. Il ne saurait s'agir d'un humanisme ad rem, mais plutôt d'un bouclier éthique dans l'optique de se prémunir des violences et destructions des installations. Le corollaire de cette crédibilisation par le fait de la transparence, est l'usage concurrentiel de l'image qui en ressort dans la projection des firmes vers les zones d'importance vitale pour les firmes.

Par ailleurs, la pacification du climat social par l'adoption des principes de la transparence est une condition sine qua non à l'exploitation ataraxique des ressources du sous-sol. Les investissements colossaux qu'exige l'activité extractive ne sauraient être rentables si la paix sociale est une gageure. L'on peut dire que l'un des défis auxquels les firmes sont confrontées dans leurs activités est la quête de la paix sociale. Un environnement de paix est l'élément de base pour un développement fondé sur le paradigme de l'IDP2 qui s'appuie sur l'apport de l'investissement direct étranger or, comme précédemment souligné, les firmes sont les principaux vecteurs de l'IDE. Par-delà les bénéfices qu'en tirent les Etats en terme d'emplois créés, de flux financiers entrants et de crédibilisation du pays par l'amenuisement du risque pays, les firmes font des bénéfices exorbitants et ont pour cela besoin d'un environnement propice, c'est-à-dire de paix. L'on ne dira jamais assez le potentiel pacificateur de l'initiative

1 TOTAL « Environnement et Société : nos responsabilités d'entreprise » Rapport de durabilité 2008, p. 15.

2 Investment Development Path, paradigme sur lequel John Dunning a amplement travaillé. Voir par exemple Dunning John H. (1988) Explaining international production, London: Unwin Hyman mais aussi Dunning John H. et Rajneesh Narula (1996) « The Investment development path revisited: some emerging issues », in John H. Dunning and Rajneesh Narula, eds., Foreign Direct Investment and Governments, London and New York: Routledge, pp. 1-41 etc.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

qui, par l'usage des tous les segments sociaux qui se définissent par leur quiddité pacifique, ces acteurs dont le conatus est la paix, mais également par le rêve qu'elle porte de voir les flux financiers que génère l'activité extractive aboutir sur la table des foyers modestes, EITI s'avère ad usum pacem pour la plus grande satisfaction des compagnies extractives.

Conclusion générale

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Cette recherche s'est proposée de répondre à certaines interrogations relatives à la souveraineté, à son essence dans le contexte de la promotion d'une norme éthique mettant en scène des acteurs aussi variés que les Etats, les ONG et les firmes extractives. Il s'est agi pour nous, de démontrer que par le fait de l'excroissance des acteurs au sein de EITI et au travers de la mise en index des questions morales telles que la transparence des industries extractives dans les relations internationales, la souveraineté se donne à voir dans sa relativité. Parvenu au point d'orgue, l'on peut en esquisser un bilan qui tient à la fois du domaine théorique et empirique.

A. Bilan empirique : le fondement moral des intérêts à l'interstice des ordres étatique et privé.

Les observations empiriques autour de cette recherche ont porté sur les acteurs en scène, sur les processus de leur action intégrative orientée vers la complexité et sur le lien qui unit la souveraineté en tant qu'elle est quête et expression de la puissance, et la transparence selon qu'elle est éthique. L'hypothèse de la relativité de la souveraineté s'est démontrée autour de l'affirmation des acteurs multiples, au travers de la complexité des transactions collusives entre les différents acteurs et dans l'interpénétration de la morale et de la puissance dans les relations internationales. Cela constitue en même temps les provisions de cette odyssée dans les méandres de l'international qui, complexe, livre certaines de ses facettes par l'observation des pans de sa vaste réalité. La transformation de la souveraineté par la reddition des comptes, en une souveraineté responsable trouve son domaine de réalité dans la coexistence de deux ordres en transactions collusives et dans la prise en compte des valeurs morales dans la conduite des politiques de puissance.

1. EITI et la rémanence de l'ordre westphalien

La place et le rôle de l'Etat dans l'initiative de transparence des industries extractives révèlent que l'ordre westphalien fondé sur la centralité des Etats n'est pas révolu. En effet, de par son territoire qu'il cède à l'initiative et au travers des divers aspects de sa participation à la transparence des industries extractives, l'Etat constitue un acteur important. Qu'il s'agisse de l'Etat en tant qu'acteur solitaire ou dans le cadre des organisations internationales, Etat développé ou Etat du sud, l'Etat continue d'occuper une place importante dans la politique mondiale. Aussi, son principe structurant est-il rémanent mais transformé, bousculé dans les

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

fondements de son absolutisme. Dire que l'ordre étatique est rémanent, c'est reconnaître que la souveraineté conserve quelque domaine de pertinence. Cependant, l'observation de EITI selon qu'elle est le lieu de l'interaction entre les acteurs divers au mépris de la « compétence des compétences », autorise à une déclaration de la transformation de la souveraineté. Cette étude permet de faire le constat que l'ordre des Etats demeure, mais que la souveraineté a évolué vers la responsabilité. C'est le signe que la mondialisation qui autorise le déferlement des acteurs privés n'abrase point la pertinence de la qualité d'acteur de l'Etat. Pour reprendre Bertrand Badie, « aucune des catégories anciennes de l'action internationale n'a été abolie1». L'on n'est certes plus dans l'ère bismarckienne où le « fait international était comme socialement immaculé2 », mais le système international construit depuis Von Rochau3 sur la reconnaissance de l'Etat comme acteur exclusif et qui a nourri l'empire réaliste dans la science des relations internationales, s'est dépouillé au contact de la mondialisation, de quelques traits de son essence. L'Etat demeure pertinent et partant, c'est le système fondé sur Westphalie qui continue d'exister. Mais, il n'est plus seul et, les acteurs privés ont gagné en pertinence. A ce sujet, Badie dira : «la politique internationale des droits de l'homme n'abolit nullement le passé ; elle ne remplace pas l'ordre du cynisme par celui de la morale ; elle ne substitue pas les ONG humanitaires aux Etats westphaliens4 ». Cette position structure la pensée de l'Ecole anglaise des relations internationales. En effet, fondée sur trois concepts-clé à savoir : le système international, la société internationale et la société mondiale, cette école place l'Etat au coeur des relations internationales. Qu'il s'agisse du solidarisme ou alors du pluralisme, les objectifs de paix, de sécurité et la prise en compte des questions morales, sont le fait des Etats. Cela crée d'ailleurs un domaine de ressemblance entre cette école et le constructivsme d'Alexander Wendt5. A propos de l'Etat en tant qu'unité pertinente et même centrale dans la pensée anglaise des relations internationales, Andrew Linklater et Hidemi Suganami rappellent que : « the uniqueness of the English school can be found on its focus on how sovereign states learn to control violent tendencies by agreeing on some universal moral

1 Badie B. Le diplomate et l'intrus, op. cit. p.275.

2 Badie, idem, p. 9.

3 Badie, idem, pp. 17-44. L'auteur montre dans cet espace comment la construction de l'international s'est faite de Von Rochau aux réalistes contemporains sur l'exclusion de la société de l'arène internationale.

4 Badie B. La diplomatie des droits de l'homme, op. cit. p. 11.

5 Dario Battistella dit du constructivisme d'Alexander Wendt : « exprimé autrement, le constructivise de Wendt est un statocentrisme. Non pas qu'il nie le rôle des acteurs non-étatiques, mais il estime que leur rôle est indirect dans le domaine de la violence internationale ». Voir Battistella D. Théorie des relations internationales, op. cit. p. 297.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

and legal principles which bind them closely in an international society1 » (la spécificité de l'école anglaise réside dans la façon dont les Etats souvérains apprennent à maîtriser les tendances à la violence, en se mettant d'accord sur certains principes légaux et moraux qui les constituent en societé internationale ). Cette conception strictement statocentrée des relations internatonales est imputée à ce que l'on pourrait appeler l'école anglaise classique des relations internationales, soulignée par Barry Buzan. En effet, ce dernier dans sa critique de l'explication insuffisante et résiduelle du concept de « societé mondiale » par les premiers auteurs de cette école, reconnaît que, le système international se structure autour d'une politique de puissance entre les Etats, dans les conditions d'anarchie. La société internationale quant à elle, est fondée sur la pensée de Grotius, autour de l'institutionnalisation d'intérêts partagés mais parmi les Etats. Alors que, la société mondiale quoiqu'en reconnaissant le rôle des acteurs non-étatiques, considère néanmoins que le système étatique les transcende2. C'est dire la reconnaissance malgré les dissensus au sujet de la centralité ou non de l'ordre étatique, que ce dernier n'est pas dissipé par la bourrasque de la mondialisation. A côté des Etatsnation déployant leur diplomatie traditionnelle dans l'EITI, il y a l'ordre des acteurs privés qui complètent le tableau entremêlé de l'international abri des deux logiques non concurrentielles mais en interdépendance.

2. La pertinence des acteurs privés dans EITI

L'initiative, alibi pour une scrutation des fortunes de la souveraineté, a offert l'occasion de constater une excroissance d'acteurs dont l'importance et l'affirmation donnent de la scène internationale l'impression d'un chaos3. L'affirmation réaliste d'une prévalence de l'anarchie repose sur l'absence d'autorité centrale. Toutefois, les Etats parce que considérés comme les acteurs principaux de la scène, oeuvrent par l'équilibre de puissance à la réalisation d'un certain ordre dans ce système anarchique. A la faveur de la démocratisation de la scène c'està-dire de l'irruption participative des acteurs privés dans le naos de la décision internationale informée par les reflets nationaux, il y a comme une impression de désordre amplifiée par le rôle des acteurs privés qui s'érigent en garants de la morale, notamment les organisations non

1 Andrew Linklater & Hidemi Suganami (2006) The English school of International Relations. A contemporary Reassessment, Cambridge: Cambridge Unversity Press, p. 121.

2 Barry Buzan (2004) From international society to world society. English school theory and the social structure of globalization, Cambridge: Cambridge University Press, voir notamment le premier chapitre.

3 L'international est devenu le site du déferlement des acteurs qui vont y tisser des réseaux sustenteurs de légitimité. Il en découle une opération de conversion des valeurs, des ressources et des logistiques qui fait penser à un renversement du sens habituel qui fait de l'interne la rampe de projection des acteurs vers l'international. Voir à ce sujet, Ariel Colonomos (dir.) (1995) Sociologie des réseaux transnationaux. Communautés, entreprises et individus : lien social et système international, Paris : L'Harmattan.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

gouvernementales. L'émergence des pôles multiples d'autorité a accentué la crainte de la confusion.

Cette recherche est donc également l'occasion du constat d'une foule immense de firmes et d'ONG qui gagnent leur locus standi sur la scène internationale, et dont le rôle s'est enrichi en raison du caractère complexe des problématiques que soulève la mondialisation. Peut-on imaginer un projet de transparence sans les firmes dont les activités sont sources des revenus visés par la bonne gestion ? Le consensus opaque pouvait-il être ébranlé sans la présence d'un acteur tiers crédité de quelque distance vis-à-vis de l'Etat et du marché ? De toute évidence, l'initiative est le signe que les acteurs privés seront désormais dans leur rôle quand ils auront à exercer le contre-pouvoir dans les politiques menées par les Etats et les institutions multilatérales. Ce n'est pas une nouveauté, mais l'on doit noter que l'initiative en tant qu'objet d'étude observé, a permis l'inscription des acteurs privés dans le cadre du penser institutionnel, aux côtés des acteurs gouvernementaux. C'est comme dirait Badie, la revanche de Grotius sur Hobbes mieux, « à la filiation Hobbes-Weber-Morgenthau, se substitue le lignage Durkheim-Mitrany-Parsons...1 ». C'est la consécration d'un ordre international fondé autour du binôme Weber-Durkheim. C'est-à-dire l'entremêlement d'un ordre animé par les Etats avec une architecture socialement informée et maculée. Même l'école anglaise caractérisée par son statocentrisme, a subi une revisitation de la part de Buzan2 pour dire l'usure de l'inamovibilité de la pensée internationaliste à l'ère de la mondialisation. Son propos sur la societé mondiale se structure autour de la conviction que la mondialisation impose non seulement la prise en compte des questions sociales, mais également une pertinence des acteurs non-étatiques dans la solution et la conduite des problèmes de la globalité. Aussi, considère-t-il la société mondiale comme le domaine des acteurs nonétatiques3. Il dit de façon explicite: « although I have borrowed ideas from Wendt and in some ways recast English school theory in Wendtian terms (...), I have not followed him into the confines of state centrism4» (même si j'ai emprunté certaines idées de Wendt et d'une certaine manière retouché l'école anglaise en des termes propres à lui..., je ne l'ai pas suivi dans son confinement stato-centrique). En fin de compte, en reconnaissant que la societé internationale est fondée sur les Etats et que la societé mondiale s'appuie sur les acteurs non-étatiques (ce

1 Badie, Le diplomate et l'intrus, op. cit. p.81.

2 Buzan, op. cit.

3 Buzan, idem, voir la figure à la page 98.

4 Buzan, idem, p. 230.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

qui fonde leur distinction), mais cohabitent, Barry Buzan revisite l'école anglaise en l'ajustant au contexte de la mondialisation. Ce faisant, il la situe dans la sphère des courants qui reconnaissent la juxtaposition des ordres privé et étatique, juxtaposition qui explique et qui est expliquée par la relativité de la souveraineté. La territorialité n'a donc pas cedé la place à la détérritorialisation, mais les deux s'entremêlent1.

Le fait multi-actoriel qui nourrit la consécration de la cohabitation des deux ordres sur la scène internationale est porté par cette expression multiple des acteurs nouveaux et anciens dans les configurations qui trahissent mieux qu'un désordre, une organisation dans des espaces construits. Etats et acteurs non-étatiques sont des pôles d'autorité affirmés et autonomes certes, mais là s'achève l'impression d'inorganisation car dès lors que l'humanité est au coeur de la préoccupation des décideurs, l'attention se cristallise et la communauté internationale qui en soi est passée d'un ensemble d'Etats et organisations internationales à une configuration plus large, se retrouve et crée les conditions de solution. L'impression de désordre qui serait née de l'émergence des pôles d'autorité multiples en concurrence apparente avec l'Etat, se dilue dans les eaux agitées de la transaction autour des problématiques éthiques construites comme par connivence par la communauté des acteurs du système. L'initiative de transparence des industries extractives c'est d'abord un espace de synergie, une plateforme institutionnelle où la centralité de l'Etat se confirme dans le rôle qui lui est échu en tant que métronome du jeu de la transparence.

Les symposium et forum internationaux au sujet des questions aussi diverses et variées que la gestion des forêts, les questions migratoires, l'aide humanitaire, la défense des droits des minorités etc. sont le miroir où est réfléchie la scène internationale actuelle dans son aspect complexe. Les Etats réunissent systématiquement les acteurs privés autour de ces questions car semble-t-il, l'efficacité passe par la prise en compte des expertises multiples. Peut-être qu'une autre explication à cette fin de la discrimination réside dans la mutation de l'Etat qui, en raison des crises diverses (crise des représentations, crise des légitimités, crise des autorités et crises économiques), se confine aux tâches régaliennes. Cette idée qui s'épanouit dans les courants de la fin de l'Etat-providence devrait mieux spécifier la teneur de « fonctions régaliennes » car, l'un des traits de la post-modernité et de la mondialisation est la complexité des problèmes. Au nom de cette complexité, l'énumération de certains domaines tels que la

1 Buzan, idem, p. 92.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

sécurité, les affaires étrangères, la défense et la souveraineté au nombre des fonctions régaliennes qui bénéficient d'une attention soutenue de l'Etat tandis que les autres domaines seraient relégués au second plan, comporte quelque facilité. Un problème simple d'apparence peut gagner en importance au point de devenir une question de sécurité nationale d'un pays. L'épidémie AH1N1 qui a vu le jour au Mexique est passé en quelque mois au stade de pandémie, s'invitant dans les agendas des Etats et bouleversant les habitudes. Finalement, la situation est plus complexe et appelle à la prudence quant au maniement de certains concepts qui hier avaient quelque pertinence, mais qui sont devenus relatifs à l'aune de la mondialisation.

L'on fait le constat d'ordre, dans ce chaos apparent de la scène internationale. Cet ordre est structuré dans des espaces de gouvernance et EITI, permet de se rendre à l'évidence des poches d'ordre construites autour des problèmes de la mondialisation.

De plus, si les acteurs privés ont trouvé avec l'Etat le lieu d'une cohabitation bénéfique dans les espaces de gouvernance, l'initiative de transparence a également révélé que les processus de régionalisation en cours participent de la construction d'un certain ordre à partir des éléments porteurs de germes de désordre dans leur affirmation. En effet, les Etats réunis au sein des organisations régionales, par leur adoption des initiatives multi-acteurs, rendent témoignage de ce qu'ils sont favorables à la création des espaces de gouvernance. L'exemple de l'Union Européenne qui bâtit son modèle démocratique sur la participation de la société civile, vient rappeler une pratique onusienne, celle de l'accréditation des ONG à l'ECOSOC en vertu de l'article 71 de la Charte qui l'autorise. L'Union africaine plus récente est inscrite dans cette même logique, elle privilégie l'implication des acteurs privés dans la définition et la mise en oeuvre des politiques publiques. Autrement dit, les Etats ne se construisent pas uniquement des espaces plus grands de coexistence dans la quête de niveaux pertinents d'intégration et d'efficacité, mais ils invitent également au banquet de la gouvernance mondiale les acteurs privés.

La première partie de cette recherche a permis de constater l'affirmation des acteurs étatiques et privés sur la scène internationale, au travers d'une odyssée dans les méandres de l'initiative de transparence des industries extractives. L'Etat a été vu dans le déploiement de sa centralité en tant qu'acteur individuel, mais aussi dans l'action collective des organisations intergouvernementales. L'Etat seul, comme réceptacle de la mise en oeuvre car il offre son

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

territoire et ses institutions. Mais également l'Etat d'ailleurs qui, au travers du soutien de la France, de l'Allemagne, de la Suisse, de la Grande Bretagne,de la Norvège etc., se déploie sur les sites de son exil pour affirmer que les déclarations de son déclin sont précipitées. A côté de l'Etat, les ONG et les firmes entre autres acteurs privés se sont montrées des pôles pertinents d'autorité de la politique mondiale post-Rio. La crainte du désordre née de cette excroissance d'acteurs qui a nourrit l'illusion de la fin de la souveraineté, s'est estompée avec la prévalence d'un ordre structuré au sein des espaces de gouvernance. En effet, le troisième chapitre a principalement démontré que EITI est certes le signe de la multiplication des autorités, mais c'est aussi un espace fermé de transactions complexes qui rendent relative la souveraineté. L'on peut l'affirmer au regard des acteurs multiples qui transgressent les frontières des Etats, et qui par le bas, tutoient la puissance publique. C'est l'épuisement des constitutions politistes en chapelles favorables ou opposées à l'idée d'une souveraineté forte. Une fois encore, manipuler un concept tel que la souveraineté en cette ère de la mondialisation impose la prudence de la relativité. EITI en donne une preuve supplémentaire. A la prise en compte des collusions comme marque de la souveraineté transformée par le fait de deux ordres entremêlés, il faut associer la prise au sérieux des pratiques morales dans les conduites de puissance.

3. Morale et puissance : les deux faces de la politique mondiale

A côté des résultats révélés par la conduite des acteurs sur la scène internationale, cette recherche a été l'occasion d'un constat de la pertinence de la relativité dans l'adoption des positions éthiques. En réalité, la colonisation de la science des relations internationales par les auteurs réalistes et la victoire des logiques de puissance sur la norme en tant que morale à promouvoir pendant la guerre froide, ont en partie consacré la dichotomie relative norme/puissance. Les courants de pensée, les écoles théoriques et même les paradigmes consacrés ont été le reflet de cette séparation. La souveraineté qui illustre la puissance selon qu'elle est au coeur du système international mais aussi en tant qu'elle est le signe distinctif de la statolité, symbolisait l'emprise de la rationalité sur les considérations morales. Les juristes internationalistes ont souvent d'ailleurs montré leur embarras devant la césure ainsi posée par la coutume internationale. L'ordre juridique international est fondé sur Westphalie, c'est-à-dire sur l'intangibilité des frontières et la souveraineté qui est le principe structurant des Etats acteurs de la scène. En même temps, l'évolution du droit des Etats vers les droits des individus suppose la fissuration du marbre westphalien afin de rendre possible le déploiement

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 330 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

du droit derrière les lignes de la souveraineté. Les procès d'anciens chefs d'Etats tels que Charles Ghankay Taylor et Slobodan Milosevic sont le signe d'une évolution des pratiques internationales. Cependant, il ne semble pas exister un consensus autour du traitement de la souveraineté, marque de la puissance face aux questions morales.

L'examen de l'initiative de transparence des industries extractives laisse penser que le dilemme du choix ne se pose pas en réalité car, la puissance et la norme ne s'opposent point. L'on doit peut-être envisager a contrario, la recherche autour des zones de congruence comme le site pertinent de la compréhension de la scène internationale telle qu'elle se donne à voir dans la réalité de son fonctionnement. L'arrière-pensée dogmatique qui découle de l'empire rationaliste mais, qui en fait est le dogme des puissances conceptuelles et théoriques dominantes, cesse d'être la toile de fond de la scène pour être une maladresse structurelle de la pensée internationaliste. La puissance, l'intérêt et les valeurs morales ne s'opposent pas, ils sont tout simplement d'ordres distincts et le sentiment de désordre s'arrête là, pour se muter en ordre dès lors que la relativité en tant que résultat majeur de cette recherche, impose la nuance et la retenue. Le fait saillant est que le manichéisme muselle les génies de la pensée, pour accorder ses faveurs à la paresse du paroissialisme structurel des courants empiriques. Nul n'est certain de palper une question internationale en cette ère de la mondialisation sans devoir sacrifier à l'alchimie de la fusion de l'eau et du feu. Telles ont été présentées souvent les postures empiriques qui relèvent de la morale et de la puissance. D'ailleurs, fait notable pour mériter d'être signalé, le discours sur les normes morales a souvent fait sursauter les pontifes établis de la pensée positiviste. Ceux-ci considèrent que le propos sur les normes ne peut revêtir la cape de la scientificité dès lors qu'il s'exprime sur les choses et les convictions personnelles. L'objectivité semble ne pas être du domaine de la morale frappée ipso facto d'ostracisme en raison de la subjectivité qui lui serait inhérente. Le chercheur en science sociale serait dès lors appelé à devenir traître à son groupe selon le conseil de Norbert Elias, pour éviter le jugement de valeur. Va-t-on reprocher à un chercheur de trahir par quelques aspérités ça et là dans son travail ses doutes quant à certaines normes qu'il étudie ? Le fait en soi est-il le signe d'un manque d'objectivité ? La cloison entre puissance et morale apparaît dès lors comme un mythe construit et entretenu pendant l'hégémonie réaliste et qui se doit d'être déconstruit à l'ère de la politique mondiale car, de plus en plus de sujets portent sur les normes et leur examen ne saurait se voir taxé systématiquement de subjectivité au motif que le risque de prescription est supérieur à l'hypothèse d'une analyse froide.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

EITI est finalement un site d'expression de morale et de puissance. Ce n'est pas nécessairement faire oeuvre de philosophie des relations internationales1 que de se pencher sur des questions comme celle de la promotion des normes en relations internationales. La rupture franche est à rechercher, quand on sait que dans le cas de la promotion de la transparence des industries extractives, le modelage d'une scène internationale propice aux politiques de puissances des Etats leaders passe par la ruse morale. Même les réalistes tels que Morgenthau et Raymond Aron ont démontré leur conscience de la nécessité d'une prise en compte des normes morales dans la fabrication et la structuration de la puissance2. La notion de prudence (phronesis chez Aristote) puise sa pertinence dans cette conscience et elle informe sur la prééminence chez ces auteurs d'une « éthique de la responsabilité convaincue ou d'une éthique de la conviction responsable ». La transparence des industries extractives est l'occasion d'un retour vers la reconnaissance du lien intime entre la morale et la puissance3. L'inséparabilité des deux notions permet d'envisager une éthique des relations internationales.

Le réalisme moral de l'école anglaise des relations internationales qui place l'Etat au coeur de la politique mondiale, dans la poursuite des objectifs moraux rappelle en même temps que le constructivisme de Wendt, que les objectifs de puissance ne s'opposent pas automatiquement à la morale. Le pluralisme et le solidarisme qui sont les pierres angulaires de l'école anglaise ne sont rien d'autre que la reconnaissance de la place de la morale à côté de la puissance. En fait, la cohabitation du solidarisme et du pluralisme est une face visible de la cohabitation entre la morale et la puissance. Le système intérétatique dont la centralité fait l'unanimité de cette école dans sa version première, reconnaît la guerre et l'anarchie comme des données réelles de la scène internationale. Cependant, parce que les Etats sont capables de se mettre d'accord sur certains buts primordiaux, ce qui est la substance du rationalisme tel

1 Philosophie ici comme prescription du devoir être des acteurs. Il existe d'ailleurs une philosophie des relations internationales comme le démontre Frédéric Ramel. Lire Frédéric Ramel (avec la collaboration de David Cumin) Philosophie des relations internationales, Paris : Presses de science po, 2002.

2 A ce propos, les normes peuvent constituer des facteurs de guerre. Voir Tal Dingott Alkoper « The role of Rights in the social construction of wars: From the Crusades to humanitarian interventions » Millennium-Journal of International Studies, vol. 36, n°1, pp. 1-27, 2007.

3 D'ailleurs, la construction européenne se fait en prenant au sérieux cette cohabitation. Ce qui fait penser à d'aucuns que l'UE est une puissance normative exclusivement. Il s'agit pour elle, de bâtir ses fondements et sa légitimité internationale sur la prise de conscience des différences et des précarités. Adrian Hyde-Price pense cependant et à raison que, c'est une manifestation de la puissance par l'avancement des principes moraux. Il va plus loin, il crédite la théorie réaliste d'une fondation théorique et conceptuelle éthique, à la lumière de la guerre contre le terrorisme. Voir à ce sujet: Adrian Hyde-Price « Realist Ethics and the `War on Terror' » Globalizations, vol. 6, n° 1, pp. 23-40, March 2009.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

que perçu par les coryphés de cette école1, le pluralisme devient mieux qu'une tolérance
morale, le sacre du relativisme moral. Comme le rappelle Simon Caney2, la préference de

l' « association pratique » par Terry Nardin repose sur cet argument du pluralisme qui suppose que, différentes communautés ont différents codes moraux. Ce faisant, la tolérance devient de mise. Le solidarisme quant à lui esquisse clairement la prégnance de la morale dans les relations intérétatiques comme une poursuite, dans une perspective du rationalisme de Grotius. Les dissensus sur la place des acteurs non-étatiques dans la pensée anglaise des relations internationales n'ont pas atteint la cohabitation de la morale et de la puissance. En effet, comme le rappellent Linklater et Suganami : « the focus on norms and values is a distinctive feature of the English school approach to the study of world politics3 » (l'accent mis sur les normes et valeurs est le trait distinctif de l'approche de l'école anglaise des relations internationales). Ainsi, de même que le pluralisme et le solidarisme cohabitent, la distinction entre la coopération et le conflit, l'intérêt et la norme, la puissance et la valeur, le réel et l'idéal cesse d'être pertinente. Cette realité puise sa véracité dans le caractère historiquement situé, émotionnellement informé et spécifiquement universel des acteurs et identités des acteurs de l'international. Ce que de l'avis de Kratochwil, l'immédiatété universaliste et globalisante de la politique, et une logique transhistorique conduisent souvent à minorer, ignorant le rôle des passions auprès des intérêts dont sont porteurs les projets des acteurs4.

A ce propos, cette recherche semble laisser croire que la prise en compte du lien intime entre les notions de morale et de puissance dans la lecture des relations internationales, est le premier acte dans l'écriture d'une théorie totale, complète, fidèle et juste des relations internationales. Ce constat fait au travers de l'examen des fortunes de la souveraineté selon qu'elle est rythmée par les questions complexes de la mondialisation, ne porte point à notre sens une marque de sacrilège. C'est dire finalement que Colonomos a raison de penser que la morale participe à la formation des intérêts et quand on a dit cela, le choix ne s'impose plus entre la morale et la puissance5.

1 Linklater et Suganami, op. cit. p. 44.

2 Voir Simon Camey « Human Rights and the rights of states: Terry Nardin on non intervention» International Political Science Review, vol. 18, n°1, pp. 27-37.

3 Linklater et Suganami, op. cit. p. 11.

4 Friedrich Kratochwill « Re-thinking the `Inter' in International Politics » Millennium-Journal of International Studies, vol. 35, n°3, pp. 495-511, 2007.

5 Ariel Colonomos, la morale dans les relations internationales, op. cit.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

B. Bilan théorique : vers le dépassement des archipels paradigmatiques.

La complexité de la scène internationale qui résulte de l'enchevêtrement de l'ordre westphalien avec l'ordre des acteurs privés, donne l'impression d'une entropie. Comme le souligne Badie : « la réalité nouvelle est celle de l'entrée des sociétés dans l'arène internationale et l'ignorer constitue désormais un rêve risqué1 ». Cet état de fait qui se complexifie davantage avec l'imbrication de la morale et de l'intérêt, a imposé la convocation de trois grilles de lecture dont les forces explicatives n'excluent pas des faiblesses. Ces forces et faiblesses induisent une mise en péril des archipels paradigmatiques si l'on veut rendre compte de la réalité totale de la scène internationale.

1. Forces et faiblesses des grilles convoquées

Le réalisme qui focalise l'attention sur l'Etat, a permis de rendre raison de la place mieux, du redéploiement de l'acteur étatique sur la scène internationale. En effet, EITI offre l'occasion de faire le constat que l'ordre bismarckien fondé sur l'Etat comme acteur de la scène internationale demeure. De même, la puissance qui se puise à la source de la morale donne-t-elle à notre étude, la preuve que le Réalisme a le mérite de rendre compte de la ruse. En réalité, la mutation qui est au fondement du néoréalisme, mutation par laquelle la grille réaliste prend en compte la morale, constitue une des forces du réalisme tel qu'invoqué dans notre étude. L'entêtement à rester figé dans la conception du réalisme n'aurait pas permis un examen approfondi de la transparence des industries extractives. La force du réalisme se trouve également dans sa tendance à présenter la scène comme un espace d'anarchie. Si Badie perçoit l'arène internationale comme une entropie du fait de la revanche de la société sur le système westphalien2, c'est en raison du sentiment d'anarchie que cela induit. Ce même sentiment que l'on retrouve dans l'initiative de transparence des industries extractives, aurait laissé place au doute. Cependant, le réalisme en tant que théorie de la puissance, aura permis de lire dans cette anomie apparente, la construction d'un ordre insoupçonné qui se structure autour de l'intérêt.

Cependant, le réalisme comporte des faiblesses qui auraient pu en faire une grille inappropriée pour l'examen de la transparence des industries extractives. La critique du

1 Badie B. Le diplomate et l'intrus, op. cit. p. 277.

2 Badie B. idem.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

kissingerisme développée par Ariel Colonomos1est d'abord une critique morale. Mais au-delà de Kissinger, c'est à la théorie réaliste en soi que s'adresse cette critique qui révèle une de ses faiblesses. L'obsession de la puissance pour les réalistes a détourné leur intérêt de la morale. Si la morale n'a pas droit de cité dans l'arène internationale, alors l'effort de compréhension de la transparence des industries extractives exclut les entrepreneurs moraux, et donc ne rend pas compte de la totalité des logiques à l'oeuvre dans EITI. Cependant, alors que cette « exclusion » de la morale du champ réaliste sert de substrat à l'idée de l'objectivité du réalisme par opposition à l'idéalisme, l'expression à vocation normative de cette théorie laisse penser à une science à l'impératif. Comme le rappelle Colonomos2, le style discursif de Morgenthau dans la phraséologie « l'Etat doit maximiser sa puissance et doit s'attacher à poursuivre l'intérêt... », met en scène une expression injonctive et donc normative. Cela invalide l'hypothèse objectiviste du réalisme. En rapport avec la transparence des industries extractives, la prétention réaliste à l'objectivité empêcherait l'examen des logiques morales dans la structuration du jeu des acteurs, tandis que ce caractère normatif que trahit le ton réaliste serait porteur d'un projet d'érection de la puissance en norme.

Le postulat réaliste qui fait de l'Etat sinon l'unique du moins l'acteur majoritaire de la scène internationale, a le mérite d'avoir permis de comprendre le rôle des Etats dans EITI. Cependant, c'est un postulat qui porte l'illusion du nominalisme. Le réalisme transcende les cloisons, voit la puissance sous un même prisme dans toutes les aires géographiques. EITI est quant à elle, une initiative transnationale, transcontinentale et donc incorpore des aires très variées où l'Etat et la puissance n'ont pas la même connotation. Nul ne peut sérieusement arguer que l'Etat en Asie a les mêmes modes de fonctionnement que l'Etat en Afrique ou l'Etat occidental. Du coup, la considération de ces ensembles disparates est une illusion. Ainsi, Colonomos a-t-il raison de penser que « le réalisme forge une théorie explicative qui fait fi de toute barrière géographique, culturelle, démographique et sociale3 ». D'autre part, sur un plan interne, le réalisme considère l'Etat comme un acteur unitaire et impersonnel qui aurait une rationalité unique et dépassionnée. La transparence des industries extractives nous permet de constater que les politiques publiques étant le fait d'un ou plusieurs départements ministériels, la cohésion qu'insuffle l'exécutif en tant qu'inspirateur de la politique nationale, devient fébrile devant les logiques au sein d'un même ministère, et pis encore entre les

1 Colonomos A. La morale dans les relations internationales, op. cit. pp. 72-75

2 Colonomos, idem, p.61

3 Colonomos, idem, p. 62.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

ministères et services différents. Les incohérences entre les sociétés d'Etats en charge de la commercialisation du profit-oil en nature dans les Etats tels que le Congo le Gabon, et les administrations de trésor et de finance, rendent raison de ce que l'Etat ne saurait être un acteur unitaire travaillé par une seule logique fut-il un Etat archi-totalitaire.

Le transnationalisme est la grille qui aura permis par-delà les considérations d'essence et d'être des acteurs, de consolider la conviction que le glissement vers une souveraineté responsable est un fait avéré. EITI met en scène des acteurs qui brillent par leur irrévérence vis-à-vis des souverainetés étatiques. Si l'on considère le transnationalisme comme une manière d'être des acteurs, l'on comprend dès lors que le border spanning qui est devenu le jeu favori des acteurs de la scène internationale ne se joue que sur l'espace de la relativité de la souveraineté. L'activité des firmes comme celle des ONG et des Etats s'inscrit dans la logique de la transnationalisation. C'est l'un des traits de la société ouverte que décrit Badie1. Aussi, l'on peut penser que le mérite premier du transnationalisme est de permettre de lire l'action de ces acteurs qui enjambent les frontières étatiques. Cependant, la tendance généralisée à la transnationalisation qui se conforte avec l'épuisement de la distinction externe/interne érode l'exceptionnalité théorique du paradigme transnationaliste. Toute activité politique contemporaine est exposée à la transnationalisation. De plus, la souveraineté n'est plus un principe capable d'opérer le containment des acteurs privés dans leur élan de perturbation des autorités étatiques qui s'exercent sur les territoires. Ainsi, le transnationalisme apparaît simplement comme une manière d'être sur la scène internationale plutôt qu'une théorie digne d'un intérêt rigoureux. Ce d'autant que, le réalisme, l'idéalisme, le constructivisme, l'interdépendance et autre fonctionnalisme expliquent également l'activité des acteurs qui s'inscrivent dans la transnationalité. Il se dégage l'impression que le transnationalisme s'est vidé de son essence par le fait de la mondialisation qui rend impertinente, toute action recluse dans les cadres strictement stato-territoriaux des Etats.

La troisième grille qui aura servi à l'examen de la transparence dans les industries extractives est le constructivisme. L'opacité dans ce secteur d'activité est un phénomène vieux. Son inscription dans l'agenda de la politique mondiale dans la décennie 1990, les

1 Badie considère que les sociétés qui font leur entrée dans l'arène brisent la tradition d'une société internationale construite de Von Rochau aux réalistes contemporains et qui était fondée sur la diplomatie des Etats. Cette intrusion donne dès lors naissance à une société ouverte qui se caractérise par : l'interdépendance, la transnationalisation et la communication. Badie B., Le diplomate et l'intrus, op. cit. Lire notamment les pages 45 à 78.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 336 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

causes que défendent les entrepreneurs moraux y affiliés ainsi que sa transformation en problème public1 sont des éléments d'une construction sociale de la réalité. La déconstruction de cette réalité a été rendue possible par l'outil constructiviste. Aussi, le constructivisme démontre-t-il le mérite de permettre une déconstruction des réalités et faits sociaux inscrits dans la politique internationale. Ce faisant, il se révèle également comme un Janus dont l'une des faces constitue la force et l'autre son talon d'Achille. C'est une théorie post-positiviste.

Le constructivisme qui offre l'occasion de discourir sans complexe des valeurs, normes et idéaux et dans ce cas précis de la transparence, semble ainsi relever du post-positivisme. D'abord, parce qu'il est observation des faits qu'il permet de déconstruire. De ce point de vue, il est une théorie positiviste qui examine les faits, l'orthodoxie obsessionnelle du positivisme qui sert une antienne au sujet des faits est donc respectée. C'est cela l'aspect objectif du constructivisme et en cela réside sa force dans cette étude. En effet, il est la grille qui aura permis de lire avec pertinence la logique des membres de la communauté de la transparence. Autrement, les motivations profondes des uns et des autres, ainsi que leurs identités construites auraient échappé à l'examen. Ensuite, il est post-positiviste parce qu'il va au-delà de l'observation objective, pour s'exprimer sur les normes et valeurs qui modèlent la société. C'est ce que le professeur Sindjoun appelle l' « idéalisme structurel », c'est-à-dire un idéalisme agissant qui informe les structures à la différence de l'idéalisme naïf des révolutionnaires qui relève de l'éthique de conviction, de la « morale du grand Inquisiteur ». Le constructivisme se situe alors dans la posture d'une évolution des mentalités théoriques et incite à un dépassement des archipels paradigmatiques. Tout se passe finalement comme si l'ère post-positiviste tend à rendre aux théories, le magma originel qui scelle la proximité et l'identité des couloirs de pensée autour des valeurs et normes. Que l'on se souvienne que la pomme de discorde qui a causé la babélisation théorique est entre autre, le fait de la place à accorder aux valeurs et normes dans la science des relations internationales. Inclure les valeurs et normes dans la théorie relève du bon sens, de la « raison pratique » tant leur influence est réelle dans la conduite des acteurs. L'irruption de la multitude entraîne avec elle l'irruption des émotions de la multitude sur la scène internationale. Rendre raison de la conduite de cette multitude qui explique l'affirmation de l'actorat multiple, c'est être au fait des valeurs et normes qui les font mouvoir. Le constructivisme a donc le mérite d'avoir permis de concilier la puissance et les valeurs dans la compréhension de la transparence des

1 Voir Joseph Gusfield op. cit.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

industries extractives. C'est également en cela que réside le défi. Comment le constructivisme peut-il demeurer scientifique en touchant de si près aux valeurs et normes ? Comment rester objectif lorsque la promiscuité d'avec les valeurs et idéaux peut être source de contagion émotionnelle génératrice de subjectivité ?

La faiblesse manifeste du constructivisme est la manipulation des valeurs et normes qui sont traditionnellement frappées d'exclusion dans la science en raison de leur caractère subjectif. Aussi, le constructivisme aura-t-il entraîné dans son élan de subjectivité, notre étude vers le sentiment d'un jugement de valeur. En effet, dire que la communauté de la transparence est une communauté motivée, intéressée, c'est devoir se prononcer pour juger la conduite des acteurs, devenir moralisateur. Si tout est construit, alors la déconstruction de la réalité sociale comporte le risque de basculer vers la condamnation et la stigmatisation. C'est un risque qui a accompagné cette étude d'un bout à l'autre.

2. Par-delà les forces et faiblesses : vers le dépassement des archipels théoriques et paradigmatiques ?

L'on peut penser que nul n'a le droit de se priver de goûter aux joies de l'analyse internationaliste au motif que le sujet étudié relève de la morale et que le risque du parti pris est élevé. La mondialisation de la scène internationale s'assimile à la démocratisation c'est-àdire à l'irruption de la multitude et, cela entraînant ceci, les archipels de la pensée théorique doivent être dépassés. Ce n'est que de cette façon que le réalisme et l'idéalisme, l'utopisme et le positivisme rendront raison ensemble de ce que la morale ne s'oppose pas nécessairement à la puissance. Le post-positivisme a effectivement le rôle et la responsabilité, de rendre compte de la nécessité de mêler les postures théoriques afin de permettre à la science des relations internationales d'évoluer avec son temps, et de ne pas toujours être à la traîne derrière les concepts qui auront évolué avec le temps. A ce propos, Dario Battistella esquisse quatre caractéristiques du post-positivisme qui participent du dépassement des positions figées et intègrent la necéssité d'une méthode pluraliste. Sur le plan épistémologique, le postpositivisme critique les approches positivistes et empiriquement vérifiables. Méthodologiquement, il rejette l'hégémonie d'une seule méthode scientifique en faveur de la pluralité. Ontologiquement, il défie la conception rationaliste de la nature et des actions

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

sociales pour souligner au contraire la construction sociale des identités des acteurs. Et normativement, le post-positivisme condamne la théorisation axiologiquement neutre1.

Dès lors que l'on a admis que la politique internationale est le domaine d'une saine cohabitation entre la morale et les intérêts, entre la puissance et les valeurs, l'effet induit sur le plan théorique est le pluralisme. D'ailleurs, en cela réside l'illusion d'une théorie des relations internationales. Non pas qu'une théorie explicative de ce domaine de la science politique ne doive exister, mais parce qu'une seule théorie serait incapable de rendre compte de la réalité totale de la politique internationale. Selon Jean-Louis Martres, l'obstination à la bataille hégémonique entre diverses théories, bataille qui est culturellement maculée et dont le ferment occidental qui s'accommode d'une vision manicchéenne de la réalité, a permis les vélleités hégémoniques de certaines théories au détriment d'autres, a rendu pendant longtemps mal perçue une approche pluraliste dans l'analyse de la politique mondiale. Le syncrétisme devient alors la solution pour rendre raison de la réalité complexe et composite de la politique internationale2. Toute analyse de la réalité internationale qui a pensé les valeurs et les intérêts en terme de juxtaposition et non d'exclusion, a eu l'impératif d'une approche pluraliste, transcendant les îlots théoriques dans lesquels se sont installés durablement et avec aise, certains courants de pensée. L'école anglaise des relations internationales, inscrite dans une prise en compte des normes et valeurs dans un monde dominé par les Etats en quête d'objectifs de puissance, a su se plier à l'exigence méthodologique du pluralisme. Andrew Linklater et Higemi Suganami disent à ce sujet: « It has been argued that the English school is committed to methodological pluralism and does not priviledge any single dimension of world politics. This is a useful reminder that its members do not believe order and society in international relations can be understood in isolation from geopolitical rivalries and cosmopolitan attachments3» (il a souvent été dit que l'école anglaise a une approche méthodologique pluraliste et ne privilégie pas une seule dimension de la politique mondiale. Cela constitue un rappel utile à savoir que, ses membres ne croient pas que l'ordre et la société dans les relations internationales peuvent être compris à partir d'une observation isolée des rivalités géopolitiques et des convictions cosmopolitiques). Et comme le rappelle Barry Buzan, cette école est une théorie précsement parce que, en plus de s'intéresser aux

1 Dario Battistella, théories des relations internationales, op. cit. p. 301.

2 Jean Louis Martres « De la necéssité d'une théorie des relations internatinales. L'illusion paradimatique » working paper.

3 Linklater et Suganami, op. cit. p. 119.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

sociétés de second ordre, elle a une approche méthodologique pluraliste qui rend l'inconciliabilité des paradigmes impertinente1.

La bataille théorique est une bataille de puissance. Chaque courant déploie son génie cognitif pour imposer l'empire de sa grille. Il faut rappeler que la théorie est par essence un instrument à usage ex post c'est-à-dire, un outil qui a vocation à servir pour constater ce qui se joue, un instrument que le chercheur utilise, lui qui arrive « quand les lampions sont éteints ». Aussi, l'archipelisation des courants théoriques qui s'érige en norme dans la science des relations internationales est-elle de ce point de vue, une attitude à proscrire. En effet, la prétention à l'unicité d'une théorie et le monisme explicatif permettent de rendre compte de façon partielle et parcellaire de la réalité internationale. Peut-être c'est cela l'idée qui a souvent présidé à l'adoption de plusieurs paradigmes distincts et complémentaires ; tentant ainsi de rendre raison de la complexité de la réalité de la scène internationale qui autorise l'usure du monisme explicatif. Cette même complexité autorise de s'émanciper des schèmes comportementaux consacrés dans la discipline, et qui se fondent autour de l'idée que le réalisme notamment ne saurait être opérationnalisé pour dire le comportement éthique des Etats. Cette opinion a eu les faveurs de l'ère de l'hégémonie réaliste sans surprise, car l'Etat est perçu par eux comme l'acteur central et quelques fois unique des relations internationales2. Les couloirs consacrés de la réflexion internationaliste s'avèrent aigus dès lors que l'on se met dans la peau d'un observateur des nouvelles relations internationales. Les archipels théoriques marqués sur la carte de la pensée politique internationaliste sont désormais exposés à la tectonique des plaques de la sociologie des nouvelles relations internationales3. Ils ne sauraient résister à leur confinement qui se construit à la congruence des valeurs et de la puissance, des normes selon qu'elles connotent un devoir être et les faits qui disent ce qui est. `Ce qui est' est l'issue d'un processus idéel qui se solde par la matérialisation d'une pensée de `ce qui doit être'. Autrement dit, la pensée précède l'action et cela impliquant ceci, les faits

1 Barry Buzan, op. cit. pp. 24-26.

2 A ce propos, Frédéric Ramel tentant de situer la genèse d'une philosophie des relations internationales, trouve dans le moment médiéval qui coïncide avec la formation de l'Etat moderne l'instant de son émergence. Point de vue contestable de l'auteur qui assimile une philosophie des relations internationales presque exclusivement aux seules relations interétatiques et qui leur donne pour vocation première l'examen de la polémologie internationale. Il s'agit d'une onction accordée au réalisme en tant que théorie qui sanctuarise l'Etat. Voir Frédéric Ramel (avec la collaboration de David Cumin) Philosophie des relations internationales, Paris : Presses de science po, 2002.

3 C'est ce qui fait penser à Mervyn Frost que les normes sont indissociables des faits empiriques dans l'étude de la scène internationale. Voir Mervyn Frost (1996) Ethics in International Relations: A constitutive theory, Cambridge: Cambridge University Press.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 340 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

Références bibliographiques

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

informent une conception du monde ; ils imposent une réalité. Les idées moulent les faits, ceux-ci à leur tour induisent des idées dans une circularité congénitale1.

Il est devenu quasi-obsolète de rattacher le réalisme à la puissance stricto sensu, dès lors que le déclin du communisme a marqué l'avènement d'un monde post-guerre froide. Ce changement là est la ruine des paradigmes réalistes. Non point que la quête de puissance n'a plus prise sur les motivations des acteurs, mais davantage, celle-ci est devenue plus soft. L'on note la cohabitation sereine du hard power et du soft power. L'explication de la conduite de puissance des Etats s'accommode désormais fort bien de l'idéalisme. L'ouverture des mentalités à la fin des rigidités positionnelles a permis de faire le constat du préjudice imposé à la science des relations internationales, en restant accroché aux mâchoires des favelas théoriques. Le réalisme n'a pas cessé de rimer avec puissance mais, il a nuancé ses positions pour traduire sa conscience de l'évolution de la scène internationale. Klaus-Gerd Giesen2 pense d'ailleurs que la prise en compte de cette évolution est au principe de l'émergence du néoréalisme en tant qu'il est le prolongement théorique du réalisme qui se mute en se moralisant. A ce propos pense-t-il, le néoréalisme se caractérise par le bannissement du scepticisme, la régénération du conséquentialisme et la naissance d'une éthique néo-empiriste des régimes. Refuser cette mutation dans la pensée des relations internationales entraîne à manquer l'occasion de faire avancer la discipline. Au nom d'une antinomie consacrée entre l'utopisme en tant que préséance de la recommandation comportementale qui se veut la source d'un monde rêvé, et le positivisme qui privilégie davantage les faits, la science des relations internationales se fait du tort, en laissant perdurer l'illusion que les choses-pensées diffèrent des choses-faites. Peut-être faut-il rappeler que les choses sont d'abord pensées, et lorsqu'elles sont faites, elles informent ensuite la forme que prennent les sociétés. Autrement dit, toutes les réalités sont construites par les idées et pour les comprendre, il faut convoquer les idées. C'est pourquoi, l'apport constructiviste dans cette recherche a permis de transcender les cloisons de l'insularité des archipels théoriques, pour surfer dans la relativité des chapelles théoriques afin de rendre raison de la relativité de la souveraineté. D'ailleurs à propos de la non-exclusion naturelle des théories, Dario Battistella rappelle les traits réalistes du

1 C'est l'idée que défend Kathryn Sikkink qui parle d'une approche interactive qui commence avec l`engagement éthique qui inspire le choix du sujet et les résultats de la recherche qui modèlent les jugements éthiques du chercheur. En cela, elle veut transcender la dichotomie déontologie/conséquentialisme dans l'étude de l'éthique. Kathryn Sikkink « The role of consequences, comparison and counterfactuals in constructivist ethical thought » in Richard M. Price, op. cit. pp.83-111.

2 Klaus-Gerd Giesen op. cit. pp. 238-260.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

constructivisme d'Alexander Wendt. Taxé de stato-centrisme1, le constructivisme de Wendt se fonde sur l'Etat auquel il reconnaît seul l'autorité dans les relations internationales. De plus, l'intérêt national est au coeur de sa réflexion. Autant la centralité de l'Etat que l'intérêt national sont des colonnes de la réflexion réaliste. Mieux, le constructivisme de Wendt met en relation ces éléments de réalisme avec la morale. Battistella dit : « en résumé, chez Wendt, l'intérêt national qui guide le comportement d'un Etat bien qu'il se réfère aux exigences de sécurité et de survie d'un Etat, est enchâssé dans les normes et valeurs qui façonnent ses identités2 ». Aussi, présente-t-il le constructivisme comme une synthèse, une voie médiane entre le réalisme et les théories libérales3.

1 Battistella, D. théorie des relations internationales, op. cit. p. 297.

2 Battistella, D. Idem p.301.

3 A. Cohen, B. Lacroix et Ph. Riutort (Dir.) Nouveau manuel de science politique, op. cit. pp. 676-678.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

précédent sommaire suivant










Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy



"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire