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La scène alternative de Poitiers

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par Maxime Vallée
Université de Poitiers - UFR Sciences Humaines et Arts - Master 1 Civilisation Histoire et Patrimoine 2011
  

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Première Partie - 1984-1989 : De l'enterrement à l'enracinement de L'Oreille est Hardie

Cette première partie va nous permettre de voir comment l'association L'oreille est hardie, aujourd'hui très bien implantée dans le tissu culturel poitevin, a construit son ascension #177; qui ne s'est pas déroulée sans embûche a jusqu'à la fameuse date clé de 1989.

I- 1984 : Mort définitive ou simple gestation ?

L'année 1984 semble ~tre, à la vue des différents fonds d'archives, une année creuse en termes d'activité culturelle alternative à Poitiers. On retient comme seul fait marquant l'organisation à l'amphithéltre Descartes par l'AMP (Association musicale poitevine) d'un concert de Bérurier Noir le 9 juin.18 Marquant non par le fait qu'il s'agisse du groupe censé avoir fait imploser le mouvement alternatif à lui tout seul, mais plutôt par celui qui a consisté à le faire venir dans la province poitevine à une époque oE il ne bénéficiait pas encore de toute l'audience qu'on lui connait aujourd'hui (ce qui a d'ailleurs conduit à un fiasco du concert). Outre cet événement, les sources concernant notre sujet d'étude semble cruellement faire défaut. Comment interpréter ce manque d'informations concernant le milieu associatif musical poitevin, qui peut laisser planer le doute concernant la pertinence du choix de nos bornes chronologiques ? Ce milieu n'est-il pas encore né, ou très peu actif ? Est-ce une année creuse ? Une période charnière ? Afin de répondre à ce questionnement et de comprendre la situation de 1984, il va nous falloir étudier les événements de l'année précédente, qui permettront alors de donner des perspectives à notre travail.

A/ Le Meeting : pleins feux sur Poitiers

Le mois de juin 1983 reste symbolique dans l'histoire culturelle de Poitiers. Un mois marqué par le déroulement du festival intitulé « Le Meeting ». Organisé dans plusieurs lieux de Poitiers (au Théâtre situé Place du Maréchal Leclerc, ou sous un chapiteau implanté en face de l'ancien lycée des Feuillants, boulevard Lattre de

18 Archives de la Fanzinotèque de Poitiers (AFP), « Revue de presse de l'AMP ».

Tassigny) le festival accueille de nombreux groupes dont la renommée actuelle n'est plus à faire. L'orchestre de Glenn Branca ouvre ainsi les festivités le 4 juin et sa venue ne laisse pas la presse indifférente. Considéré comme « la tête de file du mouvement musical le plus important depuis les minimalistes »19, l'artiste newyorkais joue son seul concert en France pour cette année à Poitiers et amène avec lui d'autres artistes, presqu'anonymes pour l'époque, mais aujourd'hui mondialement reconnus. C'est ainsi que le groupe Sonic Youth, un groupe majeur de la scène rock internationale, effectue sous le chapiteau poitevin son premier concert en Europe le 26 juin 1983. Les mystérieux Américains The Residents, eux-aussi très avantgardistes et très réputés, passent par le Meeting pour un de leurs très rares concerts. L'éclectisme du reste de la programmation s'exprime à travers la présence mêlée de grands noms de la scène rock à réputation mondiale comme Orchestre Rouge ou Killing Joke et de musiciens traditionnels égyptiens : les Musiciens du Nil.

Derrière ce festival ayant obtenu un large écho à travers la presse nationale, notamment dans les colonnes de Libération qui consacre un article à chacune des soirées du Meeting #177; écrit par un journaliste déprché pour l'occasion ~ on retrouve l'association L'oreille est hardie. Fondée en 1977 avec comme premier nom L'oeil écoute, L'oreille est hardie, ou LOH, organise et promeut dès le départ des spectacles favorisant « l'ouverture et le décloisonnement : Musiques actuelles et traditionnelles (sacrées et populaires), culture rock, jazz et inclassables [en direction de] publics jeunes et moins jeunes, jonction avec l'immigration. »20 Cependant, bien au-delà de la volonté de mettre en avant un style musical, une esthétique particulière, c'est l'envie de faire partager des sonorités, des ambiances nouvelles qui animent l'association. LOH « s'est toujours sentie mal à l'aise dans la contemplation de valeurs culturelles sûres. »21 Les objectifs fixés par l'association sont donc très clairs : il s'agit de confronter des artistes peu ou pas reconnus, et donc pas relayés par les canaux traditionnels du spectacle (publics ou privés), à des publics visiblement demandeurs si l'on en croit le succès acquis au fil des années, permettant à la

19 Archives du Confort Moderne (ACM) : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1982-juin 1983), Centre Presse du 1er juin 1983.

20 Archives Départementales de la Vienne (ADV) : 1256 W 175 #177; 1987- DRAC - Musique et Danse - LOH Poitiers #177; Dossier promotionnel du Confort Moderne #177; saison 1986-1987, p. 3.

21 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1982-juillet 1983), La Nouvelle République du 20 juin 1983.

structure d'organiser de plus en plus de manifestations (de six en 1977, LOH est passé à la mise en place de vingt-trois manifestations trois ans plus tard22).

Cette volonté de faire se produire à Poitiers de nouveaux artistes a conduit LOH à s'inscrire dans des réseaux dépassant les limites de l'Hexagone. La programmation établie par l'association montre bien que les membres de LOH créent dès leurs débuts des liens avec des groupes ou des structures #177; alternatifs ou non #177; étrangers, et pas seulement européens. C'est d'ailleurs probablement cette capacité à faire jouer de grands artistes en devenir qui a donné à LOH, et par extension à Poitiers, l'image d'une place culturelle importante, qu'elle conserve encore aujourd'hui à travers cette histoire. Dès 1981, la presse locale considère déjà que « L'oreille est hardie a fait de Poitiers l'une des quatre ou cinq plaques tournantes de la musique non-européenne en France. »23 Cette affirmation se justifie par l'éclectisme musical international installé par LOH à Poitiers : qu'il s'agisse de musique traditionnelle indienne ou arabe, de blues ou de jazz américain ou encore de rock alternatif anglais, l'association poitevine a toujours essayé de dénicher des talents en gestation à travers le monde #177; quelque qu'en soit le « genre » musical #177; et dont la venue en France était impossible par le biais des structures traditionnelles de l'industrie musicale. Les Poitevins ont souvent été visionnaires, puisqu'ils ont fait venir à Poitiers de futurs grands noms à maintes reprises. Ce fut par exemple le cas de The Cure, groupe catalogué « new wave » (se traduisant par « nouvelle vague »), qui se produisit deux fois à Poitiers, à l'amphithéltre Descartes, le 27 octobre 1980 et le 8 octobre 1981.24 On remarque une nette différence entre les deux concerts : on ne trouve aucune trace dans la presse de celui de 1980, alors que celui de 1981 est annoncé dans les quotidiens locaux comme un événement, et un compte-rendu est même publié quelques jours plus tard. En un an, le groupe anglais a tout simplement percé. C'està-dire que LOH fait jouer en 1980 un groupe quasiment inconnu en France, qui n'attire pas les foules, et participe ainsi à l'acquisition de sa notoriété ; ce qui lui permet d'organiser le mrme concert un an plus tard devant une salle comble. Permettre à des groupes inconnus et exclus des circuits de l'industrie musicale

22 ADV : 1666 W 1- 1976-1984 #177; DRAC - Manifestations culturelles - Historique de l'association l'Oreille est Hardie - 1981.

23 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1980-juillet 1981), Centre Presse du 25 avril 1981.

24 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1980-juillet 1981), Centre Presse du 10 octobre 1981.

d'atteindre la notoriété et la reconnaissance fait donc partie des objectifs de l'association dès le début :

« Face à l'industrie privée du spectacle (« le show bizz a») qui n'a jamais créé de musique novatrice et se contente d'exploiter des valeurs sûres, il n'y eut jusque là qu'un réseau d'associations plus ou moins éphémères pour soutenir les musiques créatives, pour programmer les groupes et leur permettre de trouver un public. [...] Et c'est souvent dans de tels réseaux fragiles que les vedettes d'aujourd'hui ont trouvé leurs premiers partenaires, ceux qui leur ont permis de tenir jusqu'à la reconnaissance médiatique. »25

C'est ce genre de pratiques qui confère aujourd'hui encore à LOH la réputation de remarquables découvreurs de talents à l'échelle internationale, mrme si cette image a souvent été acquise à retardement.

En effet, faire découvrir de nouvelles expériences musicales constitue un risque certain pour l'association, qui s'est souvent heurtée à l'incompréhension du public. Les premiers pas de LOH ne se font d'ailleurs pas sans difficulté : on retrouve par exemple dans la revue de presse du Confort Moderne de 1979 un article dont l'origine et la date précise ne sont pas spécifiées, dressant un bilan de l'action de LOH au bout de deux ans. Il en ressort beaucoup d'incompréhension de la part du journaliste, qui oppose le point de vue de l'association déplorant un public trop fermé d'esprit, au sien et à celui d'une partie du public, critiquant l'élitisme de la structure. Ce manque de réceptivité transparaît beaucoup à travers la presse d'époque, qui n'hésite parfois pas à tirer à boulets rouges sur certaines manifestations organisées par LOH. Ainsi, les quotidiens locaux ne sont pas tendres lorsqu'ils relatent le manque d'ambiance au concert de 12°5 organisé par LOH à la MJC d'Aliénor d'Aquitaine. Si les journalistes mettent un peu l'accent sur la démarche éthique du groupe qui « ne sont pas des requins tristes reconvertis un peu démago ou des jeunes cadres aux dents longues du rock business »26 et revendiquent par là une démarche alternative, c'est d'un « bide a», d'un groupe qui « s'est ramassé » dont le même journal parle quatre jours plus tard. Pourquoi retient-on alors aujourd'hui ce genre d'événement si décrié ? Parce que le journaliste n'a perçu qu'un groupe jouant une musique à laquelle il n'était pas très réceptif, devant un public clairsemé, ce qui équivalait pour lui à un échec. Or, ce que l'on garde aujourd'hui, et qui a d'ailleurs

25 ADV : 1666 W 1- 1976-1984 #177; DRAC - Manifestations culturelles - Historique de l'association l'Oreille est Hardie - 1981.

26 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1980-juillet 1981), Centre Presse du 3 octobre 1980.

été compris il y a longtemps par les contemporains de cette époque, c'est que LOH a fait jouer à Poitiers #177; et ainsi contribue à sa renommee #177; un grand nom de la musique amplifiee française, qui a collabore avec de nombreux artistes de la musique populaire hexagonale, comme Jacques Higelin ou Bernard Lavilliers. Ce « flair », cette capacite à faire decoller des artistes de talent #177; français ou non #177; est donc devenue en quelque sorte la marque de fabrique de LOH et lui a donne une réputation à l'échelle nationale.

Pourtant, malgré l'image de marque, les succès indéniables accumulés jusqu'en 1983 et « plus de 200 groupes, orchestres ou solistes produits à Poitiers sans concession à la mode, sans se soucier des habitudes de consommations culturelles »27, LOH decide de mettre un terme à ses activites en organisant un dernier événement à la hauteur de l'empreinte que la structure a laissé dans le paysage culturel poitevin : le Meeting. Veritable « manifeste politique, qui a rendu fou Santrot28 »29 selon Francis Falceto,30 ce festival s'installe au coeur de Poitiers durant presqu'un mois et offre le « plateau le plus prestigieux et le plus megalo de « Juin à Poitiers.» »31 Cette manifestation consacre les pratiques et les liens dans lesquels LOH s'est inscrite depuis sa fondation : l'axe Poitiers ~ New-York atteint son sommet avec la venue de Glenn Branca et de Sonic Youth, les liens avec le rock anglais s'expriment à travers Killing Joke, et la musique traditionnelle du monde entier trouve egalement sa place avec les Musiciens du Nil. Ce sabordage retentissant sonne donc comme le dernier coup d'éclat de l'association poitevine, qui fait l'objet d'une large campagne de soutien à travers la presse nationale, poussant LOH à continuer son action culturelle. Voyons à travers tous ces articles, les raisons qui ont pousse les jeunes Poitevins à abandonner leur activite de programmateurs artistiques.

27 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1982-juillet 1983), Nouvelle République du 20 juin 1983.

28 Maire de Poitiers de 1977 à 2008, Jacques Santrot fut conseiller general de la Vienne de 1973 à 1988 et depute de 1978 à 1988.

29 MOUILLE Thierry : Le Confort Moderne, 1985-2005, Poitiers, L'Oreille est Hardie, 2005 (source audio-visuelle).

30 Membre de L'oreille est hardie, Francis Falceto fut l'un des quatre piliers ayant fondé le Confort Moderne. Il est aujourd'hui spécialiste des musiques éthiopiennes.

31 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1982-juillet 1983), La Nouvelle République du 20 juin 1983.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote