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La scène alternative de Poitiers

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par Maxime Vallée
Université de Poitiers - UFR Sciences Humaines et Arts - Master 1 Civilisation Histoire et Patrimoine 2011
  

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B/ La Ville de Poitiers et L'oreille est hardie : une politique de l'effort insuffisante

La lecture de l'ensemble de la revue de presse concernant l'autodissolution de LOH traduit plusieurs faits. Tout d'abord, il est important de constater que la campagne de soutien qu'engendre la disparition de la structure poitevine est presque plus importante dans des journaux extérieurs à la ville de Poitiers que dans les quotidiens locaux. Le journal Libération suit ainsi les jeunes Pictaviens depuis le début des années 1980, séduit par une association qui « a habitué un public substantiel aux dérives sonores les plus inhabituelles »32, et consacre plusieurs articles consécutifs à l'annonce du jubilé de LOH en ce mois de juin 1983. Un envoyé spécial est même dépêché à Poitiers pour raconter le Meeting au jour le jour, ce qui témoigne de l'ampleur de l'événement. À l'échelle nationale, LOH est donc devenue très réputée et la campagne de presse militant pour sa sauvegarde laisse mrme transparaitre une nette admiration, voire finalement de l'envie : « Vive Poitiers ! Qui est capable à Paris de proposer un tel programme? »33 interroge-t-on dans Le Matin de Paris. Cette admiration est d'ailleurs amplifiée par l'image que ces titres nationaux se font de Poitiers. Si la capitale poitevine reflète déjà par le biais de son campus universitaire l'image d'une ville étudiante, c'est celle d'une « ville bourgeoise endormie »34 qui prévaut chez eux et qui force le mérite de LOH : celui d'instaurer une effervescence culturelle dans une localité qui ne s'y prte a priori pas. Ce ressenti est d'ailleurs partagé par certains membres de l'association : Falceto se plaint ainsi que « Poitiers est encore une ville endormie, c'est toujours la foire d'empoignes avec des rivalités féodales. »35 Ce membre de l'association fait donc deux ans avant l'annonce de la cessation d'activité de LOH, le constat de relations difficiles avec les institutions poitevines.

Pourtant, le contexte politique de Poitiers et son volet culturel semblent à première vue adaptés au développement d'activités musicales E entre autres ~ diversifiées. « En 1977, la nouvelle majorité socialiste conduite par J. Santrot

32 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1981-juillet 1982), Libération du 12 mai 1982.

33 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1982-juillet 1983), Le Matin de Paris du 25 juin 1983.

34 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1978-juillet 1979), Libération du 19 juin 1979.

35 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1981-juillet 1982), La Nouvelle République du 23 septembre 1982.

entreprend une politique de développement culturel, modèle de l'action culturelle locale des municipalités de gauche de 1970 à 1980. »36 Libération fait le même constat en observant une municipalité qui « a multiplié par six le budget de la culture [et] a choisi le fédéralisme, contre la centralisation-bunkérisation type Maison de la Culture. »37 On se trouve donc en présence d'une municipalité « passée à gauche » en 1977, adoptant une ligne culturelle forte qui favorise les associations #177; à l'image de beaucoup d'autres agglomérations de plus de 30 000 habitants ayant élu une majorité socialiste cette même année #177; en contradiction avec celle du gouvernement giscardien et son « désengagement financier [...] qui laisse aux municipalités de très lourdes charges. »38 C'est finalement cet ensemble de politiques locales qui a préfiguré le volet culturel de la politique nationale du premier septennat de François Mitterrand, qui « aboutit notamment à la reconnaissance du jazz, du rock, du rap »39, des styles musicaux nouveaux, largement défendus par LOH. La municipalité a donc tenté de favoriser économiquement les associations poitevines, ce qui s'est traduit par une augmentation progressive des subventions attribuées à LOH entre 1977 et 1983, censées soutenir le budget de l'association, comme en témoigne ce graphique réalisé à partir de divers documents (dossier de demande de subventions et quelques articles de presse) :

Montant en Francs

1200000

1000000

800000

400000

600000

200000

0

1977 1978 1979 1980 1982 1983

Année

Subventions de la municipalité

Budget de LOH

Evolution des subventions municipales et du budget de L'oreille est hardie
(1977-1983)

36 RAFFIN Fabrice, Friches industrielles, un monde culturel européen en mutation, Paris, L'Harmattan, 2007, p. 36.

37 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1981-juillet 1982), Libération du 12 mai 1982.

38 URFALINO Philippe, « De l'anti-impérialisme américain à la dissolution de la politique culturelle », dans Revue Française de Science Politique, octobre 1993 (n° 5), p. 830.

39 POIRRIER Philippe, Société et culture en France depuis 1945, Paris, Editions du Seuil, 1998, pp. 80-81.

Ce graphique traduit toutefois bien le décalage entre les aspirations de l'association ~ matérialisées par le budget #177; et le soutien apporté par la Ville, malgré ses efforts financiers. Les désaccords entre LOH et la municipalité sont anciens et prennent différentes formes. Ceux-ci sont consécutifs aux changements de conception des membres concernant le fonctionnement de leur association. Falceto explique ainsi :

« Il y a quatre ans, on regardait avec suspicion les subventions municipales. C'est tout juste si on a accepté les 1000 francs qu'on nous a alloués. Notre point de vue a heureusement changé et on ne crache pas sur les 120 000 francs reçus cette année. Au contraire, on estime que ce n'est pas assez. »40

Cette demande de subventions croissante non satisfaite s'accompagne par ailleurs d'un manque de compréhension de la part de la municipalité. Mrme si les efforts financiers déployés pour aider les associations poitevines sont réels, bien qu'insuffisants, la Ville adopte une politique de gestion des structures qui semble inadaptée. Pour le technicien culturel local, « il faut que les 13 associations que nous aidons aient des relations entre elles »41 afin de mettre leurs moyens en commun : il s'agit du principe fédéraliste mis en place par le conseil municipal pour gérer les associations. Il parait toutefois techniquement difficile de faire mener à bien des projets artistiques communs à des associations labellisées #177; ayant des buts clairement éloignés #177; surtout dans le cas de LOH qui propose des spectacles peu conventionnels. Ce fonctionnement anti-centraliste vise à impliquer le milieu associatif dans une logique de rentabilité et de gestion globale de la ville. Il se matérialise à travers « la SDAC (structure décentralisée d'action culturelle) ; cette grosse structure qui n'a pas encore de statut juridique [qui] possède de fait le monopole de l'animation culturelle sur la ville »42, dans laquelle LOH ne trouve finalement pas sa place et a donc le sentiment de ne plus pouvoir aller jusqu'au bout de ses projets.

Le manque de moyens conjugué à une mauvaise conception des réelles ambitions de la structure par la municipalité pousse donc LOH à sonner le glas de ses activités au mois de juin 1983. Cela a pour effet d'attiser les critiques envers la municipalité,

40 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1981-juillet 1982), Libération du 12 mai 1982.

41 Ibidem.

42 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1982-juillet 1983), La Nouvelle République du 20 juin 1983.

qui est accusée de laisser tomber une association réellement active, donnant un souffle nouveau à la vie culturelle de Poitiers. « Oh hé de la mairie, réveillez-vous, avant que les Poitevins n'aient plus le choix qu'entre Sardou et les tournées Karsenty »43 interpelle ainsi le journal Libération. LOH se trouvant dans l'impasse, il va maintenant nous falloir analyser les solutions s'offrant à l'association lui permettant d'envisager un avenir moins sombre que l'autodissolution pure et simple, et une alternative à un fonctionnement la rendant trop dépendante du bon vouloir des pouvoirs locaux. Le constat qui découlera de cette prochaine partie nous permettra ainsi de comprendre le virage pris par LOH et le manque d'activité culturelle alternative en 1984.

C/ Muter ou mourir : quelles solutions pour la survie de L'oreille est hardie ?

Additionnées à ces dissensions avec la municipalité, il convient également d'analyser un certain nombre de pratiques, propres au milieu associatif, qui condamnent souvent ce type de structures à de courtes durées de vie, notamment lorsqu'elles font le choix d'un fonctionnement alternatif, avec une forte indépendance. Ces codes communs sont d'ailleurs à mettre en relation avec les divergences entretenues avec les institutions en matière d'action culturelle. Ainsi, LOH « met en avant des cycles courts de production accompagnés d'une organisation du travail souple »44 qu'il faut opposer au fonctionnement administratif plus lent de la municipalité, qui entrave les capacités rapides d'organisation d'événements de l'association. Dépendre des infrastructures municipales et donc de la lenteur des décisions de l'administration constitue donc un obstacle et peut constituer un facteur de frustration chez les membres débouchant naturellement sur un sentiment de lassitude. Un sentiment de lassitude qui peut aisément être relié à la nature mrme de l'activité des membres. L'organisation du travail souple évoquée plus haut se conjugue avec les statuts des acteurs culturels qui constituent les forces vives de l'association. Ils « sont étudiants, exercent déjà une activité professionnelle ou sont sans emploi et n'ont pas de projet précis pour leur avenir. »45 Les programmateurs de LOH exercent donc cette activité associative en tant que

43 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1982-juillet 1983), Libération du 24 juin 1983.

44 RAFFIN Fabrice, op. cit., p. 37.

45 RAFFIN Fabrice, op. cit., p. 36.

bénévoles, à l'exception de « 3 salaries seulement (1 poste et 2 demi) »46 touchant des salaires autofinances. Il faut donc comprendre la precarite qu'implique ce mode de fonctionnement se fondant sur un benevolat passionne. Dans une region où les seuls tourneurs de musiques amplifiees ou traditionnelles sont des benevoles qui portent à eux-seuls le poids d'une demande croissante I de la jeunesse notamment ~ dans ce domaine, il est évident que la pérennité de l'association n'est que relative. « Forcément, au bout d'un moment, les gens ils s'épuisent, ils cherchent du travail, ils s'en vont et puis voilà : les choses se plantent. »47 Ce témoignage d'une des membres de la Fanzinothèque de Poitiers traduit donc bien le sentiment de fatigue qui peut-rtre perçu par des bénévoles, d'autant plus lorsqu'ils se heurtent à une municipalité qui ne répond pas à leurs attentes. La survie de l'association n'est donc plus garantie que si la passion et l'envie des membres sont plus fortes que les entraves municipales. Or, en 1983, il semble bien que le formalisme administratif de la Ville soit venu à bout des ardeurs de LOH.

Cette base associative de benevoles conduit d'ailleurs jà une consequence évidente, très liée au caractère passionné de l'activité de LOH : une vision à très court terme. Celle-ci se concretise par une spontaneite affirmee de leur action, engendrée par les goûts et les envies des membres. L'expérience associative alternative, notamment celle des debuts de LOH, est une aventure du moment, immédiate. Les membres mettent tout en oeuvre pour faire venir à Poitiers les artistes qu'ils souhaitent voir évoluer, sans trop se soucier des retombées économiques ou de la viabilité du projet, puisque leur regard se focalise sur l'instant et non sur le long terme. L'échec temporaire est donc permis, puisqu'il n'a qu'une faible incidence sur la survie de la structure et ne remet en cause #177; pour le cas de LOH #177; qu'un faible nombre de salaries, eux-mêmes conscients de leur precarite. La spontaneite est donc au centre de l'activité de l'association, qui se focalise uniquement sur l'organisation pragmatique des manifestations culturelles, et ne s'inscrit pas sur la durée E en temoigne la non-conservation de leurs archives administratives, par exemple. Ce benevolat passionne est significatif du caractère aventureux, experimental de LOH et implique une cessation d'activité facilitée. La structure étant animée par

46 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1982-juillet 1983), La Nouvelle République du 20 juin 1983.

47 Entretien avec Gilles et Marie de la Fanzinothèque, propos recueillis le 31 janvier 2011.

l'engagement de ses membres et peu soumise à des impératifs financiers, il est aisé de se saborder lorsque l'envie fait défaut. C'est une des facilités permises par l'indépendance des composantes du mouvement alternatif et l'absence de comptes à rendre. On remarque d'ailleurs que cette indépendance devient de plus en plus difficile à garantir étant donnée l'augmentation #177; même insuffisante #177; des subventions, et les rapports impératifs #177; même conflictuels #177; devant être entretenus avec les structures municipales pour pouvoir organiser des manifestations. Les membres de LOH « n'ont pas toujours réussi leur intégration. C'est du reste à ce prix qu'ils ont pu préserver cette indépendance... qui leur coûte cher aujourd'hui. »48 L'association a donc des ambitions en 1983 qui ne correspondent plus à son fonctionnement. Même si celui-ci tend à se formaliser avec la création d'emplois mrme précaires, l'organisation d'événements de plus en plus nombreux et de plus en plus importants en termes d'audience, ne peut plus se conjuguer avec l'absence de réponses de la part de la Ville. L'association décide donc de mettre un terme à ses activités en juin 1983.

Le manque d'activité culturelle alternative en 1984 s'explique donc aisément par la dissolution de l'association motrice de cette scène à Poitiers. Pourtant, il convient d'appréhender ce sabordage comme un message fort aux institutions qui ne répondent pas à ses besoins, plutôt que comme une mort pure et simple. Les membres de l'association entrent finalement dans une période de réflexion concernant leur fonctionnement et il semblerait que le festival censé marquer la fin de LOH soit finalement le point de départ d'une nouvelle aventure culturelle à Poitiers.

48 ACM : « Press Book de l'Oreille est Hardie » (septembre 1982-juillet 1983), La Nouvelle République du 22 juin 1983.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon