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Le BIR et la GP dans la politique de défense et de sécurité du Cameroun. Socioanalyse du rôle présidentiel, des concepts stratégiques et d'emploi des forces

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par Hans de Marie HEUNGOUP
Université catholique d'Afrique centrale - Master en gouvernance et politiques publiques 2011
  

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I. A- La concurrence pour le contrôle des ressources de l'État

Le 4 novembre 1982, tout juste revenu de sa visite médicale en France, le président AHIDJO reçoit en audience Paul BIYA (Premier ministre) à 9 heures du matin, puis le reste du gouvernement et ses proches collaborateurs à 10 heures. Ils les informent que son état de santé ne lui permet pas de continuer, et que ses médecins lui ont conseillé un repos total d'un an. Il leur annonce par la suite qu'il démissionne à la faveur du premier ministre Paul BIYA. Sa démission avait semble-t-il pris de court ses proches collaborateurs, qui se demandaient pourquoi quitter le pouvoir à un moment où il était au zénith de sa domination politique60. D'après les Mémoires de Samuel EBOUA, les collaborateurs du chef de l'État aurait tenté de l'en dissuader et l'aurait même supplié. Toujours est-il que la soirée du 4 novembre, AHIDJO annonce sa démission à 20 heures à la nation, présente son successeur Paul BIYA en affirmant que celui-ci mérite la confiance de tous les camerounais.

60 Il faut se rappeler qu'il y a juste deux ans, il célébrait le vingtième anniversaire de son accession au pouvoir.

Deux jours après l'annonce par le président AHIDJO de sa démission, Paul BIYA prête serment le 06 novembre à 10 heures à l'Assemblée nationale. Son message s'inscrit dans l'hommage et la continuité de la politique du président AHIDJO. On peut retenir :

En cette circonstance solennelle et émouvante, l'heure est à l'hommage. En effet, à mon illustre prédécesseur, mieux, à celui dont j'ai eu l'insigne honneur d'être pendant des années le collaborateur, je dois un grand et vibrant hommage emprunt de déférence et d'admiration. Digne et prestigieux fils de ce pays, père de la nation camerounaise, artisan de son unité et de son développement, le président Ahidjo se sera révélé à nos yeux comme un géant de l'histoire camerounaise, de l'histoire africaine et de l'histoire tout court. (...) J'entends situer l'action des années à venir sous le double signe de l'engagement et de la fidélité. L'engagement d'ordre constitutionnel, la fidélité d'ordre politique à un homme, S.E. Ahmadou Ahidjo, à un peuple, le peuple camerounais.61

Ces paroles traduisent qu'il n'y avait pas de cacophonie en ce moment entre la vision de l'État du nouveau président et celle d'AHIDJO. Les termes « continuité » et « fidélité » reviennent à plusieurs reprises dans le discours du nouveau président. En étudiant ce discours, on y retrouve le lexique politique du président sortant. Les termes tels que « ordre », « sécurité », « paix » et « unité » reviennent abondamment dans le vocabulaire politique du nouveau président. L'exégèse des premiers discours permet de constater qu'au départ, le président entrant s'inscrit véritablement dans la continuité et la fidélité à l'ancien régime. Il n'hésite d'ailleurs pas à rendre hommage aux premières lignes de chacun de ses discours à son «illustre prédécesseur». Toutefois, soutenir que le nouveau président n'était pas mu d'une mauvaise intention à l'endroit de son prédécesseur au moment où il prend fonction, ne signifie pas que celui-ci ne travaillait pas depuis à affiner sa posture de dauphin idéal.

La succession comme mode d'alternance au sommet de l'État au Cameroun paraît « normale », si l'on considère qu'il s'agit d'un système de gouvernement autoreproducteur et perpétuel. Dans le cadre d'un système de domination néopatrimonial, ce qui préoccupe le plus la classe dirigeante, c'est la stabilité du système de domination. L'éventualité d'une transition successorale était très créditée par Jean-François BAYART et KONTCHOU KOUOMEGNI. Cette éventualité était d'autant plus créditée qu'elle était au coeur des alliances politiques au sein de l'UNC. A cet effet, Samuel EBOUA affirme que depuis la réforme constitutionnelle

61 Prestation de serment à l'assemblée nationale le 06 novembre 1982, in Le message du renouveau national. Discours et interviews du président Paul BIYA, An I, éditions SOPECAM, 1984, p. 11.

de 1975, la succession présidentielle était devenue un enjeu par rapport auquel s'opposaient ou s'alliaient les élites dirigeantes. C'est dans ce sens que Luc SINDJOUN mentionne que :

La succession présidentielle du 6 novembre 1982, perçue comme un évènement a été soudaine; par contre, entendue comme un mode de reproduction des élites dirigeantes, comme une structure d'action politique, elle était prévisible parce qu'inscrite dans l'horizon politique des attentes politico-constitutionnelles. La succession présidentielle peut être interprétée, comme relevant de la dynamique du marché gouvernant dont la structuration avait envisagé l'éventualité de la démission du président de la République.62

En revanche, là où plusieurs analystes se sont trompés, c'est sur l'identité du potentiel successeur. Pour la plupart, et précisément pour BAYART, c'est Samuel EBOUA qui succèderait. Les noms de NDAM NJOYA et AYISSI MVODO étaient aussi avancés. Mais avec le recul, on se rend bien compte que c'est le premier ministre de l'époque Paul BIYA qui avait usé de la meilleure stratégie de positionnement. Tandis que ses rivaux dans le marché gouvernant avaient développé une posture de futur présidentiable; c'est la « stratégie du chat qui fait semblant de ne pas s'intéresser à la souris » qu'a su mettre en oeuvre le président Paul BIYA. Faignant de ne pas s'intéresser au pouvoir, Paul BIYA, qui aux dires de MONGO BETI, est d'une médiocrité à pleurer, a gravi, de sa sortie à l'IEP de Paris à la primature, les échelons de la haute administration. Pour le système et pour le président AHIDJO, Paul BIYA présentait le meilleur profil : médiocre, d'une tribu peu nombreuse, obéissant et donc contrôlable. De surcroît, ce dernier doit toute sa carrière à AHIDJO. Il était le candidat idéal qui puisse permettre au système de se perpétuer tout en laissant au président AHIDJO une marge de manoeuvre.

Bref, Paul BIYA succède à Ahmadou AHIDJO. La courte idylle qui avait suivi la prestation de serment du nouveau président ne dure pas six semaines. Commence alors une concurrence entre le président Paul BIYA et le président AHIDJO. L'accession de Paul BIYA à la magistrature suprême, dans une large mesure, portait les germes d'un conflit politique. La concurrence qui se déroule est avant tout une concurrence entre positions dans le champ politique post-successoral.

62 SINDJOUN Luc, Op. cit., 1996, p. 6.

I.B- Du bicéphalisme à la rupture

Le bicéphalisme va de la période du 06 novembre au 22 août 1983. A ce moment, survient la confrontation brutale, puis la rupture. Cette rupture va être consommée avec la tentative de coup d'état le 06 avril 1984.

Après la prestation de serment de Paul BIYA, AHIDJO s'envole le même soir pour un séjour en France. Le 10 décembre, il rentre de son séjour, accueilli à l'aéroport de Yaoundé par le président de la République. Jusqu'à ce moment, les deux hommes n'ont pas encore eu de différend notable. Le 11 décembre 1982, au cours de la réunion du bureau politique de l'UNC, AHIDJO accorde une délégation générale des pouvoirs à Paul BIYA, qui devient par décision N° 8/PN/UNC/82 vice-président du parti unique. La position de président de la République, vice-président de l'UNC, loin d'être importante semble participer d'une stratégie de «tutellisation» de Paul BIYA par Ahmadou AHIDJO. C'est dans ce sens qu'il faut apprécier ces paroles d'AHIDJO lors de sa communication de ce jour : « M. le président de la République, vice-président du comité central, chargé de diriger ou de veiller à la bonne tenue de ces assises à pu le faire d'heureuse manière et m'en a rendu compte. L'exercice de ce pouvoir d'appréciation emporte production des relations verticales ».63

La manifestation la plus spectaculaire d'Ahmadou AHIDJO sur la scène politique se traduit par l'exclusion de Moussa YAYA du parti unique le 10 janvier 1983 et le lancement d'une tournée provinciale à partir de Bafoussam du 23 au 29 janvier 1983. Quel qu'ait été l'objet de cette tournée, au compte du nouveau président, ou pour déstabiliser le nouveau président, toujours est-il que l'inflation de l'image et de la parole; bref de l'ex-président n'arrange pas le nouveau. L'économie de la mise en scène simultanée des deux présidents ne pouvait qu'aller dans le sens de la confrontation. Cette confrontation se manifeste en premier lieu au niveau protocolaire. Le protocole, entendu comme mise en forme de l'ordre politique, comme symbolisation de la distinction hiérarchique est le premier lieu de la guerre froide. En janvier 1983, au cours d'une réunion du parti UNC, AHIDJO avait bénéficié des faveurs de la préséance face à Paul BIYA. En revanche, en mars 1983, lors de la cérémonie publique de remise du prix Dag HAMMARSKJOLD, le président Paul BIYA obtient la préséance sur l'ancien. Le 31 janvier 1983, il affirme au Cameroon tribune : « L'UNC définit les grandes orientations que le gouvernement doit mettre en oeuvre ».64 Le vedettariat du parti unique, traduit par la fréquence des réunions du comité central et l'ouverture officielle de la campagne

63 SINDJOUN Luc, op. cit, 1996, p. 26.

64 Cameroon tribune, Interview de BIYA Paul, 31 janvier 1983.

électorale le 14 mai 1983 par Ahmadou AHIDJO et non par le chef de l'État, met en péril la place du président BIYA.

Cette concurrence tourne à la confrontation brutale et à la rupture avec l'annonce le 22 août 1983 d'un complot contre la sécurité de la République. Bien que le nom d'AHIDJO ne soit pas mentionné, c'est clairement lui qui est visé. Certains situent la rupture à partir du décret n° 83/276 du 18 juin portant remaniement ministériel. Pris souverainement par le président Paul BIYA, contrairement aux deux autres décrets, il marque la volonté présidentielle de contrôle des dispositifs de patronage politico-bureaucratique. Ce décret permet au président de déstructurer les réseaux de soutien à AHIDJO, notamment en évinçant Samuel EBOUA, Sadou DAOUDOU, AYISSI MVODO, MAÏKANO Abdoulaye, HAMADOU Moustapha, BELLO BOUBA et Guillaume BWELE. L'arme du décret permet au président Paul BIYA de préparer les réseaux de l'instrumentalisation de l'armée, notamment en nommant le 23 juin 1983 trois nouveaux généraux, NGANSO SUNDJI, OUMAROUDJAM YAYA et TATAW James. C'est dans ce contexte de rayonnement du décret qu'Ahmadou AHIDJO quitte le Cameroun le 19 juillet de la même année pour ne plus y revenir.

Le 22 août 1983 le président de la République annonce à la radio la découverte d'un complot contre la sécurité de l'État. L'annonce d'un complot contre la sécurité de la République dans lequel sont impliqués Ahmadou AHIDJO, son intendant Ibrahim OUMAROU, et son aide de camp SALATOU Adamou constitue un parricide symbolique et ouvre la voie à la légitimation judiciaire du discrédit de l'ancien président. Le procès qui s'ouvre le 23 février 1984 s'achève le 28 février par la condamnation à mort pour avoir : « incité à la haine contre le gouvernement de la République, participé à une entreprise de subversion en propageant des rumeurs malveillantes sur le remaniement ministériel du 18 juin 1983 et enfin conspirer en vue d'assassiner le chef de l'État et de renverser les autorités de la République ».65

En plus, Ahmadou AHIDJO est condamné à cinq ans de détention et à une amende de vingt millions de FCFA. En ce moment, AHIDJO qui a démissionné de la tête de l'UNC le 27 août 1983 est politiquement mort. La rupture qui a lieu entre les deux présidents va être définitive et officialisée avec la tentative de coup d'état du 06 avril 1984.

65 Procès verbaux des accusés du 06 avril 1984.

II- La tentative de déstabilisation du 06 avril 1984

L'étude de la tentative de déstabilisation présidentielle dans la nuit du 6 au 7 avril par les éléments de la garde républicaine soulève deux préoccupations jusqu'à ce jour non entièrement élucidées : quels ont été les instigateurs ? Comment se sont déroulés les faits ?

II.A- La détermination des responsabilités

Qui ou quels sont les responsables du coup d'état manqué d'avril 1984 ? On peut répondre à cette question de trois façons. Soit l'on adopte la version officielle, qui consiste à dire que la tentative de putsch ne fut que le fait d'une minorité de l'armée assoiffée de pouvoir. Soit l'on considère qu'Ahmadou AHIDJO aurait été l'instigateur du coup d'état manqué. Soit encore l'on situe la tentative dans le sillage de la construction de l'hégémonie présidentielle.

La première approche, celle officielle, est la moins crédible. Elle tente de détribaliser le coup d'état, alors même que la mutinerie serait survenue d'un texte signé du chef de l'État le 4 avril qui mutait le gros des effectifs de la Garde Républicaine, originaires du Nord, vers la gendarmerie. Indubitablement, ceux qui ont perpétré le coup d'état étaient en majorité ressortissants de la province du Nord. Mais, le pouvoir tente de détribaliser le putsch afin d'éviter de perdre le contrôle du pays. L'unité nationale et la détribalisation des putschistes sont évoquées afin d'éviter de cristalliser le débat identitaire. De fait, depuis le début du bras de fer entre les deux présidents, la base ethno-régionale du pouvoir de l'actuel président avait été affirmée. Le texte signé le 04 avril s'inscrit dans le processus déjà enclenché de « bétïsation » et de déboulonnement des hauts cadres Nordistes de l'administration. L'évocation de l'unité nationale ici ne sert que de prétexte à la construction hégémonique du charisme présidentiel. A cet effet, quatre jours après la tentative, le président affirme ceci :

L'histoire retiendra que les formations ayant participé au rétablissement de la situation comprenaient des camerounais de toutes origines, sans distinction de leur appartenance ethnique, régionale ou religieuse. La responsabilité du coup d'état manqué est celle d'une minorité d'ambitieux assoiffés de pouvoir et non celle de telle ou telle province ou de camerounais de telle ou telle religion. 66

S'agissant de la deuxième approche de la tentative de putsch, elle est la plus communément partagée par les camerounais. Pourtant, elle non plus ne rassemble un faisceau

66 BIYA Paul, « Message à la nation », 10 avril 1984.

d'indices suffisamment pertinent pour présumer de sa vraisemblance. Ceux qui défendent cette version avancent deux idées : d'une part, les acteurs de la tentative de putsch étaient bien des militaires de la Garde Républicaine, ressortissants du Nord et donc partisans du président Ahidjo; d'autre part, celui-ci n'avait plus rien à perdre, vu que la rupture avait été définitive depuis le 28 février avec sa condamnation à cinq ans de détention et à une amende de 20 millions de FCFA pour « Outrage au chef de l'État ». Pour eux, le coup d'état manqué d'avril 1984 ne serait que le prolongement du complot contre la sécurité de l'État fomenté en juin 1983. Il faut dire que pour l'époque, il y avait de quoi persuader le citoyen lambda de la véracité de cette version, tant AHIDJO n'y allait plus de main molle dans ses interviews à l'encontre de son successeur. En effet, le 05 mars 1984, après la condamnation à mort de son intendant Ibrahim OUMAROU, son aide de camp SALATOU Adamou, et à sa propre condamnation par contumace, l'ex président affirme lors d'une conférence de presse donnée à Paris : « Trop, c'est trop... A bon entendeur salut !».67 Le 06 avril 1984, interrogé à Radio Monte-Carlo sur les évènements de Yaoundé, sur le coup d'état qui a cours, il déclare : « Je n'ai rien à voir avec ce qui se passe, on m'a trop insulté et trop dénigré; qu'ils se débrouillent. Si ce sont mes partisans, ils auront le dessus ».68

Cependant, Les révélations de Jean FOCHIVE69 et l'analyse du déroulement du coup d'état ne permettent pas d'accréditer qu'AHIDJO aurait pu être le fomentateur du putsch. FOCHIVE affirme que l'un de ses agents infiltré comme garde de corps du président AHIDJO en France avait mis ce dernier sur écoute et surveillait tous ses faits et gestes à l'étranger. Cet agent a assuré qu'Ahmadou AHIDJO avait été lui-même surpris par les évènements du 06 avril. De surcroît, la nuit du 05 avril, l'un des acteurs de la tentative ayant pris peur avait vidé son sac chez le Colonel Claude MEKA, Directeur de la Sécurité Présidentielle. FOCHIVE souligne à juste titre que la rapidité et la cohérence de la riposte des forces armées loyalistes laissent subodorer que certains d'entre eux étaient informés à l'avance du putsch. Il affirme également que huit jours avant la tentative, il avait envoyé un courrier à la présidence pour les informer de l'imminence d'un coup d'état. Pour lui, le fait que l'enquête lui ait été retirée par la présidence, alors que ses services étaient proches de la vérité témoigne de ce que le président de la République ait voulu protéger certains militaires.

67 AHIDJO Ahmadou, « conférence de presse donnée à Paris », 06 mars 1984.

68 Ibid., Interview à Radio Monte-Carlo, 06 avril 1984.

69 FENKAM, Frédéric, op. cit., 2003.

En fait, ce qui est à l'oeuvre dans cette tentative, c'est la « fabrication autoritaire du nouveau président-pontife ».70 La déification du faisant-fonction actuel passe par la réification de l'ancien faisant-fonction. Autant il serait naïf de croire au fameux complot contre la sécurité de l'État de juin 1983; autant, il serait encore plus ingénu de croire que le président AHIDJO a suscité le coup d'état manqué d'avril 1984. De toute évidence, la betïsation du pouvoir et la reconstruction violente de l'hégémonie présidentielle sont des hypothèses qui donnent le mieux sens à la tentative de déstabilisation présidentielle.71 En réalité, la tentative de coup d'état est salvatrice pour Paul BIYA, en ce sens qu'elle lui a permis de s'affirmer comme président à part entière, comme maître d'oeuvre du partage des dépouilles. La tentative de coup d'état vu comme une betïsation du pouvoir ou un procédé d'expurgation des « nostalgiques »72 du système ancien est très plausible. Non seulement le texte signé le 04 avril visait à écarté de la sécurité présidentielle les ressortissants du Nord, mais en plus, manifestement, certaines autorités militaires, notamment de la sécurité présidentielle étaient au courant à l'avance. Il est donc possible qu'il y ait eu instrumentation de la tentative de coup d'état pour consolider la base ethno-régionale du pouvoir présidentiel. Ceci ne peut être mieux compris qu'en étudiant dans les faits le déroulement de la tentative de coup d'état.

II.B- La tentative de coup d'état : entre conjoncture critique et mobilisation politico-militaire

Le coup d'état commence le vendredi 06 avril 1984 à 3 heures du matin. Il est exécuté par les éléments de la Garde Républicaine (GR). Les fers de lance du putsch sont : le Colonel SALE Ibrahim (Commandant de la GR), le Capitaine ABALELE (Commandant de l'escadron blindé de la GR), le Capitaine AWAL ABASSI (Commandant du groupe d'artillerie de la GR), le Capitaine ABALI et le Commissaire Amadou SADOU.

A 3 heures, seize véhiculent blindés de la GR entreprennent de prendre d'assaut le palais de l'unité et de destituer le président Paul BIYA. Celui-ci se réfugie avec sa femme au Bunker. Il a avec lui l'aide de camp et sept éléments de la DSP commandés par le colonel Ivo DESANCIO YENWO. Pendant ce temps, le directeur de la DSP, le Colonel Claude MEKA appelle à 3h50 le chef d'état-major de l'armée, le Général de brigade Pierre SEMENGUE pour lui faire part de la situation. Pierre SEMENGUE qui vient d'être prévenu de la tentative de coup d'état, reçoit la nouvelle de sa femme que deux blindés de la GR tentent de pénétrer au sein de sa concession. Simultanément, un détachement des mutins conquérait le quartier général, l'école nationale de police, l'aéroport de Yaoundé, puis la radio nationale.

70 SINDJOUN, Op. cit., 1996.

71 Ibidem.

72 Ibidem.

De 3 heures à 5heures, les mutins ont pris le contrôle des sites stratégiques de la défense. Ils ont cerné le chef d'état major des armées ; ils ont pu pénétrer au sein du palais mais progressent difficilement suite à la résistance âpre des éléments de la DSP au niveau de la seconde barrière. A ce moment, le rapport de force sur le terrain leur ait très favorable. A 13h, les mutins annoncent le communiqué suivant :

Camerounaises, Camerounais, l`armée nationale vient de libérer le peuple camerounais de la bande à Biya, de leur tyrannie et de leur escroquerie et de leur rapine incalculable et inqualifiable. Oui, l'armée a décidé de mettre fin à la politique criminelle de cet individu contre l'unité nationale de notre cher et beau pays. En fait, le Cameroun vient de vivre au cours de ces quinze derniers mois qu'a duré le régime BIYA les heures les plus noires de son histoire.73

L'armée camerounaise comptait environ 12 000 hommes en avril 1984, dont 1 100 de la GR. Parmi les 1 100, presque 900 sont des ressortissants du Nord et fidèles au Colonel SALE, le chef de fil de la mutinerie. La GR disposait des équipements de combat suivants : Pare-balles, fusils-mitrailleurs, grenades, lance-roquettes, véhicules blindés, batteries sol-air et sol-sol. Durant les 3 premières heures du coup d'état, elle a pu obtenir les armes et les munitions entreposées au Quartier Général (QG), et contrôlait l'accès aux dépôts d'armes et de munitions; ce qui privait les forces loyalistes d'une riposte. L'armée régulière quant à elle comptait 10 900 hommes, y compris la gendarmerie, dont 2 000 basés à Yaoundé, principalement au QG. Le QG occupe une place essentielle dans le dispositif de défense camerounais, puisqu'il a pour mission la défense de la capitale. Il regroupe les meilleurs éléments de l'armée régulière et dispose des meilleurs équipements. De ce fait, la prise du QG par les mutins constituait une victoire stratégique importante. C'est dire qu'avec un rapport de 1 100 contre 2 000, les mutins avaient effectué le gros du travail : ils tenaient leur coup d'état. D'où la question : comment expliquer leur échec, alors que ceux-ci contrôlaient la quasitotalité des espaces stratégiques de défense de la capitale ?

L'argument de la mauvaise formation soulevé par le Général SEMENGUE ne nous semble pas pertinent pour expliquer les causes de l'échec de la mutinerie. En effet, les unités de la GR étaient recrutées parmi les meilleurs éléments de la gendarmerie, et subissaient en plus un entraînement spécial. Or les gendarmes suivent le même entraînement que les militaires. Par conséquent, affirmer que l'échec des mutins est dû à leur mauvaise formation,

73 ATEBA EYENE Charles, op. cit., 2002, p. 121.

c'est affirmer que l'armée camerounaise est mal formée, puisque les soldats de la GR étaient choisis parmi les meilleurs de l'armée. Il nous paraît donc que l'échec des mutins est dû à l'impréparation et à la précipitation de leur projet. En effet, les Procès verbaux du tribunal militaire soulignent que les mutins avaient prévu effectuer leur tentative au mois de juin 1984. Mais, constatant le 4 avril, que le chef de l'État avait pris un décret qui les affectait à la gendarmerie; laquelle affectation rendait désormais leur projet impossible, ils ont dû anticiper la date du coup d'état. D'où un certain dilettantisme qui a permis aux forces loyalistes d'organiser la riposte.

Pour revenir au déroulement des faits, de 3h50 à 5h30 les mutins ont tenté en vain de mettre la main sur le chef d'état-major Pierre SEMENGUE. Au cours de cette opération, ils commettent trois erreurs. D'abord, ils oublient de couper le câble du téléphone. Or, c'est grâce au téléphone que Pierre SEMENGUE a pu de sa maison contacter le colonel MPAY à Douala, le Colonel BENAE MPECKE à KRIBI, le Colonel WANGALI, le Colonel MAMBOU DEFFO, le Colonel SAMOBO, puis KOUTABA, MBALMAYO et l'état-major pour leur prescrire de conduire leurs troupes vers Yaoundé. Ensuite, les mutins auraient dû organiser un commando pour tenter de capturer SEMENGUE, cela aurait été plus facile et rapide que la tentative de le déloger par des tirs depuis les véhicules blindés. Celui-ci a pu les intimider grâce à un pistolet-militaire et quatre grenades offensives/défensives. Au cours de cet échange, SEMENGUE reçoit deux balles au bras droit; il parviendra à s'échapper de son domicile à 6 heures. La troisième erreur que commettent les mutins, c'est lors de la diffusion de leur message à la nation. Ils ne prennent pas la peine de s'assurer que le message est diffusé sur l'étendue du territoire nationale. Or, ce message n'a été audible qu'à la station radio du Centre-sud.

A partir de 13 heures, la riposte va être organisée par les forces loyalistes. L'étatmajor de crise est supervisé par le ministre des forces armées ANDZE TSOUNGUI et le chef d'état major des armées Pierre SEMENGUE. Peu à peu, les points stratégiques tenus par les mutins vont être repris. A 15 heures, la radio nationale est reprise et commence à diffuser les musiques consacrées au président: « Paul BIYA, nous te disons, nous militants de l'UNC, tu es l'homme de la dynamique nouvelle, tu es l'homme de la concorde et l'homme de la justice. Jamais, jamais, tu ne failliras ».74 A 16 heures, l'École nationale de police est reprise et permet aux forces loyalistes d'avoir accès aux armes et aux munitions. A 19 heures, les

74 Source : Archives nationales du Cameroun et SOPECAM.

parachutistes de Koutaba atterrissent à Nkolbisson ; et à 21 heures ils reprennent l'aéroport grâce notamment aux tirs Air-sol des avions foucades. Concomitamment, une bataille féroce se déroule au QG qui est repris. Puis c'est le palais de l'unité. La reconquête du palais était particulièrement laborieuse. Le 07 avril au matin, entre 08 et 09 heures, les hélicoptères gazelles prenaient à partie les blindés de la GR à l'intérieur et à l'extérieur du palais présidentiel. Cette opération était combinée avec une attaque terrestre du détachement du colonel BENAE MPECKE qui devait s'emparer du palais de l'unité et délivrer le président de la République. A 10 heures, le général Pierre SEMENGUE se rend à la présidence pour remettre son arme au chef de l'État et l'informer que la mutinerie a été matée. Selon la version officielle, le putsch a fait 70 morts dont 10 loyalistes, 60 mutins. Il y a eu également 1300 prisonniers et une cinquantaine de blessés. Pour la BBC, il y aurait 2000 tués. Radio France Internationale parle de 500 personnes décédées et l'UPC de 6000 morts.

Suite à cette tentative de déstabilisation, le système étatique camerounais va connaitre un recentrage autour de la présidence de la République. Ce recentrage situe la présidence de la République comme « centre de forces » du système étatique.

SECTION II LA DYNAMIQUE DU RECENTRAGE ET LA CONSECRATION DU ROLE PRESIDENTIEL

Après la crise de succession présidentielle (1982-1984), l'exercice du pouvoir au Cameroun a connu un recentrage, marqué par la prééminence du rôle présidentiel. Le repositionnement présidentiel dans le système étatique s'est effectué par le biais du collectif bureaucratico-présidentiel. Ce collectif a lui-même été instrumenté par le président de la République; ce qui lui a permis de parfaire sa stature d'être au dessus de la mêlée.

I- L'hégémonie du collectif bureaucratico-présidentiel dans le système étatique

Le collectif bureaucratico-présidentiel constitue la catégorie sociale dominante dans le système étatique et politique du Cameroun. Ce collectif constitue le patrimoine hégémonique transmis au chef de l'État actuel. Ce collectif est constamment composé et recomposé. La magie du décret permet au président de la République d'ajuster le collectif en fonction des inputs adressés au système. 1993, 1997 et février 2008 constituent des dates expérimentables de ce procédé.

I.A- Architecture du collectif bureaucratico-présidentiel

Le collectif bureaucratico-présidentiel ici, c'est la cour, le principat. C'est tous ceux qui ont intérêt à voir le règne présidentiel se pérenniser, tous ceux qui ont intérêt à avoir un regard bienveillant à l'égard du président de la République. Le collectif est la catégorie sociale dominante. Il est constitué de la formation dirigeante et des « boss »75 du système.

Le concept de collectif bureaucratico-présidentiel permet de penser l'exercice du pouvoir au Cameroun en termes de formation dirigeante, c'est-à-dire d'agents hégémoniques en interdépendance76. La bureaucratie, entendue comme catégorie sociale hégémonique monopolisant les marques « État'' et «présidence'', est un ordre stratifié qui se distingue du prolétariat et du tiers-État. Le collectif bureaucratico-présidentiel est avant tout une noblesse d'État, avec ses rites et ses distinctions.77 Envisager dans ce sens, le pouvoir au Cameroun se présente comme une dignité à la quelle on accède par la grâce présidentielle. Dans son livre « Cameroun : qui gouverne ? » Pierre Flambeau NGAYAP dresse le portrait de la formation dirigeante camerounaise. Celle-ci est composée de l'équipe gouvernementale, des autorités déconcentrées nommées par le chef de l'État, des officiers généraux des forces armées et de la police, des autorités décentralisées, des membres de l'assemblée nationale. La plupart des agents hégémoniques, présentés par Pierre Flambeau NGAYAP sont fabriqués par le décret présidentiel. Le décret présidentiel est la clef de l'ascension sociale.

L'équipe gouvernementale incarne la noblesse d'État. Les rites et liturgies politiques sont les moments d'ataraxie et de catharsis. Dans l'orthodoxie gouvernante camerounaise, les anciens ministres font toujours partie de l'équipe gouvernementale, puisque l'on accède à la noblesse une fois pour toute. La seule disgrâce n'intervient que lorsqu'un membre de la cour se met à convoiter la place du prince.78 Les récits de Samuel EBOUA, Jean FOCHIVE et plusieurs anciens ministres font état de ce que même après avoir quitté le gouvernement, ceux-ci recevaient régulièrement des «enveloppes du chef de l'État''.79 L'image des anciens ministres qui se refusent à quitter la capitale, traduit que le gouvernement au Cameroun est perpétuel. Chaque ancien ministre sait qu'un jour ou l'autre il retrouvera un strapontin

75 Appellation des personnalités importantes au Cameroun. Nom d'origine américaine pour désigner les grands patrons. Le boss system a été utilisé dans la science politique américaine pour décrire l'alliance entre les milieux d'affaires et la politique.

76 ELIAS Norbert, Op. cit., 1974, pp. 142-154.

77 BOURDIEU Pierre, « La représentation politique. Éléments pour une théorie du champ politique », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 36 /37, 1981, pp. 3-24.

78 Opération Épervier, affaire Titus EDZOA, Opération Antilope, etc.

79 FENKAM Frédéric, Op. cit., 2003.

ministériel; c'est justement pour cela qu'ils reçoivent des enveloppes, parce qu'ils n'ont pas cessé de faire partie du collectif et du gouvernement.

La noblesse d'État est une noblesse de tyrannie et du pouvoir illimité. Paradoxalement, cette noblesse véhicule un certain «idéal'' auprès des « sans importance »80: l'idéal de pouvoir être un jour un «Gomna''.81 C'est justement pour cela que c'est une noblesse, puisqu'elle se présente aux yeux des cadets sociaux comme le parachèvement de toute oeuvre humaine. La noblesse du pouvoir qui se conjugue à la bourgeoisie accroît la séduction des prolétaires. Ici, le prolétariat ne souhaite pas toujours la mort du système. Quelque fois, il cherche tout simplement à devenir le dominant du système ; tant les figures et rites de la domination véhiculent une catharsis auprès des «rien -rien''.82 Les faits-évènements de 1993 renvoient à un conflit de cohabitation verticale entre professionnels et acteurs politique en voie de professionnalisation; entre dominants en quête de pérennité et dominés en quête de domination au sujet de la représentation politique. Dans le même sens, la revanche des cadets sociaux en février 2008 exprime la frustration du tiers-État.

Par ailleurs, au-delà des figures officielles du collectif bureaucratico-présidentiel. Celui-ci est en outre composé des «boss'' du système. Ce n'est qu'en n'incluant la catégorie des «boss'' qu'on peut rendre compte de l'exercice du pouvoir au Cameroun. Quelle place accorder, par exemple, à la première dame, à la belle mère du chef de l'État ou à tel neveu du président qui ferait trembler un ministre ? La catégorie du « boss » permet de dépasser la formation dirigeante et restitue en partie la dimension personnelle du pouvoir présidentiel camerounais. Finalement, le positionnement au sein du marché gouvernant dépend certes de son rang officiel, mais aussi et surtout de la proximité personnelle que l'on a avec le prince. Par-delà l'officiel, le caché, l'occulte et l'invisible du pouvoir sont à prendre en compte. Le collectif bureaucratico-présidentiel ne s'entend plus à ce moment comme l'ensemble des agents visibles du pouvoir, mais intègre aussi les « agents invisibles ».83

80 BAYART Jean-François, Op. cit., 1985.

81 Idem.

82 Propos d'un enquêté, 18 mai 2011.

83 Les agents invisibles sont les acteurs de l'ombre, les multiples conseillés qui ont une influence notable sur les choix présidentiels.

Figure1 : Ossature du collectif bureaucratico-présidentiel au Cameroun

AMITIES
PRESIDENTIE
LLES

PARENTE
PRESIDENTIE
LLE

BOSS
SYSTEM

PRESIDENCE DE LA
REPUBLIQUE

PRESIDENT DE LA
REPUBLIQUE DU
CAMEROUN

FORMATION
DIRIGEANTE

PARLEMENT

GOUVERNE
MENT

HOMMES DE
L'OMBRE

HOMMES
D'AFFAIRE

FORCES ARMEES DU
CAMEROUN

COUR
SUPREME

RDPC

Source : Hans De Marie HEUNGOUP NGANGTCHO

ILLUSTRATION DE LA PRESIDENCE DE LA REPUBLIQUE C OMME
CENTRE DE FORCE DU SYSTEME ETATIQUE CAMER OUNAIS

FORCES
ARMEES DU
CAMEROUN

PRESIDENCE
DE LA
REPUBLIQUE
DU
CAMEROUN

B OSS
SYSTEM

FORMATION
DIRIGEANTE

Source : Hans De Marie HEUNGOUP NGANGTCHO

I.B- L'instrumentation du collectif bureaucratico-présidentiel au profit du président de la République

Le collectif bureaucratico-présidentiel a pour but la reproduction du système de domination politique. Il n'est pas forcément attaché à la personne de Paul BIYA. Le Collectif n'est donc attaché au prince, qu'en vertu de son statut et non de son indivis. Toutefois, il serait naïf de croire que le collectif tient le prince en l'état actuel des choses. En effet, face aux résultats de la gouvernance au Cameroun, le sacrifice du collectif permet au prince de s'affirmer comme le moindre mal. De même, l'instrumentation des couleurs ethno-régionales et de la bipolarité Nord-Sud permet au prince de se présenter à la nation comme le garant de l'unité nationale.

La disqualification symbolique du collectif, entendu comme le discrédit de la formation dirigeante, de l'opposition et de la société civile, sert les intérêts du prince. Dans un contexte où le camerounais moyen est persuadé que tous ceux qui veulent accéder au principat feront la même chose que le prince, celui-ci peut s'affirmer comme le moindre mal. En fait, l'image d'une classe politique, économique et sociale totalement corrompue permet au prince de jeter le discrédit sur ses concurrents et successeurs potentiels. Le cas de l'opposition camerounaise est patent. Un discrédit entoure d'emblée toute personne qui voudrait créer un parti politique, accusée de chercher du « gombo ».84 Cela n'est pas totalement faux, mais cela n'est pas totalement vrai non plus. En vérité, l'image de la société camerounaise pénétrée par la corruption est salutaire au président de la République, qui peut ainsi apparaître comme celui qui fait le mieux. Combien de fois n'a-t-on pas entendu des camerounais dire : « le problème, ce n'est pas le président de la République, mais ce sont les collaborateurs qui exécutent mal ses instructions ».85 Combien de fois n'a-t-on pas entendu dire que : « le président a les mains liés; qu'il n'est pas le responsable ».86 L'autoinfantilisation et l'auto-déresponsabilisation du président lui permettent de déprésidentialiser les critiques de sa gestion du pouvoir. A contrario, l'infantilisation qui est faite de l'opposition contribue à la disqualification symbolique et morale de celle-ci.

Au Cameroun, le mécontentement social est permanent, mais personne n'est crédible pour le capitaliser. La logique du «on va faire comment ?» est symptomatologique de la résignation sociale. L'étiologie de l'inertie au Cameroun permet de prendre la mesure du degré de conscience que les camerounais ont du maillage reproductif du système. La

84 Il s'agit de la corruption en « Camfranglais », un langage parlé par les jeunes dans les milieux non officiels.

85 Propos d'enquêtés, 22 mai 2011.

86 Propos d'enquêtés, 22 mai 2011.

suppression du statut de premier ministre-dauphin et la disqualification qui a court des successeurs présidentiels potentiels amoindrit la probabilité d'une transition à la 06 novembre. Face à cette « conjoncture critique », l'hypothèse d'une transition post-mortem du président de la République constitue une « fenêtre d'opportunité » prise au sérieux par les formations politiques. Au sein même du RDPC, les acteurs en compétition au sein du marché gouvernant tentent d'améliorer leurs « chances de puissance » post-BIYA. Dans ce «bruit», le président Paul BIYA se place comme celui qui combat l'inertie, le tribalisme et la gabegie. La figure de l'homme au dessus du vice est construite et entretenue. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre la protestation forte de la formation dirigeante lorsque le président a été accusé de corruption par le Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement (CCFD-Terre solidaire). De même, l'offrande en holocauste d'anciens membres de l'équipe gouvernementale ne lui permet pas seulement d'anéantir le « bruit successoral », mais aussi de faire des « cadeaux » au peuple. Par ailleurs, le président échappe au contrôle du collectif par le biais de l'ethno-régionalisation du jeu politique. L'ethno-régionalisation déplace la compétition hégémonique au niveau régional. En effet, les échelles périphériques sont des « lieux vides de pouvoir ».87 Le lieu du pouvoir central étant partiellement hors-jeu, le jeu politique se déroule véritablement au sein des périphéries. La périphérie est attrayante parce qu'elle représente un espace fluide.88 Cependant, cette fluidité est contrôlée, dans la mesure où le décret présidentiel dope les chances de puissance périphérique.

Bref, si l'on peut envisager l'exercice du pouvoir au Cameroun dans une perspective polyarchique; si le concept, de collectif bureaucratico-présidentiel permet de rendre compte du schéma gouvernant; il reste essentiel de considérer la dimension personnifiée de l'exercice du pouvoir au Cameroun sous le second régime.

II- La personnification du pouvoir, marqueur du recentrage présidentiel

Peut-on penser le Cameroun sans Paul BIYA ? Cette question pourrait résumer les débats sur la personnification du pouvoir au Cameroun. La personnification constitue une ressource importante du recentrage présidentiel. L'adoration présidentielle est un marqueur de la personnification. La personnification se traduit aussi par le « statomorphisme » et le « cannibalisme d'État ».

87 LEFORT Claude, L'invention démocratique, Paris, Fayard, 1981.

88 La périphérie est réalité le seul espace politique où les acteurs peuvent se mouvoir à « égalité ». Mais même à ce niveau, le pouvoir contribue encore à fabriquer les élites périphériques.

II.A- La présidentolatrie dans le système BIYA

La Présidentolatrie ou adoration de la personne du président constitue à ce jour un trait spécifique de la politique camerounaise. Le Cameroun sous le premier régime était déjà un régime personnel et personnifié. Sous le second régime, cette personnification s'est accrue et s'accroit à mesure que la domination du président se fait totale. Il convient de distinguer adoration présidentielle d'une part; et mystique du pouvoir d'autre part.

Au Cameroun sous le second régime l'adoration présidentielle se fait de manière douce. Ce qui est à l'oeuvre, c'est le renforcement du charisme présidentiel. La présence des effigies du président de la République dans les locaux de l'assemblée nationale, dans les bureaux des entreprises privées, et chose curieuse, dans les domiciles privés participe de la production de l'omniprésence présidentielle. Le message véhiculé est celui du président qui voit tout. La photo du président qui est présentée est celle où il est jeune (49 ans); c'est la construction de la dimension atemporelle du pouvoir BIYA. Notons que les caractéristiques d'omniprésence, d'omnipotence, d'atemporalité, conférées au président de la République sont celles attribuées dans les religions aux dieux. L'adoration, les louanges et les liturgies sont des propriétés divines. La religion présidentielle a son clergé, ses rites et croyances, ses sacrements et sa doctrine. L'ordination ministérielle constitue un moment clé du prosélytisme politique. L'évangile du «merci présidentiel» est le commencement et la fin de tout discours officiel. Cette adoration et cette religiosité font du président un mi-homme mi-dieu. Comprendre le refrain « Paul BIYA ! Paul BIYA ! Notre Président. Père de la nation, Paul BIYA toujours vainqueur »89 permet de comprendre l'exercice du pouvoir au Cameroun.

La personnification peut également se lire sous le prisme de la mystique politique. La mystique politique camerounaise s'inscrit dans le cadre d'une structure pyramidale et monopolistique du pouvoir. Le concept « zoo-politique »90 permet de replacer la figure du lion dans l'univers mystique du politique africain. Le lion est le roi de la forêt. D'ailleurs le lion camerounais se veut indomptable. La « politique totémique »91 était parfaitement observable lors des élections présidentielles de 1992. Au cours de la campagne, les militants du RDPC marchaient avec l'image de Paul BIYA à laquelle était ajoutée l'image du lion. Le

89 Chanson entonnée lors des défilés et des manifestations politiques par les adhérents du RDPC. A la conférence d'Africa 21, tenue en mai 2010 au Cameroun, l'une des championnes politiques du RDPC, connu sous le nom de Françoise FONNING a entonné cette chanson. Cette chanson est également enseignée aux enfants dès leur plus jeune âge. Nous mêmes en tant que camerounais avons été socialisé à cette chanson, dès l'âge de six ans.

90 KIFON Émile, La politique totémique, Yaoundé, inédit, 2011.

91 Ibidem.

totem lion traduit la puissance du candidat BIYA. Le slogan qui accompagnait la campagne du président en 1992 était « l'homme lion, l'homme courage ». A cet effet, Paul BIYA affirmait dans une lettre ouverte au peuple camerounais, « il faut avoir the lion's fighting spirit »92. L'homme-lion, l'homme-léopard sont des représentations totémiques du pouvoir.

Par ailleurs, la personnification, voire la déification du pouvoir présidentiel s'accompagne, d'un repositionnement au sein des ordres ésotériques. La construction du pouvoir transcendantal du président se nourrit également de la mystique traditionnelle. En 1997, lorsque l'ancien secrétaire général à la présidence, Titus EDZOA, décide de briguer la magistrature suprême, il est aussitôt évincé du champ politique. Ce qui est le plus important, c'est que Titus EDZOA, était l'aîné de Paul BIYA au sein de l'Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix. Or, le pouvoir présidentiel au Cameroun «exprime la nécessité» d'être absolu. Il ne pouvait donc être possible qu'un concurrent présidentiel soit supérieur au président dans les ordres ésotériques. Pour ce faire, le président va sortir de la Rose-croix où il occupait un échelon inférieur pour être intronisé comme grand maître dans la Franc-maçonnerie; ce qui lui permet de s'affirmer comme maître du visible et de l'invisible. Dans le même sens, après les élections de 1992, le président de la République va faire le tour du Cameroun. Un élément pertinent de cette tournée est que le président se fait introniser à chaque fois au rang de grand maître dans chacune des chefferies ethno-régionales. Il ne faut pas juste y voir la promiscuité du pouvoir traditionnel au pouvoir légal-rationnel au Cameroun. Car, ces sacres traduisent aussi une légitimation du président de la République comme grand maître du monde invisible.

II.B- « Statomorphisme » et « statophagie » dans le système Biya

Le « statomorphisme », anthropomorphisme étatique, ou la tendance à identifier le président de la République à l'État ou l'État au président de la République; et la statophagie ou cannibalisme d'État sont inhérents à la personnification du pouvoir au Cameroun.

Que l'on soit en système démocratique ou non démocratique, le chef de l'État reste le représentant de l'État. En système démocratique, le président est délégué par le peuple pour agir en son nom et pour son compte; mais il n'est ni le peuple, ni l'État. L'exercice tyrannique ou despotique du pouvoir ne relève pas automatiquement du statomorphisme; mais d'une dérive excessive de l'exercice du pouvoir. La démocratie implique la non occurrence du statomorphisme; mais la non occurrence de la démocratie n'implique pas forcément le statomorphisme.

92 BIYA Paul, « Lettre ouverte au peuple camerounais », Cameroun Tribune, le 5 Novembre 2009.

Au Cameroun, la paternité de la nation et de l'État qui est conférée au président de la République frise le statomorphisme. Il y a une co-naturalité du président Paul BIYA à l'État du Cameroun; une consubstantialité du père (le président) au fils (la nation). L'eucharistie politique camerounaise est réalisée au cours de la transsubstantiation des espèces du « président » et de l' « État ».93 Le dogme de la transsubstantiation constitue le mystère le plus essentiel de la métaphysique politique camerounaise. L'absorption de l'État, le rabotage des institutions étatiques et de la loi fondamentale sont symptomatiques du statomorphisme. Dans un cas, c'est l'État prend la forme du président de la République; dans l'autre, c'est le président qui prend la forme de l'État.

Dans le premier cas le statomorphisme est bottum-up; cela se joue au niveau de l'imaginaire collectif camerounais. La longévité au pouvoir du président y a contribué pour beaucoup; étant donné que 70% des camerounais ayant moins de 30 ans n'ont connu qu'un seul président. A côté de la longévité, la domination absolue du président sur le système politique accroît le statomorphisme dans les représentations populaires. Dans le second cas, le statomorphisme est top-dawn. L'hyper centralité du président et l'hypertrophie du pouvoir présidentiel entraînent l'absorption de l'État. C'est à ce niveau que s'exprime la dissymétrie entre le président et l'État au Cameroun. Le président n'est pas comptable devant la nation, ni pour se faire élire, ni dans la gestion du pouvoir. Il n'est pas non plus comptable devant les institutions de l'État. A cet effet, le Sénat, le Conseil constitutionnel, la Haute Cour de Justice, la Cour de sureté de l'État et l'article 66 de la constitution ne sont pas encore mis en place. Ce vide institutionnel garantit la non-comptabilité du président de la République. De même, l'adaptation régulière de la constitution de manière favorable à la réélection du président donne à lire la dissymétrie entre le président et la constitution. Le monopole des « chances puissance » et le monopole des « chances de développement » contribuent à l'héroïsation de la personne présidentielle. C'est dans ce sens qu'un enquêté nous affirmait : « Si vous voulez une route bitumée dans votre village, faites une marche en faveur du candidat naturel. Si vous voulez un ministre dans votre tribu, apportez des motions de soutien ».94 Cette héroïsation de la personne du président relève de la science fiction : c'est le président-Prométhée. Le président maitrisant les chances de développement, il peut les accorder aux régions qui sont lui favorables.

93 La transsubstantiation est le dogme cardinal de la catholicité. Jésus Christ est supposé dans cette religion être le Dieu qui se transforme en espèce du pain et du vain. Il en est de même avec la transsubstantiation dans le système politique camerounais. On peut d'ailleurs faire le parallèle avec la catholicité affichée du président de la République, qui en 30 ans de règne fait venir 3 papes au Cameroun.

94 Entretien avec un chauffeur de taxi, au cours du trajet MOKOLO-NKOLBISSON, 10 avril 2011.

En vérité, l'absoluité présidentielle ne serait pas possible sans le cannibalisme d'État. Pour dominer, le hard power ne suffit pas. Il faut ajouter à cela un soft power. Il faut que les positions de pouvoir que le prince propose soient attrayantes. Pourquoi les camerounais se battraient-ils pour un strapontin ministériel, si cela n'était accompagné d'une possibilité d'enrichissement et de pouvoir absolu. Le principe est que ceux qui sont dans la Cour doivent être enviés, d'où une certaine noblesse d'État. Pour ce faire, l'embourgeoisement constitue un appât irrésistible dans un contexte de pauvreté. A ce moment, la manducation des ressources de l'État et même de l'État est une composante nécessaire pour la reproduction du système. Il faut que l'État soit mangé pour que le collectif bureaucratico-présidentiel puisse avoir un train de vie attrayant.

Ce chapitre a abordé la centralité du président de la République dans le système étatique camerounais. Il en ressort que le rôle présidentiel a connu un décentrage partiel pendant la période post-transitoire (1982-1984). Ce décentrage a été principalement marqué par la cohabitation entre le président de la République Paul BIYA et le président de l'UNC Ahmadou AHIDJO. Cette cohabitation a débouché sur une guerre ouverte dès le 22 août 1983, avec la mise en accusation de l'ex président pour atteinte à la sécurité de l'État. Cette guerre s'achève par la condamnation par contumace de l'ancien président en février 1984 et la tentative de coup d'état d'avril 1984. Bien que cet épisode ait déstabilisé le président de la République, elle lui permet paradoxalement d'asseoir son hégémonie et son charisme : c'est le début du recentrage présidentiel.

Ce recentrage apparaît sous un double prisme : l'hégémonie du collectif bureaucraticoprésidentiel dans le système étatique et la personnification du pouvoir. Le premier prisme permet d'envisager l'exercice du pouvoir au Cameroun en termes de formation dirigeante et non d'individu. Elle permet de dépasser la lecture présidentialiste et personnifiée de l'exercice du pouvoir au Cameroun. Elle a rendu compte des chaines de dépendance dans lesquelles s'inscrit le pouvoir du président. Dans le même temps, elle reste muette à rendre compte du poids actuel de la personne du président dans le système politique. C'est pourquoi l'approche par la personnification rend compte de l'état réel de la domination présidentielle dans le système étatique.

CHAPITRE II
LA POLITIQUE PRETORIENNE DE DEFENSE ET DE SECURITE DU
CAMEROUN

« La politique de défense du Cameroun est essentiellement conduite par le président de la République, chef de l'État, chef suprême des forces armées ».95

Commandant Emmanuel ELA ELA

L'étude sociohistorique de la construction de l'État au Cameroun nous apprend la connexité entre l'armée et le pouvoir politique. L'État au Cameroun est né dans un contexte de « tensions sécuritaires »; ce qui a permis l'alliance de l'armée au pouvoir politique. Cette alliance est hégémonique. Le politique qui fabrique l'armée s'appuie en retour sur elle pour se reproduire. En accordant des bénéfices symboliques à l'armée, le pouvoir garantit sa survie. Cette alliance est à ce jour le coeur de la stabilité hégémonique du système étatique post 06 avril 1984. Le noyau de l'alliance est le président de la République, chef de l'État et chef suprême des armées.

Il faut partir de cette idée pour étudier la politique de défense et de sécurité du Cameroun. Tenir cette assertion pour fil conducteur de l'analyse, annoncé ici en termes d'élaboration d'une sociologie politique des forces armées du Cameroun, amène à porter l'attention conjointement sur la configuration officielle de la PDSC et sur le rôle présidentiel dans la fabrication de la défense et la sécurité. Il est question d'étudier ici la technologie institutionnelle et juridique de l'organisation militaire, d'une part; le concept stratégique et l'emploi des forces, d'autre part (Section I). Il s'agit ensuite de voir comment le président exerce au concret son hégémonie sur les forces armées; ce qui donne lieu à la «prétorisation» des forces de défense et à la présidentialisation de la PDSN (Section II).

95 Commandant ELA ELA Emmanuel, Op. cit., 2001, p. 15.

SECTION I LA CONFIGURATION OFFICIELLE DE LA POLITIQUE DE DEFENSE ET DE LA SECURITE NATIONALE

On entend par configuration de la PDSN, l'organisation juridique et matérielle des forces de défense du Cameroun; les concepts sur lesquels elles s'appuient et l'usage de ces forces. L'étude de la configuration de la PDSN consiste à interroger l'adéquation entre le concept stratégique et l'emploi des forces.

I- La configuration des forces de défense du Cameroun

L'armée camerounaise a été créée par l'ordonnance n° 59-57 du 11 novembre 1959 portant création de l'armée camerounaise et organisation générale de la défense. Les forces de défense camerounaises sont constituées des forces régulières et des forces spéciales. Ces derniers constituent une innovation majeure de la PDSC.

I.A- Les forces armées régulières : la suprématie logistique et numérique de l'armée de terre

D'après le décret n° 2001/178 du 25 Juillet 2001 portant organisation générale de la Défense et des États-Majors Centraux, les Forces de Défense ont pour mission : « d'assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les formes d'agression, la sécurité et l'intégrité du territoire; de pourvoir au respect des alliances, traités et accords internationaux ».96 Les forces de défense camerounaises se composent des formations d'active et de réserve. Les forces de défense camerounaises sont placées sous l'autorité du ministre délégué à la présidence, chargé de la défense. Elles comprennent :

> les Forces de la Gendarmerie Nationale ; > les Forces de l'Armée de Terre ;

> les Forces de l'Armée de l'Air ;

> les Forces de la Marine Nationale.

L'organisation des forces de l'armée de terre est régie par le décret n° 2001-183 du 25 juillet 2001 portant réorganisation des formations de combat de l'Armée de Terre. D'après ce texte, « les formations de combat de l'armée de Terre sont des unités professionnelles qui

96 Décret n° 2001/178 du 25 Juillet 2001 portant organisation générale de la Défense et des États-Majors Centraux

participent avec les autres Forces de Défense à la défense des intérêts vitaux de la Nation ».97 Les formations de l'armée de terre sont réparties au sein des trois régions militaires interarmées du Cameroun (RMI). Elles comprennent : les formations de combat, d'intervention, de soutien et d'appui, qui sont réparties dans les unités suivantes : la Brigade du Quartier Général; la Brigade d'Intervention Rapide; des Brigades d'Infanterie Motorisée; des Bataillons d'Infanterie Motorisée; des Bataillons de Soutien; des Bataillons d'Appui; des Bataillons d'Intervention Rapide; un Régiment de Génie; un Régiment d'Artillerie Sol-Air; un Régiment d'Artillerie Sol-Sol; les Forces de Réserve Spéciale.

L'armée de terre occupe au Cameroun la part la plus importante du budget de la défense. Elle est la plus équipée. Elle dispose d'un budget 80 milliards de FCFA, soit 40% du budget de la défense du Cameroun. Ses effectifs sont en constante augmentation. De 1990 à 2010, ses effectifs sont passés de 10 000 à 18 000 soit une augmentation de 80%; soit également 1/2 des effectifs globaux des forces de défense camerounaises. S'agissant des équipements, elle dispose d'hélicoptères, avions foucades, Alpha Jets et Mig-21, environ 150 véhicules blindés, 250 véhicules légers.98 Cette suprématie de l'armée de terre a une triple causalité. Dans un premier temps, les menaces qui pèsent directement sur les frontières camerounaises interpellent prioritairement l'armée de Terre; la deuxième cause, c'est le coup élevé des équipements au sein des autres forces armées, (Air, et Marine); enfin, l'armée de terre au Cameroun est surtout une « force prétorienne ».99 Le contexte sociopolitique camerounais associe directement les formations de l'armée de terre au maintien de l'ordre, sous-entendu, le maintien de l'ordre politique. En effet, lors des manifestations de 1992, de 1993, de 1997, de février 2008, ce sont les formations de l'armée de terre qui sont venues à la rescousse du pouvoir d'Étoudi.

S'agissant de la Gendarmerie Nationale, elle fait l'objet du décret n° 2001/181 du 25 Juillet 2001 portant organisation de la Gendarmerie Nationale. Les Forces de la Gendarmerie Nationale sont une composante des forces de défense. Leur action s'exerce sur toute l'étendue du territoire national et plus particulièrement dans les zones rurales et sur les voies de communication. Placée sous l'autorité du Secrétaire d'État à la Défense (SED), la gendarmerie nationale comprend : les Services Centraux, les Commandements Territoriaux et

97 Décret n° 2001-183 du 25 juillet 2001 portant réorganisation des formations de combat de l'Armée de Terre

98 Source, entretien avec le responsable de la communication du MINDEF.

99 L'armée de terre fut la première à être créée au Cameroun. Elle a dès 1959 été essentiellement associée à mater le mouvement Upéciste et les contestations de 1990, 1993, 2001 et 2008.

les Commandements et Formations spécialisés. La GN effectue des missions générales et particulières.100 Les missions générales sont :

> L'exécution des missions au profit du Ministre de l'Administration Territoriale et du Ministre de la Justice;

> L'exécution des missions de police administrative et de police judiciaire;

> Elle se tient également à la disposition des autres Chefs de départements ministériels dans le cadre des missions qui lui sont dévolues.

Les missions particulières sont :

> La participation à la défense nationale;

> La participation au maintien de la sûreté intérieure de l'État;

> Les missions de police militaire et de police judiciaire militaire.

Les Forces de l'Armée de l'Air sont une composante des Forces de Défense dont l'emploi requiert principalement l'utilisation de l'espace aérien. Elles comprennent le personnel militaire en position soit d'active, soit de disponibilité, soit de réserve. D'après la loi n° 67/LF/9 du 12 juin 1967 portant organisation générale de la défense, les formations composant l'Armée de l'Air sont réparties entre :

> l'État-major de l'Armée de l'Air;

> les Forces aériennes; > les Bases aériennes; > le Centre de ravitaillement technique.

Les Forces Aériennes comprennent :

> les éléments aériens ;

> les éléments terrestres composés de fusiliers de l'air ;

> les éléments de soutien notamment : des Bases, des Organismes spécialisés, des Écoles.

100 Décret n° 2001/181 du 25 Juillet 2001 portant organisation de la Gendarmerie Nationale.

Les commandements de ces formations sont organiques et opérationnels. Les Bases aériennes sont les lieux de stationnement des unités et formations et/ou des moyens de support et de soutien de l'Armée de l'Air répartis éventuellement en unités. Chaque Base aérienne est placée sous l'autorité d'un Commandant de Base aérienne, responsable de l'emploi des ressources et de l'administration du personnel.101

Enfin, les Forces de la Marine Nationale sont une composante des Forces de Défense dont l'emploi requiert principalement l'utilisation des milieux marin et maritime. La Marine Nationale se compose : de forces de surface et de forces de fusiliers marins. Les formations de la Marine Nationale sont réparties entre :

> l'État-major de la Marine ;

> les Commandements Militaires Territoriaux de la Marine ; > les Forces de la Marine ;

> les Bases Navales.

Les Forces de la Marine comprennent :

> des éléments navals, notamment des bâtiments et embarcations ; > des éléments terrestres composés de fusiliers marins commandos ;

> des éléments de soutien, notamment des Bases, des Organismes spécialisés, des Écoles;

> des éléments aériens.

Les Bases Navales sont les lieux de stationnement des forces de la Marine et des moyens de soutien répartis éventuellement en unités. Chaque Base Navale est placée sous l'autorité d'un Commandant de Base Navale, responsable de l'emploi des ressources et de l'administration du personnel.102

L'étude de l'organisation des forces de défense régulières au Cameroun (active et de réserve) permet de constater la suprématie numérique et logistique de l'armée de terre. Par exemple, chacune des composantes des Forces armées (Terre, Mer, Air) est placée sous le

101 Décret N° 2002/037 du 04 Février 2002 portant création et organisation des forces de l'armée de l'air.

102 Décret N°2002/036 du 04 Février 2002, portant création et organisation des Forces de la Marine Nationale.

commandement d'un État-major. Ces États-majors, plus le SED sont placés sous le commandement du chef d'État-major de l'armée camerounaise; lequel est sous l'autorité du Ministre chargé de la défense. Historiquement, le Chef d'État Major des Armées a toujours été au Cameroun un général de l'armée de Terre. Et les officiers généraux les plus emblématiques de l'armée camerounaise (SEMENGUE, BENAE, MPAY) proviennent de l'armée de Terre.

Ce qui est également à souligner, c'est l'effort d'interopérabilité et d'interarmité qui est fait dans la composition des trois régions militaires : Centre, sud et Est, avec pour commandement territorial Yaoundé; Littoral, Ouest, Nord-ouest et Sud-ouest, avec pour commandement territorial Douala; et Adamaoua, extrême-nord et Nord, avec pour commandement territorial Garoua. Mais cet effort reste très insuffisant, au regard du manque d'exercices interarmées. Cette présentation aurait pu consacrer une part importante au Centre de Renseignement militaire et à la Division de la Sécurité Militaire. Si ces organes ont avant tout pour mission la contre-ingérence et le contre-espionnage armé, ils constituent néanmoins une source de disciplinarisation et de moralisation des forces de défense camerounaises.

Selon la définition de l'OTAN, l'expression forces spéciales (FS) désigne « les unités spécifiquement formées, instruites et entraînées pour mener un éventail de missions particulières, allant des « opérations spéciales » dans le cadre d'un conflit classique à celles relevant de la guerre non conventionnelle».103 La création des forces spéciales marque une évolution dans la politique de défense du Cameroun, notamment de la doctrine d'emploi des forces. Cette évolution correspond aux nouvelles menaces de défense et de sécurité qui pèsent sur le Cameroun. Parallèlement, elle s'inscrit dans un contexte d'inefficience et de néopatrimonialisation des forces armées régulières. Cette section va faire une analyse comparée des forces spéciales camerounaises, à l'exclusion du BIR et de la GP.

Les composantes des forces spéciales camerounaises proviennent essentiellement de l'armée de terre. Il s'agit : du Bataillon Spécial Amphibie (BSA), du Bataillon des Troupes Aéroportées de Koutaba (BTAP), du Groupement Polyvalent d'Intervention de la Gendarmerie Nationale (GPIGN), du Bataillon Blindé de Reconnaissance (BBR), auxquels on peut ajouter la Bataillon du Quartier Général (BQG). A ces forces spéciales terrestres, on peut ajouter les Fusiliers Marins Commandos (FMC), qui ressortent de la compétence de l'armée de l'Air; et les Fusiliers de l'Armée de l'Air (FAA), qui appartiennent à la Marine Nationale.

103 HUSSON Jean-Pierre, Encyclopédie des forces spéciales du monde, Histoire & Collections, Paris, 2000.

Depuis la chute du mur de Berlin, les États africains dont le Cameroun sont confrontés à de nouvelles menaces sur leur sécurité et leur défense. Ces menaces sont pour le Cameroun : le conflit avec le Nigéria au sujet de la péninsule de Bakassi, l'insécurité post-conflit à Bakassi, la porosité des frontières limitrophes du Tchad, de la RCA et du Gabon, la gestion sécuritaire des réfugiés. Au plan interne, ces menaces sont liées au « grand banditisme », l'extension du phénomène de coupeurs de route. Ces menaces surviennent dans un contexte d'inefficience de l'armée régulière. La corruption fonctionnelle dans le recrutement et la gestion des carrières préparait mal cette armée à affronter les défis de la défense et de la sécurité actuels. Ces nouvelles criminalités constituent également une réponse sociale des populations à la gestion chaotique du pouvoir. Face au développement à géométrie variable, le grand banditisme et l'insécurité se présentent comme une fenêtre d'opportunité pour les couches les plus défavorisées. L'extension des pôles de « grand banditisme » correspond à la géographie de la misère au Cameroun.104

Ces mutations de l'insécurité ont conduit à une évolution de la politique de défense et de sécurité du Cameroun, qui accorde dorénavant la place principale aux forces spéciales. L'idée c'est de confier aux forces spéciales la gestion de la défense et de la sécurité du pays, face à l'inefficience des forces régulières, qui sont avant tout sociales. Les forces spéciales sus-évoquées sont organisées autour de la Brigade du Quartier Général et de la Brigade d'intervention Rapide, pour ce qui est de l'armée de terre.105

La Brigade de quartier général est une grande unité chargée d'assurer la protection de la Capitale et le soutien des organismes institutionnels. Aux ordres du commandant de la Première région militaire interarmées, elle est constituée de : un État-major; un Bataillon de Commandement et de Soutien ; un Bataillon de Protection. L'exécution de ses missions est soumise à l'accord préalable du Président de la République.

La Brigade d'Intervention Rapide est une unité de combat tactique placée aux ordres du Chef d'État-major des armées. Elle est constituée des Formations suivantes : le Bataillon Spécial Amphibie (BSA) le Bataillon Blindé de Reconnaissance issu de la Réserve Générale (BBR); le Bataillon des Troupes Aéroportées (BTAP). L'exécution de ses missions est soumise à l'accord préalable du Président de la République.

104 SAÏBOU ISSA, Les coupeurs de route. Histoire du banditisme rural et transfrontalier dans le bassin du lac Tchad, Paris, Karthala, 2010, p.p. 8-20.

105 Décret n° 2001-183 du 25 juillet 2001 portant réorganisation des formations de combat de l'Armée de Terre.

S'agissant des FMC, ils sont placés sous l'autorité du Chef d'État-major de la Marine nationale. Mais l'exécution de leurs missions est soumise à l'approbation préalable du président de la République. Il en est de même des Fusiller de l'Armée de l'air, qui sont placés sous l'autorité du chef d'État-major de l'Armée de l'ai, mais dont l'exécution des missions est soumise préalablement au président de la République.

Au total, les forces spéciales camerounaises constituent une réponse du politique aux contraintes nouvelles qui pèsent sur la défense et la sécurité du territoire. Elles sont mieux entraînées et mieux équipées que les armées régulières. Leur formation répond à des objectifs précis et opérationnels. Toutefois, la multiplication des forces spéciales ne constitue pas forcément une aubaine pour la défense et la sécurité du territoire.106 La relégation de l'armée régulière au second plan et sa relative marginalisation au sein des opérations de combat, entraîne la routinisation des forces spéciales; ce qui déroge même au principe de forces spéciales.

II- Le concept stratégique et l'emploi des forces en débat

La problématique de cette section peut se résumer de façon suivante : l'emploi des forces armées camerounaises correspond-il au concept stratégique de défense ? Par emploi des forces, il faut entendre non seulement la spécialisation des forces armées camerounaises et leur extension hors du triangle national, mais aussi et surtout l'utilisation des forces armées aux fins de répression des populations.

II.A- Le concept de défense populaire

Le Cameroun va, dès son accession à l'indépendance en 1960, opter pour la défense populaire comme concept d'emploi des forces. Avant d'examiner les différentes évolutions de ce concept depuis les indépendances, interrogeons-nous un instant sur le pourquoi de ce concept au Cameroun.

Les raisons qui ont motivé le choix des autorités camerounaises semblent multiples. D'abord, en tant que jeune État qui accède à la souveraineté en pleine guerre froide, au prix du sang et avec des moyens modestes, il apparaît évident aux autorités que, pour faire face à la rébellion, il faut impliquer l'ensemble de la nation qui, en formant un bloc, peut constituer un bastion de résistance. C'est du moins, pour cela que le président AHIDJO souligne à

106 Les résultats des forces spéciales ne sont pas exceptionnellement plus éloquents que ceux des forces régulières engagées dans les régions.

l'époque que la défense populaire peut être d'un grand secours dissuasif. Si l'adversaire a la certitude de trouver en face de lui une volonté sans faille et décidée à ne pas céder, une défense populaire l'obligerait à constater qu'aucun succès immédiat ne justifie de sa part la réalisation de sa menace. Mais, au-delà de son caractère défensif et dissuasif, le concept de défense populaire, tout en faisant de l'armée une puissance relative et d'avant-garde, chargée d'encadrer les masses populaires contre l'ennemi, présente en outre un avantage économique que SADOU DAOUDA, alors ministre des Forces armées met en exergue en ces termes :

En raison de ses faibles ressources, le Cameroun ne disposera pas avant longtemps des forces capables d'être dissuasives par leurs effectifs et leurs équipements. Ses forces régulières ne pourront jamais, et ne devront jamais, d'ailleurs, dépasser un seuil au-delà duquel leur poids sur les ressources du pays constituerait une gêne ou un frein à son développement. C'est pourquoi sa défense ne doit pas être l'apanage des seuls militaires, mais l'affaire de tous. Elle doit être populaire.107

Le président Paul BIYA reviendra également sur ce concept pour souligner un autre élément; le lien entre armée-nation : « la défense populaire est la symbiose entre les forces armées et la nation (...) et représente la résistance morale et civique de la nation »108.

En somme, la défense populaire a donc été consacrée au Cameroun comme concept opératoire pour l'emploi des forces pour quatre raisons : elle permet au jeune État de faire face à la rébellion dans un contexte de guerre froide, elle a un effet dissuasif sur les ennemis extérieurs, elle consacre le lien entre armée et nation et permet, en évitant le tout militaire, de réaliser des économies d'échelle pour les consacrer au développement du pays. Mais au-delà de cette économie du choix, quelles évolutions a connu ce concept dans le temps?

Une analyse chronologique de la politique de défense du Cameroun, fondée sur les déclarations et les textes, laisse observer une évolution en trois phases. Une première phase couvrirait les années 50-60 au cours de laquelle émerge dans l'urgence et sous le feu de l'action, le concept d'emploi des forces, sans véritable élaboration doctrinale. Une seconde phase allant des années 70 aux années 80 au cours de laquelle s'élabore la politique camerounaise de défense dans sa globalité et sa complexité.

Pour ce qui concerne la première phase, elle recouvre deux textes fondateurs qui vont de l'ordonnance n° 59/57 du 11 novembre 1959 portant création des forces armées camerounaises et organisation générale de la défense, dans ses articles 3, 5, 17, et 19 où on trouve déjà les termes de mobilisation générale et de service national comme ancêtre lointain

107 SADOU DAOUDA, « Discours à l'assemblée nationale », le 15 janvier 1971.

108 BIYA Paul, « Discours à l'occasion de la sortie de la promotion « Vigilance » de l'EMIA », 30 juillet 1983.

du concept de défense populaire, à la loi n° 67/LF/9 du 12 juin 1967 portant organisation générale de la défense, puisqu'elle consacre dans ses articles 2, 5 et 12 le caractère national et populaire de la défense de la patrie. Tout au long de cette période, la priorité est à l'action. Le travail de la conception est réduit à sa plus simple expression, et ceci d'autant plus que pour l'essentiel, les forces armées camerounaises s'adossent sur l'expertise française.

La seconde phase tout en se nourrissant de la loi de 1967 rappelée plus haut s'ouvre par le discours du président AHIDJO, le 15 août 1970, devant les élèves officiers de la promotion du 10ème anniversaire de l'indépendance. C'est à cette occasion qu'il souligne que notre défense doit être nationale, c'est-à-dire l'affaire du peuple tout entier. Il ajoute qu'une nation défendue par le peuple est invincible. Il s'agit, soutient-il, de créer pour l'envahisseur, un éventuel guêpier, inévitable, inexorable, le mettant ici et là en état d'infériorité et à exploiter par nos forces armées, relativement critique par le nombre, mais de la meilleure qualité pour l'attaque, mobiles, agressives et déterminées.

II.B- Évolution de la politique de défense et contradiction avec l'emploi des forces au Cameroun

L'évolution de la politique de défense au Cameroun connaît sous le régime du président BIYA une troisième phase qui va de 1990 à aujourd'hui. Elle se caractérise par deux principales orientations qui, à bien observer, semblent dépasser le cadre du concept de défense populaire. D'un côté, se propage une forte internationalisation de la politique camerounaise de défense, laquelle se manifeste par une projection des forces de plus en plus régulière dans la sous-région, en Afrique et dans le monde. Ce mouvement ayant pour pendant, la signature de nombreux traités et pactes de non-agression, entre États de la sous-région, voire du continent. De l'autre côté, la publication des 21 décrets réorganisant l'armée du 25 juillet 2001, confirme la tendance observée tout au long des années 90, à savoir, l'émergence de nouveaux territoires de commandement et la création de plus en plus d'unités spécialisées. On peut dans ce sens citer les décrets n° 92/156 du 17 juillet 1992 portant réorganisation du commandement militaire territorial ; n° 93/212 du 4 août 1993, portant nouvelles appellations des formations et unités des forces armées ; n° 93/0940 du 4 septembre 1993, portant mise sur pied du 1er bataillon de fusiliers marins commandos et n° 99/015 du 1er février 1999, portant création du Groupement polyvalent d'intervention de la Gendarmerie nationale (GPIGN).109

A côté des contraintes opérationnelles qui contredisent l'esprit de la défense populaire, l'autre versant, le plus important, concerne l'effritement du lien armée-nation. En effet,

109 Ibidem.

l'histoire du Cameroun est parsemée des confrontations brutales entre l'armée et la population. Qu'il s'agisse de son histoire la plus récente avec les tirs à balles réelles contre les populations en février 2008 ou celle de 2001 avec le « Commandement opérationnel »110 à Douala ou encore l'histoire de 1997. Dans chacun de ces cas, l'armée nationale est intervenue contre les populations de façon disproportionnée, faisant de nombreuses familles endeuillées.

Cette utilisation de l'armée dans le champ civil n'est pas de nature à donner à l'armée camerounaise un visage sympathique aux yeux de la population. De ce fait, le lien arméenation qui constitue pourtant un volet névralgique de la défense populaire s'en trouve effrité. L'inceste entre l'armée et le pouvoir politique, hérité du pouvoir colonial, fait des forces armées camerounaises un allié du pouvoir politique contre le peuple. Cette alliance des dominants est à restituer dans un contexte d'illégitimité populaire de l'exécutif gouvernant. Le soutien des forces armées à un pouvoir que nombre de camerounais jugent illégitime contribue à donner aux forces armées camerounaises une image d'armée prétorienne, tout à l'opposée de l'image d'armée républicaine, d'armée de développement qu'elles affichent à chaque défilé du 20 mai. Le casernement de l'armée camerounaise et son confinement aux missions de défense du territoire constitue une solution à ce problème. Dans le même sens, la fin du service national obligatoire n'est qu'un exemple parmi tant d'autres de l'ineffectivité des moments de brassage entre l'armée et la population. Ces moments de brassage se résument aujourd'hui pour l'essentiel aux tournois sportifs entre civils et militaires.

SECTION II LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE DANS LA POLITIQUE DE DEFENSE ET DE SECURITE DU CAMEROUN

Le président de la République est le chef de l'État, chef des forces armées camerounaises et responsable de la défense nationale. A ce titre, il définit la politique de défense de la nation. Cependant, force est de constater qu'il y a un réel décalage entre la configuration officielle de la politique de défense et sa praxis. Ce décalage concerne la prétorisation et la présidentialisation des forces armées camerounaises (FAC). Cette section va aborder le statut du président de la République et les ressources de l'hégémonie présidentielle dans le champ de la défense et de la sécurité au Cameroun.

110 OWONA NGUINI Mathias Éric, « Le commandement opérationnel: solution durable à l'insécurité ou régulation passagère ? », in Enjeux, n°3, avril-juin 2000, pp. 12-16.

I- Le président de la République, imperator et chef suprême des forces armées camerounaises

Le président de la République du Cameroun est le chef suprême des FAC. Comme nous l'avons souligné précédemment, ce statut est inhérent à sa qualité de chef de l'État, garant de l'indépendance, de l'unité nationale et de l'intégrité physique du territoire. A ce titre, il se charge de l'élaboration et de la conduite de la politique de défense. Cependant, cette politique, axée sur le concept de défense populaire, est travestie par les buts politiques et la primauté accordée à la sécurité présidentielle.

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