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Le conseil constitutionnel et la continuité des services publics au Maroc

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par Anass KIHLI
Université Med premier Oujda - Master en Droit public 2011
  

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CHAPITRE I

La valeur constitutionnelle du principe de la continuité des services publics, essence et rang dans la hiérarchie des normes

La règle générale dans les études juridiques et dans certaines autres disciplines de sciences sociales est de commencer par une clarification terminologique et conceptuelle. Sachant que l'autonomisation des principes à valeur constitutionnelle par rapport à d'autres notions voisines n'est pas encore affirmée définitivement et que l'authentification de la genèse de ce principe et son développement au Maroc sont desservis par la pauvreté du cadre théorique, doctrinal et jurisprudentiel.

Même les spécialistes en la matière (juristes de doctrine et juges constitutionnels) ne peuvent s'épargner de l'erreur de tomber à certaines reprises dans le piège de la confusion. La deuxième difficulté inhérente à l'exercice d'authentification de la genèse de ce principe et son cheminement dans le temps au Maroc, est relative à la pauvreté de son cadre théorique, et davantage pour ce qui est des développements jurisprudentiels et doctrinaux.

Le fait de citer ces difficultés ne vise pas à justifier les négligences et le manque de rigueur dans le traitement de l'objet d'étude, mais d'aviser que nous en sommes conscients, le but était aussi d'intégrer le facteur de la complexité dans l'analyse du sujet.

Ce chapitre visera donc, dans un premier temps de rendre compte de la manière dont le concept de principe à valeur constitutionnelle a été élaboré en France et les étapes dont il est passé. Ainsi, de démontrer comment il a été reçu par le juge constitutionnel marocain. Dans un second volet, nous tenterons d'exposer l'idée selon laquelle l'affirmation des principes à valeur constitutionnelle revient à reconnaître au juge constitutionnel de très larges pouvoirs dans l'interprétation des normes constitutionnelles, voire même leur création pure et simple ; d'où le pouvoir normatif du juge constitutionnel.

Section 1 : Genèse

Sous section 1 : Tissage du concept en France

Avant d'aborder directement le principe de la continuité des services publics, il nous semble qu'il n'est pas fastidieux de revenir à la notion même de principe à valeur constitutionnelle.

La jurisprudence du Conseil d'Etat qui précède même la création du Conseil constitutionnel en France avait relevé un certain nombre de ces principes ; à titre d'exemple on cite : le principe du droit de la défense13(*), la liberté de constituer des associations14(*), et le principe de la continuité des services publics. En effet, dans son arrêt datant du 17 juillet 195015(*) , le Conseil d'Etat reconnaît que les deux principes, respectivement le droit de grève, et le principe de la continuité des services publics ont une valeur constitutionnelle. De ce fait on remarque que la qualification de «valeur constitutionnelle » n'est pas seulement une simple déclaration solennelle de la part du Conseil constitutionnel, mais une donnée que l'on peut qualifié d'objective.

De 1958, date de la création du Conseil constitutionnel, à 1971 le Conseil était quasiment qu'un simple arbitre qui jouait le rôle de régulateur entre l'exécutif et le législatif 16(*), deuxième remarque à propos du travail du Conseil constitutionnel dans cette période qu'elle est non moins importante, c'est que le Conseil lorsqu'il jugeait de la conformité des lois, il ne puisait ses arguments que dans la constitution écrite, écartant ainsi toute autre source, chose qui rendait le pouvoir du juge constitutionnel pour l'interprétation des normes liées au texte de la constitution plus au moins restreint. Le 16 juillet 197117(*), le juge de la haute instance (Le Conseil constitutionnel) rompe avec la période antérieur par l'émission d'une décision révolutionnaire qui posera la pierre angulaire de ce qu'on appellera par la suite le bloc de constitutionnalité18(*).

Ce bloc contient les principes politiques, économiques et sociaux particulièrement nécessaires à notre temps qui sont tirés du préambule de la constitution de 1946, parmi ces principes on trouve : le principe de la liberté de la presse, le droit d'asile et celui de la liberté syndicale...etc. la plupart de ces principes sont considérés comme des droits créance, c'est-à-dire leur accomplissement nécessite une intervention positive de l'Etat et non pas que ce dernier à l'obligation seulement de ne pas y porter atteinte. La deuxième composante est la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, de sa part, citée dans le préambule de 1946, la déclaration a inauguré son entrée dans le bloc de constitutionnalité par la décision du Conseil datant du 27 décembre 197319(*) relative à la taxation d'office. La troisième est composée des principes fondamentaux reconnus par les lois de la république, ceux-là également sont cités dans le préambule de 1946 mais sans être énumérés précisément, ce qui laisse au juge une grande marge pour leur interprétation.

L'exemple phare de ces principes est le principe de la liberté associative qui a fait l'objet de la décision du 16 juillet 197120(*). Une autre composante : les principes à valeur constitutionnelle, qui est d'emblée l'objet du présent mémoire qu'on peut définir comme étant des principes extraits par le juge sans qu'il fait forcément référence à un texte particulier, à titre d'exemple c'est le cas du principe de la continuité de l'Etat et des services publics. Le bloc de constitutionnalité se compose également des objectifs à valeur constitutionnelle, ces objectifs peuvent vider la substance des autres droits et liberté en cas de contradiction, ou au moins ou en cas de conciliation avec eux, pour l'illustration les exigences de l'ordre public peuvent atténuer les libertés individuelles telle que la liberté d'aller et venir21(*). La dernière source est la charte de l'environnement introduite dans le préambule de la constitution de 1958 par la loi constitutionnelle du 1er mars 2005, elle contient certains principes tel que le principe de précaution qui pose l'obligation aux autorités qui ont la charge de prendre les mesures nécessaires pour éviter tout dommage environnemental22(*) .

Dans la décision qui retient notre attention, qui n'est autre que celle du 16 juillet 1971 qui a marqué l'entrée dans une ère nouvelle de la vie constitutionnelle française, celle où le juge puise ses considérants et ses attendus dans des sources autres que la constitution écrite, ce constat nous pousse à poser une question très importante, c'est celle de savoir qu'est ce que cette décision à de particulier ?

Les circonstances générales dont les quelles elle s'est intervenue étaient marquées par le conflit de la guerre froide qui opposait le bloc socialiste au bloc libéral. En France le gouvernement de Jaques CHABAN-DELMAS poursuivait une politique libérale ouverte davantage, son ministre de l'intérieur Raymond MARCELLIN n'économisait aucun effort pour réprimer les agitations gauchistes. Sous l'impulsion du philosophe Jean-Paul SARTRE une association appelée «  les amis de la cause du peuple » fut crée pour le but de prêter main forte au journal dissous qui portait le même nom et qui était un organe du mouvement de la gauche prolétarienne dissous le 27 mai 1970. L'association avait comme obstacle à sa constitution le refus du préfet de police pour délivrer le récépissé, contrariés par l'obstination de l'administration les membres de ladite association saisirent le tribunal administratif de Paris afin que celui-ci annule l'acte administratif, ces derniers ont obtenu gain de cause. En effet, le juge de la légalité estime que la décision du préfet de police été entachée d'un excès de pouvoir. Raymond MARCELLIN tentera de modifier le régime juridique en place en stimulant l'adoption d'un certain nombre de dispositions légales faisant intervenir l'autorité judiciaire dans le processus de constitution des associations, tout d'abord il tente de le faire par décret, mais le Conseil d'Etat consulté sur la question répond par le négatif, une loi était nécessaire selon les dispositions de l'article 34 de la constitution, un projet de modification de la loi de 1909 portant contrat d'association.

Ledit projet de loi fut adopté par l'Assemblée nationale par 373 voix contre 97 et 7 abstentions, le Sénat lui rejette le projet par 129 voix contre 104 et 42 abstentions. Après la formation de la commission mixte paritaire le vote fut confirmé par l'Assemblée nationale, le Sénat maintint son refus le 30 juin par 357 voix contre 100 et 10 abstentions.

Alain POHER président du Sénat décida le lendemain de saisir le Conseil constitutionnel pour lui demander de se prononcer sur la conformité de ce texte à la constitution23(*) , le Conseil rend sa décision le 16 juillet 197124(*) , le verdict été à la faveur de la non-conformité du projet de loi portant modification de la loi de 1901, dans son deuxième considérant il affirme que : « nombre de principes fondamentaux reconnus par les lois de la république et solennellement réaffirmés par le préambule de la constitution , il y'a lieu de ranger le principe de la liberté d'association, que ce principe est à la base des dispositions générales de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'associations » de ce qui précède on tire l'idée selon laquelle la liberté d'association est une liberté constitutionnelle, cela en se référant au préambule de la constitution.

Il est très important de mentionner que la valeur constitutionnelle du préambule a fait l'objet de nombreuses controverses au sein de la doctrine depuis 1946. En effet, les partisans de la non reconnaissance de la valeur constitutionnelle du préambule se prévalaient de l'idée selon laquelle en droit positif l'effet normatif ne commence qu'avec la numérotation des articles, mais cette thèse ne tient pas devant la pertinence des arguments des partisans de la valeur constitutionnelle du préambule : « Le fait que le préambule de la constitution se compose à la fois de phrase détachées et l'article premier de la constitution rend inacceptable la thèse selon laquelle la constitution selon le droit positif ne commencerait qu'avec la numérotation des articles » (G. Vedel, Droit administratif, 5éme éd, p.270)25(*).

Il est à préciser également que la décision du 16 juillet 1971 n'est pas la première à valider la valeur constitutionnelle du préambule, le Conseil constitutionnel l'avait déjà fait lorsqu'il rendait sa décision du 19 juin 197026(*) portant sur un traité de la communauté européenne, mais c'est la première fois qu'il le fait à l'égard d'une loi. Seulement la décision en question n'évoque pas la notion de principe à valeur constitutionnelle mais plutôt la notion de principes fondamentaux reconnus par les lois de la république, c'est-à-dire des principes postérieurs à la révolution française faisant l'objet de base à la législation adoptée dans l'ère républicaine27(*). Mais la question qui se pose, c'est de savoir est ce qu'il faut prendre en compte tous les principes reconnus dans la période post-monarchique ? C'est-à-dire depuis la première république. Sur la question Jean RIVERO pense qu'il faut juste prendre en considération les principes reconnus par les lois adoptées à partir de la troisième république, en arguant que cette période a était l'âge d'or des libertés et du libéralisme, bien entendu il faut bien sûr exclure les lois qui portent des restrictions aux droits et libertés, (Jean RIVERO, le Conseil constitutionnel et les libertés, p.181). Par contre le professeur François LUCHAIRE, considère qu'il est inacceptable d'exclure les principes reconnus par la première et la deuxième république , car elles recèlent la reconnaissance d'un certain nombre de principes très importants à savoir le principe d'abolition de l'esclavage contenu dans le décret du 27 avril 1848, l'abolition de la peine de mort en matière de procès politiques ( déclaration du 26 février 1848), la liberté de l'enseignement secondaire ( loi du 15 mars 1850)... le professeur LUCHAIRE établit trois critères pour cerner le concept de principes reconnus par les lois de la république :

1. Il faut que ces lois aient été en vigueur et non abrogées avant 1946.

2. il faut que ces principes soient reconnus par les lois des trois premières républiques.

3. exclure les lois adoptées dans l'ère de la cinquième république, car reconnaître que les lois adoptées dans cette période contiennent des principes à valeur constitutionnelle entraîne ipso facto la reconnaissance du pouvoir constituant au législateur28(*) .

Par sa décision datant du 20/07/198829(*), le Conseil constitutionnel a répondu clairement pour la première fois à cette question. En effet, il a considéré que la reconnaissance d'un principe fondamental ne saurait être dans l'ère monarchique, ni celle de l'empire mais il doit être dans l'ère républicaine avant 1946 ; le Conseil a exclu également les principes faisant l'objet de lois écrites de la cinquième république, en cela il a rejoint l'opinion du professeur LUCHAIRE30(*).

Le bloc de constitutionnalité en France contient des éléments dont l'autonomie des uns par rapport aux autres pourrait apparaître illusoire, surtout en ce qui concerne les principes généraux du droit ayant le caractère constitutionnel31(*). En effet, la jurisprudence du Conseil constitutionnel français, outre la notion de principes fondamentaux reconnus par les lois de la république qui trouvent leurs fondements dans des textes, notamment la constitution de 1958, le préambule de 1946... utilise d'autres principes tels que les principes à valeur constitutionnelle qui son pas liés forcément à des textes écrits.

Certes, la notion de principes fondamentaux reconnus par les lois de la république ne doit pas se confondre carrément avec celle de principe à valeur constitutionnelle, mais les deux notions se recoupent à plusieurs points, dont on peut citer : toutes les deux font partie du bloc de la constitutionnalité, aussi le fait de tracer une frontière entre les deux notions n'est guère une tâche facile , l'une d'elles pourrait facilement incarner l'autre, et la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne fait pas le tri. Les expressions telles que «  les exigences de valeur constitutionnelle », « les objectifs de valeur constitutionnelle », « règles ou dispositions de valeur constitutionnelle » sont utilisées par le juge constitutionnel indifféremment dans certains cas, et cela sans qu'il se réfère à un texte particulier, de ce fait le juge constitutionnel impose au législateur des principes qui sont inspirés de l'oeuvre du constituant, mais une partie de la doctrine en essayant de minimiser le problème considère toutes ces appellations comme une seule formule générique, par laquelle le Conseil désignerait les principes généraux du droit ayant valeur ou rang constitutionnel32(*).

Ce qui est important, c'est que cette décision a ouvert la voie pour le Conseil constitutionnel pour qu'il puisse désormais chercher les motifs de ses décisions dans des sources de droit autres que la constitution écrite, également elle a inauguré la constitutionnalisation d'un certain nombre de principes, de ce fait le Conseil constitutionnel a apposé son sceau, en l'occurrence le sceau de la constitutionnalité.

S'agissant du principe de la continuité des services public qui a vu le jour grâce à la jurisprudence du Conseil d'Etat en France, précisément par l'arrêt Dehaene33(*)relatif au droit de grève et ses limites, tout en constatant un vide juridique en la matière, le juge du Conseil d'Etat confie au gouvernement la tâche d'assurer le bon fonctionnement des services publics. Concernant l'institution du principe de la continuité des services publics en tant que principe à valeur constitutionnelle, il a fallu attendre la décision du Conseil constitutionnel datant du 25 juillet 197934(*), ladite décision est importante à double sens, premièrement elle consacre le principe de la continuité des services publics en tant que principe à valeur constitutionnelle, deuxièmement cette décision conciliât entre deux principes à valeur constitutionnelle.

Pour le moment c'est la première question qui retient notre attention , dans ce sillage le premier considérant de la décision l'affirme expressément et sans équivoque : « ...en ce qui concerne le service public, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d'apporter à ce droit des limitations nécessaires en vue d'assurer la continuité des services publics, tout comme le droit de grève à le caractère d'un principe de valeur constitutionnelle... ». A cet égard une remarque à faire, lorsqu'il déclare le principe de la continuité des services publics comme principe à valeur constitutionnelle, le juge constitutionnel ne s'appuie sur aucune sources de droit à caractère écrit pour motiver sa décision, même la doctrine semble économiser ses efforts pour l'explication de ce fait, pour elle le fait d'ériger le principe de la continuité des services publics en principe à valeur constitutionnel relève de l'évidence.

Outre ledit principe il y'on a d'autres qui ont cette vocation, c'est-à-dire la valeur constitutionnelle dont le juge de la haute juridiction est habitué à faire la parade des arguments pour en affirmer, et réaffirmer le trait sans se lasser ni se préoccuper de la répétition, à titre d'exemple le principe d'égalité qui fait l'objet de plusieurs décisions du Conseil constitutionnel35(*) .

Nonobstant cette remarque il en demeure pas moins que les écrivains de l'ouvrage qui fait rituel chez les constitutionnaliste : les grandes décisions du Conseil constitutionnel on inséré une citation du commissaire du gouvernement GRAZIER sur l'arrêt Dehaene qui démontre habilement la justesse de proclamer le principe de la continuité des services publics comme un principe à valeur constitutionnelle : « admettre sans restriction la grève des fonctionnaires , ce serait ouvrir des parenthèses dans la vie constitutionnelle, et comme on l'a dit consacrer officiellement la notion d'un Etat à éclipses, une telle conception est radicalement contraire aux principes les plus fondamentaux de notre droit public ». Et en ce sens le principe de continuité est incontestablement l'un de ces principes fondamentaux (répliquent les auteurs)36(*).

Dans cette optique on peut pousser plus loin la réflexion on posant la question suivante : en déclarant le principe de la continuité des services publics un principe à valeur constitutionnelle sans le référer directement à une source de droit bien précise, le juge constitutionnel manifeste un pouvoir normatif ? C'est dire sa faculté de créer le droit, un droit élevé au rang constitutionnel, nous tenterons de répondre à ces question dans le chapitre qui portera sur le rang des principe à valeur constitutionnelle dans la pyramide de la hiérarchie des normes, pour le moment il convient d'examiner la portée du principe de la continuité des services publics au Maroc.

Sous section 2 : Enracinement au Maroc

Au Maroc, et dans d'autres pays du Maghreb le juge constitutionnel enregistre une montée en puissance. De par la notoriété dont jouit ses décisions il intervient pour censurer le législateur qui outrepasse les limites de la constitution, il régularise l'action des institutions politiques, protége les droits fondamentaux, voire il entreprend même une juridisation du politique, seulement il reste que la faible culture juridique dans ces pays rend le rôle des instances de contrôle de la constitutionnalité plus au moins isolé des préoccupations majeures de ces société. C'est tout à fait le contraire de ce qui se passe dans les pays d'Europe occidentale où les instances de contrôle de constitutionnalité, requièrent un immense intérêt de la part des masses médias, des observateurs, et des citoyens. À titre d'exemple il suffit de citer les réactions qu'a suscitées la décision du Conseil constitutionnel français sur la taxe carbone37(*) . La juxtaposition d'un tel constat se justifie par la nécessité de situer la position du Conseil constitutionnel dans la donne politique et sociale au Maroc, pour étudier avec justesse cette institution, et sa production (les décisions qu'elle rend).

S'agissant du principe de la continuité des services publics que nous étudions, comme on a vu précédemment il est né en tant que principe à valeur constitutionnelle en France par la jurisprudence du Conseil d'Etat tout d'abord, puis par celle du Conseil constitutionnel, et bien sûr cela s'est effectué avec l'impulsion et l'inspiration du patrimoine juridique antérieur qui s'enracine avec force dans la tradition constitutionnelle Française. Qu'en est-il pour l'application de ce principe au Maroc ?

Tout d'abord il est à dire que dés ses débuts, le Conseil constitutionnel marocain avait fait preuve de son intention de puiser dans des sources de droit à part la constitution écrite. De ce fait, il a essayé de faire parler l'esprit de la constitution, et ce, en allant vers le sens de faire émerger petit à petit un bloc de constitutionnalité. Dans sa décision portant n° 52-9538(*) , le juge constitutionnel avait réaffirmé un principe constitutionnel, sans pour autant aborder de front le concept de principe à valeur constitutionnel, car le principe en question était le principe d'égalité qui fait l'objet de l'article 5 de la constitution. Il dit dans l'un des considérants de la décision : «  Considérant que, les dispositions du premier paragraphe de l'article 125 qui réserve le droit de présenter des objections ou des observations relatives au procès verbaux des séances exclusivement aux groupes parlementaires...transgresse le principe d'égalité contenu dans la constitution ». La doctrine a suivi ce raisonnement en mettant l'accent d'avantage sur le concept de principe à valeur constitutionnelle, sans pour autant de le forger39(*)

Au Maroc, l'apparition de la notion de principe à valeur constitutionnelle a vu le jour pour la première fois dans la jurisprudence du Conseil constitutionnelle par sa décision n° 124-9740(*) lors de son examen de la loi organique n° 31.97 relative à la chambre des représentants. Les principes à valeur constitutionnelle ont été évoqués de manière générale et timide, dans la dernière phrase du dernier considérant de la décision, sans que le juge constitutionnel en précise la portée : « ...Considérant que suite à l'étude de la loi organique n° 31.97, adopté par la chambre des représentants le 17 septembre 1997, conformément aux dispositions de l'article 58 de la constitution, que ses dispositions sont conformes à la constitution, et que rien dans son contenu est contraire à une règle de droit, ou principe à valeur constitutionnelle... » .

La deuxième décision qui a évoqué les principes à valeur constitutionnelle, est celle portant n° 382-200041(*) se rapportant à la loi 15.97 faisant l'objet de code de recouvrement des créances publiques, l'importance de cette décision réside dans le fait quelle aborde les principes à valeur constitutionnelle de manière répétée et en précisant leur objet, contrairement à celle relative à la loi organique n°31.97. En effet, dans un premier temps il est dit dans un considérant : « Considérant que...il doit être (le fait de préciser les cas d'incompatibilité) compatible avec les principes cités par la constitution, et les principes à valeur constitutionnelle ». Puis le juge constitutionnel passe dans un autre considérant à citer en particulier un de ces principe qui est d'emblée l'objet du présent mémoire, le principe de la continuité des services publics, il affirme : «  Considérant que, de surplus à ce qui a précédé, les dispositions soumises à l'examen du Conseil constitutionnel ne précisent pas les sanctions relatives à la déclaration des cas d'incompatibilité, il pourrait être compris du paragraphe susmentionné de l'article 142 qui dispose que « l'incompatibilité est levée après acquittement des créances (de l'Etat )». En effet, cette déclaration est considérée seulement en tant que gèle de l'exercice de la fonction officielle ou élective en attente du paiement des créances publiques, ce qui est contraire au principe de la continuité des services publics ».

Les circonstances de la décision se présentent comme suit : le premier ministre saisit le Conseil constitutionnel par lettre déposée au secrétariat de ce dernier le 15 février 2000 de la loi numéro 15.97 portant code de recouvrement des créances publiques, dont il estime l'inconstitutionnalité de son article 142 qui dispose : « Est réputée en état d'incompatibilité pour l'exercice d'une fonction officielle ou élective, toute personne qui ne s'acquitte pas des créances publiques à sa charge, devenues exigibles en vertu d'un titre exécutoire et qui ne font pas l'objet de contentieux . L'incompatibilité est levée après acquittement des sommes dues. ». Dans sa lettre de saisine le premier ministre développe les arguments suivants :

Ø les membres du gouvernement, les magistrats, et un nombre important des hauts fonctionnaires de l'Etat sont nommés par le roi, ce qui est susceptible de lier les compétences constitutionnelles du souverain.

Ø l'article 142 traite de façon incomplète des cas d'incompatibilité, alors que les cas d'incompatibilité doivent faire l'objet de loi organique, notamment celles relatives à la chambre des conseillers, celle des représentants et du Conseil constitutionnel, cela en vertu des articles 37 et 38 de la constitution.

Pour rendre sa décision le Conseil constitutionnel a suivi un raisonnement qui lui est propre, il a écarté les griefs avancés dans la lettre de saisine du premier ministre. En effet, il a conclu à la censure du législateur en faisant usage de la théorie de l'incompétence négative mise au point par le Conseil constitutionnel français.

Le fondement de la décision qui retient le plus notre attention dans ce cadre est l'emploi de la notion de principe à valeur constitutionnelle à deux reprises, premièrement la haute juridiction en fait usage lorsqu'elle déclare que les citoyens ont droit à l'accès aux emplois publics sans aucune discrimination, et que ce droit fait l'objet d'un principe à valeur constitutionnelle. Deuxièmement, le juge constitutionnel précise que le cas d'incompatibilité dont parle l'article 142, qui d'ailleurs tient lieu d'un gèle de l'exercice de la fonction officielle ou élective et non d'une incompatibilité proprement dite, est de nature à causer une perturbation dans la marche des institutions de l'Etat, chose qui porterait forcément atteinte à la continuité des services publics, qui est un principe à valeur constitutionnelle, déclare la haute instance42(*) .

En somme, le principe de la continuité des services publics est une partie intégrante des sources de droits usés par le juge constitutionnel lors de son examen de la constitutionnalité des lois, depuis la décision 124-97 citée ci-dessus, la notion de principe à valeur constitutionnelle à été citée de manière très fréquente dans la jurisprudence du Conseil. Pour illustrer ce constat nous citons la décision numéro 583-0443(*) portant sur la loi relative à la haute cours de justice, et la décision numéro 586-0444(*) sur l'immunité parlementaire. Ainsi l'existence du principe à valeur constitutionnelle, et davantage le principe de la continuité des services publics est désormais incontestable, la haute juridiction cite désormais ces principes de façon transversale dans ses décisions, et les exemples sont nombreux au point qu'il est difficile de les dresser de façon exhaustive.

De sa part la doctrine constitutionnelle marocaine fait preuve qu'elle est consciente de l'importance de ses principes, mais il faut dire tout de même qu'elle reste figée face à ce concept, elle ne vise pas à ce qu'il parait de consacrer des études qui auraient pour objectif de les rehausser pour mieux les expliquer, ce qui pourrait mettre en avant l'instauration d'une école marocaine de droit constitutionnel, une aspiration qui été celle du Roi défunt Feu Hassan II, qui avait déclaré dans son discours inaugural du Conseil constitutionnel : «  Par ce Conseil constitutionnel vous allez inaugurer une nouvelle ère de la justice, vous serez appelez à créer une école juridique marocaine en Droit public et en droit constitutionnel tout particulièrement. »45(*). Certes, l'arrivée du Conseil constitutionnel a bouleversé très positivement l'ordonnancement constitutionnel marocain notamment par la protection des droits et libertés publiques, mais ce passage du discours montre avec clarté que les objectifs du départ ne sont pas encore atteints.

Chose qui revoie à poser la question suivante : Est ce le Conseil constitutionnel qui n'a pas accomplie sa mission à ce niveau, ou bien c'est les études doctrinales qui font défaut ? La réponse à cette question nécessite une étude propre, mais nous pouvons avancer sans un grand risque d'erreur que les principes à valeur constitutionnelle, et en particulier le principe de la continuité des services publics continue à gagner du terrain dans les écrits des spécialistes, mais le plus important se trouve dans le volet jurisprudentiel du droit constitutionnel. En effet, le Conseil constitutionnel marocain fait des principes à valeur constitutionnelle, et spécialement le principe de la continuité des services publics son cheval de bataille pour censurer le législateur qui outrepasse les dispositions constitutionnelles. C'est un constat qu'il faut nuancer car ce législateur reste au moins en théorie fort par la légitimité que lui procurent les urnes.

* 13 Conseil d'Etat, «  Arrêt dame Veuve Trompier », 5 mai 1944, source : site web du conseil d'Etat.

* 14 Conseil d'Etat, «  Arrêt Amicale des annamites de Paris », 11 juillet 1956, Rec., p.317.

* 15 Conseil d'Etat, « arrêt Dehaene », 7 juillet 1950, GAJA n°78.

* 16GICQUEL Jean (P), Le conseil constitutionnel, Paris Montchrestien, 2005, p.36.

* 17 C.C fr, 71-45 D.C., 16 juillet 1971.

* 18 GICQUEL Jean (P), op.cit., p.p.38-99.

* 19 C.C fr, 73-51 D.C., 27 décembre 1973. J.O du 21/06/1970, p. 5806.

* 20 C.C fr, 71-45 D.C., 16 juillet 1971. J.O du 18/07/1971, p. 7114.

* 21 A se propos voir les décisions: 

C.C fr, 80-895 D.C., 19 janvier 1981.J.O du 22/01/1981, p. 308.

C.C fr, 80-171 D.C., 20 janvier 1981.J.O du 22/01/1981, p 308.

* 22 Informations recueillies dans l'encyclopédie électronique Wikipédia, lien : bloc de constitutionnalité-Wikipédia.mht date de consultation : 30/09/2010.

* 23GICQUEL Jean (P), op. cit.p.38.

* 24C.C fr, 71-45 D.C., 16 juillet 1971. J.O du 18/07/1971, p. 7114.

* 25 Cité in FAVOREAU (L) & LOIC (P), Les grandes décisions du conseil constitutionnel, Paris, Dalloz, 1995, .p 253.

* 26 C.C fr, 70-39 D.C., 19 juin 1970. J.O du 21/06/1970, p.5806.

* 27 FAVOREAU (L) & LOIC (P), op. cit, .p.259.

* 28 LUCHAIRE (F), le conseil constitutionnel, Paris Economica, 1980, p. 181.

* 29 C.C fr, 88-110, 20 juillet 1988. J.O du 22/07/1988, p.9496.

* 30 YACCOUBI (D), Le bloc constitutionnel en France (En arabe), mémoire de DESA, FSJES, Oujda, 2001, p.p.17-18.

* 31 L'expression : le caractère constitutionnel, désigne de manière indifférente tous les principe généraux du droit dégagés par le juge constitutionnel sans prendre en considération des multiples appellations (ou source) utilisés par la jurisprudence constitutionnelle.

* 32 ROUSSEAU (D), Droit du contentieux constitutionnel, Paris, Montchrestien, 1990, p.p.91-92.

* 33 Conseil d'Etat, arrêt Dehaene, datant du 7 juillet 1950, GAJA n°78.

* 34 C.C fr, 79- 105 D.C., 25 juillet 1979. J.O du 27/07/1979, p.13780.

* 35 Voir à ce sens les décisions et leurs observations :

C.C fr, 89-269 D.C., du 22 janvier 1990. J.O du 24/01/1990, p.972 & C.C fr, 89-266 D.C., 9 janvier 1990. J.O du 11/01/1990, p. 464. Cité in DIDIER (M), La pratique constitutionnelle française, PUF, Paris, 1990, p.p14et107.

* 36 LOUIS (f), LOIC (p).op.cit.p.375.

* 37 BERNOUSSI (N), «  La justice constitutionnel entre légitimité et effectivité », L'économiste, n° 3269, 5 mai 2010, p.p.32 et 33.

* 38 C.C ma, 52-95, datant du 03/01/1995, (B.O n°4291 du 25/01/1995, p.70).

* 39 HALOUI (Y), « Les règlements intérieurs des chambre parlementaires et le conseil constitutionnel » (en arabe), REMALD n° 40, 2001, p.p. 31-47.

* 40 C.C ma, 124-97, datant du 26/08/1997, (B.O n° 4514 du 01/09/97, p. 7).

* 41 C.C ma, 382-2000, datant du 15/03/2000, (B.O n° 4792 du 04/05/2000, p.13-14).

* 42 BENABDELLAH (M.A), «  la constitutionnalisation des cas d'incompatibilité », REMALD n° 33, juillet et août 2000, p.p.143-152.

* 43 C.C ma, 582-2004 datant du 11/08/2004, (B.O n° 52246 du 09/09/2004, p.p.11-16).

* 44 C.C ma, 586-2004 datant du 12/08/2004, (B.O n° 52246 du 09/09/2004, p.p.38-40).

* 45 Discours du Feu Hassan II devant les membres de la première formation du conseil constitutionnel, datant du 21/03/1994.

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