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Du nomadisme contemporain en France avec les saisonniers agricoles qui vivent en camion

( Télécharger le fichier original )
par Anaà¯s ANGERAS
Université Lyon 2 - Master 2 Recherche Spécialité Dynamique des Cultures et des Sociétés 2010
  

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2) Compléments photoethnographiques

L'ethno-anthropologie brésilienne utilise, et reconnaît, l'outil photographique comme un mode descriptif, à part entière. Elle l'intègre dans ses possibilités méthodologiques, en le considérant comme un matériau descriptif, au même titre que les descriptions littéraires que constituent les carnets de terrain (ou carnets de bord). Les photographies que réalise l'ethnologue lui-même ont donc valeurs de données ethnographiques en soi, et viennent donner un éclairage particulier à l'analyse. Il ne s'agit pas d'illustrations d'ouvrage, ou encore moins d'attractions figuratives, qui viendraient casser la monotonie du récit. Cette perspective analytique, pas aussi récente que ce que l'on pourrait penser, est nommée photoethnographie, et commence, peu à peu, à atteindre les horizons européens4(*).

En France, presque à l'inverse, là où les ethnocinéastes ont réussi à faire accepter la nécessité de leur point de vue (privilégiant le mouvement et les considérations dynamiques des sociétés modernes), on considère encore le moyen photographique comme un mode de description trop « figé », qui risquerait de « fixer » le terrain : focalisation des détails de recherche qui empêcherait une vue d'ensemble, plus relative, et corroborait, de ce fait, l'entreprise de connaissance anthropologique.

Je consacrerais, pourtant, cette - petite - partie à évoquer les possibilités d'analyse de quelques photographies, que j'ai pu réaliser lors de mes deux années de terrain. Je les propose ici, non par intention provocatrice ou prétentieuse, mais pour questionner, à mon tour, leur intérêt descriptif complémentaire à cette étude5(*). Les éléments figuratifs que contiennent ces images me semblent pouvoir servir d'indices analytiques éclairants pour l'enquête ; adjointes à d'autres, peuvent-elles jusqu'à conduire sa problématique ?

En attendant d'approfondir ailleurs ce questionnement, je m'en servirai comme support d'un premier « bilan » des points d'analyse mis en évidence par le récit ethnographique, dont les récurrences se retrouvent dans les photographies.

1. (Photographie de première de couverture) « Milie et son chien Miro, camion de Léon »

Granges-lès-Valence, département de la Drôme (26), région Rhône-Alpes, Avril 2008.

(Source : A. Angeras)

Cette photographie, placée en première page, vient représenter la population des saisonniers agricoles vivant « en camion » : caractérisée par le type d'habitat qu'elle investit, leur recherche d'évasion les entraîne à privilégier la vie en extérieur.

Le camion, de type « utilitaire », nous donne un premier indice quant aux moyens matériels investis possibles, m'entraînant à interroger la dimension économique dans laquelle ils évoluent. L'intérieur du véhicule révèle qu'il est aménagé en habitat (devenant, juridiquement parlant, un « habitat mobile »), point qui m'amène à questionner les conditions d'élection de ce mode de vie: qu'est-ce qui amène à vivre ainsi, de nos jours, au sein de la société française ? Seulement une situation précaire subie ou un choix de vie, pesé et assumé ? La porte de ce lieu de vie, ouverte sur l'extérieur, ainsi que la référence à la légende peuvent nous renseigner aussi sur les valeurs d'accueil et d'hospitalité qu'elle sous-entend.

Le chien, au premier plan, s'est placé non loin de sa maîtresse, nous donnant à voir son rôle protecteur de gardien, ce qui nuance quelque peu la notion d'accueil, évoqué plus haut. On pourra remarquer qu'il n'est pas attaché en laisse, suggérant ainsi sa liberté d'action.

Un pack de bière nous laisse entendre qu'il s'agit d'un moment de détente, hors d'une période de travail salarié. Celui-ci vient cacher la plaque d'immatriculation, acte méthodologiquement réfléchi, partant d'un souci d'anonymat.

Dans son ensemble, la photographie annonce un cadre de vie situé à l'extérieur, supposant un type particulier de nomadisme. L'emplacement du véhicule, sur terrain plat, convoque l'idée d'un choix de campement, dépendant du nombre et de l'état des véhicules.

Les éléments qui figurent sur ce cliché nous donne à évaluer les premiers traits apparents de cette partie de la population française : a priori signifiants qui les distinguent de l'ensemble de la population française, ils m'apparaissent comme autant de stigmates révélateurs de leur position sociale.

PHOTO 2

2. « La cueillette des fraises »

Peaugres, département de l'Ardèche (07), région Rhône-Alpes, Mai 2007.

(Source : A.Angeras)

Les photographies 2, 3, 4 et 5 mettent en scène des périodes de travail agricole. Sous serre ou en plein air, il s'agit d'activités salariées effectuées soit « à l'heure », soit « au rendement ». La diversité des productions saisonnières, représentée par ces quatre photographies (fraises, cerises, pommes, vignobles...), ainsi que les positions courbées du corps, les charges pondérales à supporter et les procédés de ramassage, démontrent des capacités d'endurance physique et de régularité, de minutie, de techniques et savoir-faires requis dans l'exercice de ces multiples emplois.

L'ensoleillement de ces différentes situations se retrouve sur chaque photographie, en fonction des périodes de l'année, sans, néanmoins, pouvoir nous renseigner sur ses intensités de chaleur qu'elles prodiguent. Les diverses ambiances associées à ces travaux saisonniers (que peuvent signaler les paroles, les rires, les hèles, les chants, ou, parfois, un relatif silence...), que ne peuvent capturer l'oeil photographique, manquent également dans cette description. La place d'un autre mode descriptif, tel que des documents sonores, qui viendraient compléter cette recherche d'informations, serait sans doute à estimer.

PHOTO 3

3. « La cueillette des cerises »

Colombier-le-Vieux, département de l'Ardèche (07), région Rhône-Alpes, Juillet 2008.

(Source : A.Angeras)

PHOTO 4

4. « Eclaircir les pommiers »

Département des Hautes-Alpes (05), région PACA, Juin 2007.

(Source : A.Angeras)

PHOTO 5

5. « Les vendangeurs au travail »

Trépail, département de la Marne (51), région Champagne-Ardennes, Septembre 2007.

(Source : A.Angeras)

PHOTO 6

6. « Un campement de saisonniers sur leur lieu de travail »

Département du Var (83), région PACA, Mai 2009.

(Source : A.Angeras)

Ce vignoble à ébourgeonner est aussi, pour ces saisonniers au rendement, leur lieu de vie collective, pour un temps donné, ne réunissant pas seulement des travailleurs logeant en « habitat mobile ».

Près du camion figure, ici, une toile de tente, autre type d'habitat qui suggère une temporalité plus succincte encore.

Une table et des chaises en toile, la présence d'autres moyens matériels (motocyclette, hamac), le peu d'ombre disponible en ce lieu... : façon de campement parmi une variété d'autres possibles, ces éléments laissent entendre une diversité de situations matérielles possibles, qui supposent une capacité d'adaptation manifeste, dépendante des conditions investies.

L'aspect esseulé de ce campement tient à son contexte d'une journée de travail, les saisonniers étant alors en plein ouvrage dans une vigne, à proximité. La raison du choix de ce cliché tient, là aussi, d'une raison méthodologique, car ne disposant pas de leur accord de figurer sur des photographies qui les mettraient en scène.

PHOTO 7

7. « Presque 500 000 km au compteur ! »

Le Turzon, Département de l'Ardèche (07), région Rhône-Alpes, Août 2009.

(Source : A.Angeras)

Le nombre élevé de kilomètres inscrit au compteur évoque, pour le « nomade en camion », une intense mobilité, parcourant de courtes à larges superficies territoriales. Son « véhicule-habitat », moyen matériel de son nomadisme, lui procure une certaine liberté de mouvements circulatoires, par la possibilité constante de s'établir dans un « ailleurs », qu'il choisit de manière temporaire.

Cette condition matérielle lui impose, nécessairement, des entretiens mécaniques réguliers afin de conserver sa liberté de déplacement, qu'elles soit liée à ses envies ou une obligation salariale. La marque « Mercedes » est une de celles les plus privilégiées par ces nomades contemporains, en raison de sa fiabilité et de ses facilités mécaniques, leur permettant de réparer leurs véhicules par eux-mêmes.

Cette photographie est celle du premier véhicule dans lequel j'ai vécu, durant mes deux années de terrain, de type « `508' Caisse ». Ce cliché a été pris peu de temps avant sa revente, en tant que huitième main.

PHOTO 8

8. « De la caisse au fourgon »

Le Turzon, Département de l'Ardèche (07), région Rhône-Alpes, Août 2009.

(Source : A.Angeras)

La légende de cette photographie fait référence au déménagement de mon premier « habitat mobile » (« `508' Caisse »), acquis lors de mon terrain, pour vivre ensuite dans un « `508' Fourgon » (numéros de modèle de ces véhicules utilitaires). Le passage de l'un à l'autre a été réalisé en extérieur, sans abri, en l'espace de quinze jours, grâce à l'aide d'un couple d'amis saisonniers vivant en camion (modèle « C35 », à l'arrière-plan droit). Le Turzon étant un lieu fréquemment surveillé par les gardes de la Compagnie Nationale du Rhône, la discrétion de ce chantier était d'importance.

Le volume d'un utilitaire de type « caisse » est souvent recherché pour l'espace qu'il confère, mais il est aussi souvent synonyme de surcharge pondérale, impliquant de fait un coût financier plus important (gazoil, mécanique, risque de condamnation pénale si le véhicule classé en « Véhicule Léger » dépasse les 3,5 tonnes limitées...). Le fourgon, par exemple, apparaît comme un choix matériel mieux adapté à une circulation plus fréquente sur routes de montagne.

PHOTO 9

9. « Yourte auto-construite ».

Bessèges, département du Gard, région Languedoc-Roussillon, Décembre 2008.

(Source : A.Angeras)

Cette yourte fait figure d'un autre cas d'habitat alternatif. Le mode de vie qu'elle soutend est qualifié de « semi-nomade » par ses protagonistes eux-mêmes, à la recherche d'une vie basée sur l'adéquation avec l'environnement naturel extérieur qu'ils choisissent. Ce type d'habitat nomade, d'inspiration traditionnelle, contient sa part de contemporanéïté, puisqu'il a été pensé selon le lieu (une végétation environnante faite, principalement, d'acacias, suintant une sève corrosive pour les tissus), et le climat (alternant fortes chaleurs sèches l'été et régulières averses l'hiver), où elle a été érigée, et les moyens techniques et matériels dont ils dsposent.

Il s'agit de la yourte où j'ai pu être accueilli pour rédiger la première synthèse de mes notes de terrain. Cette période a été l'occasion de rencontrer les associations « Demeures nomades » et « HALEM », qui défendent le principe d'« habitat choisi », perçu comme plus épanouissant et plus digne que des habitats dits « sociaux », politiquement parlant, souvent vétustes et précaires. Le sujet de ma recherche vient partager le même intérêt de dénonciation de présupposés miséreux, et la même volonté de reconnaissance sociale.

(Photographie placée ci-dessous) : La fixité du cadre photographique, dans l'élaboration de ce cliché, pour mieux révéler le mouvement qu'entraîne l'élan du véhicule... : cette photographie pourrait bien résumer, à elle seule, toute la portée de cette entreprise de recherche !

En effet, cette photographie me permet de souligner l'aspect quelque peu paradoxal de cette enquête. Le cadre spatio-temporel d'une institution de recherche, qui fixe un phénomène social dans un espace et un temps donnés, pour tenter de comprendre ses logiques d'actions et de représentations, vient se superposer à celui de ce nomadisme, et le révèle fait de mobilités quasi-constantes, de réévaluations permanentes de valeurs et caractéristiques socialement admises. Tandis que ce mouvement social continue de s'étendre, et son histoire d'évoluer, jusqu'à quel point peut-on conduire une analyse dynamique qui lui correspond ?

Elle me rappelle (par là, ou à ce moment) le profond questionnement de Bergson (avec une somme d'immobilités, comment créer du mouvement ?) et sa théorie selon laquelle l'être humain ne peut concevoir le temps sans l'espace, et ne sait concevoir l'espace sans la temporalité...

PHOTO 10

10. « Sur la route »

Département de la Corrèze (19), région Auvergne, Février 2009.

(Source : A.Angeras)

* 4 A ce propos, consulter l'ouvrage de Luiz E. Robinson , « L'homme sur la photo : manuel de photo-ethnographie »,2004.

* 5 L'ouvrage de J.Agee et W.Evans, « Louons maintenant les grands hommes » (1936), peut-être considéré comme une des premières tentatives d'enquête alliant descriptions littéraires et photographies descriptives, comme autant de données recueillies sur le terrain. J.Agee, une fois de retour dans son milieu urbain d'origine, se sert des clichés réalisés par W.Evans pour enrichir ses souvenirs, en vue de l'analyse,  « que sa mémoire ne saurait seule fixer ». Au milieu de son récit nous est présenté la quarantaine de photographies sur lesquelles il s'appuie (sur une centaine, au total) ; pour ma part, elles m'apparaissent encore comme trop «  détaché » du reste de l'ouvrage : incidences éditoriales seules ou lacunes de leurs auteurs ?

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera