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La transgression du Sacré (XIIème- XIIIème siècle)

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par Jean-François POISSON-GUEFFIER
Paris III Sorbonne Nouvelle - Master 2 2012
  

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C. URANISME, PERVERSION, TRANSGRESSION

La sexualité renardienne procédant d'un manque fondamental75, à l'instar de la quête de nourriture, l'ardeur du désir charnel paraît inextinguible. Le vide que

75 Renart s'en explique dans la branche III, confessant l'impossibilité de renoncer à la fornication : « Et jou, coment enteroie / Qui nul mal sofrir ne poroie / Et qui consirer ne me puis / De Hersent et de son

représente le « gouffre de la féminitude (...) s'épanche et absorbe tout » 76. En ce sens, « il ne saurait y avoir de réplétion » érotique, comme le suggère Renart dans sa confession. Confession d'un pecheor qui prolonge dans le verbe l'action sacrilège, excédant les limites de la morale et du corps :

Avenu m'est aucune fois

Que je ai foutu quinze fois !

Je suis de molt caude nature : 665

Il n'a en moi point de mesure ! Je fout bien dis fois prés a prés Et neuf foiees tout adés ! 77

La transgression tient à l'absence d'exclusive, en un brassage des âges (« J'ai foutu la fille et la mere », v. 601) et des sexes (« et tous les enfants et le père », v. 602). Les pratiques homosexuelles (masculorum concubitores) suggérées par le goupil s'inscrivent dans la notion d'hybridité78, constituant de fait le degré suprême de la transgression79. Transgression d'autant plus notable qu' « on connaît l'horreur du Moyen-âge pour l'homosexualité. Même dans les fabliaux qui ne paraissent se refuser aucune grivoiserie, nous ne rencontrons cette perversité que deux ou trois fois, et toujours sous la forme d'une injure cuisante ou d'une menace qui fait horreur »80. Si « d'une façon générale les fabliaux (...) ne dépeignent jamais des raffinements érotiques frappées par l'interdit de l'église », la deablie renardienne élargit les cadres de la transgression, jouissant d'un verbe lui-même sans mesure. Jacques Le Goff rappelle néanmoins que le XIIe siècle a pu être considéré comme « le temps de Ganymède »,

pertuis ? » (III, v. 433-437). La sexualité devient obsession, dès lors que le souvenir de ce pertuis engendre des réactions physiologiques démesurées : « Et por çou que il m'en ramenbre / Me remettent trestout li menbre / Et herice toute la chars ! » (v. 439-441).

76 Le Roman de Renart ou le Texte de la Dérision, op. cit., p. 308

77 Le Roman de Renart, Branche III, « La Confession de Renart »

78 Cf. Jean SOLER, Sacrifices et interdits alimentaires dans la Bible, op. cit., p. 27, « La Prohibition de l'hybride ».

79 Lévitique, 20, 13 : « L'homme qui couche avec un homme comme on couche avec une femme : c'est une abomination qu'ils ont toutes deux commise, ils seront mis à mort, le sang tombera sur eux ». Idée reprise de façon catégorique par André LE CHAPELAIN, dans le De Amore, Cap. 2 : Inter quos possit esse amor, éd. Trojel, p. 6 : « amor nisi inter diversorum sexuum personas non esse potest », cité par Per Nykrog, Les Fabliaux, p. 180.

80 Per NYKROG, Les Fabliaux, Nouvelle Edition, Genève, Droz, Publications Romanes et Françaises, CXXIII, 1973, p. 180. Per Nykrog cite également les deux seules occurrences de l'homosexualité dans le genre du fabliau : Prestre et chevalier et Sot chevalier. Le Lai de Lanval de Marie de France, atteste également de la prégnance du tabou homosexuel, lorsque la Reine accuse Lanval de ce type de relations : « Asez le m'a hum dit sovent / Que de femme n'avez talent. / Vaslez amez bien afaitiez / Ensemble od els vus deduiez », v. 281-284. La réaction de Lanval, « mult dolenz » (v. 289) de ces paroles est à la mesure du caractère scandaleux de ces accusations.

avant un mouvement de réforme : « le christianisme a repris les tabous de l'Ancien Testament condamnant sévèrement l'homosexualité, et le vice des habitants de Sodome a été interprété comme une déviation sexuelle »81.

La mention de l'homosexualité prend place, parmi bien d'autres perversions

(v. 673 : « Jou ai mengié un mien fael ! ») dans l'outrance d'une parole du pire, celle d'un représentant de la perduta gente, pour reprendre une expression du Chant III de l'Inferno. Eclatement des limites du langage et du corps. Jouissance de l'infâme et « hypermorale »82 vertigineuse.

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore