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La transgression du Sacré (XIIème- XIIIème siècle)

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par Jean-François POISSON-GUEFFIER
Paris III Sorbonne Nouvelle - Master 2 2012
  

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D. EXALTATION DU LANGAGE EROTIQUE

« De deux choses l'une : ou la parole vient à bout de l'érotisme, ou l'érotisme

viendra à bout de la parole »83.

La transgression de l'interdit érotique tient autant à l'acte charnel qu'à l'énoncé jouissif des mots de volupté. De fait, la prégnance du vocabulaire érotique dans l'univers des fabliaux engendre une parole jubilatoire : la dénomination minutieuse des pudenda figure en ce sens un véritable « matérialisme hédoniste »84, pour reprendre l'expression de R. Howard Bloch. Ainsi de la « Demoiselle qui ne pooit oïr parler de foutre », qu'une rencontre opportune avec un jeune homme entreprenant et rusé parvient à dévergonder. La description par le menu des organes sexuels, tant masculins que féminins, n'a d'autre visée immédiate que celle, ludique et transgressive, de nommer, acte qui procure une « évidente exultation »85. Périphrase et métaphore sont les deux truchements d'une jouissance de l'écriture, des personnages et du lecteur. La désignation des attributs virils prend ainsi la forme de questions licencieuses (« Que est ceci, / Daviët, si roide et si dur / Que bien devroit percier un mur ? », v. 170-172), d'une ingénuité (« sont ce deux luisiaus ? », v. 181) propre à réjouir et délasser l'auditoire86.

81 Jacques LE GOFF, L'Europe est-elle née au Moyen-âge ?, op. cit., p. 122

82 Cf. Georges BATAILLE, La Littérature et le mal, Paris, Gallimard, 1957, p. 9 : « cette conception [du mal comme valeur souveraine] ne commande pas l'absence de morale, elle exige une « hypermorale ». Andreas PAPANIKOLAOU, dans Georges Bataille, érotisme, imaginaire politique et hétérologie, Paris, Praelego, 2009, p. 160, définit l'hypermorale comme « la quête de la liberté du mal dans la débauche, la frénésie érotique, la transgression des interdits, la violation des règles morales, la tremblante intimité au voisinage de la mort (...) ». Autant d'éléments qui rendent cette notion opératoire dans l'analyse de cet épisode du Roman de Renart.

83 Georges BATAILLE, « A propos d'Histoire d'O », NRF, 1954

84 R. Howard BLOCH, Postface, in Fabliaux Erotiques, Textes de jongleurs des XIIe et XIIIe siècles, éd. Luciano Rossi et Richard Straub, Paris, Livre de Poche, coll. « Lettres Gothiques », 1992, p. 541

85 Ibid., p. 542

86 Cf. à ce titre le prologue du fabliau « Le Chevalier qui faisait parler les cons » (Ibid., p. 200sq, v. 1-4) :
« Fablel sont or mout encorsé : / maint denier en ont enborsé / Cil qui les content et les portent / Quar

A la formulation ingénue, résultant d'une palpation libertine, se superpose une seconde formulation, métaphorique. La métaphore équestre (« c'est moes polains »,

v. 173 ; « dui mareschal / qui ont a garder mon cheval », v. 183-184) du membre viril et l'assimilation du membre féminin au locus amoenus87prez », v. 141 ; « fontaine », v. 148) sont complétées par les termes d'usage (vit, con, foutre, trou) du conteur. L'écriture intensifie la jouissance liée à l'interdit, usant de trois expressions distinctes pour désigner chaque attribut copulatoire.

De même, la jeune fille de « De l'Escuiruel »88, qui dans un mouvement d'exaltation lubrique, répète à l'envi le mot vit : « Vit », dis ele, « Dieu merci, vite ! / Vit dirai je, cui qu'il anuit, / Vit, chetive ! vit dist mon père (...) ». L'invention lexicale qui accompagne la réitération du terme (jeu avec vite et chétive) manifeste les destins liés du geste et de l'écriture érotiques. L'intertexte merveilleux qui apparaît en contrepoint dans « Le Chevalier qui fit parler les Cons » redouble également le plaisir du comique de répétition par la référence à un modèle noble. Le « surnaturel obscène »89, selon l'expression de Per Nykrog, associe en effet le motif matriciel du don90 à la jouissance d'une parole égrillarde : « Ja n'ira mes ne loig ne près / por qu'il truisse feme ne beste (...) / S'il daigne le con apeler / Qu'il ne l'escoviegne parler », v. 218-219 et 221-222. Le don de la troisième pucelle s'inscrit quant à lui dans la dialectique du con et du cul, qui a donné lieu à un développement casuistique dans le « Dialogue du con et du cul » : « se li cons par aventure / avoit aucun enconbrement / qu'il ne respondist maintenant / li cus si respondroit por lui » (v. 232-233).

Au-delà de la gauloiserie inhérente au genre ressortent, exorcisées par le rire, des préoccupations d'une réelle gravité. C'est ainsi que Philippe Ménard, dans Les Fabliaux91, considère le rire lié à l'humour érotique comme un rire amoral, qui dissimule des interrogations profondes. Face à la présence écrasante de la morale chrétienne, les « contes à rire » sont un moyen d'atténuer « les angoisses, les désirs, les rêves, en un mot les sentiments troubles cachés au coeur des êtres » (p. 218). Si la

grant confortement raportent ». De même, le conteur de la Branche XXIII du Roman de Renart, « Comment Renart parfit le con », v. 1-2, ouvre son récit sur une considération identique (impératif du placere) : « Mainz hons puet tel chose taisir / Qui autrui vendroit a plaisir ».

87 Cf. Ernest Robert CURTIUS, La Littérature européenne et le Moyen-âge latin, Paris, PUF, 1956, rééd. Presses-Pocket, 1991, p. 301-320 (« Le Paysage Idéal »).

88 « De l'Escuiruel », Montaiglon, V, p. 103.

89 Per NYKROG, Les Fabliaux, op.cit., p. 59

90 Cf. pour une catégorisation des différents types de don (« contraignant, contraint, non sollicité, qu'on ne nomme pas ») : Jean-Jacques VINCENSINI, Motifs et thèmes du récit médiéval, Paris, Nathan Université, coll. « fac. », 2000

91 Philippe MENARD, Les Fabliaux, contes à rire du Moyen-âge, Paris, PUF, 1983, p. 140

« violation des tabous est un des caractères des contes à rire » (p. 243), la transgression du sacré ne s'explique pas tant par la dimension satirique du genre que par ses vertus quasi-curatives ; expression d'une gaieté débridée dans un cadre religieux très présent. Le langage en liberté du fabliau semble l'unique vecteur d'apaisement de craintes qui ne cessent de tourmenter les médiévaux, crainte d'une chrétienté impitoyable et terreur des visions infernales, qui n'empêchent cependant pas les oeuvres du corpus d'entretenir un dialogue fécond et subversif avec la parole sacrée.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon