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Le malaise dans l'oeuvre de Ken Bugul: cas de "la folie et la mort " et "de l'autre côté du regard "

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par Kouessi Jacques Richard CODJO
Université d'Abomey- Calavi Bénin - Maà®trise ès- lettres modernes 2004
  

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LE MALAISE SOCIOCULTUREL ET PSYCHOLOGIQUE.

Le malaise socioculturel peut se définir à la fois comme le malaise issu de certaines pratiques peu courantes de la tradition coutumière et comme le résultat du malaise politique sur la vie socioéconomique des populations victimes de la tyrannie. Il se traduit essentiellement par la violence. Le malaise psychologique est celui qui sourd de l'intérieur de l'être et qui déteint sur sa vie et celles de ceux qui l'entourent dans le présent et dans le futur. A cela, nous ajouterons, dans cette partie, la religion et certaines déviations sexuelles qui ont une influence considérable sur le malaise psychologique.

A- La violence socioculturelle.

Elle est matérialisée dans La folie et la mort par le tatouage des lèvres et le sacrifice humain et, dans De l'autre côté du regard par la sorcellerie.

1- Le tatouage des lèvres.

Le tatouage des lèvres est une pratique socioculturelle qui a cours dans plusieurs sociétés dans le monde entier. Mais ce qui fait la différence d'une région à l'autre, c'est la technique de tatouage. S'il suffit d'une simple poudre dans certaines zones, il faut une botte d'aiguilles dans d'autres. Et c'est cette dernière méthode qui est utilisée dans La folie et la mort. Et c'est parce qu'elle est très douloureuse que, d'ordinaire, celle qui veut se faire tatouer n'y va pas seule. Elle se fait accompagner par des membres de sa famille qui devront l'encourager durant toute l'opération. Réussi, le tatouage des lèvres donne un nouvel aspect au visage de celle qui l'a subi. Il rend la femme plus belle en noircissant ses lèvres. Le tatouage des lèvres a donc une fonction d'abord esthétique dans la société. Il peut également, puisqu'il modifie l'aspect du visage, être utilisé comme moyen de déguisement. Et c'est pour cela que Mom Dioum décide d'y aller seule. Elle dit d'ailleurs qu'elle va « se tuer pour renaître ». Mais, c'était compter sans l'intensité de la douleur, le tatouage se faisant sans aucune notion d'anesthésie. Outre les artifices de la Tatoueuse et de ses acolytes qui rendent le moment solennel, Mom Dioum se rend compte de la complexité de sa situation dès que la première botte d'aiguilles s'enfonce dans sa lèvre. Le narrateur précise: 

« Mom Dioum avait tressailli et frissonné de tout son corps. La douleur ressentie l'avait traversée, comme une décharge électrique. Les jambes tendues devant elle, les yeux recouverts d'un bandeau de tissu noir, le reste du corps recouvert de son pagne tissé, elle avait raidi tous ses membres aux premières attaques de la première botte d'aiguilles sur ses lèvres charnues »69(*).

Le tatouage des lèvres, pratiqué à vif, génère une grande douleur. C'est pourquoi, au-delà de sa fonction esthétique, elle remplit également une fonction initiatique. Les femmes qui en sortent sont aguerries contre la douleur. Elles ont ressenti une douleur si extrême qu'aucune autre douleur ne pourra plus jamais les surprendre. Mais pour en arriver là, il faut subir le tatouage jusqu'au bout. Or, la douleur qu'on y ressent est presque insupportable, au point où Mom Dioum, sous les coups de boutoir des aiguilles commence à s'interroger sur la pertinence de cette pratique. Elle rumine dans sa tête :

« D'où venait cette pratique barbare devenue une pratique socioculturelle traditionnelle, essentielle chez les peuples depuis si longtemps ? Personne n'avait réalisé que c'était une horrible pratique, que c'était plus horrible que tout ce qui se faisait jusqu'alors ? »70(*).

Ces interrogations montrent à quel point cette pratique peut être crue et douloureuse. Mom Dioum ne supportera pas la douleur jusqu'à son terme. Elle profite du répit que la Tatoueuse lui donne pour aller faire ses besoins, pour s'enfuir. Elle rate ainsi sa « renaissance »avec en prime, les malédictions de la Tatoueuse et de ses acolytes pour qui une femme qui commence le tatouage et qui ne l'achève pas ne mérite pas de vivre.

Mais, au-delà de cet échec face à la douleur physique, c'est tout un être qui vient de basculer dans le chaos. En effet, non seulement cette fuite constitue une grande lâcheté de la part de son auteur et de plusieurs générations après lui, mais elle le rend également horrible, physiquement. Dans le cas de Mom Dioum, elle a décidé de se faire tatouer les lèvres pour échapper à ceux qui la poursuivaient, aux agents du Timonier qui la recherchaient pour le meurtre d'un albinos. Elle est venue se faire tatouer les lèvres pour effacer définitivement ce pan de son histoire. Mais elle ne réussit pas. Cela signifie que l'épisode de sa vie qu'elle veut nettoyer, elle ne pourra jamais s'en défaire. Elle veut oblitérer ce passé qui lui est devenu compromettant. Mais, le narrateur veut montrer qu'elle en a suffisamment vu pour se libérer aussi facilement. Au-delà de l'aspect physique de cet épisode, il faut percevoir un malaise psychologique dont l'héroïne ne peut plus se débarrasser. Elle a été si profondément meurtrie par la découverte de la supercherie qu'organisent les amis du Timonier que ce qu'elle a vu faisait désormais partie de sa vie. Et ce qu'elle a vu est si grave qu'elle ne peut plus être dorénavant, un être normal. Elle a découvert le pot aux roses. Elle avait découvert le fondement, le socle macabre sur lequel reposent la force et le régime du Timonier : la mascarade, la ruse et la barbarie. Après avoir vu cela on ne pouvait plus mener une vie normale dans ce pays qui continuait d'être dirigé par le Timonier. Or le tatouage réussi pouvait permettre à Mom Dioum de poursuivre une vie normale à l'abri des hommes du Timonier. Mais cela n'était plus possible.

Après ce qu'elle a vu, elle devait choisir : choisir entre la folie et la mort ou les deux. C'est pourquoi, après sa fuite de la concession de la Tatoueuse, Mom Dioum ne retrouvera plus une vie normale. Enlaidie par ses lèvres qui ont pris des proportions gigantesques du fait du tatouage inachevé, elle ne peut plus vivre parmi les hommes. Elle s'enfonce dans un univers onirique. Elle est récupérée, dans un récit fantastique, par un monstre qu'elle épouse mais qui décide plus tard de la dévorer. Elle doit la vie sauve, comme dans un conte, à un arbre qui lui parle comme une vieille femme et qui lui remet de quoi vaincre le méchant monstre. Tout cela se passe dans un long moment de rêve. Lorsque Mom Dioum se réveille, elle est entourée des enfants d'un village qui la prennent pour une folle et qui lui jettent des pierres. Elle comprend alors qu'elle n'a plus le choix. Elle doit devenir folle ou du moins, faire semblant de l'être, pour pouvoir survivre. C'est ainsi qu'elle se retrouve dans un asile de fous. Là, son compagnon l'aidera à faire le choix suprême : la mort. Ce compagnon connaît lui aussi une histoire semblable à celle de Mom Dioum. Il a été témoin d'une autre supercherie, le sacrifice humain.

* 69 La folie et la mort, p.37.

* 70 Idem, p.43

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